La souveraineté de l'état en période de conflits déstructurés.( Télécharger le fichier original )par Paul Mystère Léonnel NTAMACK BATH Université de Douala - Master II Recherche Droit international public 2010 |
B- Les mesures coercitives du maintien de la paix et de la sécurité internationales des organisations sous-régionalesIl est à constater que la seule situation qui prête à une atteinte directe à la souveraineté étatique est celle où sont adoptées les mesures obligatoires par le Conseil de sécurité dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nation Unies270(*). Il faut dire que le développement sans cesse croissant d'Etat déliquescent à l'aube du XXIe siècle a inéluctablement provoqué un phénomène de prise en charge sous régionale, mais là encore, on peut distinguer une échelle de gravité croissante par rapport aux principes de non intervention et de non ingérence271(*). L'exemple libérien illustre un premier seuil, l'ECOMOG débute comme une opération de maintien de la paix classique c'est-à-dire que le consentement de toutes les parties concernées a été recherché par la C.E.D.E.A.O. et que l'action a d'abord pris la forme d'une force d'interposition déployée pour faire respecter le cessez-le-feu, puis l'ECOMOG va se transformer en une opération coercitive272(*). Face à cette situation, la C.E.D.E.A.O. va chercher à obtenir une caution de l'ONU alors même que plusieurs Etats de la région étaient défavorables à une intervention des Nations Unies273(*). Mais finalement, à la demande la C.E.D.E.A.O, le conseil de sécurité va couvrir implicitement ce passage de l'interposition à la coercition274(*). L'opération ARTEMIS, lancée au deuxième semestre de l'année 2003, s'inscrit dans le cadre de la résolution 1484 (2003) du Conseil de sécurité275(*). Elle a facilité le renforcement du mandat de la Mission de l'ONU en République démocratique du Congo dans la province d'Ituri, une région connue pour l'ampleur et la gravité des violations des droits de l'homme, notamment des violences sexuelles, qui y sont perpétrées276(*). En première lecture, le paragraphe 138 de la Déclaration du millénaire277(*), confirme que la responsabilité de protéger est une « composante » des devoirs qui incombent aux Etats au titre de leur souveraineté278(*). Le paragraphe 139 admet qu'à titre subsidiaire, les Etats - sous les auspices, en l'espèce, de l'ONU - peuvent imposer leur volonté collective à des Etats défaillants, en passant outre si nécessaire au consentement des autorités locales, par le recours au chapitre VII de la Charte, ce qui implique une mise en cause de l'égalité souveraine et une réduction de l'opposabilité des droits souverains dans les relations internationales279(*). Au demeurant et eu égard de ce qui précède, l'analyse entreprise a permis d'opérer le constat selon lequel, en période de conflits déstructurés, la souveraineté de l'Etat est amoindrie, relative, en pleine déliquescence. D'abord du fait des caractères intrinsèques des conflits déstructurés ; il s'agit entre autre de l'affaiblissement, ou de la disparition partielle voire totale des structures étatiques. Ainsi que de l'absence de cohésion sociale et d'unité nationale au sein de l'Etat. Cette rupture du lien social sans possibilité de cohabitation est accentuée par le contrôle des troupes rebelles de parties du territoire de l'Etat. Réalité qui participe de la fragmentation des limites territoriales et de surcroît de la souveraineté de l'Etat. Ensuite, le non-respect des droits fondamentaux de la personne humaine au sein de l'Etat, témoigne encore plus de la décrépitude, de l'affaiblissement, de la souveraineté, conséquence directe de la défaillance de l'Etat. En ce sens que, en cas de carence de l'Etat, d'autres que lui peuvent assurer la protection de la population sous sa juridiction y compris