Jeux, enjeux et contraintes des grandes puissances au cours du printemps arabe. Le cas des membres du CSNU.( Télécharger le fichier original )par Ange Joachim MENZEPO Université de Dschang-Cameroun - Master en Sciences politiques 2015 |
PARAGRAPHE II : LES ENJEUX DES PUISSANCES MOINS ACTIVES.A la question visant à s'informer sur ce qui a gouverné le comportement de la Chine et de la Russie, à savoir leur non intervention, deux réponses sortent du lot. Il y a d'abord une raison de principe puisque Pékin et Moscou ont traditionnellement une position de non ingérence dans les pays étrangers (A). C'est un principe intangible pour ces deux Etats. Et puis, la Russie et la Chine, qui sont loin d'être de réelles démocraties, conçoivent toutes deux quelques inquiétudes à propos du printemps arabe en général, qui pourrait donner des idées à leur propre population (B). A. La protection de leur culture en politique internationale.Les actions de la Chine comme celles de la Russie sont, sur le plan international, gouvernées par le principe de non ingérence dans les affaires internes des Etats. Ces deux puissances ont tenu à garder cette culture. 1- La protection de sa culture en politique internationale par la Russie. Au sujet de la Russie, la non ingérence se présente comme un élément de sa culture en politique internationale, un élément de son identité. Précisons que le terme d'identité est ici employé comme un ensemble de systèmes de pensée et de méthodes d'action identifiables caractéristiques d'un acteur, dans lequel celui-ci se reconnaît et estime se distinguer d'autres acteurs599(*). Aussi, lorsqu'on sait qu'avec le projet constructiviste, les intérêts et les motivations des Etats ne sont pas donnés mais constitués par des identités, la position de la Russie, à savoir la non intervention, n'est pas surprenante car se situant dans la logique des gouvernements prédécesseurs qui ont généralement entretenu avec les occidentaux des relations de rivalité600(*). En effet, pour les dirigeants russes, l'intervention des grandes puissances en Libye est qualifiée « d'agression ». Cette qualification se situe dans le sillage de plusieurs précédents. A titre illustratif, en 1999, Boris ELTSINE, alors président russe, déclarait au sujet de l'intervention au Kosovo que l'action militaire de l'OTAN n'était rien d'autre qu'une agression non voilée contre la Yougoslavie souveraine. Le Ministre des affaires étrangères d'alors M. Igor IVANOV parlait quant à lui d'agression directe de l'OTAN. Il avait déclaré : « pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale un acte explicite d'agression contre un Etat souverain est commis »601(*). Aussi, il convient de relever que dans un passé un peu plus lointain, la Russie s'est toujours opposée à des interventions militaires dans des pays étrangers en raison de son respect strict du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats souverains. De même, elle continue de tenir les engagements déjà conclus par l'URSS dont celui passé avec la Chine qui témoigne de cet état d'esprit. En effet, la Chine et l'URSS ont signé en 1945 un traité d'amitié et d'alliance, qui stipulait que (...) les deux parties s'engageaient à agir selon les principes d'estime mutuelle et de respect de leur souveraineté et de leur intégrité territoriale, ainsi que de la non-immixtion dans les affaires intérieures des deux pays602(*). C'est certainement dans le sillage de ce traité que le Russie, principale héritière de l'URSS à l'issue de la dislocation du bloc soviétique a poursuivi ses actions sur la scène internationale. D'ailleurs pour illustrer le comportement de la Russie au cours du printemps arabe par le fait de la coutume internationale, l'ancien homme politique et ministre des Affaires étrangères (1957-85) de l'Union soviétique, Andreï GROMYKO, reçut le sobriquet de M. Nyet en raison de son rejet continuel des propositions d'intervention venant de l'Occident. Pour les dirigeants MEDVEDEV et POUTINE qui s'inscrivent dans la logique de la tradition russe, toute intervention en terre étrangère, dans un pays souverain, est à proscrire. Dans cette veine, la Russie a été en marge des pressions exercées sur les régimes de Ben ALI en Tunisie et Hosni MOUBARAK en Egypte. Elle s'est, par la suite, abstenue lors du vote de la résolution 1973 du CSNU sur la Libye. Pour eux, comme pour leurs devanciers de 1999, c'est une agression. POUTINE parle de « croisade ». Il ne cautionne pas l'intervention en Libye. Selon le délégué Russe au CSNU, M. Vitaly CHURKIN, la Russie s'est abstenue lors du vote « pour des raisons de principe »603(*), tout comme la Chine qui préserve également son principe en politique étrangère. 