2.2. Modes d'accès au foncier rural dans la
Commune de Klouékanmè
2.2.1 Historique de l'occupation des terres dans la Commune
de Klouékanmè
L'occupation primitive du sol (principe
d'antériorité de l'installation) dans la Commune de
Klouékanmè confère aux acteurs (groupes socioculturels
premièrement installés), des droits fonciers coutumiers (droit de
feu et de hache) qu'on peut qualifier de droits de "propriété de
fait". L'occupation se faisait donc
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par libre installation où l'on défriche l'espace
libre jusqu'à la lisière du champ voisin, où que l'on
s'arrête après épuisement total de la force de travail. Les
droits de propriété foncière s'enracinent
définitivement avec le temps lorsque le même espace est
cultivé par le même groupe durant un temps relativement long. Les
stratégies liées à ce mode d'appropriation de l'espace
sont l'organisation de certaines cérémonies qui permettent
à l'occupant de s'assurer que l'endroit qu'il a choisi est propice
à son installation.
Elles varient d'un groupe socioculturel à un autre et
d'un lignage à l'autre. Des pratiques d'occupation primitive du sol,
découlent d'autres modes d'appropriation collective des terres que sont
la donation coutumière au sein des lignages. Le don est
fait pour récompenser un bienfaiteur, soit pour témoigner sa
générosité envers un ami, un frère ou un voisin,
soit encore pour éviter d'être exposé aux attaques. Les
transactions foncières s'opéraient donc entre groupes parentaux
et amis contre échange symbolique de biens tels que : le tabac,
l'alcool, les animaux (petits ruminants, coq).
Ces biens servaient à l'organisation d'une
cérémonie coutumière appelée « botonou»
en adja, la langue principale de la Commune. La cérémonie de
« botonou » constitue en fait un pacte entre les parties, autrement
dit un acte officiel de vente et de publicité restreinte à
laquelle sont conviés parents, amis et limitrophes de la parcelle
concernée et qui tiennent lieu de stratégies de
sécurisation. Ces domaines coutumiers, lignagers ont disparu du paysage
coutumier dans la Commune, sauf les reliques forestières sacrées
tenant lieu de culte endogène, au profit des domaines individuels.
L'occupation primitive du sol et le droit de
propriété lignagère ont donné lieu à des
modes secondaires d'accès individuel (ou groupes d'individus) à
la terre encore appelés modes dérivés.
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2.2.2. Modes d'accès au foncier rural dans la
commune
Plusieurs modes permettent d'accéder à la terre
dans la Commune. Au nombre des modes d'accès à la terre, on peut
citer : l'héritage, l'achat, le métayage, la location, le don,
l'emprunt et le fermage. De nos jours, tandis que des modes sont
émergents, d'autres sont tombés en désuétude.
Ainsi, le contrat palmier, le don et l'emprunt sont moins en vogue dans la
Commune. Quant à l'achat, il est de plus en plus pratiqué avec le
développement du marché de terre.
? Héritage : (égou doudou / tchinon
gnigban)
C'est le mode le plus dominant dans la Commune de
Klouékanmè. L'héritage est par excellence le mode
d'accès par lequel les enfants jouissent des biens de leur parent
défunt. A Klouékanmè comme chez la majorité des
Adja, seuls les enfants du sexe masculin ont droit à l'héritage
foncier.
En effet, une terre héritée confère
à l'héritier, tous les droits de propriété,
c'est-à-dire les droits d'administration et les droits
opérationnels. Les femmes sont exclues de l'héritage foncier car
chez les Adja, la terre selon la tradition est patrilinéaire et
virilocale parce qu'une terre héritée par une femme deviendra la
propriété des enfants du lignage de son mari, ce dernier
appartenant à un autre lignage. Cependant, des mutations sont
intervenues car de plus en plus, elles peuvent bénéficier de
certains principes très peu pratiqués. Il s'agit de la
possibilité de legs de terre d'un père à sa fille, de la
possibilité d'héritage si les descendants ne sont que des filles
uniques ou de la possibilité pour la famille ou les frères de
récompenser une fille ayant fortement investi dans les
funérailles de son père en lieu et place des garçons
(Biaou, 1998)
? Achat (gnigban hlouéhloué)
L'achat vient en deuxième position après
l'héritage. Il consiste à obtenir définitivement et
à titre onéreux, une portion de terre d'un individu appelé
vendeur. Ainsi le nouveau propriétaire c'est-à-dire l'acheteur
détient tous les droits de propriété (l'usus, le fructus
et l'abusus) sur le patrimoine foncier. L'achat de terre, apparu dans un
passé récent, est aujourd'hui fréquent à
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Klouékanmè. Il arrive que des cas d'achat soient
remis en cause pour défaut d'authenticité des actes de
transaction ou par escroquerie organisée par les vendeurs
eux-mêmes. Les cas de remise en cause d'acte de cession définitive
de parcelle, portent souvent sur les héritages non-partagés.
