CHAPITRE I-
LE DISPOSITIF ORGANIQUE D'ACCES A LA
JUSTICE ADMINISTRATIVE AU CAMEROUN
INTRODUCTION
« Rien n'est possible sans les Hommes, mais rien
n'est durable sans les institutions »47. Cette affirmation
témoigne clairement de la centralité du dispositif institutionnel
dans une logique de régulation sociale et macro sociale. De ce point de
vue, les institutions jouent un rôle incontournable dans le maintien et
la pérennité de l'équilibre et du lien entre les
différentes perceptions des acteurs formant le tissu social. La
résurgence des institutions comme référent
théorique fondamental représente un développement
théorique important dans l'évolution de la science politique et
des sciences sociales en général. Les institutions politiques en
l'occurrence, s'affirment davantage comme étant des centres
d'intérêt de construction théorique et des recherches
empiriques48.
En effet, le phénomène institutionnel se
manifeste par un large programme d'enquêtes et de recherches, toutes
centrées sur l'influence qu'ont institutions sur les
phénomènes sociopolitiques49. De ce point de vue, les
institutions auraient une influence considérable sur les comportements
des acteurs, leurs actions, leurs stratégies et parfois même leur
identité. Le développement institutionnel conduisant ainsi
à examiner la façon dont la production, la reproduction sinon la
coproduction des institutions s'inscrivent dans un processus contingent et
continu, et où le tissu institutionnel existant conditionne dans une
certaine mesure la trajectoire d'institutionnalisation.
47Affirmation de Jean Monnet, père fondateur de
l'Union Européenne.
48Peter Evans et al., Bringing the State back in,
Cambridge, Cambridge University Press, 1985.
49R. Kent Weaver et Bert, A. Rockman (dir), Do
institutions matter? Government capabilities in the United States and Abroad,
Washington, the Brookings Institution's, 1993.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
24
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
Sous cet angle, analyser la problématique de
l'institutionnalisation dans le domaine des politiques publiques ou encore de
la sociologie de l'action publique, revient de prime à bord à
appréhender la notion d'institution. Un tel effort de clarification
conceptuelle ne peut trouver d'ancrage que dans un registre propre au
déploiement institutionnel, et à l'analyse du système
d'acteurs dans une logique de conception et de maturation des institutions. De
ce fait, le néo-institutionnalisme offre une grille
d'appréhension assez panoramique du concept, et apporte deux
réponses à la préoccupation. Ainsi,
D'un côté, on retrouve les
néo-institutionnalistes qui suivent au plus près l'idée du
retour de l'Etat et adoptent une définition matérialiste des
institutions qui inclut les organes de l'Etat, par exemple la structure des
législatures, des exécutifs, des bureaucraties et des tribunaux ;
les constitutions, les arrangements de division territoriale du pouvoir tels le
fédéralisme et le système d'autonomie ; et les
systèmes de partis. De l'autre côté, il y'à les
néo-institutionnalistes qui voient les institutions en termes de normes,
explicitement définies ou non, qui peuvent prendre la forme de
paramètres culturels et cognitifs ou des règles et de
procédures50.
De cette considération notionnelle, l'on
s'aperçoit du fait que l'institutionnalisation de la juridiction
administrative au Cameroun a été le fruit des relations entre des
dynamiques d'acteurs, et s'appréhende comme un phénomène
social total. Aussi, il en ressort que, les institutions sont non seulement des
organes, c'est-à-dire des aménagements physiques et/ou des
bâtiments, mais également des normes, des comportements et des
procédures.
Vu sous cet angle, la mise en place des institutions
d'accès à la justice administrative au Cameroun s'est
posée en s'imposant comme une nécessité impérieuse,
car,« La justice administrative est l'expression concrète de la
protection des citoyens contre les risques d'arbitraire de l'administration,
elle apparait en effet comme un moyen de défense des individus contre
les abus de pouvoir, non pas en vue de compromettre l'autorité de
celui-ci, mais pour lutter contre d'éventuelles dérives
despotiques »51.
De cette considération, la juridiction administrative
s'affirme comme étant d'une extrême nécessité et
comme étant une composante essentielle de l'Etat de droit. La
50André Lecours, « L'approche
néo institutionnaliste en science politique : unité ou
diversité ? », in Politiques et
Sociétés, vol 21 n°3, 2002, Pp. 10-11.
51Maurice Kamto, Idem, p 7.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
25
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
soumission de l'administration et partant, de l'Etat au droit,
se forge et se déploie autour d'un corpus de règles de droit
objectif et des lois positives52. C'est donc cette
préoccupation qui a gouverné dans les modalités de
formation de la juridiction administrative dans le temps et dans l'espace.
