B.2. LIMITES ET CONTRAINTES : DES RIRES AUX LARMES
B.2.1. La systématisation de l'humour
Pratiquer l'humour dans une démarche soignante, c'est
savoir réaliser un équilibre naturel entre le sérieux et
la plaisanterie (Groddeck, 1922). L'humour peut être utilisé dans
une prise en charge soignante, mais uniquement à bon escient. Rubinstein
(1983) considère que « avoir le sens de l'humour ne signifie
pas rire de tout, à tout propos. C'est être capable
d'apprécier le côté comique des choses en même temps
que leur côté sérieux ». Un mauvais usage de
l'humour peut compromettre la relation de confiance entre soignant et
soigné, voire même engendrer des conséquences
néfastes sur le patient.
Panichelli (2007) met en avant cette sombre facette de
l'humour : « l'humour peut être utilisé afin d'augmenter
le soi aux dépens des autres, dans une attitude agressive qui risque de
mettre en péril le soutien social du patient. Il s'agit du sarcasme, de
la dérision, de la moquerie et de la ridiculisation de l'autre
». Toutes les formes d'humour ne sont donc pas adaptées,
certaines pouvant conduire à l'irrespect des valeurs morales du patient
et de sa dignité. Cet aspect agressif de l'humour est d'autant plus
présent lorsque la situation ne s'y prête pas. On ne rit pas avec
une personne, même si celle-ci y est perméable en temps normal,
lorsque le moment n'est pas opportun.
Par ailleurs, considérer l'humour comme un outil
thérapeutique, ne revient pas à l'assimiler à un
médicament miracle. L'humour est une aide indiscutable dans la relation
de soin, mais en aucun cas il ne permet d'apporter la solution à tous
les problèmes rencontrés. Le soignant doit être apte
à juger à quel moment il est pertinent de se servir de cet outil,
en vue de contribuer significativement à l'amélioration de
l'état de santé du patient. Patenaude (2006) détaille de
manière plus explicite les situations de soins pour lesquelles l'humour
n'a pas sa place : « Lors d'une phase critique sur le plan physique,
lors d'anxiété ou de stress élevé, lors de douleur
intense ou abdominale, chez une personne psychotique, l'humour peut être
inapproprié à moins que ce ne soit le patient lui-même qui
l'initie ».
L'emploi de l'humour n'est donc en aucun cas
systématique. Bien plus subtil qu'il ne le laisse paraître,
l'humour est à manier avec précaution, sans être abusif ou
inapproprié au contexte clinique.
B.2.2. Le déni de la réalité
En tant que mécanisme de défense, l'humour
à court terme permet au soignant de résister à
l'épuisement professionnel, et au patient de diminuer son
anxiété face à un examen ou à sa maladie. A long
terme, il ne s'agit plus de dédramatiser une situation, mais bien de la
banaliser jusqu'à fuir une réalité difficilement
acceptable. Panichelli (2007) évoque cette utilisation potentiellement
néfaste de l'humour : « l'humour peut aussi être
utilisé par le patient afin de dénier la
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ETIENNE CORDIER - Promotion 2013/2016
réalité et d'éviter d'affronter les
problèmes ». Un mécanisme d'évitement qui
consiste à s'auto-convaincre par l'humour, du caractère
insignifiant d'une situation pourtant cruciale. Aussi bien côté
patient que soignant, l'humour est « un moyen très efficace de
détourner la conversation, par exemple lorsque l'on aborde des sujets
douloureux, difficiles ou conflictuels » (Panichelli, 2007).
L'humour est parfois utilisé comme
autodépréciation, afin d'émettre un jugement
défavorable vis-à-vis de soi, éloigné de la
réalité. Le sujet n'est alors plus dans l'autodérision,
mais dans l'atteinte de l'estime de soi. Pour Panichelli (2007), la
dépréciation « consiste à s'attribuer à
soi-même des défauts exagérés ». En se
dénigrant lui-même, l'individu cherche à recouvrer un lien
social en autorisant les autres individus à se moquer de lui, quitte
à paraître ridicule. L'enjeu étant de retirer à cela
un bénéfice relationnel, quitte à entacher sa propre
personne et à mettre en péril son bien-être
psychologique.
Systématisation de l'humour et déni de la
réalité sont étroitement liés. C'est au travers
d'un surdosage de l'humour que l'individu minimise l'importance de la
situation. Du point de vue soignant, cela peut mener à une
éventuelle remise en question quant à son sérieux et
à ses compétences professionnelles. Du point de vue patient, cela
se traduit par la peur d'affronter la vie réelle, sa situation de
malade.
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