B-Les conséquences sociales et culturelles des
conflits centrafricains a Garoua Boulai, Bertouaet Ngaoui
Les conflits en République centrafricaine n'ont pas que
des conséquences politiques et économiques. A côté
de celles-ci, ils présentent également des conséquences
sur les plans social et culturel. Les crises politiques en RCA ont souvent
conduit ce pays à des guerres ouvertes dont les conséquences
franchissent les frontières camerounaises. La permanence de cette
situation a souvent impacté sur la vie sociale et culturelle des
Camerounais. Il est question dans cette partie de scruter les
conséquences sociales et culturelles des crises politiques qui
déchirent la République Centrafricaine dans les villes de Garoua
Boulai, Bertoua et Ngaoui.
1-Les conséquences sociales des conflits
centrafricains à Garoua Boulai, Bertoua et Ngaoui
La RCA et le Cameroun partagent 17 000 km de frontière.
Cette bande frontalière, n'est pas parfaitement maîtrisée
par les autorités camerounaises. En effet, l'Etat camerounais n'a pas un
contrôle total de sa frontière orientale 79 . La
République Centrafricaine est un « pays fantôme
»80, depuis l'aube de l'indépendance, elle est devenue
le foyer des crises et d'instabilité politique. La porosité des
frontières qui sépare ces deux pays a favorisé les
conséquences des crises centrafricaines en terre camerounaise.
Toutefois, elles s'observent sur le plan social. Il est question dans cette
partie de faire un état des lieux des conséquences sociales des
crises centrafricaine dans les villes de Garoua Boulai, Bertoua et Ngaoui.
78 On retrouve à Yaoundé, Douala,
Bamenda et plusieurs autres villes du Cameroun les réfugiés
centrafricains, certes ceux-ci pour se déplacer ont utilisé les
moyens de transport.
79NjimambouéAliou, 2009, « Les enjeux
stratégiques de la frontière orientale du Cameroun (1960-2008),
Mémoire de DEA, Université de Ngaoundéré, p. 49.
80Rapport Afrique de Crisis Group p. 3
60
a-Un boom démographique
Cette longue frontière qui sépare le Cameroun et
la RCA, sépare aussi les mêmes peuples qui se côtoient
mutuellement 81 . Depuis plusieurs décennies
déjà, de nombreux centrafricains obligés de quitter leur
pays ont opté le Cameroun comme destination de refuge. Ces mouvements
migratoires, en fonction de l'importance du flux de personnes, ont
généré des typologies de réfugiés
différentes. On distingue alors des flux mineurs qui s'opèrent de
1966 à 2001 et les flux importants qui ont lieu depuis 2001 pour se
poursuivre jusqu'en 2013. L'arrivée massive de ces peuples a
provoqué une augmentation considérable de la population dans nos
trois localités d'étude. Selon les analyses du HCR, la population
des villes de Garoua Boulai et Ngaoui seront à majorité des
centrafricains si la vitesse des migrations va au rythme actuel jusqu'en 2015.
C'est le cas déjà à Gado Badjeré, village où
on note une majorité de la population refugiée sur la population
locale. En effet, 15 000 réfugiés ont intégré le
village de nouveau sur une population locale d'environ 5 000
personnes82. Au fil des ans, le nombre des refugiés
centrafricains grimpe dans ces trois localités du Cameroun. Plusieurs
d'entre eux contestent leur éventuel retour lorsqu'ils sont
interrogés. Le flux de refugiés prima faciès n'a donc pas
cessé d'augmenter depuis les années 1966. Les six recensements
faits par le HCR depuis 2006 présentent en effet de chiffre plus en plus
important.
Tableau 4 : Évolution du nombre de
réfugiés centrafricains prima faciès au Cameroun de 2007
à 2013
Années
|
Total
|
2007
|
45500
|
2008
|
63000
|
2009
|
72000
|
2010
|
82000
|
2011
|
102000
|
2012
|
140000
|
Source : Rapport HCR 2012.
