D. Les Rencontres des Transhumants d'Europe
Au mois de septembre ont eu lieu à Seintein,
village de montagne du Couserans, « Les Rencontres des Transhumants
d'Europe ». Cet évènement a lieu dans le cadre de la Foire
de Seintein et à l'occasion des vingt ans de la Fédération
Pastorale de l'Ariège9. De nombreuses animations sont
proposées sur trois jours: cela va de la projection de films sur la
montagne et le pastoralisme à la possibilité de partager une
montée en estive et de redescendre un troupeau avec un éleveur en
passant par des démonstrations techniques (conduite de troupeau,
fabrication de fromage,pressage de jus de pomme, etc...), la
présentation de races rustiques locales, un marché10,
un repas spectacle( avec spectacle de danses traditionnelles locales), des
débats, des conférences de chercheurs sur le thème du
pastoralisme (géographe, anthropologue,...), des animations sont
également prévues pour les enfants. Des délégations
d'éleveurs transhumants de différents pays d'Europe sont
présentes (Irlande, Bulgarie, Portugal, Roumanie, Espagne,...). Sur le
stand de
8 Voir portrait en page 14.
9 La fédération Pastorale de
l'Ariège a été crée en 1988 à l'initiative
des éleveurs, des élus de la montagne et du
Conseil Général de l'Ariège. Elle a
pour vocation la mise en oeuvre de la politique pastorale départementale
.Elle intervient auprès des acteurs locaux pour organiser les
territoires d'estive, de zone intermédiaire et de fond de
vallée.
10 Sur ce marché se trouve entre autres une
démonstration de filage de laine, des producteurs de miel, des cocottes
en fonte à l'ancienne, des chaussons en peau de mouton,
etc...
l'ASPAP, on peut voir des photos de prédations
d'ours sur des ovins mais aussi des bovins.
Encore une fois, comme pour les Pastoralies, ce qui est
donné à voir aux visiteurs, c'est tout ce qui tourne autour du
monde du pastoralisme, et qui semble renforcer ses acteurs dans un sentiment
d'appartenance à un groupe, une profession, celui des éleveurs
transhumants, et à une culture, celle des gens de montagne. On cherche
aussi à valoriser les productions alimentaires et artisanales locales
ainsi que le tourisme. Avec la présence des délégations
d'autres pays, on entre dans la dimension transnationale de cette culture. Cela
donne lieu à des échanges de points de vue, d'expériences
et de techniques entre les éleveurs. Je retrouve en partie les
mêmes personnes que dans les manifestations précédentes.
J'obtiens un rendez-vous pour réaliser un entretien avec un
éleveur le lendemain.
E. La manifestation du Val d'Aran
![](Reintroduction-de-l-ours-dans-les-Pyrenees-Discours-representations-et-processus-d-entree-en4.png)
anneaux préparés pour la manifestation
Au mois de novembre 2008, un habitant du village de
Lès dans le Val d'Aran en Espagne, âgé de 70 ans, est
blessé par un ours au cours d'une partie de chasse. Cet
évènement va susciter une grande émotion dans la
région où a eu lieu l'accident. Les médias espagnol mais
aussi français vont se faire le relais de cet évènement et
des réactions que cela a suscité, il va même être
question de recapturer l'ours à l'origine de
12
l'agression et de le ramener en France. Le Val d'Aran
est une des régions où la présence des ours est
régulière.
Quelque temps après, le conseiller
général du val d'Aran et l'ADDIP vont lancer un appel « aux
élus des départements pyrénéens et aux
représentants professionnels agricoles, consulaires et syndicaux des
Pyrénées » tout d'abord pour le boycott de la réunion
du Groupe National Ours organisée par le Ministère de
l'Écologie, au motif que cela reviendrait à cautionner la mise en
oeuvre du plan ours. Ensuite parce qu'ils veulent mettre en place une «
plateforme transfrontalière pyrénéenne ». Une
réunion suivie d'une manifestation est prévue à Lès
le 6 décembre. Dans son invitation, le conseiller du Val d'Aran
s'exprime en ces termes: « Le Conseil Général du Val
d'Aran
a rejeté, sans équivoque, la
réintroduction de l'ours et ses conséquences, mais nous voulons
que la voix de l'ensemble des Pyrénées résonne avec force
face à ceux qui nous imposent leurs projets contre la volonté de
ceux qui vivent et travaillent dans ces vallées ».
Je me suis donc rendue à cette manifestation
à Lès quelques kilomètres après la frontière
avec la France. Tout d'abord, dans une salle de la mairie du village (« la
casa pera vila ») a eu lieu la réunion prévue. Les
intervenants sont des aranais et des français, des élus et des
professionnels. Parmi les français il y a Bruno Besche-Commenge qui est
linguiste et fait partie de l'ASPAP, son discours, dont voici quelques
extraits, est un résumé quasiment exhaustif de la façon
dont la situation est perçue et du message que l'on souhaite faire
passer:
« La gravité du problème auquel on est
confronté et qui n'est pas qu'un problème d'ours, qui est comme
tout le monde le dit, comme l'Aran le dit, un problème de mépris
pour la culture pyrénéenne, un problème de mépris
pour les gens les hommes et les femmes pyrénéens, et un
problème de mépris pour tout le travail énorme que nos
ancêtres ont fait pour transformer les Pyrénées en
montagnes humaines [...] aujourd'hui on est à un moment où [...]