? Don (gnigban nanan gbidji- gbidji)
Mode d'accès à la terre depuis les temps anciens
jusqu'à un passé récent, le don est en voie de
disparition. Il consiste à céder définitivement un
patrimoine foncier à un tiers descendants, (neveux, oncle, ami, etc.)
à titre gratuit et sans exigence de contre partie en espèce ou en
nature. Les donateurs sont souvent de `grands' propriétaires terriens,
et l'acte de donation traduit généralement la volonté de
récompenser le donataire pour un service spécifique rendu ou un
comportement exemplaire ou encore selon les liens d'amitié ou de
parenté. C'est ce mode qui favorise plus les femmes en
générale dans le Couffo et en particulier celles de
Klouékanmè (Biaou, 1998)
? Location (gnigban haya-haya)
La location, apparue dans un passé récent (il y
a 20 à 30 ans) a connu d'évolution. Au départ, elle
consistait à louer une parcelle à un exploitant pendant une
longue durée variant entre 10 et 20 ans. Le prix de la location est
négocié et fixé en fonction de la superficie. Ce prix est
versé au début de la conclusion du contrat et demeure toujours
oral. Le locataire n'a de droit que sur les cultures saisonnières. Il
lui est interdit d'exploiter les cultures pérennes et d'entreprendre
certains aménagements sur la portion de terre (plantation d'arbres,
etc.).
Actuellement, la durée de la location varie entre 1
à 3 ans. Le prix du contrat est négocié par unité
de superficie, suivant le degré de fertilité des sols (1500
à 2000 F/ bowo équivalent 400 m2 par an).
C'est le mode qui permet surtout aux femmes et aux autochtones
sans-terres, d'accéder à la terre dans la Commune de
Klouékanmè et ceci surtout dans le Sud de la Commune. Si de plus
en plus, les propriétaires terriens optent pour la
location, c'est dans l'objectif de ne pas partager les risques
liés aux mauvaises récoltes (comme dans le cas de
métayage) et aussi de disposer de l'argent en espèce pour
résoudre les problèmes courants de la vie du ménage
(MCA-Bénin, 2008)
? Emprunt (gnigban wéwé)
Il consiste à mettre la terre gratuitement à la
disposition d'un individu pendant un certain nombre d'années. Ce mode
existait entre propriétaire et ami(s) ou autres membres de la famille,
dans un passé récent. Sous le mode emprunt, l'exploitant jouit du
droit d'exploitation des cultures non pérennes. Il n'a pas le droit sur
les arbres et fruitiers mais peut les entretenir. Par exemple, élaguer
les branches des palmiers afin de permettre la croissance des cultures. Lorsque
le champ est colonisé par les palmiers, ce dernier (l'exploitant) quitte
et cesse de mettre en valeur la terre. Ce sont le plus souvent, les femmes et
les jeunes sans terre qui ont accès à la terre par le mode
emprunt. Ce mode a évolué où il s'effectue entre les
membres d'une même famille surtout la famille restreinte : on parle de
l'affectation (MCA-Bénin, 2008)
? Métayage (déma)
Le métayage encore désigné par le terme
"Déma" en Adja, ce qui signifie littéralement "partage des
cultures mises en valeur", est l'un des modes d'accès à la terre
à Klouékanmè. Si au départ, il consistait à
partager les palmiers entre le propriétaire terrien et l'exploitant, ce
contrat est maintenant basé sur le partage des récoltes depuis
plus de 20 ans. C'est-à-dire que le propriétaire terrien laisse
sa parcelle au métayer pour exploitation et à la fin de chaque
saison agricole, le fruit de la récolte est partagé suivant une
clé de partage définie au début de la saison. En
règle générale, le partage se fait dans une proportion de
50 % pour chacun des bénéficiaires ou de 30 % pour le
propriétaire contre 70 % pour l'exploitant. Bon nombre d'exploitants ont
recours à ce mode dans la Commune de Klouékanmè parce que
ne possédant par de terre propre à exploiter. Ce sont
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surtout les jeunes agricoles, les femmes et les autochtones
sans-terres (MCA-Bénin, 2008)
? Fermage
Contrat de louer un espace rural sur une longue durée (20
à 30 ans) à un paysan pour des activités de production
animale comme végétale.