Ce tableau nous renseigne sur l'évolution du nombre de
réfugiés centrafricains prima faciès au Cameroun. On se
rend compte effectivement que l'effectif des refugiés
81 D. Mokam, 2000, pp. 5-32.
82 Entretien avec Yaffo Ndoe Esther le 25 juin 2014
à Garoua Bouali.
61
centrafricains prima faciès n'a cessé
d'évoluer. Cette évolution se justifie d'abord par le nouveau
recensement qui a pris en compte les anciens refugiés qui
n'étaient pas enregistré, ensuite l'arrivée massive des
nouveaux réfugiés.
À partir de 2013, à la faveur de la situation
d'instabilité sociopolitique dans laquelle est plongé le pays,
les réfugiés centrafricains sont de plus en plus nombreux dans
les villes de Ngaoui, Garoua Boulai et Bertoua. Il ressort alors de tout ceci
que la présence des Centrafricains en terre camerounaise reste valable
pour ces derniers dans la mesure où c'est un peuple qui cherche refuge.
Mais il n'en demeure pas moins que cette présence cause aussi
d'énormes problèmes pour les populations locales.
b-Sur plan Sanitaire
Ici, il faut noter que les réfugiés qui viennent
de la RCA ne sont pas vaccinés, ils arrivent cependant avec des maladies
épidémiques et contaminent de nombreux Camerounais qui vivent
dans leur lieu d'accueil83. C'est le cas de la population de Ngaoui
qui a connu durant presque tout le mois de mai de l'année 1999,
l'épidémie de la rougeole. Selon les analyses des Médecins
Sans Frontières, organisme spécialisé partenaire classique
du HCR, les causes de cette maladie seraient venues depuis la RCA. Il serait,
certainement les réfugiés centrafricaines qui l'ont
transporté depuis le territoire centrafricain jusqu'à Ngaoui.
Pour éviter l'augmentation du taux de contamination dans cette
localité et son évolution dans l'hinterland du pays en
commençant par Djohong qui est la ville voisine, les médecins de
cet organisme international ont logé de manière
stratégique ces réfugiés dans une zone de surveillance
jusqu'au moment où cette maladie a été
éradiquée84.
Dans la ville de Garoua Boulai, les réfugiés
sont logés au quartier Doforo en face du bureau de pesage
routier. Ici, à cause du nombre élevé des
réfugiés, la commune et les autorités administratives ont
jugés nécessaire de les logé à l'air libre. Sauf
quelques-uns parmi eux ont obtenus du HCR quelques tantes sous lesquelles ils
se protègent contre les pluies et le soleil. De manière
générale, la situation est déplorable pour les
réfugiés centrafricains qui habitent le site de Garoua Boulai
centre. La photo ci-dessous présente l'état des lieux des cases
des réfugiés centrafricains dans la ville de Garoua Boulai.
83 Source : Rapport HCR 2012.
84 Entretien avec NgonoEric Jean Bosco à Ngaoui
le 15 juillet 2014.
62
Photo 6: Site des réfugiés centrafricains
de Garoua Boulai construit en 2012
(c) : Gambo, Réalisé le 24 juin
2014 à Garoua Boulai
La Photo 6 présente la vue extérieure du site
des refugiés centrafricains basé au centre de la ville de Garoua
Boulai. Le site met en exergue l'emplacement et les matériels de
construction des cases. En effet, comme nous l'avons souligné si haut,
seuls quelques refugiés ont pu bénéficier des tantes
offerts par le HCR. Les restes de ces populations vulnérables font le
plus souvent usage des matériels locaux qu'ils implantent au sol et
à partir de simple plastique ils s'en servent pour les couvrir en guise
de toiture. Cette situation tutoie la nouvelle loi camerounaise qui porte sur
l'interdiction de l'usage des matières plastiques non
biodégradables.
Cette photo nous renseigne également sur la superficie
du site de ce camp. En effet, à partir de cette image, l'on peut avoir
une estimation sur le flux des refugiés présents dans ce site.
