C. L'HUMOUR AUPRÈS DES PATIENTS
Son emploi auprès des patients se fait de
manière spontanée pour soixante-dix des soignants (76.9%) et de
manière réfléchie pour treize d'entre eux (14.3%), sur les
91 participants (Cf. Annexe 7). Les huit manipulateurs restants ayant
apporté une réponse davantage nuancée : « Oui,
souvent de manière spontanée en rebondissant sur une phrase ou
une piste lancée par le patient. Ou même de façon plus
réfléchie avec des jeux de mots ou des blagues liées aux
situations que je réutilise fréquemment ».
Pour la majorité des soignants, l'emploi de l'humour -
spontané ou non - se fait en fonction du soigné, si l'individu
est réceptif ou non à l'humour : « Les patients non
réceptifs à l'humour cela arrive. Tout est une question
d'observation au départ ». Cela fait partie de la
démarche soignante, d'établir un jugement clinique pertinent de
la situation de prime abord, pour prévenir une mauvaise utilisation de
cet outil. Ne l'oublions pas : « Le but est de détendre la
patient tout en essayant de créer une relation sereine et de confiance
ainsi que d'apaiser la situation dans laquelle se trouve le patient. Être
hospitalisé, être malade, n'est pas quelque chose de `normal' en
soi, donc le patient peut avoir besoin de certains `échappatoires' pour
penser à autre chose que sa maladie ». L'humour est un de ces
échappatoires existant au sein de la relation d'aide (Cf. Annexe
8). En faisant ressurgir notre personnalité propre à travers
l'humour, nous favorisons la coopération du patient aux soins qui lui
sont prodigués. Ce dernier n'adhère plus à un soin
technique, mais à un soin humain avant tout.
Sans poser nécessairement l'humour comme l'instaurateur
premier d'une relation entre soignant et soigné, il représente
pour la plupart des manipulateurs un moyen de favoriser la confiance avec le
patient : « Si le patient aime l'humour il sera forcément plus
ouvert avec le soignant et appréciera davantage la prise en charge, donc
pour moi une meilleure relation de confiance s'instaure ». Pour
résumer, « la confiance, c'est un aspect de l'humour. J'entends
souvent de la part de
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gens qui se disent confidents : `Avec elle, je m'entends
bien, on peut se marrer de tout'. En fait, ces gens ne rient pas de `tout'
comme ils prétendent, mais simplement de ce qu'ils sont en mesure de
tolérer ensemble, en confiance ».
Cette relation de confiance, dont l'humour semble être
un puissant facteur d'accroissement, concerne aussi bien les nourrissons, les
enfants, les adolescents et les adultes. Pour certains, l'humour n'a «
pas de limite d'âge, d'origine... il faut juste `sentir' la personne avec
qui on manie l'humour ». Pour d'autres, « suivant
l'âge de la personne, l'humour est différent » (Cf. Annexe
9). En conséquence, on ne rira pas de la même manière
avec un nourrisson qu'avec un adulte. Tandis que le premier sera distrait par
la seule manifestation physique de l'humour, le second s'attardera sur un
humour verbal plus subtil, davantage porté vers les mots d'esprit.
Ainsi, il n'existe pas un protocole de l'humour à adapter pour chaque
patient : « C'est surtout la forme humoristique qui doit être
adaptée à l'âge ». Si la pratique de l'humour
semble modifiée suivant l'âge de la personne, elle varie
essentiellement en fonction de la personnalité du patient : «
Il n'y a pas de catégories d'âge mais plutôt un état
d'esprit » ; « C'est vraiment personne dépendant
».
Considérer l'humour comme dépendant du
caractère de l'individu, suppose de détenir des indices
permettant de savoir si le patient y est réceptif ou non. Le premier
sourire, lors du « bonjour » de bienvenue, constitue l'indice majeur
: « Dès le premier bonjour, j'affiche un sourire au patient
afin de voir ce qu'il me renvoie à son tour. À partir de ce
moment, je suis dans la capacité de me dire si oui ou non je pourrai
détendre l'atmosphère en utilisant l'humour » ;
« S'il fallait citer un indice : je pense que ce serait le sourire
franc. C'est un trait physique qui caractérise de manière simple,
et à tout âge de la vie, le bonheur ».
Si la facilité à pratiquer l'humour dans les
soins dépend nécessairement du patient, le soignant doit
également adopter une attitude propice à sa mise en place :
« Je crois qu'on invite aussi à l'humour en fonction de
l'attitude que l'on a. Une personne souriante, gaie et prévenante attire
ce genre de comportement ». Bien que le sourire constitue un indice
important, c'est le ressenti du soignant qui prédomine : «
Ça se sent. Ça ne s'explique pas. Une forme de pudeur prend le
dessus quand ce n'est pas le moment... et puis une minute plus tard on fait
tomber un truc, on feint la chute, on se cogne le nez sur la porte et hop, la
braise montre sa fine incandescence. Il faut alors souffler dessus mais pas
trop fort juste pour que le feu prenne sans tout éteindre ».
Très belle métaphore qui démontre toute la finesse de
l'humour. Une délicatesse bien appréciable dans l'univers
alarmant de l'hôpital, où tout doit aller le plus vite
possible.
L'enjeu de la onzième question du complément
d'enquête était de recueillir les avis soignants quant aux
possibles effets thérapeutiques de l'humour. Pour certains, l'humour
apporte des bénéfices « à tous les niveaux
», que ce soit biologique, psychologique ou social. En ce sens,
l'humour est synonyme de « bonne santé » : « L'humour
est une forme de bien-être, qui par continuité permet d'être
heureux... et donc en meilleure santé. Prendre la définition de
la santé par l'OMS qui dit qu'être en
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bonne santé, c'est un état de parfait
bien-être mental, social, physique et qui ne résulte pas seulement
en une absence de maladie. Donc l'humour contribue à être en bonne
santé ».
