Paragraphe 2 : Les insuffisances relatives aux
procédures spécifiques
Lorsqu'il est question de l'analyse des procédures
spécifiques, un certains nombres de points peuvent être
soulevés en guise d'insuffisances. Il s'agira dans cette partie
d'envisager successivement les anomalies liées aux DRP (A) et celles
relatives aux autres procédures
195Article 36 alinéa 3 du CMP Togo :
« La direction nationale de contrôle des marchés publics
veille à ce que, sur chaque année budgétaire, le montant
additionné des marchés de gré à gré
passés par chaque autorité contractante ne dépassent pas
dix (10) pour cent du montant total des marchés publics passés
par ladite autorité ».
Titre 2, Chapitre I : Insuffisances relatives à la
transparence des procédures de passation 81
La transparence dans les marchés publics au
Sénégal et au Togo
spécifiques (B).
A- Des anomalies liées aux demandes de
renseignements et de prix
Lorsque l'on scrute les méthodes de passation des
marchés publics au Sénégal comme au Togo, il y a un
constat qui interpelle et qui, difficilement pourrait passer sous silence. Il
s'agit de la primauté des recours aux DRP. En effet, le mode principiel
de passation des marchés publics qui est l'appel d'offre ouvert, semble
au vu de son nombre, devenir une méthode d'exception au profit de la
procédure de demandes de renseignements et de prix196.
Ainsi au Sénégal, lorsqu'on analyse le PPM de
l'exercice 2014, on constate que sur les 278 818 marchés qui ont
été prévus, 64 057 devaient être passés par
appel d'offres ouvert, 25 616 par appel d'offres restreint ou entente directe
et 215 248 par demande de renseignements et de prix soit un taux de 71% de
DRP197 pour l'ensemble des marchés à passer pour cette
année.
Ces précisions étant faites, il est possible
d'envisager les atteintes qui, étant multiples, varient d'une
autorité contractante à une autre. Dès lors, un regard sur
les marchés passés par DRP par les ministères nous
confronte à une évidence. Il s'agit du fait pour chaque direction
relevant d'un ministère, de gérer de manière isolée
ses demandes de renseignements et de prix, favorisant ainsi, le risque de
fractionnement, surtout si celui-ci s'inscrit dans une logique obscure.
A titre d'exemple, 498 demandes de renseignements et de prix
ont été recensées au niveau du Ministère de
l'Economie, des Finances et du Plan. Dans ce lot, des DRP de même nature
passées par des directions différentes et qui auraient pu, avec
une bonne planification, être regroupées ont été
identifiées. Mais si l'on pousse loin l'analyse, on remarque que ces
commandes par DRP sont généralement le fait de gestionnaires de
programmes198 désignés par le ministre
dépensier
196 Constat à relativiser parce que malgré la
primauté des DRP en termes de nombre, l'appel d'offres demeure en termes
de valeur, la première méthode de passation.
197ARMP Sénégal, Direction des
Statistiques et de la Documentation portail des Marchés Publics, page
19.
198 Nouveau concept initié par le nouveau cadre
harmonisé des finances publiques pour désigner ce qu'on appelait
avant, « Administrateurs de crédits délégués
».
Titre 2, Chapitre I : Insuffisances relatives à la
transparence des procédures de passation 82
La transparence dans les marchés publics au
Sénégal et au Togo
conformément à l'article 18 du décret
2011-1880 du 24 novembre 2011 portant Règlement Général
sur la Comptabilité Publique, qui tiennent absolument à avoir la
main sur les crédits qu'ils administrent et agissent comme des Personnes
Responsables des Marchés Publics, sans avoir été
formellement désignés comme telles199
conformément aux dispositions des articles 27 et 28 du CMP.
Dès lors, le constat qui se dégage à
travers ces faits est que très souvent, le cumul de ces DRP de
même nature dépasse le seuil de passation des marchés par
appel d'offres et est assimilable à un fractionnement des marchés
proscrit par les dispositions de l'article 54 alinéa 5 du
CMP200.
D'un autre point de vue et toujours pour le cas
spécifique des DRP, il est indispensable de disposer des offres des
soumissionnaires dont l'examen permettra de déceler les manquements aux
règles de transparence. A cet effet, malgré les
améliorations qui ont été reconnues au recours aux DRP, il
convient cependant de reprocher à cette méthode spécifique
de passation, des anomalies qui pour le moins portent atteinte aux exigences de
transparence.
Dans ce contexte, outre les manquements tels que la
publication de marchés non-inscrits dans le PPM en violation de
l'article 6 du CMP et imputable à certaines autorités
contractantes comme le Centre Hospitalier Régional de Thiès, la
Société d'Infrastructure et de Réparation Navale, pour ne
citer que celles-là, on constate aussi des pratiques collusives de
même que des simulations de concurrence. En outre remarque-t-on dans la
constitution des listes restreintes, un manque de transparence
matérialisé par la récurrence de la consultation conjointe
de mêmes groupes d'entreprises.
