6.3.5. Autonomie ou
l'indépendance de la Banque centrale : gage de lutte contre le
blanchiment des capitaux
Au pont 9Q de notre enquête (questionnaire), les
interrogés à l'unanimité ont suggéré
l'indépendance de la BCC. En effet, l'autonomie ou l'indépendance
de la Banque centrale s'entend comme la liberté de se gouverner ou de
s'autogérer au moyen de ses propres règles dans un environnement
où elle se trouve confrontée à d'autres agents
économiques tel le pouvoir public. Cependant, il sied de noter que cette
indépendance dont elle jouit n'est que relative. Car d'une part les
dirigeants des banques centrales sont nommés par les autorités
politiques, et d'autre part les modalités de l'exercice de cette
indépendance n'excluent pas une concertation interinstitutionnelle.
Yav Karl Y (1993), « d'une manière
générale, l'indépendance d'une Banque centrale
s'apprécie à travers quelques critères, lesquels sont
essentiellement statutaires. L'indépendance statutaire, faut-il le
rappeler, consiste en une formulation précise et claire des dispositions
formelles qui dotent la Banque centrale des pouvoirs de décision sur les
questions financières et monétaires en vue de garantir la
stabilité de prix et de change ». (Cf.
Yav Karl Y, 1993, « L'indépendance d'une Banque
Centrale : une question des dirigeants et des statuts »,
in : Notes de conjoncture, n° 7 & 8, Juillet, p. 7.).
Par ailleurs, les critères d'indépendances dont
l'importance peut être relativisée par la réalité
pratique, peuvent se grouper en deux catégories distinctes : une
première catégorie des critères, que l'on qualifiera ici
« d'indépendance organique »,
porte sur les liens institutionnels existant entre l'Etat et la
Banque centrale ; une seconde catégorie des critères
formels, que l'on qualifiera « d'indépendance
fonctionnelle », concerne la liberté
d'action opérationnelle de la Banque centrale. (Mpereboye, op.cit.).
L'examen de la situation de la Banque Centrale du Congo au
regard des critères d'indépendance organique permet
d'apprécier le degré d'indépendance statutaire de notre
Institut d'Emission. En ce qui concerne les conditions de nomination, les
statuts actuels de la Banque Centrale, à l'article 41, stipulent que le
Gouverneur et le vice-gouverneur sont nommés par le Président de
la République, sur proposition du Gouvernement.
Pour le professeur Mpereboye précité,
« il y a donc concentration des pouvoirs de nomination dans le chef
d'une seule autorité. Concernant leur mandat, celui-ci bien que long de
5 ans, est révocable. Cette situation contraste avec les
mécanismes de dispersion des pouvoirs de nomination et de garantie des
longs mandats qui assurent un degré d'indépendance
élevé à certaines banques centrales réputées
pour leur autonomie. Outre le critère de nomination des autorités
monétaires et leurs mandats, l'existence d'un organe suprême tel
le conseil de la Banque est un élément déterminant
d'indépendance. En effet, le mode de nomination de ses membres et de
renouvellement de leurs mandats ainsi que les conditions de fonctionnement
conduisent à assurer une plus grande imperméabilité aux
aléas politiques ».
A ce sujet, les statuts actuels de la Banque Centrale du
Congo, à l'article 39, stipulent que le conseil est l'organe
suprême qui établit la politique de la Banque et en contrôle
la gestion. S'agissant des conditions de nomination de
ses membres, les statuts actuels de notre Institut d'Emission, à
l'article 41, stipulent que les membres du conseil de la Banque sont
nommés par le Président de la République sur proposition
du Gouvernement pour un terme renouvelable de quatre ans. Donc, il y a
également à ce niveau concentration des pouvoirs de nomination
dans le chef d'une seule autorité. Cette situation contraste par
ailleurs avec les mécanismes de dispersion de pouvoirs de nomination et
de renouvellement des mandats qui assurent une plus grande
imperméabilité aux influences politiques.
