Par déterminant il faut plus entendre une
caractéristique du malade ou de son entourage statistiquement lié
à un choix thérapeutique, que la cause ou l'une des causes de ce
choix. En d'autres termes, une variable n'est dite déterminante que
lorsqu'elle influence significativement le choix du traitement. Les
études des pratiques en matière de recherche en santé
publique ont noté que les itinéraires thérapeutiques sont
influencés par un certain nombre de facteurs pragmatiques. Selon la
classification effectuée par ANDERSON (1968) cité par RICHARD
(2001) nous avons les facteurs prédisposants, les facteurs de
réalisation et les facteurs de besoins. Ces facteurs permettent
d'examiner l'impact d'un certain nombre de caractéristiques
démographiques, sociales, économiques et culturelles des
habitants sur leurs comportements face à la maladie.
? Facteurs prédisposants
Les facteurs prédisposants sont des
caractéristiques sociales, démographiques du malade ou de son
entourage immédiat, des opinions sur les systèmes de soins, des
croyances et des valeurs concernant la santé et la maladie, des
connaissances au sujet de la maladie. Ils incitent à recourir en cas de
besoins à un type de soin ou à un service de santé
donné. Dans le cadre de ce mémoire, il s'agit des
caractéristiques de l'enfant et de ses parents telles que l'âge,
le sexe, la religion, l'ethnie, la profession, le niveau d'étude,
etc.
5 Il s'agit des enfants de moins de cinq ans
22
L'âge et le sexe de l'enfant sont également
susceptibles d'intervenir dans le choix thérapeutique
(WAITZENEGGER-LALOU, 2001).
L'âge du malade a été testé dans
la plupart des études sur les déterminants du recours aux soins.
L'âge s'est avéré être un facteur important de
différentiation du recours. Les enfants (0-14 ans) camerounais sont
soumis à l'automédication moderne (40,2%) et à la
consultation moderne (3,3%) plus que les adultes et les personnes
âgées (COMMERYRASS et N'DO, 2002). Les ménages ne sont pas
disposés à engager beaucoup de frais pour les enfants (LESSERS
et al. Cité par SANOU, 2001). Ils s'estiment assez dotés
pour s'occuper de leur santé. C'est le traitement à domicile qui
sera privilégié pour les enfants, les éloignant ainsi des
services de soins professionnels. Toutefois RICHARD (2001) reconnaît que
l'âge joue un rôle important dans le premier choix à
effectuer face à la maladie, mais l'absence de traitement et le
traitement familial sont alors d'autant moins fréquents que le malade
est jeune.
Le recours aux soins des enfants est déterminé
à l'échelle individuelle ou du ménage. Nous pouvons
souligner les caractéristiques démographiques de la mère
telles que l'âge et la parité. L'âge peut être un
indicateur de l'expérience des femmes dans le domaine des soins aux
enfants et du pouvoir de décision. La parité, qui
détermine la taille du ménage, influence le recours aux soins
à travers la concurrence des enfants pour l'affection maternelle. En
effet, lorsqu'une mère a beaucoup d'enfants surtout en bas âges,
elle manque le plus souvent de temps à consacrer à chacun d'eux
alors qu'ils en ont besoin pour une bonne croissance socio-affective.
Le choix d'une action thérapeutique et de son
financement relève généralement du chef de ménage.
Notre étude est centrée sur les enfants de moins de quinze ans
qui n'interviennent pas directement dans la prise de décision. Lorsqu'un
enfant est malade, sa mère et éventuellement d'autres adultes
(belles-mères, oncles, tantes, soeurs...) peuvent aussi débattre
de la conduite à tenir avec le chef de ménage, mais la
décision finale lui incombe. Le nombre d'enfants qu'une femme va
élever au cours de sa vie ne correspond pas toujours à sa
descendance effective, l'enfant n'est pas toujours élevé par sa
mère biologique (GUILLAUME, 1991). Au Burkina Faso, selon l'EDS (KONATE
et al., 1993), en milieu urbain dans environ un ménage sur
quatre, un ou plusieurs enfants de moins de quinze ans vivent sans leurs
mères ni leurs pères biologiques (28,8%). Cette proportion est
plus faible en milieu rural (21,1%). Ainsi il y'aurait un investissement
sélectif des enfants dans un même ménage dans les domaines
notamment de l'alimentation, de la scolarisation et des soins de santé
(ROGER PETIT JEAN, 1999). Si antérieurement les enfants quittaient leurs
foyers ou familles pour simplement être élevés par des
tuteurs ou servir d'aide dans les travaux domestiques ou professionnels,
actuellement ces motifs de mobilité sont relégués au
second plan derrière la scolarisation.
23
La profession du chef de ménage, de la mère,
constitue l'un des facteurs les plus étudiés dans le choix des
recours, souvent en relation avec le niveau d'éducation formelle et/ou
niveau économique. Selon GESSLER et GAGE, 1987 (cité par RICHARD
2001) la profession ou l'activité principale de la mère peut
aussi jouer un rôle parce qu'elle influence son niveau de
disponibilité en cas de maladie. Les enfants des ménagères
y consultent plus souvent que ceux des autres catégories
professionnelles mais ils consultent moins souvent les services confessionnels
(Centre de santé des religieux) et plus souvent les services de
santé publique que les enfants de commerçantes ou
d'agricultrices.
