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Jeux, enjeux et contraintes des grandes puissances au cours du printemps arabe. Le cas des membres du CSNU.

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par Ange Joachim MENZEPO
Université de Dschang-Cameroun - Master en Sciences politiques 2015
  

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B. La préservation de leur sécurité interne.

Dans l'anarchie internationale, aucune autorité politique supérieure aux Etats n'est à mesure de veiller à leurs droits et à leur protection610(*). Les Etats s'efforcent de maximiser leur sécurité611(*). Ainsi, préserver leur sécurité respective est aussi un élément qui a orienté le comportement non interventionniste de la Chine (1) et de la Russie (2).

1- Les manoeuvres de protection de sa sécurité interne par la Chine.

« La sécurité peut signifier pour certains l'absence de guerre, pour d'autres, la poursuite des intérêts nationaux, la protection de valeurs fondamentales, la capacité de survie, la résistance à l'agression, l'amélioration de la qualité de vie, le renforcement des états, l'éloignement des menaces, ou l'émancipation de l'être humain »612(*). Dans le cas d'espèce, nous la considérons comme l'amélioration de la qualité de vie613(*), l'éloignement des menaces614(*), toutes choses qui sont poursuivies par la Chine.

Le Dr KUHN615(*) révèle que la Chine s'inquiète qu'en cas de conflit interne et dans certaines circonstances, les résolutions du CSNU puissent être utilisées contre elle ; ce qui est normal car il faut bien penser à soi avant d'agir. Cette réflexion la pousse à s'abstenir lors du vote de la résolution 1973 du CSNU et la suite de son action a consisté en un travail en interne afin de prévenir toute contagion.

En effet, les autorités de la Chine craignent une contagion démocratique. Elles redoutent que les événements du monde arabe ne donnent des idées aux Chinois. Les dirigeants chinois se trouvent ainsi contraints d'agir avec prudence, d'adopter une position de retrait. Pendant que les affrontements se poursuivent en Tunisie entre force de l'ordre et civils ou que les frappes alliées suivent leur cours en Libye, les autorités chinoises sont davantage préoccupées par la situation politique interne de leur pays.

Par le biais d'un éditorial du quotidien de Pékin (Beijing Ribao), elles adressent une mise en garde contre les appels à la contestation s'inspirant des mouvements d'émancipation dans les pays arabes616(*). Plusieurs messages de sensibilisation sont adressés au Chinois dont les suivants: « chacun sait que la stabilité est une bénédiction et le chaos une calamité », « ce trouble conduit à un désastre massif pour les peuples de ces pays », « Il est utile de noter qu'ici ou depuis l'étranger, certains individus nourrissant des arrière-pensées essaient de déclencher ce chaos en Chine, se servant d'internet pour fomenter des rassemblements illégaux ». Suit un appel à tous les citoyens chinois pour qu'ils  « protègent consciencieusement l'harmonie et la stabilité »617(*).

Le premier ministre chinois WEN JIABAO a, au cours de la session inaugurale de l'assemblée annuelle du Congrès national du peuple, insisté sur la stabilité sociale618(*). Il va jusqu'à s'engager à lutter contre des sources possibles de mécontentement social dont l'inflation en cours dans le pays. Il déclare devant l'assemblée « nous devons considérer la stabilisation des prix comme la priorité de notre contrôle macro-économique ».619(*) Il rassure les populations en disant : « notre développement économique a pour objectif de répondre aux besoins croissants de la population sur le plan matériel et culturel et de rendre leur vie toujours meilleure »620(*). Il ajoute « nous avons suivi de près les turbulences dans certains pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, mais il n'y a pas d'analogie entre la Chine et ces pays»621(*).

Les autorités chinoises ne s'arrêtent pas là. Afin de faire cesser toute velléité de trouble inspiré du printemps arabe, la police chinoise menace parallèlement de priver de visas des dizaines de journalistes étrangers s'ils continuent de couvrir « illégalement » les appels lancés par des sites basés à l'étranger622(*). Elles mettent tout en oeuvre pour étouffer les tentatives de contestation623(*), les tentatives de manifestations sont réprimées par les forces de l'ordre.

Les autorités chinoises se tournent également vers les médias occidentaux. Critiquant leur couverture du sujet, elles dénoncent des manipulations faites par les puissances occidentales ce qui a pour objectif de discréditer les manifestants aux yeux de la population chinoise. Pour les dirigeants chinois, « la préservation de la souveraineté nationale et la lutte contre toutes les pressions extérieures » demeure la priorité, avec la poursuite du développement économique, de la politique extérieure de puissance de la République populaire de Chine624(*).

Pékin est en effet soucieux d'éviter une crise nuisible à la poursuite du développement économique, seul fondement d'une réelle montée en puissance de la RPC à plus long terme.

Aussi, la Chine dans sa position, de préservation de sa sécurité interne, accorde de l'importance à des éléments autres que le désir démocratique des peuples arabes. Elle offre une autre grille de lecture, elle met l'accent sur les risques de chaos plus que sur la transition démocratique elle-même625(*).

La classe non dirigeante chinoise n'est pas en reste en ce qui concerne l'attitude que doit adopter la Chine. Marqués par les enseignements de la Révolution culturelle et plus encore par les événements de juin 1989 (place Tiananmen), ceux qui appartiennent à la génération des 60-70 ans évoquent tous cette référence pour insister sur le fait que la Chine ne peut se permettre une nouvelle vague d'instabilité interne. Le printemps arabe  rappelle ainsi à cette génération le devoir de la Chine de se concentrer sur ses nombreux problèmes intérieurs et d'environnement proche, avant de s'atteler à jouer un rôle de puissance globale qu'elle n'est pas prête à exercer626(*).