en recourant à une intervention armée280(*) sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Ainsi, les crises humanitaires se prêtent plus à des interventions à chaud, notamment dans le cours même d'un conflit armé281(*). Elles ne traduisent pas nécessairement une véritable révolution dans la conception de la souveraineté mais une restriction des souverainetés des Etats débiteurs, souvent très conjoncturelle282(*). Enfin, la mise en oeuvre du chapitre VII pour adapter le mandat des opérations de maintien de la paix à la responsabilité de protéger, implique que, la ou les souverainetés étatiques s'inclinent devant la volonté de l'organe collégial de décision qu'il soit universel ou régional283(*) voire sous régional. En revanche, il est important de garder à l'esprit que la souveraineté est et demeure avant tout pour le juriste, une « voie d'entrée royale » dans l'ordre juridique international284(*). De ce point de vue, tant qu'un Etat existe, il est et demeure souverain ; dès lors que la défaillance très poussée de certaines entités étatiques n'a pas donné lieu à cette certification de disparition de la personne juridique Etat, l'Etat défaillant subsiste en tant qu'Etat souverain285(*). L'analyse ainsi entreprise permet d'opérer le constat selon lequel, la souveraineté de l'Etat en période de conflits déstructurés est en décrépitude, amoindrie et affaiblie. Toutefois, celle-ci survit malgré l'existence des conflits déstructurés. En ce sens que, la souveraineté est la qualité inhérente à l'Etat et le principe régissant les relations internationales286(*). De plus, la souveraineté est consubstantielle à l'Etat, elle ne disparaîtra qu'avec lui et rien n'annonce encore sa disparition287(*). * 270 Patrick DAILLIER, « La `` responsabilité de protéger'', corollaire ou remise en cause de la souveraineté ? », op. cit., p. 46. * 271 Jean-Denis MOUTON, « Retour sur l'Etat souverain à l'aube du XXIe siècle », op. cit, p. 325 * 272 Ibid. * 273 Ibid., p. 326 * 274 Ibid. * 275 Myriam BENLOLO CARABOT, « La responsabilité de protéger : quel rôle pour les organisations régionales ? », in Anne-Laure CHAUMETTE et Jean-Marc THOUVENIN (Dir.), La responsabilité de protéger, dix ans après, Paris, Pedone, 2013, p. 54. * 276 Ibid. * 277 Patrick DAILLIER, « La `` responsabilité de protéger'', corollaire ou remise en cause de la souveraineté », op. cit., p. 44, voir Assemblée générale ONU, A/60/L.1, Document final du sommet mondial de 2005, voir Jean-Marie DUPUY, Les grands textes de droit international public, Paris, Dalloz, 6e éd., 2008, pp. 39-40. * 278 Ibid., p. 45 * 279 Ibid, voir notamment la résolution du conseil de sécurité des Nations Unies n°1674 du 28 avril 2006, Protection des civils en période de conflit armé, point 4 : « réaffirme les dispositions des paragraphes (138 et 139) du document final du Sommet mondial de 2005 relatives à la responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, de la purification ethnique et des crimes contre l'humanité ». * 280 Jean-Marc THOUVENIN, « Genève de l'idée de responsabilité de protéger », S.F.D.I., La responsabilité de protéger, colloque de Nanterre, Paris, Pedone, 2008, p. 32 * 281 Patrick DAILLIER, « La `` responsabilité de protéger'', corollaire ou remise en cause de la souveraineté ? », op.cit., p. 55 * 282 Patrick DAILLIER, « La `` responsabilité de protéger'', corollaire ou remise en cause de la souveraineté ? », op. cit., p. 55 * 283 Ibid., p. 56 * 284 Jean-Denis MOUTON, « Retour sur l'Etat souverain à l'aube du XXIe siècle », op. cit., p. 329 * 285 Ibid. * 286 Ibid., pp. 329-330 * 287 Pierre-Marie DUPUY, « La souveraineté des Etats et le droit des Nations Unies », Roland DRAGO (Dir.), Souveraineté de l'Etat et interventions internationales, Paris, Dalloz, 1996, p. 31 |
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