Paragraphe II : Une compétence matérielle
Consultative de la Cour
A l'image des Cours européenne et
interaméricaine des droits de l'homme dont les compétences en la
matière sont prévues respectivement par les articles 47, 48 et 49
de la Convention européenne et l'article 64 de la Convention
américaine, la Cour africaine dispose également d'une
compétence matérielle consultative prévue à
l'article 4 du Protocole :
« 1. A la demande d'un Etat membre de l'Union
Africaine, de tout organe de l'Union Africaine ou d'une organisation africaine
reconnue par l'Union Africaine, la Cour peut donner un avis sur toute question
juridique concernant la Charte ou tout autre instrument pertinent relatif aux
droits de l'homme, à condition que l'objet de l'avis consultatif ne se
rapporte pas à une requête pendante devant la Commission. 2. Les
avis consultatifs de la Cour sont motivés. Un juge peut y joindre une
opinion individuelle ou dissidente ».
61 L'article 3. 2 du Protocole dispose : « En cas de
contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour
décide ».
62 OUGUERGOUZ Fatsah, « La Cour africaine des droits de
l'homme et des peuples : un gros plan sur le premier organe judiciaire africain
à vocation continentale », op. cit., p. 227.
63 Ibid, p. 227.
![](La-cour-africaine-des-droits-de-l-homme-et-des-peuples-entre-originalites-et-incertitudes28.png)
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La première remarque que nous tirons de la lecture de
cette disposition est l'ouverture systématique par le Protocole de
l'accès à la Cour en matière consultative à tous
les Etats membres de l'Union Africaine, parties ou non au Protocole.
Cela peut paraitre l'une des originalités du
système africain de protection des droits de l'homme dans la mesure
où dans le système européen seul le Comité des
Ministres64 du Conseil de l'Europe est habilité à
saisir la Cour d'une demande d'avis consultatif. En revanche, le
mécanisme mis en place par le Protocole en matière consultative
se rapproche de celui du système américain où la Cour
interaméricaine des droits de l'homme peut être saisie pour avis
consultatif par tous les Etats membres de l'O.E.A ainsi que par certains
organes de celle-ci65.
La seule différence entre ces deux systèmes
réside dans le fait que le Protocole à la différence de la
Convention américaine ne détermine pas les organes de l'Union
Africaine qui sont habilités à faire une demande d'avis
consultatif devant la Cour. Une autre imprécision demeure, s'agissant de
l'expression « Organisation africaine reconnue par l'Union africaine
». Alors s'agit-il des organisations régionales ou les
Communautés économiques régionales comme la CEDEAO, de
l'UMA, la CEAE ? Ou encore s'agit-il des organisations non gouvernementales
dotées du statut d'observateur auprès de la Commission africaine
? Se pose également la question de la portée et/ou de la nature
de l'expression « reconnue par l'Union Africaine ». A ces
questions, seul le développement de la jurisprudence consultative de la
Cour pourra fournir des réponses.
On remarquera également que les rédacteurs du
Protocole ont considérablement élargi le champ de la
compétence matérielle consultative de la Cour à l'instar
de sa compétence matérielle contentieuse puisqu'elle
s'étend non seulement à la Charte africaine elle-même, mais
aussi « à tout autre instrument pertinent relatif aux droits de
l'homme ». Ce qui inclut à la fois tous les traités
régionaux ou universels relatifs aux droits de l'homme, mais aussi
« les autres instruments de nature juridique formellement non
contraignante tels que les
64 V. l'article 47. 1 prec. de la
Convention européenne des droits de l'homme.
65 V. l'article 64 prec. de la Convention
américaine des droits de l'homme. A ce sujet, voir aussi Ludovic
HENNEBEL, La Convention américaine des droits de l'homme :
mécanismes de protection et étendue des droits et
libertés, 2007, Bruylant, Bruxelles.
![](La-cour-africaine-des-droits-de-l-homme-et-des-peuples-entre-originalites-et-incertitudes29.png)
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résolutions de certains organes pertinents (Union
Africaine, Assemblée Générale des Nations-Unies
etc.)66 ».
Toutefois, l'exercice de cette compétence consultative
de la Cour est bien encadré : l'article 4 précise en effet que
l'avis demandé ne peut porter que sur « une question juridique
» d'une part, et que son objet ne doit pas se rapporter sur une
« question pendante devant la Commission » d'autre part. En
vertu de cette disposition, nous pouvons en déduire que le but
visé est d'éviter « que la Cour ne porte atteinte
à l'intégrité de la fonction quasi-judiciaire de la
Commission en matière de protection des droits de l'homme et des
peuples, et de sauvegarder l'entière liberté de décision
de cette dernière »67.
Il convient tout aussi de souligner que l'article 4 du
Protocole n'a pas expressément traité de la question d'une
éventuelle demande d'avis consultatif se rapportant à une
requête pendante devant la Cour elle-même. Dans une telle
hypothèse, selon le juge OUGUERGOUZ Fatsah, « la Cour devrait
également selon toute vraisemblance refusé de rendre l'avis
demandé dans la mesure où une telle demande porterait atteinte
à l'intégrité de sa fonction judiciaire
»68. Cela semble être logique dans la mesure
où on ne voit pas la raison pour laquelle la Cour pourrait ou devrait se
prononcer sur une question relative à une affaire pendante devant
elle.
Face à un champ matériel de la compétence
contentieuse et consultative très vaste de la Cour, il lui reviendra
elle-même de définir les limites notamment au « cas par
cas »69. La Cour africaine dispose donc d'un large pouvoir
discrétionnaire pour limiter sa compétence extensive tant
contentieuse que consultative que le Protocole lui confère à ses
articles 3 et 4.
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