au niveau national, européen, on dit qu'il y a besoin d'envisager
l'agriculture, l'élevage, la production non seulement sous l'aspect
industriel qui est devenu dominant mais sous des formes de productions plus en
accord avec le milieu, plus respectueuses des équilibres naturels, avec
des races [...] locales qui sont adaptées au milieu, avec des hommes et
des femmes qui sont encore les connaisseurs, les porteurs du savoir qui permet
de produire dans ce milieu avec ces races locales. [...] Toutes les montagnes
du monde [...] ne sont pas des milieux naturels, c'est des milieux culturels,
[...] (qui) ont été travaillées, transformées par
le travail de l'homme, [...] ce que nous savons faire n'a jamais
été autant à la mode qu'en ce moment: continuer à
produire de la viande de qualité, dans des conditions saines, en accord
avec un milieu, [...] il va falloir demander à nos politiques
d'être clairs [...] est-ce que l'on devient pays sauvage ou est -ce-que
l'on essaie de relancer, de récupérer, de rattraper tout ce qui
est notre culture, notre savoir [...] on sait très bien que si il n'y a
pas d'éleveurs, d'agriculteurs pour entretenir le milieu, [...]
éviter l'embroussaillement général, les touristes ne
viendront plus [...] il y a un lien total entre notre développement
économique pour l'avenir, entre la préservation du milieu pour
permettre nos formes d'élevage et cet aspect fondamental de notre
économie qu'est le tourisme [...] l'ours n'est pas une espèce
menacée au niveau européen, c'est reconnu par l'Europe
elle-même, le berger pyrénéen oui, est une espèce
menacée, on le sait. »
13
Divers intervenants vont ainsi se succéder
à la tribune. Une fois les interventions terminées,
chacun
14
est appelé à signer le manifeste
rédigé conjointement entre les français et les aranais.
Dans ce manifeste, on retrouve les revendications des «
pyrénéens » espagnols et français, ainsi que leur
point de vue sur la situation. Il est intitulé « Le Manifeste des
Pyrénées »11et commence ainsi: « Nous, qui
vivons dans les Pyrénées, nous adoptons ce manifeste,...
»
Les personnes présentes sortent petit à
petit et se regroupent devant la mairie en attendant le départ du
cortège de la manifestation. Un des militants de l'ASPAP porte à
son bras de nombreuses cloches qu'il fait sonner et tient un énorme
bâton de marche sur lequel on peut lire : "defensor del
pueblo"12. On discute politique, on se donne des nouvelles, on parle
de ses bêtes... Il y a une délégation ariègeoise,
une délégation basquo-béarnaise que l'on peut
reconnaître grâce à leurs drapeaux basque et
béarnais. Il y a aussi des gens du luchonais et bien sûr de
nombreux aranais.
La manifestation se met en marche jusqu'à une
place, plus loin, toujours dans le village où sont entreposées,
le long des murs de la place, de nombreuses pancartes et banderoles qui ont
été préparées par les aranais. Elles sont
rédigées en aranais, en castillan et en français. Voici
quelques uns des slogans que l'on peut lire: « Non au danger dans nos
montagnes, nous voulons être libres », « Para vosotros la
montana es un jardin, para nosotros nuestra medio de vida13 »,
« Avant tout nos bêtes, non à l'ours », «
Réintroduction de l'ours au bois de Boulogne »... Chacun s'empare
d'une pancarte et après une halte, la manifestation continue son tour du
village. Font également partie du cortège « la
société de pêche et de chasse du Val d'Aran », «
le parti populaire du Val d'Aran", et d'autres organismes ou associations... On
peut lire leurs dénominations sur les banderoles.
Une fois le défilé terminé, un
dernier discours sera prononcé depuis le balcon du premier étage
de la mairie par le conseiller général du Val d'Aran, et par le
représentant du Conseil Général de l'Ariège sur un
ton très déterminé, ils seront particulièrement
applaudis à la fin du discours. Selon le site internet de l'ASPAP
environ 700 personnes ont participé à cet
évènement. Tout au long de la manifestation, des chants
traditionnels pyrénéens sont diffusés depuis une voiture
par des hauts-parleurs.
Beaucoup de journalistes français et espagnols
étaient présents pour couvrir l'évènement, ils ont
fait de nombreuses interviews et pris de nombreuses photos tout au long de la
matiné. Le but de cette manifestation était de
fédérer les deux versants des Pyrénées, pour s'unir
dans la lutte contre un même projet qui concerne un territoire qui a une
unité au delà des frontières: le territoire
pyrénéen. Mais aussi pour s'unir dans la poursuite d'un
même projet de « développement durable »
11 Le manifeste est reproduit dans sa totalité en
annexe.
12 « Défenseur du peuple. »
13 «Pour vous la montagne est un jardin pour nous
c'est notre moyen (ou milieu) de vie. »
15
des activités humaines dans les
Pyrénées françaises et espagnoles. La rédaction et
la signature du manifeste des Pyrénées en est, en quelque sorte,
le symbole, l'écrit qui symbolise cette volonté. Mais il s'agit
aussi d'une opération de communication dont les médias sont le
relais. On pouvait donc remarquer une certaine mise en scène de cette
manifestation, une mise en scène dont le public est: les médias
et ceux qui verront les images retransmises à la
télévision, entendront les discours à la radio ou les
liront dans les journaux.
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