Les caractéristiques des parents telles que
l'instruction et le niveau économique sont susceptibles d'être
associées aux recours aux soins des enfants (BAYA, 1999). Le niveau
économique exprime l'accessibilité économique tandis que
les mécanismes par lesquels l'instruction influence le recours aux soins
sont davantage culturels.
Le niveau d'instruction des adultes est
généralement considéré comme un déterminant
important du niveau de santé du ménage. Après une revue de
la littérature sur plusieurs pays, CLELAND et VAN GIINNKEN (1988, 1989)
cités par RICHARD 2001, concluent qu'une à trois années
d'écoles sont associées à une chute de 20% du risque de
mortalité infantile ; et que chaque année supplémentaire
décroît ce risque. Dans une étude limitée à
l'Afrique, la Banque Mondiale conclut en 1994 que le taux de mortalité
infanto juvénile y serait jusqu'à 50% inférieur lorsque la
mère a atteint le niveau secondaire. Les mères
éduquées reconnaîtraient qu'une intervention est
nécessaire et agiraient plus rapidement. Elles favoriseraient de plus
les soins de santé moderne au détriment des pratiques
traditionnelles, seraient plus enclines à utiliser les
médicaments modernes et à le faire correctement et seraient
encore plus confiantes dans leurs relations avec le personnel des services de
santé moderne (BARRETT et BROWNE, 1996 cités par RICHARD
2001).
? Facteurs de réalisations
Ce sont les facteurs qui offrent au malade la capacité
d'utiliser les ressources disponibles. Parmi les plus importants, nous retenons
la proximité des services de santé, la disponibilité de
moyens de transport privés, le niveau économique des
ménages. Les deux premiers facteurs influencent l'accessibilité
géographique aux services de soins et par là même
l'ensemble des choix thérapeutiques tandis que le troisième
facteur conditionne l'accessibilité financière au système
de soins et aux médicaments.
Presque toutes les études sur la relation distance et
utilisation des services de santé révèlent une diminution
des taux d'utilisation avec l'augmentation de la distance. L'effet de la
distance est d'autant plus important dans les pays en développement du
fait de l'état des voies de communications, de la rareté des
moyens de transport et du coût élevé pour les
24
populations pauvres (NOORALI, LUBY et RAHBAR, 1999).
Toutefois, la distance n'agit jamais seule. Par exemple, 61% des premiers
recours extérieurs des enfants du quartier de Gbegamey à Cotonou,
y ont consulté contre 45% des adultes (BOULOUDANI, 1996).
Selon RICHARD (2001) il y'a bien perception, donc utilisation
différenciée des catégories d'établissements de
santé moderne au regard de la différence des distances moyennes
parcourues pour les atteindre. Les guérisseurs jouent un rôle, le
plus souvent limité, que dans les villages où ils sont
implantés.
La disponibilité des moyens de transport privés
(charrette vélo, moto, voiture) devrait permettre à un
ménage de s'affranchir dans une certaine mesure de la distance.
De nombreuses études montrent qu'il existe un lien
étroit entre le niveau économique des ménages et les
comportements de recherche de soins. La maladie constitue un fardeau pour les
ménages s'exprimant en terme de ressources, de coûts, de temps. De
ce fait, les ménages doivent développer des stratégies
pour s'adapter au stress économique qu'engendre la maladie. A
Pékine près de Dakar, FASSIN (1992) observe que d'une
façon générale le niveau socio-économique
intervient moins dans le fait de recourir à un type de soins que sur le
lieu de recours. Pour les enfants comme pour les adultes, les produits
pharmaceutiques sont d'autant plus utilisés que les parents ont des
ressources économiques permettant de subvenir à leurs besoins
sanitaires, alors qu'on observe le contraire pour les traitements traditionnels
(BOULOUDANI,1996). En fait, plus que le niveau économique en lui
même, c'est la capacité des ménages à mobiliser les
ressources nécessaires au moment du besoin qui est vraiment
déterminante (NOUNTHAN, 1991). Diverses stratégies internes au
foyer sont alors mises en oeuvre : ventes de produits agricoles, de
bétail, travail salarié (SAUERBORN, NOUGTARA et DIEFIELD, 1995;
SAUERBORN, ADAMS et HIEN, 1996). Lorsque ces ressources s'avèrent
insuffisantes surtout pour les cas les plus graves de maladie, les proches sont
sollicités par le jeu des interrelations. Les difficultés
économiques se sont aggravées avec la dévaluation du franc
CFA le 12 janvier 1994 pour tous les Etats concernés notamment sur le
plan sanitaire. L'augmentation brutale du prix des soins, des
déplacements, des médicaments en un mot de la santé, a eu
un impact certain sur les recours aux soins. Avec la dévaluation, la
marge de manoeuvre des ménages est réduite et leurs
priorités doivent être redéfinies. Selon YONLI (1998) la
baisse des nouvelles consultations curatives était de 17% après
la restauration de la tarification dans dix (10) formations sanitaires de la
région du Centre- Nord (Kaya) au Burkina Faso. Selon le Sondage
d'opinion auprès des utilisateurs des services publics de base,
réalisé en décembre 2003 au Burkina Faso, plus de 60 % des
personnes enquêtées se réfèrent à la
médecine traditionnelle pour leur besoin de santé du fait de son
caractère complémentaire à la médecine moderne. Le
second motif de recours à cette médecine est la faiblesse des
coûts liée à ses prestations.
