Section II : La nécessité d'un rude
effort de régulation pour une Cour africaine effective
Pour permettre à la Cour africaine de jouer pleinement
son rôle de protection des droits de l'homme sur le continent africain,
il est nécessaire voire indispensable d'opérer une
régulation institutionnelle (Paragraphe I) et d'entreprendre un certain
nombre d'actions (Paragraphe II) afin qu'elle soit véritablement
effective.
99 Affaire Femi Falama c. Union Africaine
préc. , p. 3.
100 Ibid., p. 23.
101 Ibid., p. 24.
102 Voir opinion individuelle OUGUERGOUZ Fatsah, jointe
à l'arrêt Affaire Femi Falama c. Union Africaine, p.
2.
39
Paragraphe I : La nécessaire régulation
institutionnelle
Installée le 2 juillet 2006, la Cour africaine des
droits de l'homme et des peuples est le premier organe judiciaire
créé à l'échelle du continent africain.
Toutefois, force est de constater que même si la Cour
est au coeur du système africain de protection des droits de l'homme,
elle est loin d'être seule. Elle est établie dans le sillage d'une
demi-douzaine de Cours régionales qui possèdent explicitement ou
implicitement des attributions en matière de droits de l'homme et dont
selon le juge OUGUERGOUZ fatsah, « l'Afrique peut se targuer d'abriter
le plus grand nombre »103. Il s'agit notamment de : la
Cour de justice de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de
l'Ouest (CEDEAO), la Cour de justice de l'Union Economique et Monétaire
Ouest-africaine (UEMOA), la Cour de justice du Marché commun pour
l'Afrique orientale et australe (COMESA), du Tribunal de la South African
development Community (SADC), la Cour commune de justice et d'arbitrage de
l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA),
la Cour de justice de l'Union du Maghreb arabe (UMA) et la Cour de justice de
la Communauté économique et monétaire de l'Afrique
centrale (CEMAC)104.
La prolifération de ces juridictions au sein de ces
Communautés économiques régionales entrainant ainsi une
certaine anarchie institutionnelle, un risque de chevauchement de
compétences n'est pas sans inquiétudes.
Le champ de compétence rationae materiae d'une
juridiction communautaire se limite initialement au domaine économique
et à l'interprétation et l'application du droit communautaire.
Pour reprendre Laurence BOURGORGUE-LARSEN, « [...], les juridictions
régionales sont érigées, [...] et ont pour fonction [...]
d'assurer grâce aux ressorts du droit, l'effectivité de
l'approfondissement des rapprochements économiques entre les Etats
parties. »105 Ces Cours apparaissent donc comme une sorte
de garantie des processus d'intégration économique. En revanche,
certains traités constitutifs de certaines communautés
régionales africaines contiennent des dispositions relatives aux droits
de l'homme. C'est le cas notamment du Traité de la CEDEAO qui est sans
doute, la Communauté régionale africaine
103 OUGUERGOUZ Fatsah, « La Cour africaine des droits de
l'homme et des peuples : Un gros plan sur le premier organe judiciaire africain
à vocation continentale », op. cit., p. 218.
104 Sur ces juridictions, voir : Maurice KAMTO, « les
Cours de justice des Communautés et des Organisations
d'intégration économiques africaines », Annuaire
africain de droit international, 1998, volume 6, pp. 107-150.
105 Voir BURGORGUE-LARSEN Laurence, « Le fait
régional dans la juridictionnalisation du droit international »
dans SOCIETE FRANÇAISE POUR LE DROIT INTERNATIONAL, colloque de
Lille. La juridictionnalisation du droit international, Paris, Pedone,
2003, pp. 203-264, p. 217.
40
ayant le plus manifestée un intérêt pour
la question des droits de l'homme. L'article 4 du traité
révisé de la CEDEAO dispose à cet effet que: «
Les Hautes Parties Contractantes, dans la poursuite des objectifs
énoncés à l'article 3 du présent traité,
affirment et déclarent solennellement leurs adhésion aux
principes fondamentaux suivants : [...]
(g)- respect, promotion et protection des droits de
l'homme et des peuples conformément aux dispositions de la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples »106.
Il ressort de cette disposition que non seulement la
Communauté adhère à la Charte, mais aussi que sa Cour de
justice elle-même a pour mandat entre autres, l'interprétation et
l'application et la promotion de ladite Charte. D'ailleurs, plus de 85% des cas
conclus par la Cour de justice depuis 2005 étaient liés aux
allégations de violation des droits de l'homme au sein des Etats membres
de la CEDEAO107. Ce faisant, la Cour de justice a appliqué
des dispositions de la Charte.
La nécessité d'une régulation s'impose
justement à ce niveau. Car, de toute évidence, cette
prolifération sur le continent africain, des juridictions
internationales ayant une compétence pour connaitre des violations des
droits de l'homme, si elle n'est pas maitrisée, conduit
inévitablement à un désordre, à une anarchie qui
affaiblira le système africain de protection des droits de l'homme dans
son ensemble et la Cour africaine en particulier.
Concrètement face à une violation des droits de
l'homme, quelle juridiction faudra t-il saisir ? Faudra t-il pour une victime
d'une violation de ses droits humains solliciter une juridiction
régionale plus proche et qui n'exige pas une déclaration
spéciale d'acceptation de sa compétence que de prendre le risque
d'aller devant la Cour africaine ?
Logiquement, les victimes auront tendance à aller vers
les juridictions régionales pour notamment des raisons de
proximité que d'aller devant la Cour africaine avec le risque de voire
leur requêtes rejetées pour défaut de reconnaissance de la
juridiction obligatoire de la Cour par l'Etat défendeur. Ce
phénomène est certes, moins visible aujourd'hui en raison de
l'ineffectivité et de l'inefficacité de certaines Cours
régionales. Mais, à défaut d'une solution continentale
adéquate et immédiate, une paralysie, un chaos du système
africain de protection des droits de l'homme reste prévisible et
même imminent.
106 Traité révisé de la Communauté
économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, article 4.
107 Par exemple, voir : l'Affaire Dame Hadijatou Mani
Korao c. République du Niger du 27 octobre 2008; Affaire
Hissein Habré 2010 ; Affaire Simone Ehivet et Michel Gbagbo c.
République de Cote d'Ivoire 2013.
41
Cette régulation passe notamment par l'harmonisation de
la jurisprudence de la Cour africaine et celle des juridictions
régionales et un véritable dialogue entre les juges des
différentes Cours.
En revanche, à défaut d'une prise en charge
conventionnelle de cette importante question de régulation de cette
anarchie institutionnelle, la Cour africaine a tout de même pris une
belle initiative d'organiser des séminaires avec les Cour des C.E.R.
|