La figure6 illustre les différents modes d'accès
à la terre en milieu rural dans la Commune de
Klouékanmè.
Héritage Achat Métayage Location Emprunt Fermage
Don
Figure 6: Montrant les différents modes
d'accès à la terre en milieu rural dans la Commune Source
: Enquête de terrain, Octobre 2013
De l'analyse de la figure 6, il ressort que sur les 276
personnes enquêtées, 44 % sont des héritiers ; 24 % sont
devenus propriétaires par achat ; 17 % par métayage ; 6 % par
location; 4 % par emprunt; 3 % par fermage et 2 % par don. Donc l'accès
à la terre dans la Commune de Klouékanmè se fait
prioritairement soit par héritage ; par achat et par métayage.
En dehors de ces modes principaux d'accès à la
terre, les acteurs du foncier rural combinent des différents modes pour
bénéficier plus de terre. La figure 7 présente les
différentes combinaisons.
80 70 60 50 40 30 20 10
0
Héritage-Achat
Héritage-Mét ... Héritage-Locat
Héritage-Emp15 Héritage-Ferma
Héritage-Don Achat-Met Achat-Locat Achat-Empr Achat-Ferm
Achat-Don
Métayage-loc ... Métayage-Emp Métayage-Fer
Métayage-Don
Loc-Emp Loc-Fer Loc-Don
Emp-FER Emp-Don Fer-Don
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Figure 7: différentes combinaisons de
l'accès à la terre dans la Commune de Klouékanmè
Source : Travaux, octobre 2013
D'après les différents acteurs, ce sont :
l'héritage, la donation, et l'achat conférant le droit de
propriété ; l'emprunt, la location, le métayage et le
fermage qui confèrent l'usufruit des stratégies liées
à ces différents modes et celles de leur sécurisation ont
varié suivant le temps dans la Commune.
Avec la poussée démographique, d'autres
changements sont intervenus dans les modes d'acquisition à la terre.
Ainsi sont apparus l'emprunt, la location et l'achat. De nos enquêtes,
à Klouékanmè centre par exemple, le prix d'achat de
parcelle à cultiver varie entre (3.000.000) F.CFA à (3.500.000)
F.CFA l'hectare contre 1.000.000 à 1.500.000 francs l'hectare à
Sawamè hossouhoué. (Enquête de terrain Alofa, octobre
2013) ce qui fait que la terre n'est plus disponible sans argent dans la
commune.
La location varie entre deux mille cinq cents francs (2500 F)
et trois mille francs (3000 F) le Kantin (400m2) donc entre
soixante-deux mille cinq cents francs (62500 F) et soixante quinze mille francs
(75000 F) l'hectare par an. C'est-à-dire les deux saisons culturales
(xwé et zo en Adja). Quant au métayage, le propriétaire
terrien prend le tiers (1/3) de la récolte.
Les stratégies de sécurisation foncière
quant à elles varient aussi suivant les modes d'accès. En effet,
de nos jours, le recours aux bornes végétales
(Jatrofa
cacus « gbododoui », Dracaena arbora
« agnan » et erythrina senegalensis «
ahwici») devient le premier réflexe de sécurisation des
limites. Cette pratique ancestrale est toujours d'actualité dans la
Commune de Klouékanmè parce qu'elle est relativement efficace. En
effet, ces plantes résistent à la sécheresse à
cause de leur forte teneur en eau et leur forte capacité de
régénérescence.
D'autres ont recours à des cultures spécifiques
pour marquer les délimitations; c'est le cas des boutures de manioc, de
l'ananas, des pieds d'oranger, de teck ou encore de palmier à huile
qu'on plante sur les limites des domaines. Par ailleurs la figure
présente les différents types de plantes et les propitiations
La planche1 montre quelques espèces utilisées
pour la délimitation des terres en milieu rural de façon
traditionnelle.
P1a: montrant Dracaena P1b: montrant l'Erythrina senegalensis
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Planche1: montrant quelques espèces de
délimitation des terres en milieu rural dans la Commune de
Klouékanmè
Prise de vue : Alofa, octobre 2013
La figure 8 suivante trace quelques proportions de certaines
espèces dans la Commune de Klouékanmè.
Effectifs
150
100
50
0
Espèces
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Figure 8 : Type des plantes et leur proportion
pour la sécurisation foncière Source : Travaux
de terrain, octobre 2013
De l'analyse de la figure 8, il est constaté que les
pratiques traditionnelles utilisées pour sécuriser les terres
constituent l'implantation d'arbres sur les limites.
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