INTRODUCTION
Evaluer l'institutionnalisation du Tribunal Administratif dans
la région de l'Est revient à exhumer les logiques qui sou tendent
l'atteinte des objectifs fixés par la politique de la
décentralisation de la justice administrative au Cameroun. Dans cette
direction, les Policy analysis permettent ainsi d'évaluer
l'ingénierie sociale du Tribunal Administratif de la région de
l'Est pour ainsi faire ressortir les instruments qui permettront de mesurer
l'adéquation entre les objectifs visés par la politique, et les
résultats présentistes.
La sociologie politique du Tribunal Administratif de la
région de l'Est, dans son rapport avec la société
révèle, davantage les dimensions de sa nécessité
que celles de son utilité. En effet, l'institutionnalisation dans le
domaine de la sociologie de l'action publique ne permet pas seulement
d'appréhender les actions des institutions, mais les actions des divers
acteurs pris en réseaux d'interdépendance, impliquant ainsi
à différents niveaux ces logiques d'institutionnalisation. Compte
tenu de cela, l'institutionnalisation serait multi acteurs et multi niveaux. La
décentralisation de la justice administrative au Cameroun
analysée sous l'angle de la sociologie de l'action publique revient
à exhumer les dimensions verticales et top down d'une telle
action relativement à son utilité dans l'analyse de la relation
entre le tribunal et les populations de la région de l'Est.
La sociologie de l'action publique saisie par les institutions
met en exergue la nécessité de penser l'action
publique150 de l'institutionnalisation car une institution de
caractérise par sa durabilité et sa relation avec les acteurs qui
l'incarnent.
150P. Duran, Penser l'action publique, Paris,
LGDJ, 1999.
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l'Est
L'institutionnalisation d'une juridiction administrative dans
la région de l'Est analysée sous l'angle du néo
institutionnalisme sociologique permet en effet de mettre en relation la
politique de décentralisation de la justice administrative dans ses
rapports avec les populations de la région de l'Est mettant ainsi
à la lumière le déficit d'information (section I), tout
comme l'ignorance révélée des procédures de saisine
du juge administratif par les populations n'en constitue pas moins un
déficit de formation (section II).
Section I- La décentralisation de la justice
administrative au Cameroun et les populations de la région de l'Est
Les dimensions multi acteurs et multi niveaux de l'action
publique aujourd'hui, mettent en exergue les logiques de participation, sinon
de concertation, du moins d'implication des différents acteurs dans les
processus de façonnement, de fabrication et d'implémentation des
politiques publiques, car elles sont censées refléter une
réalité sociale qui s'est posée et s'est imposée en
tant que problème public. De ce point de vue, la décentralisation
de la justice administrative au Cameroun relativement à son
implémentation dans la région de l'Est correspond peu, à
la vision ou à l'effet qu'a voulu lui donner le politique151
(paragraphe 1). De plus, l'épreuve des faits et les descentes sur le
terrain permettent d'extraire chez les populations, les aspects liés
à une absence de vulgarisation de la décentralisation de la
justice administrative dans la région de l'Est (paragraphe 2).
Paragraphe 1- L'inadéquation de la vision de
décentralisation de la justice administrative dans la région de
l'Est
La décentralisation de la justice administrative telle
que pensée au Cameroun, avait pour intention et vision, de rapprocher la
justice administrative des administrés locaux, afin de combattre
l'arbitraire administratif dans toute l'étendue du territoire. Mais,
à l'épreuve des faits, cette vision n'en reste qu'une dans la
région de l'Est car, si le rapprochement du juge administratif des
administrés locaux a été l'un des points focaux de cette
politique, la distance demeure encore un obstacle important pour l'accès
à la justice administrative dans la région de l'Est (A), car il
était en effet possible de rapprocher la justice administrative
administrés locaux d'une autre manière (B).
151Entendu ici comme polity,
c'est-à-dire le système politique.
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A- Etat de la proximité entre la juridiction
administrative et les populations dans la région de l'Est
L'institutionnalisation d'un Tribunal Administratif, dit de
proximité dans la région de l'Est, n'a pas fondamentalement
changé les aspects liés à la distance,
appréhendée comme obstacle dans l'accès à la
justice administrative. C'est état des choses se vérifie
brillamment dans le fait que la région de l'Est est la plus vaste du
Cameroun, et les distances entre les départements, les arrondissements
et les villages (1) sont d'autant plus considérables que, les saisines
du juge administratif frisent le néant dans cette région (2).
