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Une agriculture urbaine durable à  Kigali.

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par Felicien SEBUHINJA
Universite du Maine - Master 2010
  

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V.5.2. Les outils de protection des espaces agricoles

Il existe plusieurs classifications des techniques de protection des espaces agricoles et naturels (Adelaja & Schilling, 1999 ; AFT, 2002 ; AFT, 1997 ; Beesley, 1999 cités par Dissart, 2006). La classification proposée ici s'inspire de Daniels (1999b cité par Dissart, 2006) qui la présente comme un ensemble de techniques de gestion de la croissance dans les espaces périurbains. Quatre outils tirés principalement du modèle américain ont été répertoriés : les directives de développement, le zonage, l'acquisition de propriété et les techniques d'incitation.

V.5.2.1. Les directives de développement

Sous le registre des directives de développement on trouve principalement le master plan (schéma directeur) et l'urban growth boundary (limite de croissance urbaine).

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Le master plan

Le but du master plan est de définir une vision et de guider le développement sur la base de projections de population et des besoins fonciers correspondants. Les avantages de ce plan, sont nombreux : donne une base légale au zonage et autres règles d'usage du sol, définit des objectifs de croissance et de protection, identifie des zones ciblées pour une gamme d'utilisations du sol, promeut le développement ordonné des équipements. Ses inconvénients principaux sont qu'il n'est pas légalement contraignant par lui-même, n'a pas à promouvoir de vision régionale, et peut être ignoré dans les décisions quotidiennes. Le master plan peut promouvoir la protection des espaces agricoles et naturels en encourageant la définition de limites de croissance urbaine ou l'adoption d'une zone agricole protégée ou encore en incorporant l'utilisation de programmes d'achat ou de transfert de droit à bâtir.

b) La limite de croissance

Mise en place par un État, une limite de croissance urbaine a pour objectif de gérer l'extension urbaine en contrôlant son timing et en déterminant les usages du sol permis aux niveaux local et régional. Ligne théorique tracée autour d'une agglomération, cette limite définit une zone permettant d'accommoder la croissance anticipée à 10-20 ans et limite l'extension des équipements. Cette mesure demande également aux collectivités d'identifier les sols à forte valeur de ressource et de les protéger de l'artificialisation. En conséquence, elle promeut un développement plus compact, moins coûteux en termes de service, décourage l'étalement urbain et peut protéger les espaces agricoles et naturels si elle est combinée à d'autres techniques. Cependant, elle nécessite un zonage restrictif au-delà de la limite et une politique de phasage de la croissance à l'intérieur. Si elle sous-estime les besoins, elle peut aussi entraîner une augmentation du coût du foncier liée à la restriction de l'offre.

V.5.2.2. Le zonage

Le zonage définit les usages du terrain permis dans des zones spécifiques délimitées. Il comprend principalement deux techniques : la délimitation d'une zone agricole protégée et le zonage en grappe (cluster zoning).

Principalement mise en oeuvre au niveau local, une zone agricole protégée identifie une ou plusieurs zones où l'agriculture est l'usage privilégié du sol et décourage (sinon interdit)

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d'autres usages. Le but est de limiter les conflits d'usage en séparant les activités agricoles des autres et de protéger une masse critique d'exploitations et de terres agricoles. L'identification de la zone est généralement basée sur des critères de localisation et de qualité du sol. Ce type de zonage peut aussi spécifier le nombre d'habitations par km2, la taille minimale des terrains ou autoriser des activités commerciales (vente directe). Au-delà de son impact sur l'activité agricole, ce zonage permet aussi de maintenir l'espace non bâti et de limiter la spéculation immobilière, le tout à un coût réduit pour le contribuable. Cette technique, toutefois, requiert des terrains importants (ou nombreux) et contigus et des éléments sur la taille minimale des lots. De plus, la zone ciblée peut être parsemée de propriétés ; les propriétaires fonciers ne sont pas indemnisés pour la restriction d'usage ; les collectivités peuvent changer le zonage et les terrains sont vulnérables à l'annexion.

