Section II : Vers une restriction de la protection des
droits de l'homme en Afrique ?
Comme il vient d'être indiquer
précédemment, de reforme à reforme, l'actuelle Cour
africaine des droits de l'homme et des peuples sera remplacée par une
Section des droits de l'homme et des peuples (Paragraphe I) de la nouvelle
Cour. De la Cour à la Section, le risque d'une restriction de la
protection des droits de l'homme en Afrique est réel même si la
Section des droits de l'homme de la future Cour unique héritera de
l'ensemble des compétences actuelles de la Cour africaine des droits de
l'homme et des peuples. Ce qui laisse croire que la succession est tout de
même relativement garantie (Paragraphe II).
Paragraphe I : Mise en place d'une Section des droits de
l'homme à la place de la Cour
L'article 1er du Protocole de Sharm el-Sheikh
dispose que : « Le Protocole relatif à la Charte africaine des
droits de l'homme et des peuples portant création de la Cour africaine
des droits de l'homme et des peuples adopté le 10 juin 1998 à
Ouagadougou (Burkina Faso) et entré en vigueur le 25 janvier 2004, et le
Protocole de la Cour de justice de l'Union Africaine adopté le 11
juillet 2003 à Maputo (Mozambique) sont remplacés par le
présent Protocole et le Statut y annexé qui en fait partie
intégrante [...] ». L'article 2 du même Protocole ajoute
que : « La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples et la
Cour de justice de l'Union africaine, créées respectivement par
le Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples portant création de la Cour africaine des droits de l'homme et
des peuples et l'acte constitutif de l'Union africaine, sont fusionnées
en une Cour unique instituée et dénommée « la Cour
africaine de justice et des droits de l'homme ». ».
Au vu de ces deux dispositions, il convient de remarquer que
le Protocole de Sharm el-Sheikh abroge les Protocoles de Ouagadougou et de
Maputo et se substitue à eux d'une part, et d'autre part, il supprime
purement et simplement la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples
et la Cour de justice de l'Union africaine qu'il remplace par la Cour africaine
de justice et des droits de l'homme. Cette dernière sera donc l'organe
judiciaire principal de l'Union africaine131.
131 Voir Statuts, article 2.
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La création de la Cour unique par la fusion des deux
autres Cours a initialement donné naissance à deux
Sections132 :
- Une section des affaires générales qui
correspond à la Cour de justice de l'Union africaine. Cette section ne
fera pas l'objet d'un développement dans le cadre de cette
présente étude dans la mesure où elle ne traite pas de la
question des droits de l'homme. Elle traite entre autres, des questions
relatives au règlement des différends entre les Etats africains
(à l'image de la C.I.J) d'une part, et d'autre part, celles relatives au
contentieux entre l'UA et son personnel (comme la CJUE)133.
- Une Section des droits de l'homme. C'est cette
dernière qui remplacera l'actuelle Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples.
Par ailleurs, à ce stade, il est permis de se demander
si c'est cette Section des droits de l'homme de la Cour unique qui constituera
la principale juridiction régionale des droits de l'homme en Afrique,
à l'instar de la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour
interaméricaine des droits de l'homme. La réponse est sans
ambigüité l'affirmative.
Toutefois, la mise ne place de la Section à la place de
la Cour engendre des risques de restriction de la protection des droits de
l'homme. Ce risque est d'autant plus élevé que l'Union africaine
a récemment élargie le mandat du Protocole de Sharm el-Sheikh aux
questions pénales. Cette reforme qui a eu lieu à Malabo
(Guinée équatoriale) en juin 2014, a mis en place une
troisième Section : la Section du droit international
pénal134.
Ce faisant, le risque de restriction de la protection des
droits de l'homme réside tout d'abord, dans la cohabitation entre la
Section de droit international pénal et la Section des droits de
l'homme. Cette cohabitation pourrait porter atteinte à
l'efficacité et à la visibilité même de cette
dernière.
Ensuite, le Protocole de Malabo vient réduire
considérablement le nombre de juges de la Section des droits de l'homme.
Selon l'article 10 (2) du Statut annexé au Protocole de Malabo : «
La Section des droits de l'homme et des peuples de la Cour est dûment
constituée de trois (3) juges ». Cela est un recul majeur non
seulement par rapport au Protocole
132 Ibid., article 16.
133 Ibid., article 28. Voir aussi sur cette question MUBIALA
Mutoy, « Chronique de droit pénal de l'Union Africaine.
L'élargissement du mandat de la Cour africaine de justice et des droits
de l'homme aux affaires de droit international pénal », op.
cit., p. 750.
134 Voir l'article 6 du Statut annexé au Protocole de
Malabo portant amendement au Protocole portant statut de la Cour africaine de
justice et des droits de l'homme.
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amendé135 dont le Statut annexé
prévoit seize (16) juges pour la Cour - huit (8) juges par Section -,
mais aussi quant on sait que la Cour européenne des droits de l'homme se
compose d'un nombre de juges égal à celui des Hautes Parties
contractantes136 et que la Cour interaméricaine des droits de
l'homme se compose également de 7 juges137.
Enfin, l'un des risques de restriction de la protection des
droits de l'homme en Afrique avec la mise en place de ladite Section tient au
fait que la reforme de Malabo accorde des immunités aux Chefs d'Etat et
de gouvernement africains, ainsi qu'aux hauts responsables publics. Toutefois,
il convient à ce niveau de préciser que les volets droits de
l'homme et droit pénal sont distincts. Et cette distinction tient
notamment au fait que la Section pénale est juge des individus et la
Section des droits de l'homme est juge des Etats. Même ces deux
disciplines sont tout de même complémentaires et intimement
liées.
Ces immunités découlent de l'article 46A bis du
Statut annexé au Protocole de Malabo qui se lit comme suit : «
Aucune procédure pénale n'est engagée ni poursuivie
contre un Chef d'Etat ou de gouvernement de l'UA en fonction, ou toute personne
agissant ou habilitée à agir en cette qualité ou tout
autre haut responsable public en raison de ses fonctions ». En
particulier, cette reforme semble être justifiée par deux raisons
: d'une part, le conflit entre l'UA et la CPI dû à la «
focalisation »138 de cette dernière sur l'Afrique et
d'autre part, entre l'UA et l'UE en raison de l'utilisation « abusive
»139 par certains Etats membres de l'UE de la compétence
universelle à l'égard des africains.
Dans tous les cas, l'octroie de telles immunités aux
dirigeants africains bien que ne relevant pas de la question des droits de
l'homme et ne s'inscrivant donc pas dans la logique de la Charte africaine, ne
va nullement dans le sens d'une volonté de protection effective des
droits de l'homme sur le continent africain qui est le théâtre des
violations massives des droits de l'homme.
Toutefois, dans la mesure où la Section des droits de
l'homme et des peuples de la future Cour unique héritera de l'ensemble
des attributions de l'actuelle Cour africaine, nous sommes tentés de
croire que la succession sera relativement assurée.
135 Nous faisons allusions au Protocole de Sharm el-Sheikh
portant statut de la Cour unique.
136 Voir l'article 20 de la Convention européenne des
droits de l'homme.
137 Voir l'article 52 de la Convention américaine des
droits de l'homme.
138 Voir MUBIALA Mutoy, « Chronique de droit pénal de
l'Union Africaine. L'élargissement du mandat de la
Cour africaine de justice et des droits de l'homme aux affaires
de droit international pénal », op. cit., p. 750.
139 Idem.
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