Jeux, enjeux et contraintes des grandes puissances au cours du printemps arabe. Le cas des membres du CSNU.( Télécharger le fichier original )par Ange Joachim MENZEPO Université de Dschang-Cameroun - Master en Sciences politiques 2015 |
B. L'instauration de la démocratie.L'instauration de la démocratie est l'autre enjeu qui fédère les actions des grandes puissances tant en Libye qu'en Tunisie et en Egypte. En effet la fin de la première décennie et le début de la deuxième décennie 2000 sonnent pour les pays de l'Afrique du Nord comme les années 90 pour les pays de l'Afrique subsaharienne. Le respect des principes démocratiques apparaît depuis la fin des années 90 comme un critère incontournable de la légitimité internationale576(*). « L'obsession de la garantie contre l'avenir, du gouvernement anticipé du futur, s'installe désormais comme référence de la plupart des discours politiques. Il ne s'agit plus de transformer le monde mais de l'assurer. Il ne s'agit plus d'imaginer l'avenir mais de le contraindre »577(*). Avec le printemps arabe, mues par leurs cultures, leurs valeurs578(*), éléments qui guident les actions des acteurs sur la scène internationale, les grandes puissances saisissent cette fenêtre d'opportunités pour contraindre le Maghreb à la démocratie. D'ailleurs, pour paraphraser A. TOURAINE, nous pouvons affirmer que les valeurs ne sont rien d'autre que les exigences de l'action579(*). Aussi, l'Amérique incarne des valeurs de liberté, de démocratie et de libéralisme qui ont façonné son histoire, et font encore aujourd'hui sa fierté580(*). De plus, Robert KAGAN voit en l'Amérique un acteur incontournable des relations internationales, et n'exclut pas une forme d'unilatéralisme pour garantir le succès de valeurs démocratiques581(*). Sur ce postulat, l'intervention des Etats-Unis se voulait plus qu'impérative pour ne pas aller à l'encontre de ses valeurs. A bien des égards, Washington affiche une volonté de s'engager dans certaines régions afin d'implanter la démocratie et d'apporter des valeurs universelles582(*). Plus encore, la notion de démocratie est souvent associée à la cohésion sociale, et apparaît comme un élément important dans l'image que véhicule la puissance583(*). Les comparaisons entre Washington et les empires coloniaux sont justifiées par l'existence d'un discours prônant la défense de valeurs universelles -mission civilisatrice hier, implantation de la démocratie aujourd'hui - et des moyens militaires importants pour les faire respecter584(*). Centre du système international dont elles ont organisé la mondialisation, les grandes puissances (France, Grande-Bretagne, Etats-Unis) occupent une même position de pouvoir et sont réunies par une même grammaire politique à prétention universaliste585(*): la démocratie. Par conséquent face à ce triomphe de la démocratie libérale, Francis FUKUYAMA déclare la fin de l'histoire586(*). C'est cette prétention à l'universalité démocratique qui justifie l'action des acteurs de la communauté internationale dans le champ politique maghrébin. Cette perspective est illustrée par un processus discursif. En effet, la démocratie est donc devenue le « Only game in the town »587(*). Ce thème a été, aussi bien que le premier, abondamment repris dans les discours des grandes puissances. Elles se sont, dans certains cas, exprimées comme venant simplement appuyer l'ambition de démocratisation des peuples du Maghreb. Ainsi, dans son interview à l'Express du 4 mai 2011 le président français soulignait qu'il fallait : « soutenir de toutes nos forces l'émergence de la démocratie dans les pays arabes.....La rue arabe qui s'exprime pour la démocratie et la non violence est la meilleure nouvelle pour les démocraties»588(*). Dans le même ordre d'idées, David CAMERON, a indiqué cet enjeu et cette optique de soutien lors du sommet du G8 de Deauville de mai 2011. Il a déclaré : « je veux que ce sommet débouche sur un message très simple et très clair, celui que les plus grandes puissances mondiales se sont réunies pour dire à ceux qui, au Proche-Orient et en Afrique du Nord, veulent plus de démocratie, plus de liberté et plus de droits, nous sommes à vos côtés»589(*). Il poursuit en ces termes : « nous aiderons à la construction de votre démocratie, nous aiderons vos économies (...) nous vous aiderons par tous les moyens, parce que l'alternative à une démocratie établie c'est encore plus de l'extrémisme venimeux qui a fait tant de dégâts dans notre monde»590(*). Dans d'autres cas les dirigeants des grandes puissances présentent l'ambition d'instaurer la démocratie contre tout scepticisme. C'est ainsi qu'à la conférence des ambassadeurs de France le président SARKOZY a annoncé « (...) au Sud de la Méditerranée où la religion demeure une référence centrale, tout l'enjeu des printemps arabes est de montrer par l'exemple que l'affirmation de ces