3.2 Investissement public et Investissement
privé
Malgré la pertinence des arguments théoriques en
faveurs des investissements publics, les études empiriques
énoncent des résultats contradictoires quant aux signes de la
relation entre l'investissement privé et l'investissement public.
Ce sont d'abord les travaux d'Aschauer (1989a,
1989b) qui ont provoqué un élan considérable sur
la question de la politique publique en matière d'investissement. Dans
une série d'études controversées, il soutient que
l'infrastructure de base constituée de routes, des systèmes de
transport en commun, des aéroports est une source importante de
croissance de la productivité américaine survenue après
1973 pourrait être attribué en grande partie au ralentissement
observé dans les investissements publics.
Ces arguments ont déclenché un vaste
débat sur les conséquences d'une telle conclusion au plan de
politique économique et ont fait ressortir des questions
économétriques importantes. En faisant abstraction des critiques
économétriques, des résultats d'Aschauer ne signifie pas
que l'on peut facilement améliorer la productivité du capital et
relancé la croissance économique par les investissements publics
massifs. L'auteur soulève en faite la question centrale du
déplacement de l'investissement privé par l'investissement
public, c'est-à-dire si l'investissement public exerce t-il un effet
d'entrainement (complémentaire) ou un effet d'éviction sur
l'investissement privé.
Il est évident que la réponse à une telle
problématique à des implications importantes en matière de
politique économique. Si l'hypothèse de
complémentarité joue, les dépenses publiques
d'investissement ne sont plus simplement un prélèvement, elles
sont également
créatrices de richesses. Au contraire l'effet
d'éviction conduit l'activité du secteur public à
s'implanter sur celle du secteur privé.
A la suite des travaux d'Aschauer des
études empiriques ont alors tenté d'examiner plus explicitement
la relation entre l'investissement public et l'investissement privé
L'origine de la controverse réside sans doute dans
l'indicateur d'investissement public considéré à cet
effet, la plupart des études empiriques butent sur le manque
d'indicateur d'infrastructures satisfaisantes, et s'appuient alors sur des
données agrégées sans pouvoir opérer une certaine
désagrégation. Or l'investissement public porte sur un ensemble
hétérogène de dépenses publiques qui ne sont pas
toutes productives pour le secteur privé.
Il s'agit par exemple des dépenses en équipement
militaire, des dépenses de construction d'école, de centre de
santé ou de centre culturels, qui ne peuvent améliorer de
manière immédiate et tangible le potentiel d'offre de
l'économie.
Une désagrégation apportera un éclairage
pertinent de l'effet de l'investissement public, pensé en termes d'effet
de l'investissement directement productif et d'effet de l'investissement en
infrastructure économique et sociale.
Mais aujourd'hui assez d'études empiriques ont
trouvé des effets de l'investissement public sur celui privé.
Mais pourtant, les résultats divergent à la nature de cet impact.
Les uns ont aboutit à une complémentarité, tandis que les
autres confirment l'hypothèse de l'effet d'éviction.
Dans les pays développés, les résultats
empiriques divergent beaucoup sur cette question. Des modèles
s'inspirent du cadre conceptuel Keynésien qui estime que
l'investissement public à un effet d'entrainement sur l'investissement
privé (Gupta et al 2002). D'autres études
empiriques révèlent que l'effet dépendrait du degré
de substituabilité entre l'investissement public et l'investissement
privé (Aschauer et Berehein 1989, Barro et Dessue Herrera 1996,
Gupta et Al 2002).
Dans les pays en développement beaucoup de
résultats empiriques ont été obtenus notamment :
43
Celui de Diallo Oumar (2010) étudie le
lien entre l'investissement public et l'investissement privé en
Côte d'ivoire (effet d'éviction ou effet d'entrainement) sur la
période 1970-2008.Pour mener son étude, il utilise le
modèle à correction d'erreur dont les variables retenues sont
essentiellement : l'investissement privé, le PIB réel, le
crédit au secteur privé en terme réel, le taux du
déficit budgétaire en terme réel, la dette
extérieure. En définitive, il ressort que l'investissement public
à un effet positif et significatif sur celui privé.
