II. Revue de Littérature
Quand on parle d'analyser les conditions de travail, on peut
avoir en tête deux démarches. La première consiste à
rechercher ailleurs des modèles, des techniques éprouvées,
et à tenter de les appliquer, en les ajustant tant bien que mal aux
spécificités du cas.La seconde est d'analyser le milieu en
question, de rechercher ses nuisances, et avec ceux qui y vivent, ceux qui y
travaillent, d'examiner comment en pallier les défauts.
L'analyse des conditions de travail repose sur un
postulat : le refus du déterminisme technologique.Quelque soit la
technologie en place, quelque soit parfois la conjoncture économique, il
existe des degrés de liberté qu'il faut utiliser. Il est anormal
que de nos jours, dans une société comme le Bénin,
où nous tendons vers une industrialisation, des travailleurs s'usent,
tombent malades, s'accidentent, du fait de leur travail : les
connaissances pour éviter de telles situations existent, mais les
mécanismes à mettre en oeuvre pour les appliquer sont souvent
très lourds.
Ces connaissances proviennent de disciplines diverses :
sciences humaines, ou sciences de l'ingénieur, selon qu'on touche
à la connaissance de l'homme en activité ou aux conceptions
techniques de machines ou d'installations ; chacun apporte sa pierre
à l'édifice, et l'analyse est pluridisciplinaire. Mais elle
n'aboutira pas à modifier le milieu du travail, puisque le but n'est pas
de modifier la façon de travailler, mais de comprendre le travail, en
vue de l'améliorer. Si cette connaissance n'intègre pas, à
un moment donné, ceux qui seront les décideurs de l'action et
ceux qui ont à vivre les conditions de travail de manière
quotidienne, tous ces efforts auront été vains.
La problématique des conditions de travail telle qu'on
la retrouve aujourd'hui dans la littérature scientifique, dans les
méthodes d'analyse qui la rendent accessible à un large public,
se trouve influencée par un premier courant de pensée d'ordre
psychologique.
Parti du mouvement des relations humaines aux Etats-Unis pour
aboutir à la démocratie industrielle scandinave, il s'enrichit au
passage d'une analyse du contenu et de la signification du travail et structure
sa critique de l'organisation scientifique du travail.
1. Le Courant Psychosociologique Américain
Quatre grands théoriciens ont marqué de 1930
à 1970, les travaux visant l'amélioration des conditions de
travail : E. Mayo, A. Maslow, D. Mc Gregor et F. Herzberg. Ils
appartiennent tous au grand mouvement des relations humaines né aux
Etats-Unis au plus fort de la vague du management scientifique.
? E. MAYO.
En 1927, E. Mayo allait, par ses expériences,
démontrer l'influence des facteurs psychologiques sur la
performance des travailleurs.
Alors que c'était l'influence de l'éclairement
de l'atelier sur la production accomplie par un petit groupe de travailleuses
qui était étudié, l'expérience montra que le simple
fait de s'intéresser à ces travailleuses, de leur parler, de les
traiter avec égard, permettait d'améliorer les performances. On
découvrait ainsi une équation qui allait devenir
célèbre : que la satisfaction des besoins
psychologiques des travailleurs permettait d'améliorer la
rentabilité du système de production. D'où un
intérêt considérable pour la nature de ces besoins
psychologiques et leur modélisation.
? A. MASLOW
A. Maslow (1954), le premier, postule une hiérarchie
de besoins.
Dès que les besoins élémentaires :
besoins physiologiques et besoin de sécurité sont satisfaits,
l'individu veut accéder à d'autres catégories de
satisfactions : il cherche l'appartenance à un groupe, il tient
à être reconnu comme ayant une identité propre, il
souhaite s'accomplir dans son travail. Enfin, s'il a atteint ses objectifs,
c'est la possibilité de se développer, de progresser qui devient
sa préoccupation majeure.
Ce modèle a eu une énorme influence ; en
effet, il permet d'associer à chaque niveau de besoins, des stimulants
appropriés. Si pour le niveau élémentaire, il s'agit de
l'argent qui permet de satisfaire les besoins physiologiques et d'avoir
une certaine sécurité, dès qu'on le dépasse, il
faut d'autres incitants au travail : promotion, valorisation des
individus, etc. c'est donc le système de Taylor, avec ses incitants
matériels ; salaire au rendement, primes, qui est
ébranlé.
La théorie des besoins d'Abraham Maslow est une des
plus célèbres. Elle propose une conception systématique
des besoins de l'homme au travail et hiérarchise différents
niveaux selon une pyramide. Maslow pense que les conduites humaines sont
dictées par la satisfaction des besoins ; l'homme est donc
instinctif, biologique et fondamental.
Cinq groupes de besoins sont distingués : les besoins physiologiques : le gîte, le couvert, la
survie le besoin de sécurité les besoins sociaux : avoir des amis... le besoin d'estime le besoin de se réaliser, de devenir tout ce qu'on est
capable d'être.