1- Le maintien de l'obstacle lié à la
distance dans l'accès au juge administratif dans la région de
l'Est.
La région de l'Est qui a une superficie d'environ 109
002 Km2 compte quatre départements qui sont
considérablement éloignés l'un par rapport à
l'autre. Le Tribunal Administratif est logé dans la ville de Bertoua
chef-lieu du département du Lom- et-djérem. Cet état de la
décentralisation de la justice administrative dans la région de
l'Est ne peut pas facilement permettre aux populations de certains villages qui
sont considérablement éloignés de Bertoua d'avoir
accès au juge administratif.
Ainsi les descentes auprès des populations du nouveau
village Lom Pangar et du village Lom 2152 révèlent que
la distance entre ces villages et la ville de Bertoua demeure un obstacle
important dans la saisine du juge administratif, car 110 Km séparent la
ville de Bertoua et le village Lom 2. De plus, la distance qui sépare
les départements, les arrondissements et les villages de la
région de l'Est s'apprécie également comme des
écueils à l'accès à la justice administrative.
De ce point de vue, en prenant simplement les chefs-lieux des
départements, la ville de Batouri est séparée par 90 Km de
la ville de Bertoua, celle de Yokadouma nécessité un parcours de
279 Km pour les populations si celles-ci prétendent saisir le juge
administratif et la ville d'Abong-Mbang est séparée par 30 Km de
la ville de Bertoua. Cette distanciation entre les villes et les villages est
peut être à l'origine du caractère insignifiant du taux de
saisine du Tribunal Administratif de la région de l'Est.
152Villages où ont été
recasées les populations déguerpies pour la construction du
Barrage hydroélectrique de Lom Pangar
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2- L'insignifiante activité contentieuse du
Tribunal Administratif de la région de l'Est
L'exploration des minutes de greffes du Tribunal Administratif
de la région de l'Est révèle une activité
contentieuse qui frise le néant. En effet, le taux de saisine du juge
administratif y est encore insignifiant, en comparaison par exemple avec le
taux de saisine du juge administratif à Douala, à Yaoundé
ou encore à Bafoussam (voir tableau n°1). Le diagnostic d'un tel
état de choses exhume plusieurs causes et permet ainsi de corroborer
l'idée selon laquelle l'institutionnalisation des Tribunaux
Administratifs est davantage une politique publique qu'elle en est une action
publique.
Tableau n°2 : comparaison de
l'activité contentieuse de quelques T.A au Cameroun
Tribunaux Administratifs
|
recours introduits par mois
|
recours introduits par trimestre
|
recours introduits par an
|
Bafoussam
|
15
|
45
|
180
|
Bertoua
|
1
|
3
|
12
|
Douala
|
60
|
180
|
720
|
Yaoundé
|
30
|
90
|
360
|
Source : Greffe de chaque Tribunal
Administratif.
Le tableau ci-dessus démontre le caractère
insignifiant de l'activité contentieuse du T.A de la région de
l'Est en comparaison avec l'activité contentieuse des autres T.A au
Cameroun, en l'occurrence de celui de Bafoussam, de Yaoundé et de
Douala. En effet, pendant que l'on note une presque submersion contentieuse
chez les juges administratifs de Douala ou encore de Yaoundé, les juges
administratifs de Bertoua se tordent les pouces car l'activité
contentieuse frise avec le néant. Ainsi, sur l'ensemble des recours
introduits dans ces quatre juridictions depuis leur
opérationnalité c'est-à-dire de janvier 2014 à
janvier 1015, ceux introduits à l'Est ne représentent que 0,94%
de la totalité des recours contentieux. De plus même au niveau des
décisions rendues, le T.A de la région de l'Est n'a rendu sur la
même période qu'un référé administratif, un
sursis à exécution et deux jugements153.
153Entretien mené avec le Greffier en chef du
T.A de l'Est, le jeudi 9 avril 2015 à 12h 10 minutes.
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