valeurs591(*) ne s'oppose en rien à l'Islam. Enraciner la démocratie, c'est bien sûr organiser des élections libres, mais c'est aussi accepter l'alternance au pouvoir ; c'est respecter les droits et les choix des individus et des minorités »592(*). Ce faisant, le président démontre « la volonté de la France d'accompagner avec détermination le mouvement des peuples vers la démocratie »593(*). Cette volonté s'inscrit dans ce que Mwayila TSHIYEMBE594(*) identifie comme fondement de la politique étrangère de la France à savoir les droits de l'homme. Dans ce sillage, il écrit « la France, c'est l'autre pays du messianisme fondé sur la primauté des droits de l'homme et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes »595(*). Il ajoute que « (...) les droits de l'homme autant que les aspirations des peuples à disposer d'eux-mêmes constituent le premier fondement universaliste de la politique étrangère de la France »596(*). La France a donc saisi l'opportunité du printemps arabe pour réaffirmer son attachement à la démocratie qui offre la possibilité aux peuples de choisir librement leurs dirigeants. Aussi, la démocratie présente entre autres principes, la liberté d'expression. C'est dans cette veine que les autorités américaines ont fait pression sur le gouvernement tunisien afin que celui-ci rouvre l'espace internet qu'il avait fermé empêchant les populations de mener à bien leur activités d'information et de regroupement des manifestants au cours des événements de janvier 2011. En Egypte l'acharnement est le même. Hillary CLINTON l'a fait savoir lorsqu'elle déclare « nous sommes du côté, (...) d'une Egypte démocratique qui pourvoie des droits politiques et économiques à son peuple, qui respecte les Droits de l'Homme universels pour tous les Egyptiens. Nous voulons voir une transition vers la démocratie »597(*). Animée par le même souci au sujet de l'Egypte que les Etats-Unis à savoir l'instauration de la démocratie, la Grande-Bretagne par la voie de son premier ministre déclare qu' « il est dans l'intérêt de tous qu'il y ait des lois et des règles fortes, une démocratie bien ficelée »598(*). La complexité de la crise libyenne leur a donné de rechercher un cadre légal et légitime pour assurer l'atteinte des deux enjeux susmentionnés. Aussi, elles ne se sont pas limitées aux discours, elles ont apporté des financements. A coté de ces enjeux poursuivis par les puissances très actives, il y en a d'autres, poursuivis par les moins actives. * 576 KEUTCHEU Joseph, « Ingérence démocratique » et state building en Afrique : éléments de discussion de l'institutionnalisation de l'idéalisme étatique dans les relations internationales », disponible sur www.general assembly.codesria.org/img/PDF, consulté le 30 septembre 2012. * 577 DOMINIQUE David, Sécurité : l'après-New York, Paris, Presses de Siences Po, 2002, p. 10. * 578 Selon Jean François TCHERNIA, « les valeurs sont des idéaux et des préférences qui prédisposent les individus à agir dans un sens donné, structurent leurs actions. » dans SCHWEIGUTH (E), « L'institution militaire et son système de valeurs », Revue française de sociologie, XIX, 1978, pp.373-390. * 579 TOURAINE Alain, Sociologie de l'action, Paris, Les éditions du seuil, 1965 (version numérique), p. 17. * 580 Lire MANDELBAUM Michael, The Ideas That Conquered the World: Peace, Democracy, and Free Markets in the Twenty-First Century, New York, Public Affairs, 2002. * 581 Lire KAGAN Robert, La puissance et la faiblesse, Paris, Plon 2003 (pour la traduction française) * 582 COURMONT (B.), et al., op.cit., p. 31. * 583 Ibid., p. 22. * 584 Ibid., p.32. * 585 Lire BADIE Bertrand, L'Etat importé, l'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, 1992. * 586 Voir FUKUYAMA Francis, La fin de l'histoire et le dernier Homme, Paris, Flammarion, 1992. * 587 LINZ Juan, STEPAN Alfred cité par POKAM Hilaire de Prince, « Les acteurs externes dans le jeu démocratique en Afrique : Analyse de l'influence que certains acteurs externes exercent sur le jeu démocratique en Afrique à travers les acteurs internes et le processus du jeu depuis l'ère coloniale » dans Annales de FSJP, Université de Dschang, PUA, tome 5, 2001, p. 49. * 588 Propos de N. SARKOZY, rapporté par l'Express, 4 mai 2011. * 589 Intervention de D. CAMERON au sommet du G8 de Deauville tenu du 26 au 27 mai 2011. * 590 Ibid. * 591 Celles de la démocratie. * 592 Intervention de N. SARKOZY à la conférence des ambassadeurs de France, op.cit. * 593 Intervention de N. SARKOZY à la conférence des ambassadeurs de France, op.cit. * 594 TSHIYEMBE Mwayila, La politique étrangère des grandes puissances, Paris, L'Harmattan, 2010. * 595 Ibid., p. 189. * 596 Ibid., p. 190. * 597 CNN, 30 janvier 2011. * 598 Communication publiée par les services du Premier Ministre à Downing Street le 28 janvier2011. |
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