2. La remise en cause de l'Organisation Scientifique du
Travail (O.S.T.)
Dès les années cinquante, après la
guerre, le Tavistock Institute de Londres procède à une
série d'expériences en milieu industriel, tournant autour de
démocratie au travail.
Dans la vie sociale, chaque homme est un citoyen pouvant
entendre sa voix. Dans l'entreprise, les organisations des travailleurs
défendent leurs intérêts, et les représentent. Mais
cette délégation n'est pas à même, très
souvent de régler les multiples choix et décisions dont
dépend le travail quotidien. La démocratie des
intérêts a des limites, dès lors qu'il s'agit de la
situation spécifique de chaque travailleur. Par conséquent, les
chercheurs du Tavistock Institute recherchent une forme de démocratie
plus directe, où tout travailleur puisse s'exprimer sur ce qui le
concerne.
Or, l'O.S.T l'avait, au nom de la productivité,
privé de tout pouvoir décisionnel : pour accomplir une
tâche, la voie la plus rentable était celle définie par le
bureau d'étude. Il y avait un « one best way »,
une méthode de travail meilleure que les autres, et une organisation du
travail très rigide était pour la faire respecter. Or, en 1951,
des expériences dans l'industrie charbonnière britannique,
faisaient vaciller le postulat du « one best way » :
des équipes autonomes, répartissant entre elles les diverses
tâches de la production, travaillant selon leurs propres méthodes,
étaient parvenues, dans certains sièges miniers, à
accroître de près 30% leur productivité. De plus,
l'absentéisme avait fortement baissé.
Des expériences semblables allaient se
répéter dans l'industrie textile en Indes, dans le secteur du
téléphone en Suède, dans le bâtiment aux Pays-Bas,
et dans l'industrie chimique aux Etats-Unis, avec le même bonheur.
Le mythe de l'O.S.T s'effritait : davantage de souplesse
dans l'organisation, une plus grande initiative laissée au travailleur
n'étaient pas incompatibles avec la productivité. Mais plus que
de celle-ci, c'est d'un changement éthique qu'il s'agit : la
critique de l'O.S.T est d'abord faite au nom d'une nouvelle démocratie
sur les lieux de travail.
3. Un nouveau courant de pensée : la
démocratie industrielle.
Ces idées nouvelles, c'est en Norvège tout
d'abord qu'elles allaient s'implanter. En 1961 naît un projet de
démocratie industrielle qui allait être soutenu, et par le
patronat, et par les syndicats. Il vise à améliorer les
conditions de travail dans l'entreprise et à rechercher les moyens de
réunir des conditions plus favorables à la participation du
personnel dans son environnement immédiat. Des
expériences pilotes ont vu le jour, couronnées de succès,
et bientôt reprises, de façon plus large, en Suède.
Les principes qui guidèrent ces expériences
étaient élaborés par le Tavistock Institute. L'entreprise,
selon F. E. Emery (1963) qui appartient à cet institut, est un
système sociotechnique. Pour fonctionner harmonieusement, elle doit
optimiser conjointement les sous-systèmes qui la composent :
satisfaire à la fois le technique et le social.
Et Emery propose que devant tout travail on s'interroge, pour
savoir :
- dans quelle mesure il offre une variété de
tâches optimales ;
- dans quelle mesure il présente un ensemble de
tâches ayant un sens et donnant l'impression de constituer une
tâche unique et complète ;
- dans quelle mesure il correspond à un cycle de
travail de durée optimale ;
- S'il laisse une certaine marge de liberté en ce qui
concerne la fixation des normes de quantité et de qualité de
production, et offre la garantie que l'intéressé sera
informé des résultats comme il convient ;
- s'il couvre quelques-uns des travaux auxiliaires et des
travaux de préparation ;
- s'il exige une certaine minutie, une certaine
habileté, un certain niveau de connaissances, ou une certaine forme
d'efforts, qui voudront à l'intéressé d'être
respecté au sein de sa communauté ;
- s'il contribue de façon perceptible à
l'utilité que le produit présente pour le consommateur.
Là où Taylor avait introduit une pyramide
hiérarchique, calquée sur le modèle militaire, les
nouvelles formes d'organisations du travail prévoyaient un tassement de
la ligne hiérarchique : le travailleur se prenant en charge,
contrôlant lui-même sa production, empiétait sur le
rôle joué par le contremaître.
Les nouvelles formes d'organisation de travail, en
introduisant l'idée de variété dans le travail, allaient
partout où il était difficile d'assurer un travail global,
complet, tenter de diminuer la monotonie de certaines tâches en
favorisant la rotation entre les postes.
Nous verrons que ces idées, guidées par un
souci d'éthique, ont convergé avec des nécessités
économiques, ce qui explique en partie leur diffusion. En effet,
après les pays scandinaves, c'est l'Europe, et en particulier la France
qui ont été le théâtre d'expériences
semblables.
|