L'absence des infrastructures de base telles que les maisons,
les bornes fontaines et les latrines comme nous le constatons ci haut (photo
6), a favorisé la fluctuation et la persistance des maladies
diarrhéiques et épidémiques. La photo ci-après
présente l'exemple du comportement des réfugiés lorsqu'il
faut faire les selles.
63
Photo 7: Lieu de soulagement des réfugiés
centrafricains.
(c)Gambo, Réalisé le 24 juin 2014
à Garoua Boulai
La photo 7 présente un enfant réfugié qui
fait les selles tout juste derrière le site des refugiés de
Garoua Bouali. En effet, les sites des réfugiés souffrent de
l'absence des latrines. Les usagers de ces points de santé faute de
l'absence de latrines ou de leur vétusté se soulagent à
l'air libre. Cette situation n'est pas propice à la bonne santé
dans la mesure où les airs de santé ont souvent été
les centres propagateurs des maladies. En saison pluvieuse, ces matières
fécales sont les plus souvent drainées dans les sources d'eau par
le phénomène de l'érosion fluviale et l'utilisation de
cette eau par la population locale favorise le risque de contamination.
En ce qui concerne les IST/SIDA, il faut noter que le taux
d'infection est moins élevé. En effet, les réfugiés
qui fuient les balles de la Centrafrique sont à majorité les
Peuls. Ainsi, le phénomène de vagabondage sexuel est
étranger à leur habitude. Cependant, il n'en demeure pas moins
que parmi ces réfugiés figurent bien aussi des peuples non Peuls.
Il s'agit par exemple des Pana, Souma-Kaba, Yakoma, Gbaya etc. Ceux-ci par
contre, sont par habitude des immoraux sexuels. Dès leur arrivés,
ces réfugiés surtout les femmes se sont livrées à
la prostitution pour assurer leur survie. La conséquence ne s'est pas
faite attendre, ils sont d'avantage infectés et sont devenus des
vectrices de propagation des IST/SIDA. Ces actions des réfugiés
qui sont défavorables au plan sanitaire, n'est pas
64
l'apanage de la localité de Garoua Bouali, mais c'est
une réalité observée dans les communes de Ngaoui et
Bertoua. Nos enquêtes dans ces trois localités confirment notre
analyse.
c-Dans le secteur éducatif
En ce qui concerne l'éducation, il est convenable de
mentionner que les Centrafricains qui quittent leur pays pour le Cameroun,
viennent avec leurs enfants. De ce fait, leur éducation cause un
véritable problème. Les infrastructures scolaires
octroyées pour une ville ou un village par l'État camerounais
tiennent lieu du taux de la population. Ainsi, les salles de classe construites
et les enseignants affectés dans une localité sont faits en
fonction du taux de la population. Dans les villes de Ngaoui, Bertoua et Garoua
Boulai, la répartition des salles de classe et les affectations des
enseignants faits par les délégations régionales des
enseignements secondaires et de l'éducation de base de l'Adamaoua et de
l'Est ont tenu compte de ce principe. Cependant, l'arrivée brusque des
refugiés centrafricains va bouleverser l'ordre établi. Les
proviseurs des lycées, les directeurs des collèges et
écoles primaires vont enregistrer dans leurs différents
établissements des effectifs pléthoriques. La conséquence
ne se fera pas attendre, les élèves vont rapidement se
décourager et abandonner l'école au profit de l'agriculture, le
taux d'échec est de plus en plus grandissant, les enseignants
affectés vont abandonner le travail et retourner en ville, certains
parents vont préférer envoyer leurs enfants en ville à la
recherche des meilleures conditions de l'éducation d'où l'exode
rural. C'est le cas de l'école primaire de Groupe I de Garoua Boulai. En
effet, le directeur de cet établissement a vu l'effectif de ses
élèves doublé avant la fin de l'année scolaire
2012-2013. Pour gérer ce problème, celui-ci a fini par instaurer
la méthode de mi-temps. En principe cette méthode consiste
à consacrer une partie de la journée c'est-à-dire la
tranche horaire qui va de 7h-30 à 12h 00 à la moitié de
l'effectif total des élèves. L'autre moitié quant à
elle, reprend alors de 12h 30 à 17h 30. Selon Abono Djeuma Vincent, ce
problème n'a qu'été résolu en partie car il fait
toujours face à une manque criarde des enseignants pour la pratique de
cette méthode ensuite, l'arrivée constante et massive des
nouveaux réfugiés enfants ne cesse de s'observer du jour au
lendemain ce qui gonfle d'avantage l'effectif. Cette situation ne se vit pas
seulement à Garoua Boulai mais aussi dans l'arrondissement de Ngaoui.