Autrement dit toute augmentation de 1% de l'investissement
public entraine une hausse de l'investissement privé de 0.52%, ce qui
confirme de sa part l'existence d'un effet d'entrainement entre
l'investissement public et l'investissement privé.
S'agissant de Ouattara (2004), trouve une
relation positive entre l'investissement privé et l'investissement
public pour le Sénégal, il ressort un effet d'entrainement de
l'investissement public sur celui privé.
Antérieurement, Ashipala et Haimodi (2003)
ont établit sur la base des tests de causalité une
complémentarité entre l'investissement privé et
l'investissement public pour la Namibie, l'Afrique du sud et le Botswana.
Peira (2001), a fourni également une
illustration très instructive quant à la nature de la relation
entre l'investissement privé et l'investissement public. En raisonnant
d'une part au niveau agrégé, l'auteur trouve une relation de
complémentarité entre ces deux types d'investissement. En
procédant d'autre part à une désagrégation des
investissements privé et public, il ressort que dans un tiers des cas
l'investissement public freinent l'investissement privé.
Pour Camara (1998), dans le cas du Mali,
démontre une certaine complémentarité entre
l'investissement privé et l'investissement public lesquels ont
exercé un effet positif et significatif sur l'activité
économique sur la période de 1980-1996. Traoré
(2001) aboutit à des résultats similaires.
Les auteurs Blejer et Khan en 1984 ont
établi le modèle de l'investissement privé qui comprend
quatre équations. La première constitue l'équation de
départ, à la quelle les auteurs ajoutent successivement des
variables jusqu'à obtenir quatre équations.
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Le modèle ici développé est une variante
du modèle de l'accélérateur flexible, adapté pour
incorporer quelques caractéristiques institutionnelles et structurelles
des économies en dévéloppement. Les quatre
équations du modèle ont été estimées pour 24
pays en dévéloppement sur la période 1971-1979.
Pour la première équation l'investissement brut
privé est fonction des mouvements cycliques du revenu, de la variation
du crédit réel bancaire, de l'investissement du secteur public,
de la formation brute du capital fixe privée.
Dans la deuxième équation on trouve les
mêmes variables explicatives que dans la première équation,
mais auxquelles on a ajouté la variation de l'investissement du secteur
privé.
La troisième équation, on retrouve les
mêmes variables de la deuxième équation, plus une autre
variable représentant l'investissement public en infrastructure.
Quant à la quatrième équation en plus des
variables de la deuxième équation, s'y ajoute une autre variable
qui représente l'investissement espéré.
Les résultats obtenus après les régressions
sont les suivants :
1. Avec les quatre équations, il apparaît que la
réponse de l'investissement privé aux mouvements cycliques reste
incertaine. En effet, même si le coefficient de la variable qui mesure
l'influence cycle est significativement différent de zéro au
seuil de confiance de 5% dans la première équation, il est
cependant peu significatif dans les trois autres.
2. l'effet de l'investissement public global obtenu à
partir de la première équation n'est pas significatif.
Cependant dès que l'on décompose cet
investissement public en investissement public infrastructurel et non
infrastructurel, l'analyse devient intéressante. En effet, avec la
troisième équation, on observe que la composante tendancielle de
l'investissement public réel exerce une influence positive sur
l'investissement privé réel, tandis que les écarts
à ce trend ont un effet négatif. Cela correspond bien à
l'hypothèse selon laquelle les investissements du secteur public
à long terme(ou infrastructurels) sont complémentaires à
l'investissement privé, alors
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que les autres types d'investissement public tendraient
à se substituer à l'investissement productif privé (effet
d'éviction de l'investissement privé par l'investissement
public).
3. Dans les quatre équations, l'investissement
privé réagit fortement et positivement aux variations de la
production réelle. On trouve en outre, dans les quatre équations,
des liens statistiquement significatifs entre les paramètres de la
politique du crédit et la formation de capital privé.