Cette juridiction s'est formée et a
évolué progressivement, ses intempéries et les
débats sur la nécessité de son institutionnalisation n'ont
fait que renforcer et accroitre sa légitimité et sa maturation.
De nos jours, ses propriétés présentistes
révèlent éloquemment sa dimension utilitaire car
aujourd'hui et plus que jamais, la juridiction administrative est un instrument
de l'Etat de droit. La trajectoire de l'institutionnalisation de la justice
administrative au Cameroun revient à appréhender la juridiction
administrative comme un ensemble d'aménagements physiques qu'il
conviendrait de saisir comme une institution organe qui a évolué
(section I) et a changé dans le temps (section II).
52Léon Duguit, L'Etat, le droit objectif et
la loi positive, PUF, 1901, p 581.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
26
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
Section I- Les dynamiques du changement des politiques
publiques institutionnelles d'accès à la justice administrative
au Cameroun
L'évolution institutionnelle de la juridiction
administrative au Cameroun correspond nettement à une importation
relative de la juridiction administrative française. « En effet, le
phénomène de transfert d'institutions n'est pas nouveau.
Imposées ou empruntées, les institutions ont souvent régi
des populations auxquelles elles n'étaient pas destinées
»53. Les transferts de droit54
sont depuis plusieurs décennies devenus de plus en plus importants, et
correspondent dans certains cas à une sorte d'importation55
ou davantage à une hybridation56.
En effet, la sociologie de l'action publique saisie par les
institutions permet de caractériser le changement institutionnel sous le
prisme du rôle des institutions57, de leurs impacts sur les
comportements, les valeurs, la culture58 et parfois même sur
la religion59. L'évolution du changement
institutionnel60 de la justice administrative au Cameroun est
relative à l'archéologie de la juridiction administrative.
L'analyse de l'évolution de la juridiction administrative au Cameroun
révèle une pluralité d'institutions et permet de ce fait
d'apprécier les logiques et les dynamiques du changement
institutionnel.
La dynamique du changement institutionnel de la juridiction
administrative au Cameroun peut être subsumée en deux
époques, dont l'une consiste à appréhender la justice
administrative sous la colonisation (paragraphe 1) et l'autre, à faire
un état de la justice administrative dans l'Etat indépendant
(paragraphe 2).
53Communication de Camille Kuyu Mwissa, Les
institutions de la démocratie et l'Etat de droit, point de vue
anthropologique.
54M. Alliot, « Les transferts de droit ou la
double illusion », Bulletin de liaison du LAJP, n°5, Paris,
1983. 55Bertrand Badié, L'Etat importé ;
l'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, 1992.
56P.L Agondjo Okawe, « L'Etat
africain, un Etat hybride néocolonial », in l'Etat moderne
à l'horizon 2000, Mélanges offerts à P.F Gonidec,
Paris, LGDJ, 1985.
57Claude Menards, Institutions, contracts and
organizations, Northampton (mass), Edward Elgar, 2000.
58Harrisson Lawrence, Samuel Huntington, Culture matters. How
values shape human progress? New York, Basics Books, 2000.
59Francis Fukuyama, Trust. The socials virtues
and the creation of prosperity, New York, Free Press/Simon and Schuster,
1996.
60A.J. Hoffman, « Institutional evolution
changes: Environmental and the U.S Chemical Industry », Academy of
Management Journal, Vol 42, n°4, p. 351-371.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
27
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
Paragraphe 1- La garanti institutionnelle de l'accès
à la justice administrative dans l'Etat colonial
La colonisation qui a si profondément et
considérablement bouleversé les structures sociales en Afrique en
général et en Afrique noire francophone en particulier, n'aurait
pas pu épargner les institutions judiciaires. La juridiction
administrative Camerounaise en l'occurrence, en ce qui concerne les
prémices de son institutionnalisation, est un héritage de la
justice coloniale française61. La justice administrative au
Cameroun à l'ère coloniale révèle que la
juridiction administrative camerounaise serait le fruit d'une importation des
technologies institutionnelles françaises sous prétexte de leur
efficacité.
En effet, la justice administrative fait son apparition au
Cameroun par le biais de la colonisation française62 qui (la
France), au lendemain de la première guerre mondiale dont elle
ressortît vainqueur, avait institué un régime juridique
administratif identique au sein de toutes ses colonies. Ainsi, depuis 1916, la
France a pris pied au Cameroun et a introduit un système juridictionnel
fondé sur la distinction entre les juridictions administratives et les
juridictions judiciaires63. Ce transfert ou cette importation des
politiques publiques institutionnelles d'accès à la justice
administrative fut initié par la mise sur pied d'une juridiction
administrative dénommée Conseil du Contentieux administratif (A).