Tout comportement est déterminé par la recherche
de satisfaction concernant un des besoins fondamentaux. La recherche des
besoins est hiérarchisée. L'homme cherche d'abord à
satisfaire les besoins fondamentaux pour s'élever ensuite. Toutefois les
besoins du premier niveau sont absolus, la réalisation de soi n'est pas
possible si en premier lieu les besoins physiologiques ne sont pas satisfaits.
De plus, le besoin de réalisation de soi est le plus large et est
supposé être insatiable. Maslow ne dit pas qu'un seul besoin est
motivant à un moment donné mais plutôt qu'un seul besoin
est dominant et relativise ainsi l'importance des autres.
De plus il est fréquent que les besoins soient
multiples et contradictoires. Ce sont les aspirations et désirs concrets
qui déterminent la motivation et orientent le comportement.
? D. Mc GREGOR
En examinant les représentations des chefs
d'entreprise, Mac Gregor identifia deux sortes de conceptions qui illustrent la
prise en considération des « model of man » dans la
formulation des principes de gestion. D. Mc Gregor (1960), dans ses
théories X et Y, oppose deux images de travailleurs, telles que se les
représentent les employeurs. L'une, et c'est la théorie X, est
celle de l'ouvrier paresseux, auquel on ne peut faire confiance, auquel on ne
peut confier de responsabilité, et qui doit être
contrôlé en permanence. La théorie X propose une
hypothèse selon laquelle les hommes n'aiment pas le travail mais y sont
contraints. Ils évitent les responsabilités, n'ont pas
d'ambition, n'aiment pas le changement. Ils ne prennent pas d'initiatives et
donc, ont besoin de consignes strictes, de contrôles et de sanctions.
L'organisation, dans ces conditions doit être contraignante et mettre en
place des procédures détaillées, une parcellisation des
tâches, une sélection rigide et un management autoritaire. C'est
l'ouvrier classique de l'organisation scientifique du travail (O.S.T).
L'autre est celle d'un ouvrier désireux
d'acquérir des responsabilités, souhaitant s'épanouir au
travail, ayant l'esprit créatif. La théorie Y est le contraire de
la première et suppose que l'effort physique et intellectuel
nécessaire au travail est consenti naturellement, que le personnel est
capable d'initiatives, d'autocontrôle, de créativité.
L'organisation, dans ce cas, doit procéder à un
regroupement des tâches, la décentralisation des
responsabilités, la délégation. La théorie y
annonce le courant de l'excellence par la motivation : « amener
des gens ordinaires à faire des choses extraordinaires ».
Selon Mc Gregor, c'est l'image que l'on se fait du
travailleur qui le « crée » : qui a confiance
en un travailleur, aura un travailleur de confiance, qui lui laisse des
responsabilités le verra capable d'en prendre. C'est quand un
système répressifl'a à priori considéré
comme paresseux et chapardeur que le travailleur le devient.
? F. HERZBERG
Récemment, les travaux de F. Herzberg (1966) ont
apporté un nouvel éclairage à ces conceptions.
Il distingue, dans une situation de travail deux
types de facteurs : les facteurs dits
d' « ambiance », et les facteurs
« valorisants ».
Les facteurs d'ambiance sont les conditions
matérielles de travail, politique et administration de l'entreprise,
rémunération, etc. Ils sont les sources de mécontentement
s'ils n'ont pas le niveau désiré, mais leur amendement
n'entraîne qu'une satisfaction éphémère. Comme
l'annonce F. Herzberg, « une bonne ambiance évite le
mécontentement, mais ne peut donner mieux que l'absence de
mécontentement. Un bonheur réel semble exiger un certain niveau
de développement psychologique ».
Les facteurs valorisants : c'est un
accomplissement, une reconnaissance du travail proprement dit, une
responsabilité et un avancement. Ils contribuent très peu au
mécontentement au travail, et sont source de satisfactions durables.
Ainsi, selon F. Herzberg, les facteurs engendrant la
satisfaction au travail sont indépendants et différents de ceux
qui suscitent le mécontentement. Une entreprise peut motiver ses
travailleurs, et les satisfaire, sans passer par une amélioration
matérielle des conditions de travail.
Il y a cependant dans le travail de Herzberg, un
élément nouveau : il s'agit du contenu des tâches, du
travail proprement dit.
Le mouvement des relations humaines n'avait pas touché
au contenu des tâches : le fait qu'il puisse être important
pour le travail et qu'il faille en préserver l'intérêt
n'avait pas été évoqué. F. Herzberg l'inclut dans
les facteurs valorisants. En cela, il est déjà à
l'écoute d'un nouveau mouvement : celui qui fit d'une
réflexion sur l'organisation du travail son thème principal.
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