II. LA CREATION DES ANCIENNES
PLANTATIONS COLONIALES EN PAYS
BAMOUN : LE CAS DE LA C.O.C
L'administration coloniale s'est entourée d'un
aréopage de dispositions juridiques inspirées du droit moderne
romain pour régir la tenure des sols des peuples aux droits
différents. La situation de floue qui existe en la matière
traduit la pluralité des normes sensées
règlementées le droit au Cameroun. Entre norme de
sécurisation moderne romain garanti par le titre foncier et celui du
droit coutumier, au Cameroun en général et en pays Bamoun en
particulier, les rapports de force sont en faveur des gouvernants, les
gouvernés doivent se
22 Njoya, 1952, p.119
32
conformer aux directives des premiers. Depuis la
conquête coloniale, s'est superposée à ces systèmes
fonciers locaux, une législation nationale imposée par le
colonisateur où, les colonisateurs successifs fondée sur des
principes différents et surtout orientée vers les
intérêts du colonisateur (Lavigne Delville et al. 2002).
En effet, les législations coloniales relatives à la terre et aux
ressources foncières en général étaient
inspirées de celles en cours dans les pays colonisateurs,
nuancées en fonction de leur compréhension des systèmes
locaux et des intérêts coloniaux (Lavigne Delville et Chauveau,
1998).La création de ces anciennes plantations coloniales en pays
Bamoun, en particulier la C.O.C obéit à cette logique mais
néanmoins, renferme quelques zones d'ombres, qui font aujourd'hui
à ce que cette plantation soit une arène perpétuelle de
confrontation entre les différents acteurs du jeu foncier dans cette
localité, un terreau de conflit à caractère sanglant qui
fragilise le devenir même des ruralités existantes ainsi que celui
des paysanneries de cet espace rural.
a) Les titres fonciers hérités de la
C.O.C : entre légitimité et légalité
La réglementation du droit de propriété
au Cameroun ne reconnait qu'un seul document pour sécuriser la
propriété foncière : le titre foncier. Ce dernier est le
document officiel attestant de la propriété inaliénable
d'un individu sur une portion du territoire national qui devient de fait sa
propriété privée. Ce titre n'existe pas
nécessairement dans tous les pays. Il apparaît dans les pays
où le droit de propriété est reconnu par l'autorité
administrative. Quand le principe de l'immatriculation est appliqué
comme c'est le cas au Cameroun et dans les anciennes colonies
françaises, le titre foncier est une copie de l'inscription des droits
du propriétaire au livre foncier.
Avec une superficie de 2400 hectares pour quatre titres
fonciers, la C.O.C est l'exemple type d'une compagnie agricole à
caractère industrielle. Celle-ci a été acquise pour 59340
francs par un groupe de banquier de Lyon (France). Dongmo (1987) dira que c'est
au prix de rien qu'ils (colons français) ont acquis des terres dans les
hautes de l'Ouest Cameroun en général et du plateau Bamoun en
particulier.
N°
|
concession
|
Numéros de titres fonciers
|
Superficie totale (ha)
|
1
|
Monoun
|
T.F n°2 inséré au livre foncier de Dschang
Volume I
|
928,4867
|
2
|
Noun
|
T.F n° 15 et 19 : inséré au livre foncier
de la région du Noun volume I
|
997,7964
|
3
|
Lounga
|
224,7949
|
33
4
|
Foumbèn
|
T.F n° 509 inséré au livre foncier du
département Bamoun volume II
|
241,6420
|
Total
|
2400ha
|
Tableau 5 : Concessions et titres fonciers de la
C.O.C
Ces titres fonciers acquis de la C.O.C, en l'occurrence
quatre, ont été inscrit dans le livre foncier et fait partie
intégrante du domaine français. En effet, la France dans
l'administration sous mandat de la S.D.N du Cameroun, prit des mesures
réglementant la tenure foncière et le droit des
communautés indigènes en la matière. Parmi les autres lois
foncières qui ont été passées en revue mais qui ne
sont plus en vigueur figurent :
- l'arrêté du 15 septembre 1921,
déterminant les conditions d'application du décret du 11
août 1920 sur le domaine privé de l'État dans les
territoires du Cameroun ;
- le décret du 21 juillet 1932 instituant au Cameroun
le régime foncier de l'immatriculation ;
- le décret du 12 janvier 1938 et son
arrêté d'application du 31 octobre 1938 sur les questions
foncières et la loi n° 59-47 du 17 juin 1959 portant organisation
domaniale et foncière.