L'évolution du temps relative à l'approche de
l'indépendance de l'Etat camerounais allait ainsi modifier l'appellation
de la juridiction administrative, quoique les compétences et les
attributs de cette juridiction ne connurent pas une modification fondamentale
(B).
A- L'institutionnalisation du Conseil du Contentieux
Administratif en 1920
Le Conseil du Contentieux administratif fut la toute
première juridiction administrative au Cameroun. Il a été
créé par le décret du 14 Avril 1920.Cette juridiction
n'était pas propre au Cameroun, mais commune à toutes les
colonies françaises depuis le décret du 7 septembre 1881.
Même s'il allait acquérir une autonomie par le décret du 8
Juillet 1952, le Conseil du Contentieux Administratif était une
juridiction particulière, car il était
61Joseph John- Nambo, « Quelques
héritages de la justice coloniale en Afrique noire », Droit et
Société 51/52, 2002, p. 325-344.
62Voir sur l'ensemble de la question, les travaux
de : M. Henri Jacquot, « Le contentieux administratif au Cameroun
», in Revue Camerounaise de Droit, n°7, Janvier-
Juin 1975 pp 16-21 ; Maurice Kamto, « La fonction administrative
contentieuse de la cours suprême au Cameroun », in Les
Cours Suprêmes et Hautes Juridictions D'Afrique, Paris, Economica,
1988 ou encore Carlson Anyangwe, The camerounian judicial system,
Yaoundé, CEPER, 1987.
63J. Goudem, L'organisation juridictionnelle du
Cameroun, Thèse, droit, Yaoundé, 1985.
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
28
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
considéré comme un simple prolongement de
l'administration (1), ceci, en violation flagrante du principe de la
séparation de la juridiction administrative de l'administration active
(2).
1- Le Conseil du Contentieux Administratif comme
prolongement de l'administration active
L'institutionnalisation du Conseil du Contentieux
Administratif (C.C.A) ne s'est pas véritablement émancipée
de l'administration active car sa composition laissait entrevoir sa
dépendance vis-à-vis de l'administration.
Ainsi, le Conseil du Contentieux Administratif était
présidé par un magistrat du siège, assisté de deux
assesseurs licenciés en droit, qui étaient des administrateurs de
la France d'Outre-mer. De manière exceptionnelle, pouvaient être
nommés comme Commissaire du Gouvernement, des administrateurs adjoints,
licenciés en droit et ayant fait cinq années de service effectif
dans l'administration. Cette composition du C.C.A au Cameroun témoigne
des logiques de prolongement de l'administration qui en effet pouvait
être juge et partie en la faveur du déficit de formation des
magistrats spécialisés dans le domaine du contentieux
administratif.
Cette tare inhérente à la composition du
Conseil du Contentieux Administratif camerounais n'était donc pas
exempte d'une violation du sacro-saint principe de la séparation de la
juridiction administrative de l'administration active.
2- La violation du principe de la séparation
de la juridiction administrative de l'administration active par le Conseil du
Contentieux Administratif
La quête et la conquête de l'autonomisation de la
juridiction administrative et même du juge administratif reposent
fortement sur la séparation de l'administration active de la juridiction
administrative.
En effet, l'évolution de la formation de la juridiction
administrative depuis la France et sa maturation aujourd'hui ont
été bâties sur ce principe, pour ne pas permettre à
l'administration d'administrer et de juger de peur d'être à la
fois juge et partie. Comme si l'on voulait doter la juridiction administrative
camerounaise d'une histoire, et la faire passer par les étapes qu'a
connues la formation de la juridiction administrative française, le
Conseil du Contentieux Administratif camerounais ne faisait que reproduire
même dans la dévolution de ses compétences, la
prégnance de l'administration qui pouvait intervenir et qui
intervenait
UCAC-ICY-FSSG-MGAP Ntoual Amougou Cédric Rodrigue Page
29
Tribunaux Administratifs de proximité et accès
à la justice administrative au Cameroun : cas de la région de
l'Est
dans l'instance administrative contentieuse au Cameroun
à cette époque. Il s'agissait ainsi là d'une tare, qui
n'allait pas totalement être éliminée, avant que le Conseil
du Contentieux Administratif ne soit remplacé en 1959 par le Tribunal
d'Etat.
|