II.LES STRATEGIES D'ACCES ET DE CONTROLE DE LA TERRE A
LA C.O.C.
Pour accéder véritablement à la terre et
y déployer des systèmes de productions, les paysans
développent des stratégies à la fois collectives et
individuelles :
? Stratégie collective dans ce sens où il s'agit
d'un groupe. À ce niveau l'individu en tant que entité propre
n'apparait pas encore. L'installation des paysans, migrant ne peut se faire que
par une autorité puissante qu'incarne le roi des Bamoun. Aucun Nji
Ngwèn ne peut installer un migrant sur ses terres sans le
consentement et l'approbation du roi. De tels actes nécessitent
très souvent une sorte de reconnaissance du groupe vis-à-vis du
sultanat et de l'autorité traditionnelle qui leur a facilité
l'accès à la terre. Ces paysans doivent en contre partie des
parcelles qui leurs sont cédés, payer des tributs aux
autorités traditionnelles en l'occurrence le Nji Ngwen qui se chargera
de l'apporter au sultan lors de la fête du Ngouon; lesquels tributs
très souvent se font en dons de produits issus des parcelles
reçues.
? Parlant des stratégies individuelles d'accès
à la terre à la C.O.C, l'avènement de l'idéologie
capitaliste a fait de la recherche du profit, un pilier essentiel de sa
stratégie d'action, favorisant ainsi le développement des
comportements opportunistes des uns au détriment des autres.
Plutôt que l'intérêt du groupe, l'on pense d'abord à
soi-même. Ainsi, pour accéder à la terre dans les
plantations de la C.O.C, les paysans usent plusieurs moyens à savoir
:
? le don : la reconnaissance de l'autorité Bamoun sur
le territoire donne aux étrangers des facilités à
s'installer sur le territoire Bamoun, d'obtenir des terres à cultiver.
Pour obtenir un service en pays Bamoun d'un autochtone ou de l'autorité
traditionnelle (Nji Ngwen), et parlant, de la terre, le migrant doit faire
preuve d'une grande humilité qui s'apparente à la
servilité et reconnaitre le pouvoir Bamoun et son roi. Les paysans
Bamilékés mieux que les autres tribus présentes à
la C.O.C, l'ont bien compris, car en offrant des présents de cultures
aux chefs traditionnels, ils traduisent par là leur reconnaissance des
structures foncières Bamoun, ainsi l'autorité du roi sur
l'ensemble de ces terres.
? La location des terres comme stratégie individuelle
d'accès à la terre, est la plus répandue dans les
plantations de la C.O.C. La terre est à louer mais pas encore à
la vente, pour des sommes comprises entre (30000- 400000 francs CFA / ha pour
une durée n'excédant pas trois ans), selon la superficie
demandée. Ce mode de cession des droits sur la terre à la C.O.C
obéit à une structuration assez particulière. Outre les
chefs traditionnels (Nji Ngwen), les gardiens de cette plantation qui ont
été mandaté par la famille Fochivé sont les
personnes à la base de ces transactions dans cette plantation. Les
entretiens avec les paysans nous permettent de relever qu'à la C.O.C,
cette stratégie d'accès à la terre est la plus
utilisée sinon la plus répandue.
Pourquoi me demander comment je fais pour avoir des terres
à cultiver... ? Il est très clair, l'autre jour même l'un
des gardiens de la C.O.C. m'a dit qu'il fallait que je pense à venir
renouveler mon contrat de location si je veux continuer d'exploiter mes
parcelles, vu que celui-ci arrive à expiration cette année.
Tout comme moi, les autres personnes qui travaillent les
champs dans la C.O.C. sont des locataires, en dehors de la famille
Fochivé et des personnes qui ont obtenu d'eux le fait d'exploiter des
parcelles gratuitement, tout le monde payent pour travailler là-bas.
Depuis bientôt six ans, le prix des parcelles a
augmenté. Je paye de nos jours pratiquement le double du prix que je
payais il y a quinze ans pour une même parcelle d'environ 800
m2. Et j'ai l'impression que bientôt je n'aurai plus de terre,
puisque j'aurai plus les moyens de les louer, c'est devenu trop cher....
Source : enquête de terrain, Juin 2016
Encadre 9 : entretien avec Bopda, 60 ans, paysan
Bamiléké à la C.O.C
La demande des terres est devenue trop importante ici à
la C.O.C. durant cette dernière décennie, car dans les environs
il en manque. Nous, nous ne sommes que des gardiens. Notre rôle se limite
au contrôle. On se rassure que les personnes qui travaillent dans la
plantation ont bien un laisser passer (certificat de location) encore valide,
sinon on vous expulse tout simplement.
C'est vrai que la terre ici à la C.O.C. on la loue
à tous ceux qui en éprouve le besoin, que pouvions nous faire
d'autres ? Nous n'allons pas tout simplement donner des terres aux gens
gratuitement or nos patrons ont payé pour l'avoir. Il faut bien qu'on
rentabilise et qu'on justifie notre travail devant nos patrons sinon, notre
rôle ne sert à rien ici.
70
Source : enquête de terrain, Juin 2016
Encadre 10 : entretien avec Danger., 63 ans, gardien
à la C.O.C
? L'héritage des terres par succession comme moyen
d'accès à la propriété foncière.
L'héritage est important et stratégique dans le processus de
déroulement des générations au sein des familles et des
lignages (Fortes 1962). Il occasionne la négociation des
identités des individus et structure les rapports de pouvoir et
d'autorité au sein de la parenté. Il est le mode dominant des
dispositifs coutumiers d'accès et d'appropriation de la terre dans les
sociétés agraires africaines (Hill 1964; Gulliver 1961). Son
importance politique, économique et symbolique en fait une source de
tensions et de conflits ; Et ces tensions intrafamiliales autour de
l'héritage peuvent se transformer en conflits intercommunautaires (Colin
2004).À la C.O.C, ce moyen d'accession à la
propriété foncière est permanent. Non pas d'être le
plus dominant, elle y existe néanmoins et conditionne l'accès
à la terre d'un certain nombre d'autochtones dont les parents
décédés, laissent des terres en partage.
don
héritage
location
15
28
157
0 20 40 60 80 100 120 140 160 180
Source : enquête de terrain février- juillet 2016
Graphique n°3 : Mode d'acquisition des
terres dans les plantations de la C.O.C et ses environs
71
L'acquisition des terres ici à la C.O.C. ne se fait pas
au hasard, puisque c'est une zone conflictogène, les acquéreurs
et les demandeurs de terre suivent ont une logique qui semble se concevoir de
la manière suivante : « ne passons pas plus de temps à
la C.O.C. car l'on ne sait jamais quand est-ce que surgira un autre conflit
sanglant, allons-y juste lors des périodes de mise en
cultures...». À cet effet, des sujets enquêtés
entre février et juillet, à la C.O.C., le graphique suivant a
été élaboré.
20
100
30
2 0
10
1 0
31
4 2 0
Source : gestionnaire C.O.C. (2015), Mars 2016
Graphique n°4 : Tendance de location et
d'acquisitions des terres à la C.O.C.
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