DROIT SUPREME
Loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant
révision de la Constitution du 2 juin 1972 (en vigueur depuis
2001).
DROIT EN MATIERE DE REGIME FONCIER
Ordonnance n° 74-1 du 6 juillet 1974 fixant le
régime foncier et intégrant la modification de 1977.
Loi n° 83-19 du 26 novembre 1983 modifiant les
dispositions de l'article 5 de l'ordonnance n° 74-1du 6 juillet 1974
fixant le régime foncier.
LOI RELATIVE A L'IMMATRICULATION FONCIERE (DROIT DE
LA PROPRIETE PRIVEE).
Loi n°76/25 du 14 décembre 1976 portant
organisation cadastrale.
Décret n° 76-165 du 27 avril 1976 fixant les
conditions d'obtention du titre foncier, tel que modifié.
Décret n° 2005/481 du 16 décembre 2005
modifiant en complétant certaines dispositions du décret n°
76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d'obtention du titre foncier.
Décret n° 2005/481 du 16 décembre 2005 modifiant et
complétant certaines dispositions du Décret n°
76-165.
LOIS FONCIERES NATIONALES/ETATIQUES
Ordonnance n° 74-2 du 6 juillet 1974 fixant le
régime domanial.
Décret n° 76-166 du 27 avril 1976 fixant les
modalités de gestion du domaine national.
DOMAINES DU GOUVERNEMENT
Décret n° 76-167 du 27 avril 1976 fixant les
modalités de gestion du domaine privé de
l'État.
Décret n° 95-146 du 4 août 1995
modifiant et complétant certaines dispositions du Décret n°
76-167.
Loi n° 80-22 du 14 juillet 1980 portant
répression des atteintes à la propriété
foncière et domaniale.
Décret n° 84/311 du 22 mai 1984 fixant les
conditions d'application de la loi n° 80-22 du 14 juillet 1980 portant
répression des atteintes à la propriété
foncière et domaniale. ACQUISITION DE TERRES POUR CAUSE D'UTILITE
PUBLIQUE
Loi n° 85-09 du 4 juillet 1985 relative à
L'expropriation pour cause d'utilité publique et aux modalités
d'indemnisation.
Décret n° 87/1872 du 16 décembre 1987
portant modalités d'application de la loi n° 8509 du 4 juillet
1985.
Instruction n° 000005/I/Y.25/MINDAF/D220 du 29
décembre 2005 portant rappel des règles de base sur la mise en
oeuvre du régime de l'expropriation pour cause d'utilité
publique.
|
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TENURE DES RESSOURCES NATURELLES
Loi n° 94-01 du 20 janvier 1994 portant
régime des forêts, de la faune et de la pêche,
ainsi que la législation subséquente dont
la liste figure dans l'encadré n° 3 (chapitre
3).
Loi n° 96-12 du 5 août 1996 portant loi-cadre
relative à la gestion de
l'environnement.
Loi n° 2001-1 du 16 avril 2001 portant Code
minier.
Loi n° 2002-003 du 19 avril 2002 portant Code
général des impôts de la
République du Cameroun.
Loi n° 2002-013 du 30 décembre 2002 portant
Code gazier.
Décret n° 97/116 de 1997 fixant les
conditions et modalités d'application de la loi n°
96/14 du 5 août 1996 portant régime du
transport par pipeline des hydrocarbures
en provenance des pays tiers.
DROIT RELATIF AUX COLLECTIVITES LOCALES
Loi n° 2004-17 du 22 juillet 2004 d'orientation de
la décentralisation, ainsi que la loi n° 2004-18 du 22 juillet 2004
fixant les règles applicables aux communes et la loi n° 2004-19 du
22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux
régions.