Pékin tire des leçons de ces événements en réaffirmant avec force ses priorités de développement intérieur. Pour lutter contre la corruption qui est décriée dans la société chinoise et qui est un des moteurs des crises arabes, la Chine n'hésite pas à prononcer des peines exemplaires627(*). Et même pour barrer la voie à toute revendication de départ du pouvoir, les autorités chinoises brandissent avec fierté la limitation des mandats du chef de l'Etat628(*). Pour preuve elle a un nouveau Chef à sa tête en la personne de Xi JINPING, moins de trois ans après la mort de KADHAFI et la chute du troisième régime menacé par le printemps arabe629(*).

Pour Pékin, les crises de la région Afrique du Nord-Proche-Orient sont toutes interconnectées (Israël-Palestine, Syrie, Iran et Libye), ce qui conduit le pouvoir chinois à préconiser la « patience stratégique »630(*) face à la précipitation et à l'interventionnisme imputés à l'Occident. A côté d'elle, la Russie est animée par le même esprit.

2- Les craintes de la Russie, ferments de sa non intervention.

En plus d'être guidée par son identité631(*) internationale face aux occidentaux, la Russie est aussi dirigée par des craintes dont la peur des agitations internes.

Les autorités Russes craignent que les révolutions arabes puissent inspirer à leurs citoyens les idées d'organiser des manifestations de revendications d'autonomie politique contre leur régime. Elles professent que depuis 2003, les Etats-Unis essayent de fomenter des campagnes de démocratisation en Russie632(*).

Le président russe se veut rassurant à cet effet. Dimitri MEDVEDEV déclare dans un discours : « cette conspiration ne réussira pas »633(*). Pour parer à cette éventualité, les Russes ne se limitent pas à ne pas intervenir. Les autorités travaillent à la prévention d'une « révolution facebook », lorsqu'on sait à quel point cet outil a été déterminant dans la réussite des campagnes pour le rassemblement des dissidents en Tunisie et même en Egypte. Elles demandent aux propriétaires de réseaux sociaux d'être responsables des éléments postés sur leurs sites634(*). Malgré l' « air fanfaron »635(*) souvent publiquement affiché par les autorités russes, cette attitude traduit l'état d'un gouvernement qui craint son peuple636(*), d'où leur non implication dans l'intervention contre la Libye afin de ne pas donner des idées à leur population.

Ainsi, la protection des civils, l'instauration de la démocratie en Tunisie, en Egypte ou encore en Libye, pour les puissances interventionnistes et la défense de leurs identités637(*) internationales tout comme la promotion de la sécurité interne pour les puissances non interventionnistes, sont les enjeux manifestes de leurs comportements. Toutefois, les gouvernants, fussent-ils démocratiques, ne sont guère enclins à expliquer clairement à l'opinion les raisons réelles de leurs engagements638(*). Aussi, « la parole a été donnée à l'homme pour cacher sa pensée »639(*). C'est ce qui explique l'existence d'enjeux latents.

* 610 ARON (R) op.cit.

* 611 SMOUTS (M.C.), et al. op.cit., p. 454.

* 612 BARRY Buzan, People, States and Fear: An Agenda for International Security Studies in the Post Cold War Era,2nd ed., London, Boulder, Lynne Rienner, 1991, p. 7.

* 613 Celle des Chinois

* 614 Menaces de révolte que pourrait inspirer le printemps arabe.

* 615 Dr Robert Lawrence KUHN op.cit.

* 616 Source : http://www.tf1.fr, consulté le 05 mars 2013.

* 617 Ibid.

* 618 Ibid.

* 619 Ibid.

* 620 COURMONT Barthélemy, « La Chine et les révolutions arabes » IRIS, revue de presse, septembre 2011.

* 621 COURMONT (B.), op. cit.

* 622 http://www.tf1.fr op.cit.

* 623 Consécutivement au mouvement dans le monde arabe, plusieurs manifestations furent organisées en Chine pour réclamer des réformes démocratiques, en faisant usage des réseaux sociaux sur Internet, et s'inspirant ainsi directement du printemps arabe. Plusieurs jours de suite, les grandes villes chinoises furent le théâtre de manifestations.

* 624 www. Rpcfa.gv.cn, site du ministère chinois des Affaires étrangères, consulté le 26 août 2014.

* 625 COURMONT (B) op.cit.

* 626 DAZI-HENI Fatiha, « Le printemps arabe vu par Pékin » dans Le Monde Diplomatique, 14 décembre 2011.

* 627 A titre d'exemple, la peine de mort est systématiquement prononcée contre tout dirigeant condamné pour corruption. Source voir DAZI-HENI (F) op.cit.

* 628 Celui-ci n'est renouvelable qu'une fois, les ministres y vont à la retraite à 65 ans.

* 629 Nous sommes en Août 2014.

* 630 DAZI-HENI (F) op.cit.

* 631 Identité prise dans le sens de COURMAONT (B.), et al., op. cit., p 81.

* 632 Source : BLANK Stephen, «Russia's anxieties about the Arab revolution», FPRI, July 2011.

* 633 Discours de Dimitri MEDVEDEV de mars 2011.

* 634 Elément rapporté par Andrei SOLDATOV cité par BLANK (S) op.cit.

* 635 Expression de BLANK Stephen, op.cit.

* 636 BLANK (S) op.cit.

* 637 Tel que définie par COURMONT (B.) et al., op.cit.

* 638 BERGES Michel (dir.), Penser les relations internationales, Paris, l'Harmattan, 2008 (version numérique), p. 23.

* 639 RICHELIEU cité par DOUNKENG ZELE (C.) op.cit.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius