Paragraphe 2. La difficile collaboration avec les
associations de défense des droits de l'homme
Le ministère crée en 2005 a déjà
trouvé sur le terrain, plusieurs organisations de la
société civile oeuvrées dans son domaine. En tant que
nouveau, sinon profane, le ministère devrait s'appuyer sur
l'expérience et les réalisations de ces structures pour mener
à bien ses activités. Mais la réalité s'est
montrée différente. Le ministère les prend pour des
adversaires. Car selon Mr Baldal Oyamta, toujours dans l'interview, la
collaboration avec le ministère évolue en dents de scie parce que
les responsables du ministère des droits de l'homme ont la perception
que les organisations de défense des droits de l'homme sont des
structures rattachées à leur ministère et donc doivent
rendre compte de toutes leurs activités ; soumettre tous les rapports
d'activités avant leurs publications et transmissions aux partenaires ;
et demander l'aval du ministère pour exécuter toute autre
activité. Cela continue encore avec l'installation des
délégués qui imposent ces exigences aux
représentations locales de ces associations.
Ces propos démontrent le climat peut luisant qui existe
entre le ministère et les associations. Pourtant, la mission
assignée au ministère par le décret 753 démontre
bien que le ministère et les associations ont les mêmes objectifs
et donc la même mission. En principe, le ministère des droits de
l'homme et toutes les organisations de défense des droits de l'homme
devaient se mettre dans une synergie d'action, qui
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promotion et l'instauration d'une culture de droits et de
démocratie
devait permettre des avancées à un rythme
effréné. Mais hélas, c'est la situation contraire qui se
fait voir.
De l'autre coté, les associations eux aussi à
leur niveau, devaient créer entre eux une petite synergie d'action pour
avoir un planning d'activités assez dynamique et éviter le
saupoudrage. Malheureusement la question de programmes d'action, c'est une
«chasse gardée» de chaque association, malgré
que plusieurs d'entre eux se soient mises dans une plate-forme. Même
celles qui se sont mises dans une même plate-forme ne connaissent pas les
activités les unes et autres. Le plus touchant est que les exploits et
réussites des uns crées des relents de jalousie chez d'autres ;
au lieu de les stimuler à faire autant ou un peu plus.
Pour complément, nous citons les Propos de Mr Enoch
DJONDANG34 qui dans son ouvrage affirme : « en effet, il
est un trait de mentalité constante qui existe au Tchad selon lequel
toute distinction des mérites d'un individu ou groupe suscitait d'abord
la jalousie et ensuite l'animosité des autres. Rares sont les talents
nationaux, dans n'importe quel domaine, qui reçurent l'écho
mérité de leurs compatriotes à la suite d'une distinction
juste. Parfois, cela déclenche le processus de la mise en disgrâce
de l'intéressé qui sera ainsi combattu et piégé
jusqu'à ce que son étoile puisse en pâtir.»
A titre d'exemple, nous citerons l'Association Jeunesse
Anti-Clivage (AJAC)35 qui a connu l'antipathie de ses
associations-soeurs pour deux de ses réalisations primées :
d'abord pour avoir invité Mr Idriss Deby en tant que Président de
la République à ouvrir une Colonie de vacance qu'elle a
organisé en 1997 visant à créer un brassage entre tous les
jeunes en vue de casser les barrières ethniques, tribales et
régionales. Regroupant plus de trois cent (300) jeunes venant de
différentes régions du Tchad, cette colonie a connu une
récompense du Chef de l'Etat. Ce qui a poussé les autres
associations à discréditer l'AJAC soi-disant qu'elle fait la
politique du gouvernement. Ensuite pour le Prix Droits de l'Homme de la
République française de l'an 2000,
34 Juriste tchadien spécialisé dans les
questions de développement et de la bonne gouvernance ; Fondateur de la
LTDH, Enoch DJONDANG est un ancien membre de gouvernement du Tchad.
35 AJAC : Association de la société
civile tchadienne de lutte contre les discriminations. Membre de l'Organisation
Mondiale contre la Torture (OMCT) et du Bureau International de la Paix (IPB) ;
Lauréate du Prix Shalom (Allemagne 1997) et du Prix droits de l'homme de
la République française (France 2000).
Rôle du ministère
tchadien chargé des droits de l'homme dans la
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démocratie
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décerné par le Premier ministre français
pour encourager l'investissement de l'AJAC dans la lutte contre la traite des
enfants utilisés comme «bouvier»36 au sud
du Tchad.
Ainsi, l'entente au sein des associations entre
elles-mêmes est rendue difficile, ce qui rend encore plus difficile une
saine collaboration avec le ministère. Parce que les détracteurs
des uns et des autres vont manipuler les responsables du ministère au
profit de leurs intérêts. Dans un tel climat, le ministère
et les associations ne pourront s'entendre pour trouver une issue commune de
stratégies de lutte. Ce qui ouvre les portes à ces violations des
droits de l'homme qui se hissent à un niveau élevé et les
défient tous.
Au-delà de ce problème de collaboration qui est
un frein à une synergie d'action, il y a encore d'autres obstacles
à la mise en oeuvre des droits de l'homme qui sont communes à la
fois aux actions des associations et à celles du ministère. Ces
obstacles sont d'ordre socioculturel.
Il s'agit d'abord de la difficile conception des droits
humains dans certains milieux, certaines ethnies chez lesquels des actes
réprimés par le droit sont des pratiques traditionnelles
reconnues et enseignées de génération en
génération. En effet, dans certaines régions au Tchad
(Région du Batha, du Ouaddaï, du Mayo Kebbi...) le vol et le
braquage sont des actes de bravoure pour tout jeune homme. Il doit
réaliser ces actes avant d'être admis au mariage. Dans d'autres
régions (dans la Région de Tandjilé, le Mayo Kebbi, Moyen
Chari...), le viol est un acte de bravoure faisant partie du processus
préalable au mariage. Il en est de même pour le crime qui est un
acte de bravoure et de vengeance dans les régions de l'Ennedi, du Wadi
Fira ... Tuer et voler dans beaucoup de régions sont des gestes aussi
naturel que dormir et se réveiller.
Il est très difficile pour des personnes ayant
été éduqué à une pratique de vol, de viol,
de crime comme acte culturel de bravoure humaine, d'accepter que ces actes sont
des violations de droits de l'homme. C'est un pari difficile à gagner
tant du côté de l'Etat que des associations de défense des
droits de l'homme.
Il y a ensuite la question des valeurs citoyennes qui n'existe
plus. Car le vandalisme et l'incivisme ont pris la place. Nous avons perdu nos
valeurs citoyennes. L'exemple
36 Phénomène de semi-esclavage d'enfants
Saras (Sudistes) vendus comme bergers aux éleveurs (Nordistes)
transhumant leur région.
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le plus frappant est celui des événements de
février 2008 pendant lesquels la population s'est mise à piller
allègrement les biens publics, à détruire les archives
etc. Le civisme a disparu parce que la population ne se rend pas compte qu'elle
vole ses propres biens ; elle pense que c'est les biens de l'Etat, les biens de
l'individu qui gouverne. Comment faire inculquer à cette population, une
culture de droits de l'homme, pendant qu'elle ignore ses devoirs civiques et
ses valeurs citoyennes ? Ce pari n'est pas aussi des moindres.
Aussi la corruption pratiquée sur les rues par les
policiers ; les forces de l'ordre qui tabassent les gens comme bon leur semble
; les hommes en tenus qui au lieu de protéger les citoyens, les
maltraitent sans jamais être inquiétés parce qu'ils sont
considérés comme des supra-citoyens. Toutes ces situations qui ne
sont pas exhaustives constituent des grands obstacles pour l'application des
actions en faveur des droits de l'homme.
Parvenu à l'issu de cette première partie, nous
nous permettons de dire que la mission dévolue au ministère des
droits de l'homme est grande et mérite beaucoup d'efforts de la part du
gouvernement pour arriver à bon port.
En effet, conformément au Décret 720, le pouvoir
de concevoir de suivre et de mettre en oeuvre la politique du gouvernement en
matière des droits de l'homme est pleinement accordé sans aucune
restriction. Ce qui donne main libre à ce ministère pour
concevoir une politique permettant une lutte efficiente, et adaptée aux
problèmes des droits de l'homme au Tchad. Malheureusement, l'analyse
critique nous démontre d'une part une mauvaise volonté politique
de l'Etat dans l'accomplissement de cette tâche. Cette mauvaise
volonté politique se traduit par :
- le manque d'effectivité des engagements internationaux
signés ;
- le manque de cohérence et d'application des normes
législatives et réglementaires ;
- le recrutement du personnel non qualifié au sein du
ministère ;
- le manque de formation ou de recyclage en matière de
droits de l'homme au profit du personnel du ministère ;
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- le manque de diagnostic réel lié aux
problèmes spécifiques des droits de l'homme au Tchad ;
- le manque de synergie d'action avec les organisations et
partenaires opérationnels du domaine.
D'autre part elle démontre une difficile collaboration
avec les autres acteurs impliqués dans la même lutte,
malgré, qu'une franche collaboration peut mener à des solutions
consensuelles plus justes et efficace.
Toutefois, au-delà de cette volonté politique,
une stratégie dynamique de mise en oeuvre de cette mission
s'avère indispensable, eu égard aux insuffisances de
professionnalisme signalées. Car, l'Etat peut y mettre de sa
volonté politique, en rendant disponibles les moyens adéquats
à cette politique. Mais les sales habitudes résultantes d'une
impunité devenue chronique et d'une promotion des cancres
érigée en système peuvent être des obstacles
à la réussite de cette mission.
De ce qui précède, la mission du
ministère chargé des droits de l'homme est une mission bien
formulée et très noble qui peut permettre l'instauration
effective d'une culture de droits au Tchad. Cependant, la politique de mise en
oeuvre de cette mission est émaillée de plusieurs manquements qui
méritent d'être corrigés. Car, malgré qu'elle soit
bien conçue, cette mission ne peut atteindre son but, si elle n'est pas
bien exécutée.
C'est ainsi que nous examinerons dans la seconde partie, les
approches possibles pour réussir d'enracinement des droits de l'homme au
Tchad en sachant que cet enracinement doit commencer nécessairement par
l'amélioration des situations actuelles des droits de l'homme pour
déboucher sur les éléments concrets de cet
enracinement.
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