Malgré que tous les résultats confirment la
présence d'un effet positif de l'investissement public sur
l'investissement privé, mais pourtant on ne manque pas de souligner que
d'autres recherches trouvent le contraire. C'est le cas notamment des auteurs
comme :
Tukeren. A (2004) fait une étude dans
25 pays en développement et identifie 8 pays où l'investissement
public entraine l'investissement privé. L'effet d'éviction reste
élevé et significatif dans 11 pays, alors que dans 6 autres aucun
effet significatif n'est ressorti. Un effet d'éviction à
été mis en évidence par Kamgnia et Touma (2002)
pour le Burkina et le Cameroun.
Were (2001) a montré dans son
étude au Kenya que l'investissement public évince
l'investissement privé quoique son coefficient ne soit pas
statistiquement significatif.
Dans le cas de la Tunisie, Talb. Mousson (1996)
estime que l'investissement des administrations et des entreprises
publiques à une influence positif sur le secteur privé. Il faut
donc plusieurs années pour construire par exemple des routes et des
aéroports, donc cela demande un certain temps pour que le secteur
privé puisse utiliser ces infrastructures et ce délai est
estimé par les auteurs à trois ans (3ans).
Pour Fani(1994), l'élasticité
du taux d'investissement privé par rapport à l'investissement
public serait comprise entre 0,46 et 0,62 dans les pays de l'ACP (l'Afrique,
caraïbe et pacifique) pays majoritairement africains.
Un autre travail pionnier, est celui de Greene,
Villanueva « Private Investment in Developpin Countries »
(1991).Ces deux ont cherché à déterminer les facteurs qui
incitent le plus les investisseurs à investir d'avantage. En utilisant
les techniques de l'économétrie des données de panel sur
un ensemble des 23 pays en developpement, ils ont pu établir des
46
relations positives entre l'investissement privé et
l'investissement public, tandis que le taux d'inflation et la charge de la
dette ont des effets négatifs.
Dans le cadre des travaux de la
CEMAFI5, Mohamed Raja et Al, ont
cherché à déterminer les effets de l'investissement public
sur l'investissement privé selon deux étapes. La première
en utilisant les méthodes de cointégration et de Granger
causality, ils ont pu conclure que ces deux variables n'étaient pas
cointégrées et qu'il n'y avait aucun lien de causalité
entre eux. La seconde consistait en l'estimation de cette relation par la MCO
des séries stationnaires. Les résultats montrent une relation
négative non significative entre l'investissement privé et
l'investissement public. En somme, les deux étapes et à travers
les différents tests économétriques ont rejeté
l'existence d'un effet négatif ou positif de l'investissement public sur
l'investissement privé et inversement.
Néanmoins d'autres études ont aboutit à
l'influence d'autres variables sur l'investissement privé. C'est le cas
par exemple de Faruqee(1999), de Hadji Michael et de Ghura (1995).
Ces études menées sur l'Afrique sub-saharienne ont
signalé des effets négatifs du taux de change réel et des
termes de l'échange sur l'investissement privé.
Certains auteurs comme Marion(1999) à
travers son étude sur quarante six (46) pays en développement
durant la période de 1970-1992, MBanga et Sikod (2001)
au Cameroun ont obtenu les résultats similaires.
Latif Dramani, et Oumy Laye (2008), cherchent
les déterminants de l'investissement privé au
Sénégal, en utilisant la technique VAR structurel sur la
période 1980 à 2004. Leur analyse s'effectue sur des
sous-périodes (période PAS, période de dévaluation,
et la période de l'alternance).
Après leur étude, ils estiment que sur la
période PAS, le climat des affaires était le déterminant
principal de l'investissement privé. Avec l'avènement de la
dévaluation en 1994, on assiste à un retournement de tendance de
l'investissement privé et l'investissement public devient
préponderant.Toutefois, c'est l'alternance qui marque de façon
décisive la rupture de tendance, sur cette période les
dépenses publiques sont déterminants.
5 CEMA : centre d'étude en Macroéconomie et
Financière internationale.
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Après le long parcours sur les revues théorique
et empirique antérieures qui ont aboutit à des convergences et
divergence de point de vue, nous articulons la suite de notre étude sur
la modélisation de l'investissement privé au
Sénégal.
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