Au Togo, les atteintes à la transparence ne demeurent
pas moins présentes dans les demandes de cotation201. Ainsi,
en se basant sur le rapport de synthèse de l'ARMP publié en 2015
et qui porte sur les marchés passés en 2013 par cette
méthode, on constate une série de faits tout aussi
199 Les DRP signées par les administrateurs de
crédits sont frappées de nullité en vertu des articles 18
et 22 du Code des Obligations de l'Administration qui sanctionnent
respectivement le défaut d'autorisation et l'incompétence.
200 Article 54 al. 4 du CMP Sénégal «
Les autorités contractantes ne peuvent en aucun cas fractionner les
dépenses ou sous-estimer la valeur des marchés de façon
à les soustraire aux règles qui leur sont normalement applicables
en vertu du présent décret ».
201 Expression utilisée par le CMP Togo pour la
passation des marchés situés en dessous des seuils de passation.
Cf. les articles 11, 12 et 15 u CMP Togo.
Titre 2, Chapitre I : Insuffisances relatives à la
transparence des procédures de passation 83
La transparence dans les marchés publics au
Sénégal et au Togo
saisissants que pernicieux vis-à-vis des idéaux
de transparence. En effet, sur 87 cotations auditées, 23 n'ont pas
été inscrites au PPM.
En plus de cela, il a été constaté une
inexistence des dossiers de demandes de cotation pour un certain nombre de
marchés, en dessous du seuil202 avant le lancement de la
procédure. Cette situation a entrainé une non-information des
soumissionnaires sur les spécifications techniques des biens à
acquérir, les critères d'évaluation des offres et les
obligations des différentes parties.
En outre, Neuf (09) demandes de cotation sur quatre-vingt-sept
(87) auditées n'ont pas été soumises à la
Commission de Contrôle des marchés publics pour validation,
entrainant un défaut de contrôle par celle-ci sur la
fiabilité et la régularité de la procédure. Selon
les exigences du code, les demandes de cotation doivent être
adressées au moins à 5 prestataires sélectionnés
à partir d'un registre tenu par l'autorité contractante.
Là encore, sur les 87 cotations auditées, 18 ont manqué
à cette obligation. L'analyse de ce dernier aspect montre à
suffisance qu'il y a eu dans la mise en oeuvre de cette procédure, un
défaut de mise en concurrence d'un nombre suffisant de prestataires et
de fournisseurs potentiels. Cette situation a probablement pour le moins
entrainé un risque d'obtention de prix non compétitifs.
Une analyse des marchés passés par DRP par la
Nouvelle Société Cotonnière du Togo (NSCT) nous renseigne
à suffisances sur les incohérences à chaque étape
de la passation. Sur 41 marchés, 11 l'ont été par appel
d'offres ouvert, 1 par appel d'offres restreint, 1 par entente directe, et 28
par DRP soit un taux de 68% pour ces derniers203. En plus de cela,
on constate pendant leur planification et la préparation des dossiers,
une violation de l'article 9 du CMP. Quant à la phase d'ouverture et
d'évaluation des offres, il a été constaté qu'il
n'existait pas au niveau de la commission de passation, un registre
spécial, coté et paraphé destiné à
l'enregistrement des offres dans leur ordre d'arrivée. Mais bien plus
grave, la NSCT a très souvent omis d'informer systématiquement
par écrit, les soumissionnaires non retenus du motif du rejet de leurs
offres et d'en conserver les preuves. En outre, la NSCT ne procède pas
à la publication systématique du
202 La demande de cotations au Togo s'applique aux marchés
dont le montant est compris entre 3 millions et 15 millions de francs CFA.
203 Cabinet ERUDIT, Rapport de Revue indépendante de
conformité des procédures de passation des marchés
passés par la NSCT au titre de l'année 2013, publié en
octobre 2015, Page 8.
Titre 2, Chapitre I : Insuffisances relatives à la
transparence des procédures de passation 84
La transparence dans les marchés publics au
Sénégal et au Togo
procès-verbal d'attribution du marché
après l'obtention de l'avis de non-objection de la DNCMP sur le rapport
d'évaluation des offres.
Quant à la phase de signature du contrat, on
déplore un non-respect d'attribution du marché pendant le
délai règlementaire de même qu'une absence de preuve de
l'enregistrement du marché avant exécution et un défaut de
publication dans le journal officiel, de l'attribution définitive du
contrat.
Somme toute, ces irrégularités sont
principalement imputées aux autorités contractantes puisqu'aucun
acteur extérieur n'est impliqué dans les DRP. Les audits ont de
ce fait mis en évidence les nombreuses dérives substantielles,
découlant non seulement de l'absence de maîtrise des
procédures mais aussi d'une volonté
délibérée de contournement de la règlementation.
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