Encadré n° 2 - Les principales lois
foncières en vigueur affectant les intérêts des
propriétés communales rurales au Cameroun
Le décret du 11 août 1920 complété par
l'arrêté d'application du 15 septembre 1921 distingue en dehors
des terrains vacants et sans maitre,
? Les terrains appartenant à des indigènes ou
à des collectivités indigènes en vertu de la coutume et de
la tradition mais pour lesquels n'existe aucun titre de propriété
écrit.
? Les réserves, terrains situés autour des villages
sur lesquels les indigènes pratiquent leurs cultures, recueillent ce qui
est nécessaire à leur existence, font paitre leur troupeau,
etc..., mais sur lesquels ils n'ont en fit qu'un droit d'usage et non un droit
de propriété.
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Ce même décret leur permettait de faire constater
leurs droits fonciers. Les décrets du 20 août 1927, du 21 juillet
1932 et du 2 février 1949 abondent dans le même sens (Moupou, 1991
; p.67).
Le décret du 11 août 1920 attribue à la
France, les terres vacantes et sans maitre suivant la formule de l'article de
l'article 539 du code civil français. Ce décret est abrogé
et remplacé par celui qui constate et déclare domaniales, les
terres vacantes et sans maitre et attribue la propriété au
territoire. Le décret n° 55-581 du 20 mai 1955 modifiant et
complétant celui du 22 octobre 1938 fixant les modalités
d'applications des décrets des 12 et 19 janvier 1938, portant
organisation du régime des terres domaniales au Cameroun, maintient le
principe selon lequel les terres vacantes et sans maitre appartiennent au
territoire.
Les cessions et les concessions, régies par les
décrets du 15 septembre 1921 et du 12 janvier 1938 distinguent les
concessions urbaines des concessions rurales et permettent aux populations
d'obtenir des droits réels sur des espaces dans des régions
où ils sont considérés comme étrangers. Ainsi,
suivant le décret du 20 mai 1955, une concession est accordée
suivant les dispositions du décret du 12 janvier 1938 après
constatation des droits coutumiers pouvant exister sur le terrain et lorsqu'il
est déclaré vacant et sans maitre. S'il est au contraire soumis
à des droits coutumiers, le détenteur de ces droits peut les
abandonner au profit du demandeur de concession. Ainsi, « le
territoire n'intervient plus dans la transaction pour imposer à ce
dernier des conditions de mise en valeur. Avant d'en arriver là, il a
fallu attendre longtemps » (Auber, 1956)
Brassé dans ce cortège juridique, les titres
fonciers de la C.O.C, furent établit et acquis au nom de celle-ci par
des banquiers français. Cette situation n'était pas de nature
à engendrer un conflit, or en 1974, l'Etat du Cameroun opte pour des
reformes. l'ordonnance n°74-1 du 6 juillet 1974 fixant le régime
foncier et le décret 76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions
d'obtention du titre foncier modifié par celui n° 2005/481 du 16
décembre 2005 qui, instituent la propriété privé au
détriment de la propriété collective, fait de
l'immatriculation le seul moyen d'accès légal et de
sécurisation des droits fonciers et met toutes les terres non
immatriculées sous la garde de l'Etat. Ainsi leurs terres
énumérées, les détenteurs de titre de
propriété doivent s'acquitter de taxe sur la redevance
foncière.
Cette ordonnance du 6 juillet 1974 laissait une période
allant de un à dix ans pour la retranscription des anciens titres de
propriétés qui avaient été délivré
avant la publication de cette ordonnance de 1974, or les titres de la C.O.C, se
retrouvent dans ce sillage. Par ailleurs d'après le principe de
territorialité, en matière foncière au Cameroun, la
retranscription ou la
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mutation des titres de propriété d'un domaine ou
d'un terrain doit se faire par devant une autorité juridique
compétente, en l'occurrence l'autorité notariée de la
circonscription administrative dans laquelle se situe le bien.