Si dans les villes de Garoua Boulai et Ngaoui, la
présence des réfugiés a provoqué des
problèmes de surnombre des élèves et le départ des
enseignants, à Bertoua l'accent est beaucoup plus mis sur le manque des
salles de classe. Ici il faut noter que la ville de
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Bertoua est le chef-lieu de la région de l'Est, les
enseignants qui fuient les zones campagnes se retrouvent à
majorité dans cette ville. Selon Abono Djeuma Vincent, Directeur
d'école primaire à Garoua Boulai, les femmes des hauts cadres qui
sont de profession enseignantes sont difficilement affectées dans les
zones campagnes faute de les éloigner de leurs époux. Pour
certaines personnes, c'est une question de meilleures conditions de vie et de
la recherche du luxe. Tout ceci donne naissance à une concentration des
enseignants dans cette ville. Le problème revient alors aux
infrastructures scolaires. La ville de Bertoua possède avant tout une
population jeune qui doit absolument s'instruire, l'arrivée des
réfugiés centrafricains a d'avantage augmenté l'effectif
des jeunes à éduquer. Les salles de classe sont alors devenues
insuffisants pour contenir toutes ces personnes. Malgré quelques actions
de la commune et du HCR, réalisées dans le secteur
éducatif pour négliger le problème, le problème
reste à moitié résolu. Bref, l'instabilité
politique en RCA a provoqué le départ de plusieurs centrafricains
de part et d'autres. Ainsi, leur présence dans nos trois villes
d'étude a modifié l'ordre établi dans le secteur
éducatif. De manière générale, la perception du
statut des réfugiés a toujours été mauvaise dans la
mesure où ceux-ci sont un peuple démunis, étrangers et qui
ont toujours les bras tendus pour demander. Cependant, dans le cas de ces trois
villes, l'afflux de ces réfugiés s'accompagne des
conséquences tant positives que négatives.
d-Les opportunités nées des crises
centrafricaines
L'an 2005 marque la date où l'effectif des
refugiés centrafricains devient important dans les villes de Bertoua,
Ngaoui et Garoua Boulai. Pays signataire des différentes conventions
relatives aux refugiés, le Cameroun doit supporter le poids de la
présence des refugiés centrafricains en quête de la
protection. C'est dans ce même ordre d'idée que le HCR et
plusieurs membres de gestion des réfugiés se sont rendus dans ces
trois villes pour venir au secours à ces personnes en difficulté.
Cette initiative a été bénéfique dans plusieurs
domaines. En effet, le premier avantage qu'on peut souligner est celui de
l'investissement des organismes humanitaires internationaux. Dans ces trois
villes qui constituent nos trois zones d'étude, on note des
infrastructures scolaires telles que les salles de classe qui ont
été construites et les bornes fontaines qui ont été
également aménagées. Ces investissements destinés
aux réfugiés servent aussi aux populations autochtones. C'est le
cas lors de la distribution des vivres aux réfugiés, une partie
est aussi offerte à la population locale.
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Dans le secteur sanitaire, on note un appui aux centres de
santé locaux. Ces organismes, à côté de la
construction et de la réhabilitation des centres de santé dans
les villes de Garoua Boulai, Ngaoui et Bertoua construisent également
les blocs de latrines et des incinérateurs pour minimiser les risques de
contacter les maladies.
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