25
? Facteurs de besoins
Ce sont les facteurs qui décrivent l'état de
santé de l'individu, que ce soit la perception de cette santé par
l'individu lui même ou ses proches, son évaluation par un
médecin ou encore le diagnostic posé. Parmi ces facteurs, nous
retenons la nature, la gravité perçue de la maladie par le malade
ou les adultes du ménage, la durée de la maladie au moment de la
prise de décision.
On ne saurait mener une étude pertinente sur les
comportements thérapeutiques sans distinguer les types d'affections et
plus précisément la perception du diagnostic par le malade ou son
entourage. Face à certaines maladies au moins, la réponse de la
médecine moderne apparaît pauvre, incomplète. En effet, la
quête thérapeutique ne se borne pas seulement à faire
disparaître les manifestations cliniques de la maladie mais consiste
aussi à expliquer la cause (CANTRELLE et LOCOH, 1990). Au sein de la
population, ont émergé des personnes très aptes à
soigner des maladies. Ce sont les guérisseurs traditionnels ou
tradipraticiens. L'idée selon laquelle « l'homme n'est pas
seulement corps mais aussi âme » n'est pas une notion
étrangère aux guérisseurs traditionnels qui, par des
procédés vont déterminer les causes profondes du mal dont
souffre le patient (AKOTO et al., 2002). Pour les tradipraticiens,
être en bonne santé c'est non seulement avoir le bien-être
physique, mais aussi moral, familial, clanique, social, culturel, mental,
religieux.
La gravité de la maladie s'est
révélée un déterminant important de choix
thérapeutique (SAUERBORN et al., 1995). Plus la maladie est
perçue comme grave, plus la tendance du patient à consulter un
spécialiste de la santé (moderne ou traditionnel) est
élevée plutôt qu'à se limiter à
l'automédication. C'est la perception de son état de santé
et non l'état de santé objectivé par un spécialiste
de la santé ou un praticien qui conditionne la démarche à
suivre. On assiste alors parfois à de longs déplacements pour des
problèmes bénins mais aussi des consultations tardives ou
à l'absence de consultation pour des problèmes graves. L'inaction
thérapeutique diminue avec l'augmentation de la gravité
perçue (4,6%) pour les maladies peu ou pas graves contre 1,9% pour les
maladies graves. Il en va de même pour l'automédication 77,9%
contre 63,2%. Par contre, la fréquence des recours extérieurs
(hors du ménage) double pour les maladies très graves par rapport
aux maladies peu ou pas graves (34,9% contre 17,5%) (RICHARD, 2001).
Selon AKOTO et al. (2002) en cas de persistance de
la maladie, la plupart de ceux qui se soignent eux-mêmes se font
consulter par un praticien de la médecine moderne (83%) au Bénin.
En Côte-d'Ivoire, soulignent les mêmes auteurs, les pratiquants de
l'automédication s'orientent plus vers la médecine traditionnelle
et au Mali ce sont les guérisseurs qui sont massivement
consultés. Ainsi donc, les patients opèrent un choix et
construisent leurs
26
itinéraires thérapeutiques selon
l'évolution de la maladie et le degré de satisfaction ou non
(OUEDRAOGO, 2000). La gravité fera certes changer le comportement du
ménage dans la recherche de soins. En effet, la médication
s'orientera désormais, d'une part vers un pluralisme
thérapeutique par l'utilisation combinée de produits
traditionnels et moderne et d'autre part vers la recherche de produits
spécifiques plus forts.
La durée de l'épisode morbide influence les
itinéraires thérapeutiques qui sont généralement
d'autant plus longs et complexes que la maladie se prolonge. Contrairement
à ce qui est admis, ce n'est pas seulement la durée totale qui
oriente le choix thérapeutique mais aussi le temps qui s'écoule
entre les différents recours. En d'autres termes, plus que la
durée écoulée depuis le début de la maladie en tant
que telle, c'est ce qui a été déjà entrepris
pendant cette période qui influence la suite de l'itinéraire
thérapeutique (RICHARD, 2001). La durée de la maladie peut
s'expliquer par l'échec thérapeutique qui est constaté
seulement lorsque toutes les dispositions et les manoeuvres prises sont
inopérantes, inefficaces. Alors d'autres formes de recours sont
envisagées. Cependant, l'échec à lui seul ne suffit pas,
il faut que l'échec ait les colorations du désespoir, il faut que
la vie de l'enfant soit réellement menacée.
2. 1.2. Cadre conceptuel de l'étude