Au sujet de la légalité des titres fonciers
hérités de la C.O.C, il y aurait donc un problème de
compétence juridique : des juridictions française et
camerounaise, laquelle est-elle compétente du point de vue
territoriale?
Les camerounais ignorent la loi foncière, ils ne savent
pas que toutes les terres du Cameroun appartiennent à l'Etat, car
celui-ci a le droit de préhension.
Fochivé aurait obtenu une mutation des titres de la
C.O.C au quai d'Orsay, ce qui est à l'encontre du principe de
territorialité, car c'est devant le notaire de Foumban que devait se
faire cette mutation. C'est une fraude, et jusqu'à présent au
conservatoire, ces titres fonciers de la C.O.C restent inchangés, le nom
de Fochivé ne figurent nulle part ailleurs. A propos même de ces
anciennes plantations (C.O.C) le ministre des Domaines Cadastre et des Affaires
Foncières, a parlé de cause d'utilité publique et
bientôt même il y aura des commissions pour le rebornage de ces
domaines...
C'est délicat, ça fait problème
énorme, tous ces titres abandonnés par les blancs font
problème.
Chef service départemental du MINCAF de
Foumban .
Source : enquête de terrain, Avril 2016
Encadre 3 : entretien avec le chef section
départemental des Affaires Foncières du Noun
A la mort de Fochivé, les ouvriers n'étaient
plus payés. Des groupes de personnes s'installèrent de force,
arguant qu'il s'agit d'un legs colonial, et donc pas question de partir. Or, de
son vivant Fochivé la gérait (C.O.C) par l'entremise des
personnes (déléguer la gestion à quelqu'un). Quand il
meurt, ses enfants font appel à des partenaires nationaux qui pour la
plupart sont des natifs de la région. Quand la société
(C.O.C) fait faillite, chacun des actionnaires veut se tailler la part du lion
d'où certains conflits fonciers enregistrés.
Depuis cinq ans que je suis en service ici au TPI de Foumbot,
je n'ai jamais vu un enfant de Fochivé venir se plaindre. Mieux encore,
dans nos archives et dans les dossiers qu'on nous transmet, il n'y a jamais eu
de plainte pour atteinte à la propriété foncière,
mais juste des plaintes pour trouble de jouissance.
Quand bien même quelqu'un se plaint, il réclame
les retombés des transactions avec la famille Fochivé...
Le procureur du TPI de Foumbot
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Source : enquête de terrain, Juin 2016
Encadre 4: entretien avec monsieur le procureur du
T.P.I de Foumbot
Les encadrés précédents sont des extraits
d'interview faite à un personnel d'administration du MINDCAF et au
procureur de la république du Cameroun, près le TPI de Foumbot.
Ils traduisent une certaine insuffisance sur la clarté de la reprise des
titres de la plantation de la C.O.C par Jean Fochivé, car l'on se pose
bien la question de savoir : comment ce personnage d'un tel calibre, qui
n'ignore sans doute pas la loi, va-t-il préféré
retranscrire ses titres fonciers au Quai d'Orsay (France) ? Cette situation est
d'autant plus floue et très embarrassante pour comprendre et analyser
l'histoire et le fonctionnement de cette plantation quand l'on sait que
malgré tous les troubles et les multiples assauts villageois sur ce
domaine, les enfants de ce dernier n'ont jamais porté plainte pour
atteinte à la propriété foncière, la plupart des
plaintes enregistrés au tribunal de première instance de la ville
de Foumbot, étant de l'ordre des troubles de jouissance. La question de
la légalité des titres fonciers ou de la légitimité
réclamer par les populations et par les paysans, au sujet de
l'occupation de ce domaine, trouve son sens dans cet ordre d'idée, car
si les enfants du défunt Fochivé ne sont pas propriétaires
légaux de cette ex-plantation coloniale à caractère
industrielle, les populations et paysans qui occupaient ce domaine se
revendiquent comme légitimes à l'occupation et à la mise
en valeur de celle-ci.
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