Également mis en oeuvre au niveau local, le zonage en grappes permet ou exige que les bâtiments soient groupés sur des terrains dont la taille minimale est importante. Ce zonage est parfois utilisé, aussi, pour accorder aux promoteurs un bonus de densité sur un site tandis que la portion du terrain qui n'est pas bâtie est sujette à une servitude de protection. Le zonage en grappes permet un développement moins coûteux que le mode périurbain classique et plus sensible à la protection de l'environnement. Les détracteurs de cette technique soulignent qu'elle protège davantage le foncier que l'activité agricole parce que les propriétaires du terrain protégé peuvent ne pas vouloir louer leur propriété en raison des nuisances potentiellement associées à l'agriculture.

V.5.2.3. L'acquisition de propriété

Il existe trois principaux outils d'acquisition de propriété pour la protection des espaces agricoles et naturels : le programme d'achat de droit à bâtir (purchase of development right), le programme de transfert de droit à bâtir (transfer of development right) et la fiducie foncière privée (private land trust), qui tous reposent sur un droit à bâtir négociable. D'autres techniques existent, comme l'achat de propriété traditionnel (qui porte sur l'ensemble du faisceau de droits) ou l'expropriation.

Essentiellement mis en oeuvre par les États, le programme d'achat de droit à bâtir consiste à payer les propriétaires fonciers pour qu'ils ne construisent pas sur leur terrain, ce qui offre une protection plus forte et plus durable que le zonage. Un propriétaire vend le droit à bâtir à une agence gouvernementale ou une organisation de conservation privée, qui en général lui

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paie la différence entre la valeur du foncier non bâti et celle constructible : la valeur de la servitude. Cette dernière correspond à l'usage « le meilleur et le plus élevé » (highest and best use), en général résidentiel ou commercial. Ainsi, l'acheteur acquiert la responsabilité d'imposer la servitude de protection tandis que le vendeur est indemnisé pour la perte du droit à bâtir. Les États peuvent jouer plusieurs rôles dans l'exécution de ce type de programme, dont le partenariat avec les collectivités locales pour acheter des servitudes.

Le programme d'achat de droit à bâtir est intéressant pour les propriétaires et la société. Pour les propriétaires, la technique capte la plus-value du terrain et l'indemnité peut servir à rembourser des emprunts ou réaliser des investissements. La valeur plus faible du terrain devenu non constructible facilite la reprise des exploitations ou les nouvelles installations. De plus, les propriétaires peuvent recevoir des crédits d'impôt et restreindre l'accès à la propriété qui demeure privée. Par rapport à la société, cet outil permet une protection permanente, aide à maintenir une masse critique de foncier non bâti et évite la question du taking. Les collectivités peuvent aussi cibler les terrains. Cependant, ce programme peut s'avérer coûteux pour une commune, avec opposition possible des contribuables. Il peut ainsi être difficile de protéger une surface significative et le programme peut résulter en un archipel de terrains protégés. Une diversité de moyens existe pour lever les fonds nécessaires, y compris dons privés, contributions croisées des collectivités et taxation locale.

Généralement établi au niveau local, un programme de transfert de droit à bâtir est utilisé pour déplacer le développement d'une zone agricole ou naturelle vers une zone de croissance plus proche des équipements. Le droit de construction est transféré d'une zone émettrice vers une zone réceptrice, de sorte qu'une servitude de protection permanente restreint l'usage de la zone émettrice tandis que la zone réceptrice peut être bâtie à une densité plus élevée que celle normalement permise par le zonage. Le gouvernement peut assumer plusieurs rôles : soit les collectivités approuvent les transactions entre propriétaires privés et promoteurs et contrôlent les servitudes ; soit les collectivités créent des banques de transfert qui achètent les droits à bâtir des propriétaires et les revendent à des promoteurs souhaitant construire à des densités plus élevées (Daniels & Bowers, 1997 cités par Dissart, 2006).