2- La protection de sa culture en politique internationale par la Chine. La Chine projette une image de puissance qui sert ses intérêts604(*). Elle a protégé son identité au cours des crises du Maghreb. La presse chinoise n'a pas manqué de vivement critiquer l'intervention occidentale contre laquelle la Chine est, à en croire sa réponse lors du vote de la résolution 1973 qui n'est ni un oui ni un non « ouvert »605(*). Assurément, la Chine est un pays dont la politique étrangère est fondée sur un certain nombre de principes. Jean-Pierre CABESTAN606(*) écrit : « la politique étrangère chinoise reste axée autour des cinq principes de la coexistence pacifique mis en avant par l'Inde puis la Chine dans les années 1950 : 1) respect mutuel de l'intégrité territoriale et de la souveraineté ; 2) non-agression mutuelle ; 3) non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures ; 4) égalité et avantages mutuels ; 5) coexistence pacifique ». Aussi, comme déjà mentionné, la Chine a eu à signer en 1945 un traité avec l'URSS allant dans le sens de la non ingérence. De même, le gouvernement populaire de la République populaire de Chine s'engageait à entamer des pourparlers et entrer en relations diplomatiques sur la base de l'égalité de droits, des avantages réciproques et du respect mutuel du territoire et de la souveraineté nationale avec les gouvernements étrangers qui auront rompu les relations avec les réactionnaires du Kouo-Min-Tang et adopté une attitude amicale à l'égard de la République populaire de Chine607(*). En 1953, le Premier Ministre chinois Zhou En-Laï avait énoncé les « cinq principes de coexistence pacifique que les Chinois entendaient appliquer à l'égard des pays asiatiques, africains et latino-américains indépendants ou en passe de le devenir. Ces 5 principes sont : respect mutuel de la souveraineté et de l'intégrité territoriale ; non-agression mutuelle ; non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats souverains ; égalité et réciprocité des bénéfices tirés des opérations communes ; coexistence pacifique608(*). C'est sans aucun doute sur ces principes, si chers à la Chine, qu'elle a fondé son attitude lors du vote de la résolution 1973 au Conseil de Sécurité de l'ONU. C'est à coût sûr certainement la même réalité qui est à l'origine de son invisibilité en Tunisie et en Egypte alors que les occidentaux s'affairent à mettre la pression sur les dirigeants Ben ALI et Hosni MOUBARAK car dans sa politique, « la chine offre un partenariat stratégique fondé sur le respect sourcilleux de la non ingérence »609(*). La protection de leurs identités n'est pas le seul mobile poursuivi par les non interventionnistes. * 599 COURMONT (B.) et al., op. cit., p. 81. * 600 Cette rivalité se situe dans le sillage de l'anarchie lockienne. Lire BATTISTELLA (D.), op.cit., p. 286 et 289. * 601 Conférence de presse du 25 mars 1999. La plupart des documents concernant les événements du kosovo sont tirés du Diplomatitcheski Vestnik, le courrier diplomatique, la revue mensuelle du ministère des affaires étrangères de Russie, documents qui peuvent être consultés sur le site du ministère, www.mid.ru. * 602 COLLIARD, Droit international et histoire diplomatique, Paris, Domat-Montchrestien, 1948, pp. 448-458, cité par FOCSANEANU Lazar, « Les grands traités de la République populaire de Chine », dans Annuaire français de Droit International, volume8, 1962. pp. 139-177. * 603 Conseil de sécurité, Département de l'information, « Libye : Le Conseil de sécurité décide d'instaurer un régime d'exclusion aérienne afin de protéger les civils contre des attaques systématiques et généralisées », 17/03/2011, CS/10200, consultable sur : http://www.un.org/News/fr-press/docs/2011/CS10200.doc.htm, consulté le 13 mars 2013. * 604 COURMONT (B.), et al. op.cit., p. 59. * 605 Par son abstention, la Chine a marqué son indifférence. * 606 CABESTAN Jean-Pierre, « CHINE- politique étrangère contemporaine » Encyclopaedia universalis (en ligne) consulté le 12 mars 2014. URL : http// www.universalis.fr/encyclopedie/chine-politique étrangère contemporaine. * 607 Source : La Documentation Française, Annexe au Bulletin quotidien de la presse étrangère, n° 1395 du 6 octobre 1949, p.6 cité par FOCSANEANU (L.), op.cit., p. 150. * 608 Source : BAL Marie, LAURA Valentin, « La stratégie de puissance de la Chine en Afrique », ESSEC Mastère Spécialisé Marketing Management Part Time 2007/2008. * 609 NIQUET Valérie, « La stratégie africaine de la Chine » dans Politique Etrangère, 2ème trimestre, 2006, p.363-364. |
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