Quelques soignants se montrent malgré tout assez
réticents à parler de « thérapie par le rire » :
« Je ne sais pas si le rire a un effet thérapeutique, mais je
suis convaincue qu'il a un effet antalgique sur tous les types de douleurs
(induites, chroniques ou psychiques) » ; «
Thérapeutique, je ne sais pas, mais s'il passe un bon moment le temps de
leur examen radio, c'est toujours ça de gagné ».
L'effet thérapeutique de l'humour ne semble pas direct mais fonctionne
au travers du mental du patient et de sa capacité à affronter la
maladie : « L'humour peut jouer sur le bien-être mental du
patient ; ce qui peut favoriser sa motivation pour suivre un traitement par
exemple. Je pense que l'effet thérapeutique est indirect... l'humour ne
soigne pas directement malheureusement ». Il semble difficile de
guérir uniquement par l'humour, mais il permet vraisemblablement de
contribuer à la guérison, ou du moins d'accéder à
une vie meilleure, davantage optimiste.
Peut-on parler de psychothérapie humoristique ? Pour la
majorité des répondants, l'humour apparaît en tant que
moyen thérapeutique, il ne s'agit guère d'une fin en soi (Cf.
Annexe 10). On ne se guérit pas par le rire, mais on adopte une
attitude positive qui nous conduit sur le chemin de la guérison. Si
cette dernière n'est pas possible, l'humour permet de modifier notre
regard sur la vie et prendre acte de notre propre finitude avec moins de
dramatisme. L'humour prend donc pleinement place au coeur de la relation de
soin.
Cependant, certaines barrières rendent sa pratique dans
le métier de manipulateur en électroradiologie parfois difficile
au quotidien (Cf. Annexe 11). Entre surcharge de travail et manque de
temps, tous deux générateurs de stress, le rapport à
l'humour est souvent compliqué. Technicité du métier,
manque d'expérience et moyens de radioprotection peuvent
également faire perdre de vue l'aspect humain et social de notre
métier.
Néanmoins, l'emploi de l'humour semble varier
principalement en fonction du patient (« L'humour n'a pas vraiment de
limite à part la personne en face de vous ») et de la
situation. En tant que soignant, nous ne devons pas tenir nos jugements pour
acquis. Certaines personnes, gravement malades, semblent détenir une
capacité d'autodérision insoupçonnée : «
Dans tous les cas, je ne proscrirai pas l'humour. Il faut juste savoir
l'utiliser au bon moment. Surtout, il ne faut pas croire qu'une personne
souffrant d'une maladie grave n'a pas le droit à recevoir de l'humour.
On a tendance à vouloir les prendre en pitié, mais c'est pire. On
est parfois surpris de voir ces personnes d'autant plus réceptives
à l'humour que d'autres mieux portantes ».
Nous avons étudié les effets positifs
apportés par l'humour sur le mental du patient. Pour autant, les
soignants ont-ils déjà vécu une situation où
l'humour a provoqué des effets négatifs ? (Cf. Annexe 5,
Question 14). Si la majorité des manipulateurs répondent
« non », la règle d'application est de détecter au
travers de notre ressenti la réceptivité du patient au rire :
« Je n'ai pas connu d'effet négatif. Par contre des patients ne
sont pas toujours sensibles à cet outil, il ne faut donc pas insister
».
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Comment savoir si la personne qui nous fait face ne va pas
accueillir chaleureusement notre pointe de jovialité au sein de la
froideur de l'hôpital ? « Certains patients ne rigolent pas, ne
lèvent pas les yeux, ne répondent même pas. Un moment de
solitude pour nous qui arrive quand même très rarement
». En effet, pour certains patients, rire est synonyme de manque de
professionnalisme : « Une vielle dame s'est vexée une fois
parce que j'ai échangé une blague avec un collègue devant
elle. Elle m'avait dit que l'hôpital n'est pas une place pour rire !
». Pourtant, pratiquer l'humour suppose d'être suffisamment
à l'aise dans l'aspect technique du métier pour aller un peu plus
loin dans l'aspect humain, et laisser exprimer son propre caractère en
vue de personnaliser la relation soignant/soigné : « Il faut
travailler sérieusement en vrai professionnel, efficacement et en toute
sécurité pour le patient, et l'humour est un petit plus qui peut
aider à la réalisation d'un bon examen ».
Parfois, l'humour passe mal. Non pas car il est mal
employé, mais parce qu'il est source d'incompréhension.
S'installe alors « un gros blanc, puis une relation uniquement de
professionnel à patient, sans apparence de personnalité
». Nous pouvons aussi blesser le patient, sans le vouloir, en faisant
écho à son vécu personnel : « La boulette, on
veut installer l'humour mais on s'engage sur un terrain glissant peu propice au
patient (un décès récent, un patient dépressif
où tout sera mal interprété, un thème sensible,
etc.) ». Tout n'est que question d'adaptabilité : «
J'ai déjà ressenti une petite gêne parce que j'avais mal
dosé mon humour et que la personne n'était pas réceptive.
Mais il faut savoir reprendre le dessus, et amener les gens à se sentir
bien en modifiant notre approche ». Nous faisons tous des erreurs.
L'essentiel est de s'en rendre compte, de les surpasser et d'en tirer profit
pour éviter de les reproduire. N'est-ce pas là la
définition d'un professionnel compétent ?
Au final, apporter un court instant de bonheur au patient, ne
serait-il pas l'expression d'une satisfaction personnelle ? Quelle meilleure
récompense pour nous, soignants, que d'être « souvent
remerciés pour une petite parenthèse rieuse dans un tourbillon de
vie pluvieuse » ?
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