A.1.3. Le rire, entre gaieté et moquerie
R
ubinstein (1983) décrit le rire comme un réflexe
: « la preuve de sa nature réflexe est apportée par le
chatouillement physique qui le déclenche et cependant, en dehors de ce
cas, c'est un réflexe dont l'excitant n'est plus physique mais psychique
et intellectuel ». Cet excitant serait l'humour, un comique
particulièrement difficile à définir car se
décomposant sous de nombreuses formes.
Robinson (1991) définit d'ailleurs l'humour comme
« une expérience cognitive, une forme de communication alors
que le rire est un comportement, une expérience physique et
physiologique. L'humour est donc un phénomène physiologique,
psychologique et cognitif complexe ». Ainsi, l'humour serait un
processus mental, psychologique, et le rire en serait le résultat
possible au travers d'une manifestation physique et biologique du corps.
Selon Eastman (1958), la pratique de l'humour et donc, de
cause à effet, la production de rire, ne peut être envisageable
qu'à la condition sine qua non d'instauration d'une humeur de
jeu : « Les choses ne peuvent être comiques que si nous sommes
dans un état particulier, l'humeur de jeu. Il peut y avoir une
pensée ou un motif sérieux sous notre humour, nous pouvons
être à demi sérieux et encore trouver une chose comique.
Mais lorsque nous ne sommes pas du tout en humeur de jeu, lorsque nous sommes
sérieux comme des papes, l'humour est chose morte ».
En se référant au domaine médical, le
soignant souhaitant pratiquer l'humour a pour rôle d'instaurer
lui-même cette « humeur de jeu » dans sa relation avec le
patient, ou bien de laisser le patient la mettre en place. Favoriser l'humeur
de jeu, c'est prévenir le patient de sa pratique de l'humour afin qu'il
se tienne prêt à la recevoir. L'enjeu majeur étant de ne
pas vexer, heurter, blesser la personne avec des propos qui pourraient nous
paraître drôles, mais qui apparaissent au patient comme
offensants.
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ETIENNE CORDIER - Promotion 2013/2016
Alors que le mot « rire » provient du latin
« ridere », une absence d'humeur de jeu semble conduire
à un dérivé étymologiquement proche, le mot latin
« deridere » signifiant « rire de ». De ce terme
découle « derisio » et « derisorius
», signifiant « moquerie » et « dérisoire
» respectivement. Voilà un aspect du rire qui ne convient pas
à une démarche soignante car consistant à se moquer de
quelque chose ou de quelqu'un, à rire à ses dépens, avec
méchanceté. Un rire agressif, appréciable et source de
comique seulement pour l'émetteur de la plaisanterie.
Dans l'optique soignante, nous retiendrons le seul aspect
positif du rire. Bergson (1900) considère que le rire se produit
à chaque fois qu'un individu a une réaction automatique à
la place d'une réaction intelligente et adaptée qui serait alors
nécessaire. Le rire positif est donc un rire réflexe,
involontaire et incontrôlable, en réponse à une stimulation
physique ou psychologique. Il correspond à une manifestation physique de
l'humour mais c'est aussi et avant tout une émotion plaisante.
Une très belle citation de l'humoriste Raymond Devos
(1922-2006) résume assez bien toute la complexité de cette
émotion : « Le rire est une chose sérieuse avec laquelle
il ne faut pas plaisanter ». De par son universalité, rire
c'est entrer en communication avec autrui, partager, et faire de nous,
soignants, des êtres sociables empreints d'humanité.
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