Ière PARTIE : HISTOIRE DE LA PLANTATION ET DE
SON ACCAPAREMENT FONCIER SUR L'ESPACE ENVIRONNANT
Pour comprendre davantage les stratégies paysannes
d'accès et de contrôle de la terre tout autour et dans les
plantations de la C.O.C., il est important de marquer un temps d'arrêt
sur l'histoire de la plantation de la C.O.C et de l'accaparement foncier dont
elle a fait et continue encore de faire preuve de nos jours, il nous semble
donc logique d'analyser notamment la situation foncière du pays Bamoun
en général et les circonstances de l'implantations des
plantations coloniales en particulier la C.O.C, et enfin tenter une
clarification même des titres de propriété de cette
plantation.
I. SITUATION FONCIERE PASSEE ET ACTUELLE DU PAYS
BAMOUN
1. Hiérarchisation du pays Bamoun et stratification
de la tenure du sol
Situé entre 4°26'- 6°15'50'' N et 10°15'
et 11°30' E, en contrebas de la dorsale camerounaise composée de
sommets imminents (Manengoumba - 2411m, Bamboutos - 2740m, Oku - 3011m), le
pays Bamoun18 fort de ses 7687 km2 se déroule en une
série de collines convexo-concaves que surmontent les unités
topographiques que sont le Mbetpit, le Nkogham et le Mbam ; celles-ci
recouvertes en partie par des cuirasses d'accumulation héritées
des variations climatiques du quaternaire. La région ayant
été affectée par une forte activité volcanique, les
collines et les espaces environnants se sont recouverts de cendres et des
cratères et des lacs s'y sont formés (S. Morin, 1989, 118p.).
L'on y observe une organisation de type pyramidale, doté d'institutions
fortes. À la tête du royaume : le roi (Mfon), assisté de
trois adjoints (Nji Ngbetnyi) et de sept conseillers du royaume (Komngu) et
à la base les paysans. Le royaume Bamoun est comme un Etat dans 1'Etat.
C'est un « grand finage » au sens propre du terme,
c'est-à-dire, un territoire sur lequel les populations
installées, exercent leurs droits agraires. Traditionnellement, la terre
est le bien collectif de tous les habitants. Chaque individu peut recevoir en
jouissance, une parcelle du patrimoine communautaire.
18 Confère annexe 2 : carte de localisation du
pays Bamoun (Noun)
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Parlant de la stratification de la tenure du sol en pays
Bamoun, le roi, en sa qualité de possesseur de toutes les terres,
découpe le territoire de la chefferie en sous-chefferies ou en
quartiers, à la tête desquels il place des chefs, auxiliaires. Ces
derniers ont, entre autres, la charge d'installer les ressortissants qui
désirent exploiter une parcelle de terre sur les portions du territoire
qui leurs sont confiées.
Le paysan était à la base, il avait le droit
d'usage et en aucun cas celui de propriété et par
conséquent, il ne pouvait aliéner la terre. La descendance
pouvait dans une certaine mesure continuer à l'exploiter mais disposait
des mêmes droits que ses ancêtres. Il fallut attendre les reformes
du Fon Njoya de son retour de Victoria en 1905, lorsqu'il déclare :
« l'arbre qui est planté par un homme devient la
propriété de cet homme »19
L'ensemble des terres était divisé en domaines
sur lesquels étaient installés les chefs de lignages (Nji Ngwen),
les princes (Njimonfon), les intendants (Mutnjü Ngwen), les colons
(Noufà) et les serviteurs (Kpèn). Chaque catégorie sociale
a ses attributions qu'elle n'outrepasse point sous peine de
sévères sanctions.
La cour royale est complétée par un
aréopage composé d'une noblesse palatine dont Njifonfon,
Titafon, Komshushut, Titangu, Tupanka, Manshut, Shushut. La
reine mère (Sheitfon) a joué un rôle important
dans la vie de la nation. Les reines (Ne gbiéfon) et les
princes (Njimonfon) occupent une place de choix dans la
société. Un hommage particulier fut rendu à l'oncle du roi
Njoya.
La population est composée de dignitaires et de
serviteurs (Kpèn). Chaque unité
élémentaire a à sa tête un
«Ngâjü» qui se réfère à un
«Nji» qui est soit son père, soit son maitre. Les
hommes libres étaient inexistants, le statut de la noblesse pouvant
disparaitre du jour au lendemain. Le serviteur est inaliénable ; un
service mal rendu était un motif pour être vendu. Une femme
soupçonnée de maléfice était vendue.
Nji et Monji sont des nobles qui entretenaient le roi
du fait de leur importance économique. Une personne d'origine servile
pouvait devenir Nji pour sa bravoure.
L'instance suprême est le
`Mutngu», organe de police, de justice et même
de gouvernement qui peut déposer le roi en cas de
nécessité. Il est composé de notable appartenant le plus
souvent à la génération du défunt roi ou ayant
servi sous lui.
19André, op. cit
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Sources : M. MOUPOU, 1991 ; WARNIER (J.P), 1984
Encadré 1 : Instances juridictionnelles du
pays Bamoun
a) le roi gardien des terres
Le roi a le droit de disposition sur toutes les terres de son
royaume. Il exerce ce droit en qualité de garant et gardien des terres
pour la nation. Exception des terres appartenant aux Kom, il avait le
pouvoir de procéder à une redistribution des terres non mises en
valeur, de disperser des terres des njü (concessions) dont les
habitants n'avaient pas respecté la politique agraire du royaume. Aucune
procédure ou démarche foncière ne peut s'effectuer sans
l'approbation du roi ; NJOYA20 est très clair dessus.
Personne ne peut vendre une parcelle de terrain sans
autorisation du roi. Le roi donne une notification de vente au vendeur, ainsi
qu'à l'acheteur et inscrit la vente dans son livre».
Etant le Mfon Pamom, toutes personnes
installées sur le territoire Bamoun devait verser des tributs au roi.
Les taxes ainsi recueillies contribuaient au financement des projets du royaume
et permettant ainsi le fonctionnement de cette dernière. Or avec
l'arrivée des colons français, et plus tard la titrisation des
domaines qui s'en ait suivi, l'équilibre se trouve bouleverser car il y
a une suppression des tributs à verser à la chefferie, mais
encore la main d'oeuvre qui pouvait encore servir à la
réalisation de certains grandes infrastructures du royaume se retrouvent
enrôler parfois même de force c'est-à-dire contre leur
gré, dans les grandes plantations coloniales.
De plus les migrants non autochtones qui arrivent ne sont plus
sous l'autorité du roi mais plutôt des maitres des domaines, ce
qui veut dire qu'ils sont non seulement exemptés de payer des tributs
sur la taxe foncière au sultanat, mais en plus ne sont pas tenus
d'apporter des présents en culture lors de la fête du
Ngouon21.Cette situation ainsi décrite contribue
à fragiliser l'autorité et le rôle du pouvoir coutumier
Bamoun dans la gestion foncière de son territoire. La terre en pays
Bamoun n'étant pas à vendre, mais pouvant tout au plus être
louée, et le roi en qualité de gardien des terres et garant de la
distribution auprès des paysans et des allochtones qui en font la
demande, y veille personnellement, car il en va de l'intérêt de
la
20 TARDITS, 1980, p.381
21 Fête traditionnelle du peuple Bamoun,
autrefois elle désignait la fête de récolte, mais avec le
temps celle-ci est devenue l'identité même de ce peuple de
vaillant guerrier.
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communauté. Il faudra attendre l'arrivée des
Français en 1916 pour voir apparaitre les premières ventes de
terres (Moupou, 1991).
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