Ainsi, mettre en place un programme de transfert requiert : 1) l'identification d'une zone à protéger, 2) l'identification d'une zone de croissance, 3) un ensemble de droits à bâtir, et 4) une procédure par laquelle les droits de construction sont transférés d'une propriété à l'autre

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(Daniels & Bowers, 1997 cité par Dissart, 2006). Un programme de transfert offre tous les avantages d'un programme d'achat. De plus, il est davantage guidé par le marché et peut ne pas requérir de fonds publics. Ce programme est flexible, pouvant servir à protéger des terres agricoles aussi bien que des zones écologiquement sensibles ou des monuments historiques.

Bien que théoriquement efficace, la technique de transfert n'a pas été beaucoup utilisée en raison de sa complexité. Les propriétaires voisins de la zone réceptrice peuvent aussi s'opposer à une densité plus élevée (phénomène NIMBY). Enfin, les crédits de transfert sont généralement basés sur la surface possédée et pas nécessairement sur la localisation, la qualité des sols ou l'accès aux équipements (Daniels, 1999b cité par Dissart, 2006).

Une fiducie foncière est une organisation de conservation privée, à but non lucratif, créée pour protéger les ressources naturelles (ainsi que les monuments historiques) pour le public. Une fiducie foncière achète ou accepte des dons de servitudes de protection, d'argent ou de propriété. Elle a aussi pour mission d'éduquer le public et peut conseiller les collectivités et particuliers en matière de planification immobilière. Les avantages de cet outil sont multiples : protection permanente du foncier, possibilité de forger des partenariats publics-privés à faible coût pour la collectivité, déductions fiscales pour les donateurs alors que le terrain demeure en propriété privée, enfin le terrain reste dans l'assiette fiscale. Les inconvénients incluent le manque de fonds, la possibilité de créer des îlots de protection dispersés, peu de contrôle des collectivités sur la désignation des zones à protéger et des incitations fiscales insuffisantes pour nombre de propriétaires. Toutefois, Daniels (1999b cité par Dissart, 2006) estime que les fiducies foncières sont des outils prometteurs en zone périurbaine.

V.5.2.4. Les techniques d'incitation

Les techniques d'incitation pour la protection des espaces agricoles et naturels comprennent principalement la taxation préférentielle sur la propriété, le district agricole et la loi sur le droit-à-exploiter.

La taxation préférentielle sert à encourager les propriétaires à maintenir le foncier en usage agricole ou naturel. Cet outil repose sur l'hypothèse que des impôts plus élevés réduisent les profits et que le manque de rentabilité est un facteur majeur de la conversion des terrains. Deux types de programme existent : 1) circuit breaker tax relief credit, qui offre un crédit

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d'impôt lorsque la taxe sur la propriété est supérieure à un pourcentage donné du revenu de l'exploitant ; 2) current use valuation, évaluation à l'usage courant, qui exige des collectivités qu'elles estiment le terrain agricole à sa valeur d'usage (non bâti) et non sa valeur (constructible) sur le marché. La technique peut effectivement encourager les propriétaires à garder leur terrain en usage non bâti, mais est critiquée pour ses règles d'éligibilité souvent laxistes. De plus, elle peut être utilisée par les spéculateurs fonciers ou les exploitants à temps partiel et peut se traduire par un manque à gagner significatif pour les collectivités.

Autorisé par un État et appliqué localement, un district agricole est une zone créée pour une durée fixe et renouvelable, où l'activité agricole est encouragée par les avantages procurés aux propriétaires. Ces avantages peuvent inclure des limites sur la construction des équipements, une plus grande protection par rapport à l'annexion et l'expropriation, une éligibilité pour un programme d'achat de droit à bâtir et, souvent, une taxation préférentielle sur la propriété. Adaptable aux conditions locales, cet outil est flexible et plus efficace s'il est combiné au zonage agricole. L'inscription dans un district agricole, toutefois, est strictement volontaire, les avantages peuvent ne pas être assez attrayants pour les exploitants (surtout en zone périurbaine) et les sanctions liées au retrait du programme peuvent ne pas être suffisamment fortes pour empêcher la construction. Les districts agricoles peuvent encourager l'aménagement local, par exemple en limitant les autorisations de districts aux collectivités dotées de schémas spécifiques de protection des espaces agricoles et naturels.

