CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE
De l'opposition au projet de réintroduction est
né une association, l'Aspap, qui a mis en oeuvre différents
moyens pour défendre la cause des éleveurs et faire entendre leur
point de vue
notamment en utilisant un moyen de communication qui est
en pleine expansion, une fête ayant
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pour thème la ruralité et la transhumance.
La réutilisation de termes tels que développement durable ou
biodiversité, à leur compte, semble également être
un moyen de se faire comprendre et de revendiquer leur utilité pour le
territoire. Et l'on a pu remarquer que des discours scientifiques en
adéquation avec leurs arguments sont mis en avant afin d'apporter une
légitimité à leur combat.
On a pu voir également comment le projet de
réintroduction de l'ours a eu des effets plutôt inattendus.
L'opposition d'une part de la population a favorisé en son sein plus de
cohésion et plus de lien social. Avoir un « ennemi commun »:
ceux qui veulent « prendre le contrôle du territoire » et un
but commun: faire cesser le plan-ours, a resserré les liens d'un groupe
(les éleveurs), et l'a rapproché d'un autre avec lequel les
relations étaient jusqu'alors plutôt conflictuelles: les
chasseurs. Mais, en contrepartie, cela a encore accentué
l'altérité construite avec ceux qui soutiennent le projet de
réintroduction.
Je n'ai pas parlé des implications politiques qui
sont à l'oeuvre dans un tel mouvement et qui pourraient aussi être
l'objet d'une étude. De même en ce qui concerne les
stratégies individuelles des personnes impliquées dans le
mouvement et qui pourtant doivent jouer un rôle important surtout en ce
qui concerne certaines personnalités politiques. Il me paraît
évident que des luttes de pouvoir et des quêtes personnelles sont
également en jeu dans ce qui passe71.
Néanmoins, il apparaît clairement que
l'opposition qui s'est mise en place contre le projet de réintroduction
a enclenché un processus qui a abouti à une structuration
apparemment solide du mouvement, dont l'action et l'influence vont au
delà du contexte de la réintroduction. C'est comme une sorte de
contre-pouvoir qui se serait progressivement mis en place avec un projet
global
différent pour le territoire.
CONCLUSION GENERALE
Le traitement des données que j'ai recueillies m'a
permis de constater qu'il existe dans ce contexte de réintroduction de
l'ours différents groupes sociaux qui ont des façons très
différentes et même parfois contradictoires de concevoir la nature
qui les entoure et le territoire sur lequel ils
71 Farid Benhammou (2003), géographe, a
décrit au sujet des opposants à la réintroduction de
l'ours ce qui lui semble relever d'« une stratégie
socio-professionnelle et politique pour le maillage et le contrôle du
territoire, pour l'appropriation et la maîtrise de postes de pouvoir
institutionnel et de ressources financières publiques
».
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vivent. Au delà des nombreuses nuances existantes
m'ont semblé apparaître deux grandes tendances dont
découlent deux conceptions de ce que sont l'écologie et le
patrimoine naturel des Pyrénées à préserver; et par
conséquent une approbation ou un rejet du plan ours. Dans ce contexte,
le concept de protection de la biodiversité semble perdre son sens et
nécessiter un débat éthique. Il en est de même en ce
qui concerne la gestion des territoires de montagne et la notion de
développement durable pour le territoire des Pyrénées,
également liés à une certaine conception de
l'écologie.
Dans le cas présent, des divergences d'opinions
à propos d'un projet écologique de conservation de la nature ont
donné lieu à de telles dissensions que dans les
Pyrénées, ou en tout cas en Ariège, il semblerait qu'une
sorte de contre-pouvoir soit à l' euvre, ce qui n'est pas
dénué de conséquences dans le monde politique du
département. Un sujet qui rassemble à ce point une bonne part de
la population peut représenter une aubaine électorale afin de
pérenniser une « place politique », et, d'un autre
côté, les partis écologistes ariègeois risquent de
perdre des voix dans leur propres effectifs.
Au delà de l'arrêt des
réintroductions, c'est qui est revendiqué c'est donc le droit
à gérer eux-mêmes le territoire sur lequel ils vivent et
dont ils estiment qu'ils le gèrent comme il faut. C'est pour cela qu'ils
se revendiquent comme des écologistes, non reconnus par le reste de la
société. Et ils s'insurgent contre le fait que des
écologistes dont ils ne partagent pas la vision de la nature souhaitent
que certaines zones ne soient plus destinées aux activités
humaines (comme la chasse ou l'élevage). Ils redoutent que le territoire
sur lequel ils ont leurs activités soit géré par des
personnes qui les considèrent comme nuisibles pour les espèces
végétales et animales qui composent les espaces naturels du
territoire pyrénéen. Selon les opposants au plan ours, avec un
tel projet, on cherche à exclure l'homme de la nature.
L'enquête de terrain que j'ai
réalisée ne m'a pas permis de déterminer de façon
catégorique si la valorisation de la nature dans sa dimension
humanisée, et la diffusion d'une telle conception des espaces naturels
sont uniquement le fruit du discours des associations d'opposants. Mais je
pense toutefois que l'on peut dire qu'elles y ont contribués. De
même en ce qui concerne la mobilisation d'éléments
identitaires qui permettent de revendiquer collectivement l'arrêt du
projet de réintroduction et la valorisation en parallèle d'un
patrimoine culturel comme « produit d'une histoire et d'expériences
de la vie quotidienne »(Chevallier D. et Morel A. 1985).
Concernant les limites de ce travail, je dirai que les
réflexions présentées dans ce mémoire sont
principalement issues des témoignages que j'ai récoltés et
qu'ils ne sont pas forcément représentatifs de tous les types de
discours qui peuvent être faits sur cette situation. De plus,
accompagner les personnes en montagne aurait
également permis d'autres observations et d'avoir une idée plus
précise de leurs pratiques en lien au territoire. Et, la principale
faille de ce travail est certainement le fait que l'enquête de terrain a
été réalisée principalement dans le camp des
opposants. Il serait, je pense, très intéressant de
réaliser une enquête auprès des personnes qui vivent dans
les villages de montagne, et recueillir leurs points de vue. Mais aussi
auprès des personnes qui en Ariège oeuvrent en faveur de la
cohabitation72 ou font partie d'associations écologistes,
défendant le programme de réintroduction. Cela permettrait de
voir si la situation évolue, si d'autres voies sont à l'oeuvre
entre ce qui apparaît comme deux points de vue extrêmes sur une
même d'une situation.
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