V.6. La mise en exergue de la fonction de production de
l'agriculture devant les fonctions identitaires
Une recherche menée en Guadeloupe par Dulcire
et Chia (2004) a donné les résultats suivants sur ce
débat:
«Les points de vue des différents acteurs
peuvent être agrégés autour des trois fonctions
prioritairement attribuées à l'agriculture:
La fonction économique : d'abord la
production
L'agriculture est considérée comme une
activité économique parmi d'autres. Sa fonction principale est de
produire des richesses, par lesquelles elle participe au bon fonctionnement de
la société. Elle est un secteur important de préservation
et de création d'emplois directs et indirects par le biais
d'activités de diversification non agricoles (tourisme rural, salariat
à temps partiel). Elle contribue à l'identité culturelle
et à son expression territoriale : création de paysages,
structuration et aménagement du territoire.
Cette vision agrège deux sous-groupes de
représentations distincts en relation avec les deux «
modèles » de l'agriculture, et la prise en compte ou non de
l'ensemble des activités : pour le premier sous-groupe, l'agriculture
est d'abord une activité de production qui contribue à la
richesse « nationale » en contribuant au PIB, à l'emploi,
à la dynamique rurale. Pour l'autre sous-groupe, la fonction majeure de
l'agriculture reste de produire. Mais d'abord des aliments : elle doit «
nourrir un peuple », en commençant par l'agriculteur et sa famille.
Pour cela, elle doit être performante et productive, c'est-à-dire,
explicitement, menée par des agriculteurs « professionnels »
à temps plein : elle s'oppose à la pluriactivité. Les
impacts environnementaux négatifs sont à relativiser compte tenu
du rôle stratégique de l'agriculture. Ces acteurs
considèrent que certaines pollutions sont inévitables car
inhérentes à l'activité agricole et par ailleurs
exacerbées par les caractéristiques du milieu :
insularité, pentes, sols fragiles, saturation
foncière.
La fonction environnementale : d'abord la
nature
L'activité agricole entretient une relation
conflictuelle avec l'environnement qu'elle protège autant qu'elle le
menace : elle ne représente même, chez certains, qu'un mal
acceptable, l'absence totale d'utilisation du milieu constituant la solution
idéale. La fonction de
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conservation de l'espace et de préservation de
la biodiversité de l'agriculture est prioritaire. L'agriculture
pratiquée doit être non-polluante, permettre un bon contrôle
de l'érosion et ne pas faire l'objet d'aménagements destructeurs
du milieu.
La fonction territoriale identitaire : d'abord la
cohésion sociale
L'agriculture est (...) « naturellement »
multifonctionnelle. Elle a une dimension sociale (défense de l'emploi),
alimentaire (autosuffisance), d'aménagement territorial,
économique (production directe de valeur, ancrage de systèmes
d'activités complexes), paysagère, mais aussi culturelle
(dynamisme des valeurs locales). Aucune fonction n'a a priori de
prééminence sur les autres. La hiérarchisation ne peut
être faite que par rapport à une problématique territoriale
et faire l'objet d'un consensus entre les différentes forces vives du
territoire.
Deux sous-groupes peuvent, là aussi, être
distingués : un premier, pour lequel le renforcement des valeurs
culturelles (...) est le résultat principal attendu d'une renaissance de
l'agriculture. Un second, pour lequel cette composante identitaire,
prégnante, représente le lien qui « donne sens » aux
différentes fonctions assumées conjointement par
l'agriculture».
L'analyse de ces différentes idéologies
montre que les missions attribuées à l'agriculture sont
très différentes et parfois contradictoires : production
intensive, maintien de la biodiversité, maintien des traditions,
maintien d'un paysage ouvert, recyclage des déchets
urbains....
La question qui se pose maintenant est de savoir
comment gérer les espaces agricoles par rapport à la ville,
à la fonction de production de l'agriculture et aux exigences du
développement durable: faut-il cloisonner ces trois aspects ou tenter de
les réconcilier ?
L'optique d'un développement durable reviendra
à calculer la valeur hors marché de l'agriculture et à
examiner sous quelle forme on pourrait assurer la rémunération
des services qu'elle rend à la société. L'utilité
sociale ainsi créée permettrait de justifier les investissements
nécessaires à son maintien ou à son
développement.
Mais un tel raisonnement ne peut pas s'appliquer aux
biens environnementaux. En effet, d'après Kah E. (2003), les biens
environnementaux étant des biens non marchands, ils ne sont pas
intégrés au marché, ce qui signifie qu'ils n'y sont pas
monétarisés, alors qu'ils ne sont pas dénués de
valeur.
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