Enfin, les lois sur le droit-à-exploiter sont conçues pour protéger les exploitants agricoles contre les procès pour nuisance. Certaines dispositions incluent une mention portée sur le titre des propriétés situées en zone agricole qui prévient les acheteurs de la possibilité de bruit, poussière, odeurs et autres inconvénients liés à l'activité agricole. Ces lois renforcent la position légale des agriculteurs vis-à-vis de nouveaux voisins non-agriculteurs et peuvent éduquer les résidents par rapport aux besoins de l'agriculture. Elles peuvent ne pas décourager l'engagement de poursuites pour nuisance.

En conclusion, des outils présentés ci-dessus, le zonage de protection agricole, la taxation à valeur d'usage, l'achat de droit à bâtir et la loi sur le droit-à-exploiter sont les plus utilisés (AFT, 2002 cité par Dissart, 2006). Certaines communautés combinent le zonage agricole, l'achat de droits à bâtir et le district agricole : le zonage stabilise rapidement la base foncière et l'inscription dans un district aide à prévenir la conversion de surfaces importantes tandis

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que les exploitants attendent de vendre une servitude de protection permanente sur leur terrain.

Les techniques présentées contribuent à protéger les espaces agricoles et naturels. La plupart des observateurs de l'usage du foncier estiment que les incitations fiscales sont l'outil de préservation le moins efficace, alors que des stratégies intégrées et complètes, qui combinent approches incitatives et réglementaires, sont les plus prometteuses pour une protection à long terme (AFT, 2002 ; Alterman, 1997 ; Beesley, 1999 cités par Dissart, 2006).

La protection la plus efficace implique donc une combinaison d'outils adaptée à la situation politique locale, aux propriétaires, à l'économie des espaces visés et à la pression d'urbanisation (Daniels & Bowers, 1997 cités par Dissart, 2006). Cette combinaison devrait viser un équilibre entre, d'une part, développement des ressources pour accommoder l'urbanisation et, d'autre part, protection de ces espaces.

En effet, un ensemble de techniques coordonnées constitue un facteur d'atténuation de la conversion des espaces agricoles et naturels, mais la volonté politique (et donc le soutien des populations locales) et les collaborations sont essentielles (Dissart, 2006).

Les techniques de protection devraient servir à garantir qu'une surface critique est protégée (contiguïté), que cette protection est durable (long terme), que les prix du foncier restent abordables (installation et agrandissement des exploitations) et que les conflits avec le monde non agricole sont minimisés (Daniels & Bowers, 1997 cité par Dissart, 2006). Outre les techniques décrites, des initiatives susceptibles d'améliorer la viabilité des exploitations comprennent la diversification des produits, la vente directe ou l'agri-tourisme. Le meilleur moyen de protéger les espaces agricoles et naturels, étant cependant, de maintenir la rentabilité de l'agriculture, de sorte que les exploitations restent en activité.

Au total, les outils et techniques décrits par Dissart en s'inspirant principalement des travaux de Daniels & Bowers (1997) pourraient être appliquées à la protection des espaces agricoles et naturels présentant une valeur productive, esthétique, paysagère, écologique ou récréative. La mise en oeuvre et l'efficacité de ces mesures dépendent non seulement des efforts coordonnés de tous les niveaux de gouvernements, des propriétaires fonciers et autres acteurs de l'aménagement, mais aussi de l'intégration des enjeux économiques, sociaux et environnementaux dans des programmes de protection complets.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille