L'égalité des armes dans le cadre de l'arbitrage investisseur-état.( Télécharger le fichier original )par Michael Farchakh Université Paris 1 : Panthéon-Sorbonne - Master 2 - Droit International et Organisations Internationales 2015 |
II- L'ABUS D'AUTORITÉ PAR L'ÉTATL'un des déclencheurs les plus communs d'un arbitrage d'investissement est l'utilisation abusive par l'État de ses pouvoirs.Souvent, cet abus ne s'arrête pas une fois l'arbitrage initié, au contraire, certains États n'hésitent pas à user de leurs pouvoirs pour porter atteinte à un autre droit de l'investisseur : le droit à un procès équitable qui comprend notamment le droit à l'égalité des armes. Tout État, aussi faible qu'il soit, possède un arsenal fabuleux de moyens de coercition, le monopole de la contrainte étatique étant d'ailleurs un principede basedu droit constitutionnel. L'État devrait en principe s'abstenir de tout usage abusif de ses prérogatives, mais face à la menace d'un arbitrage qu'il perçoit comme une ingérence, il pourrait choisir de contrattaquer l'investisseur par le biais d'armes non-conventionnelles.«Some Governments, particularly in authoritarian states with weak `rule of law', find it difficult to refrain from using the many means at their disposal to frustrate the arbitration or steer it in their favor»149(*). L'État peut donc détourner des procédures légitimes pour exercer de la pression sur l'investisseur (A) ou peut tout simplement user de ses pouvoirs pour obstruer le bon déroulement de la justice (B). A) L'USAGE DES PRÉROGATIVES ÉTATIQUES À DES FINS NON-LÉGITIMESA la suite de l'initiation d'un arbitrage d'investissement, les autorités étatiques prennent parfois un intérêt sans précédent dans les activités de l'investisseur sur leur territoire. Cet intérêt se manifeste notamment par des procédures de contrôle visant à vérifier la conformité de l'investissement étranger aux régulations en vigueur.Les contrôles d'enviromental compliance deviennent par exemple une méthode favorite de certains États, comme la Russie, pour mettre de la pression sur les investisseurs litigants150(*) ; sous couvert de la protection de l'environnement, but noble et légitime, l'État complique la vie à l'investisseur et terni sa réputation, action qui pourrait avoir des conséquences importantes lors de l'arbitrage. L'État peut aussi décider de soumettre l'investisseur à des audits fiscaux, procédures lourdes un invasives qui permettent aux autorités publiques de contrôler la quasi-totalité des dossiers de l'investisseur. Les autorités fiscales peuvent ainsi procurer à l'État des informations et des preuves auxquels il n'aurait pas normalement accès à travers la procédure arbitrale. Il s'agit là d'un détournement de procédure dangereux qui pourrait peut-être en lui-même justifier un nouveau recours à l'arbitrage d'investissement. Les pouvoirs de police de l'État sont des attributs extrêmement importants sans lesquels il est impossible d'assurer une bonne gouvernance, mais l'usage abusif et discriminatoire de ces mesures à des fins de stratégie contentieuse constitue une violation flagrante du principe de l'égalité des armes. Par ailleurs, une tactique assez fréquemment employée par les États défendeurs est le déclenchement d'enquêtes et de poursuites pénales à l'encontre de l'investisseur. Cette méthode a naturellement le double avantage de mettre une pression intenable sur l'investisseur et de permettre à l'État d'obtenir davantage d'informations sur son adversaire. La police turque a par exemple intercepté des communications confidentielles entre un investisseur et ses avocats dans l'affaire Libananco c. Turquie151(*)sous guise d'investigations pénales sans rapport avec l'affaire en cours d'arbitrage. Le tribunal arbitral dans l'affaire Quiborax c. Bolivie a ordonné à l'État sud-américain, dans une décision provisoire, de suspendre les procédures pénales entamées à l'encontre d'individus impliqués dans l'affaire152(*). Le tribunal a reconnu ne pas avoir le pouvoir d'interdire à un État de recourir à ses pouvoirs de poursuite pénale mais a aussi souligné que la préservation l'intégrité de la procédure arbitrale nécessitait une limitation de ces pouvoirs153(*). Ce phénomène est particulièrement problématique car ces prérogatives sont étroitement liées à l'exercice par l'État de ses pouvoirs souverains, chose qu'un tribunal arbitral ne peut se permettre de méconnaitre. Le recours à de telles mesures est essentiel à la protection par l'État de l'intérêt public et est plus souvent que non légitime et justifié. Mais le potentiel d'abus existe et le tribunal arbitral a très peu de marge de manoeuvre lui permettant de rectifier ce déséquilibre des armes. «Tribunals faced with such challenges have to weigh the legitimate exercise of State powers against the equally imperative requirement to maintain and proactively restore the equality of arms»154(*). * 149 Wälde (T.) 2, op.cit., p. 163 * 150 Wälde (T.), op.cit., p. 37 * 151 CIRDI, Libananco c. Turquie, Sentence du 2 Septembre 2011, para. 19 * 152 CIRDI, Quiborax et Non-Metallic Minerals c. État plurinational de Bolivie, Mesure provisoires du 26 février 2010, para. 148 * 153 Newcombe (A.), «Criminal investigations and the right to procedural integrity of arbitration proceedings», in Kluwer Arbitration Blog at http://kluwerarbitrationblog.com/2010/04/05/criminal-investigations-and-the-right-to-the-procedural-integrity-of-arbitration-proceedings/ (22 décembre 2015) * 154 Wälde (T.) 2, op.cit., p. 176 |
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