2-Les conséquences économiques des
conflits centrafricains à Bertoua, Garoua Boulai et Ngaoui.
Toute crise politique entraine des conséquences sur les
productions économiques
nationales. En temps de conflit en République
centrafricaine, le secteur d'activité économique entre le
Cameroun et ce pays voisin a d'impact négatif mais aussi positif.
a-Le blocage des frontières
Lorsqu'un pays est en crise, les conséquences ne manquent
jamais de se perpétrer
sur les territoires des pays voisins. Le Cameroun a toujours
subi pour sa part, les conséquences des crises centrafricaines. Pour
préserver sa sécurité intérieure, cette situation
oblige l'Etat camerounais à fermer ses frontières avec la
République Centrafricaine toutefois que ce pays est en état de
conflit. C'est le cas de la dernière crise de 2013 vécu en
Centrafrique qui a provoqué la fermeture des frontières entre ces
deux pays. Ainsi, Garoua Boulai et Ngaoui qui constituent les deux principales
portes d'entrée d
67 D. Mokam, 2005, « Les peuples trait-d'union
et l'intégration en Afrique centrale : cas des Moundang et les Gbaya
», in NgaoundéréAnthropos, pp 5-30
68 Source : UNHCR 2012
69 Voir les annexes
56
sont par conséquent les villes les plus
concernées, car c'est les deux localités où le
ralentissement dans le secteur économique s'observe le plus.
Dans l'arrondissement de Ngaoui, il existe un marché
international de bétail. C'est partant du Soudan, du Tchad, et de la RCA
que viennent les nomades pour vendre leur bétail à Ngaoui. La
journée de samedi qui représente le jour du marché de
Ngaoui, l'on observe des milliers de bêtes sur le lieu de marché.
Cette activité commerciale fait bénéficier une multitude
de personnes. Selon le maire de la commune de Ngaoui le « marché de
bétail est l'activité principale dont la commune de Ngaoui tire
les plus grosses de ses ressource ». Sur le marché de Ngaoui, la
commune prélève pour une vache vendue une somme de 200 F CFA. Le
poste de Douane installé à Ngaoui, perçoit une somme de
cinq cent mille (500 000) à un million (1 000 000) de F CFA toutes les
fois que le marché a lieu. Les activités des démarcheurs
vulgairement appelées le « sakaïna » fournissent
d'énormes richesses aux acteurs. La fermeture des frontières dans
cette localité a donc paralysé le secteur économique dans
sa quasi-totalité70.
Vu sous cet angle, l'économie camerounaise
régresse lorsque la RCA est en crise. Il est certes reconnu que,
lorsqu'il y a casse, la construction succède. Et c'est au Cameroun que
les Centrafricains achètent les matériels de construction. La
société CIMENCAM qui dispose d'un magasin à Garoua Boulai,
livre l'essentiel des matériaux de construction en RCA. Or, pendant les
périodes de crises les activités de cette société
en direction de ce pays sont nettement stoppées71. Cette
situation fauche les contribuables à s'acquitter de leurs taxes
communaux. La vie économique à Garoua Boulai est relative
à celle de la Centrafrique comme affirme Mohamadou AwalAssana «
quand la RCA bouge Garoua Boulai aussi bouge ». Il est aussi important de
noter que pendant ces périodes de troubles, c'est dans ces trois villes
que les Centrafricains se ravitaillent le plus. Ce qui a tout de même un
impact sur le coût de vie.
b-La surenchère des prix sur les
marchés
Dans les villes de Gaoua Boulai, Ngaoui et Bertoua entre autre
s'est installée la surenchère des produits de première
nécessité contrairement aux villes du pays. En effet, un produit
à l'instar du manioc qui était généralement moins
coûteux à Ngaoui qu'à Garoua Boulai est devenu plus
onéreux. La cuvette qui, autrefois était vendu à la
somme
70À Ngaoui, l'activité principale est
l'élevage. L'agriculture est peu pratiquée à cause de
l'existence de nombreuses bêtes en divagation qui détruisent les
champs au fur et à mesure qu'ils sont cultivés.
71 Entretien avec Bilé Ernest le 27 juillet
2014 à Garoua Boulai.
57
de mille cinq cent (1 500) F CFA est montée à la
somme de trois mille (3 000) F CFA, le loyer quant à lui est
passé de deux mille cinq (2 500) à cinq mille (5 000) F CFA pour
les chambres les plus démunies. Cette hausse des prix se justifie par la
rareté des denrées sur les marchés. L'augmentation de la
population a dégénéré des crises alimentaires. Dans
la commune de Ngaoui par exemple, les populations sont obligées
d'importer le manioc. Ici, il faut préciser que les maniocs qui sont
consommés dans cette localité proviennent de la RCA. Voilà
pourquoi cette denrée alimentaire a rapidement connu une hausse de prix
car ce sont les commerçants centrafricains qui dictent leur prix.
c-Les opportunités commerciales, agricoles et
pastorales
Les troubles politiques et les exactions sur les populations
en République Centrafricaine ont eu un impact économique effectif
sur le territoire camerounais en général, mais dans ces villes de
Bertoua, Garoua Boulai et Ngaoui en particulier. Ces conflits centrafricains
peuvent avoir selon les cas les impacts positifs et négatifs. Ils
offrent à ces trois villes des opportunités économiques
non négligeables.
-Dans le secteur agricole et pastoral
L'instabilité politique qui règne en RCA est un
phénomène ancien. Ce sont des réalités
inhérentes à la nature de ce pays de l'Afrique centrale. P.
Kalk72 soulignait déjà que les différents
peuples que l'on retrouve dans ce pays sont essentiellement guerriers.
L'arbitraire colonial a été également le plus difficile et
le plus sanglant dans ce pays. La lutte contre les travaux forcés et
l'insurrection karnou connue sous l'appellation « guerre du
Kongo wara ». Ce passé conflictuel et violent de la RCA aura
des conséquences sur la scène politique de ce pays même
après son accession à l'indépendance. Ainsi, les
populations face à l'instabilité et à ces
difficultés aussi permanentes vont développer la culture de
migration extra-étatique.
L'arrivée massive des Centrafricains et leur
installation dans les villes de Garoua Boulai, Ngaoui et Bertoua a permis
à la population locale de ces trois localités de réaliser
de grosses affaires dans le domaine agricole et pastoral.
En effet, les Centrafricains qui ont fui les
répressions politiques en Centrafrique ont longtemps servi de
main-d'oeuvre dans tous les secteurs d'activité à Bertoua, Garoua
Boulai et Ngaoui. Leur main-d'oeuvre bon marché a permis à
certains locaux d'augmenter les dimensions de leurs plantations. C'est par
exemple le cas d'Ebang Oyono Mbia à Bertoua qui est passé de dix
10 hectares à 25 hectares de plantation de cacao. À Ngaoui,
72P.Kalck, 1974, L'histoire de la
République centrafricaine des origines préhistoriques à
nos jours, Levrault, Paris, p. 35.
58
les propriétaires de bétail ont recruté
plusieurs nomades Bororo qui sont de nature des éleveurs pour le
pâturage de leurs bétails.
-Dans le secteur commercial
Comme disait J-L. Dogmo73, la mobilité
spatiale des hommes constitue un phénomène important dans la vie
économique d'un pays. La présence des refugiés
centrafricains, surtout celle des refugiés des années 2013, a
apporté de nombreuses opportunités au secteur commercial dans les
villes de Bertoua, Garoua Boulai et Ngaoui. En effet, les
réfugiés qui arrivent de la Centrafrique sont à
majorité des musulmans74 qui se sont convertis en
commerçants. Les communes sont alors plus épaulées dans la
mesure où ces commerçants payent des taxes. Selon le maire de la
commune de Ngaoui, le fait pour les réfugiés centrafricains de
vendre désormais leurs bétails sur le marché de Ngaoui et
ceux qui se sont convertis en de simple commerçants est
bénéfique pour sa commune dans la mesure où ceux-ci payent
les impôts et les autres taxes. Il affirme d'ailleurs que « ces
contributions des opérateurs économiques centrafricains
constituent des entrées financières non négligeables pour
la mairie de Ngaoui »75 Ces actions des réfugiés
reconvertis en faveur des mairies n'est pas l'apanage de la localité de
Ngaoui, mais c'est une réalité observée dans les communes
de Garoua Boulai et Bertoua.
D'autre part, comme le souligne Pkao Raymond « les
réfugiés ont toujours été un peuple démunis
qui n'a rien et qui est à la conquête de meilleures conditions de
vie »76. Cette situation de misère a poussé les
réfugiés centrafricains à développer des petites
activités dans nos trois localités d'étude afin d'assurer
leur survie. Ils se sont distingués par la diversité de leurs
secteurs d'activité. Bien plus ces centrafricains refugiés ont
constitué une main d'oeuvre importante ce qui a favorisé
l'économie de nos trois communes.
Dans le secteur des transports interurbains, ces
réfugiés ont également constitué une
clientèle importante non négligeable. Dans les communes de
Ngaoui, Garoua Bouali et Bertoua on enregistrait déjà en 2012
plus de 140 00077réfugiés centrafricains. Cette
situation devait impacter sur le volume et le rythme des transports
interurbains, car ces réfugiés centrafricains qui arrivent
généralement au Cameroun ont toujours tendance à se
73 J.L. Dogmo, 1997, « Les migrations
internationales en Afrique centrale », Annales de la FALSH,
Université de Ngaoundéré, vol II, 1997, pp 5-23.
74 Le conflit qui a eu lieu en 2013 en RCA est un
conflit qui oppose les musulmans et les chrétiens. Cette guerre
interreligieuse est dominée par les chrétiens. Ces derniers
exercent alors des exactions sur les musulmans, pour ces raisons, les
fidèles musulmans sont obligés de quitter le pays pour chercher
refuge ailleurs.
75 Entretien avec Abdouraman Labi le 17 juillet 2014
à Ngaoui. 76Pkao Raymond entretien réalisé
à Garoua Boulai le 24 juin 2014 77 Source : HCR 2012
59
déplacer vers l'hinterland 78 . Seulement,
l'observation attentive et sérieuse des conséquences des conflits
centrafricains dans les communes de Garoua Boulai, Bertoua et Ngaoui
présentent une facette de la situation. C'est dire certes que ces
conséquences s'observent sur les plans politiques et économiques,
mais il existe également des conséquences sociales et
culturelles.
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