Ce faisant, l'existence et le fonctionnement même de ce
conseil ne garantit qu'une indépendance relativement faible à
l'Institut d'Emission, car ce conseil est une émanation politique. Ces
membres sont choisis par le Président de la République.
L'indépendance de décision du Gouverneur est
hypothéquée par la prééminence des pouvoirs d'un
conseil qui peut surseoir ou annuler toute décision prise sans aval par
l'autorité monétaire. L'exemple ci-dessous en donne la
preuve :
En vertu de l'article 40 des statuts de la Banque, il est
stipulé que lors de la réunion du conseil présidée
par le Gouverneur, un délégué du gouvernement puisse y
assister. Celui-ci peut suspendre toute décision du conseil, et fait,
dans ce cas, rapport au Gouvernement, qui en informe le Président de la
République par un avis motivé. Le pouvoir de veto détenu
par le représentant du gouvernement au conseil (sous réserve de
la confirmation de cette décision par le Chef de l'Etat dans le
délai d'une semaine) limite sérieusement l'autonomie de la Banque
Centrale. Bien qu'une telle représentativité ne soit pas
totalement à écarter, il conviendrait néanmoins de limiter
sa participation à un simple rôle consultatif sans droit de
vote.
L'examen de la situation de notre Institut d'Emission au
regard des critères statutaires d'indépendance organique montre
le degré de dépendance élevé de la Banque Centrale
du Congo vis-à-vis des pouvoirs politiques. C'est ce qui explique des
nombreux dérapages constatés au niveau de notre institut
d'Emission au cours de ces dernières années. En effet, c'est le
Président de la République qui nommait les principales
autorités de la Banque, et de façon discrétionnaire leur
mandat était révocable. Ce qui explique le fait que certains
mandats ont été anormalement réduits à moins de
trois ans, d'autres à moins de deux ans. Bien plus, en lieu et place
d'un seul vice-gouverneur prévu dans les statuts de la Banque Centrale,
le Chef de l'Etat continuait à nommer un deuxième
vice-gouverneur.
Par ailleurs, il convient de souligner qu'au cours de sept
dernières années, la Direction de la Banque Centrale a connu cinq
changements; ce qui n'a pas beaucoup servi sa stabilité, sa gestion, le
respect de son autonomie et la consolidation de l'autorité
monétaire. Bien plus, les changements intervenus à ce poste, ont
coïncidé, dans la plupart des cas à l'avènement d'un
premier ministre, alors que les responsables de la Banque Centrale jouissent
d'un mandat légal de cinq ans. Résultats : ces hauts
fonctionnaires étaient souvent obligés de se placer sous la
protection, tantôt de la Présidence, tantôt d'un premier
ministre - selon les rapports de force et les intérêts du moment -
pour tenter de préserver leurs mandats. (Sumata C, op.cit.).
6.3.5.1 Création d'une
ANIF, service public autonome indépendant de la BCC
Les établissements de crédit pensent dans
l'ensemble que la CRF devait être détachée de la Banque
centrale du Congo, et devenir un service public puissant composé des
personnes physiques indépendantes des autorités politiques et du
Ministère des Finances. (Point n°10Q).
Il est donc souhaitable qu'en République
Démocratique du Congo, soit crée une Agence nationale
d'investigation financière qui aura les attributions suivantes :
1) renseignements sur les flux et reflux
financiers à tous les niveaux ;
2) pouvoir de chercher des infractions financières et
de les poursuivre conformément au texte légal qui l'aura
créé ;
3) jouer le rôle de police financière oeuvrant
avec une juridiction financière, organe suprême de l'ANIF,
compétent pénalement et civilement, représentant et
agissant au nom de l'Etat congolais ;
4) pouvoir exclusif d'enquêter avec
éventuellement l'appui des autres organes judiciaires de droit commun
(parquet de Grande Instance, Parquet général...) sur toutes les
opérations bancaires avec pouvoir de déroger au secret bancaire
à toutes les étapes de la procédure ;
5) disposer du pouvoir de collaboration avec les instances
internationales à tous les aspects.
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