c. Un mode de représentation
privilégié ?
Afin de répondre à cette question et
après analyse de notre catalogue qui compte vingt-et-une oeuvres,
anonymes et attribuées, nous pouvons dégager deux
catégories principales de représentations de l'Assomption en
Provence. Il convient d'y ajouter les oeuvres qui font figure d'exception dans
notre étude et celles où est représenté le
commanditaire. Les deux modes de représentations que nous rencontrons se
répartissent ainsi : les Assomption à la composition
traditionnelle et les Assomption où sont figurés des saints
extérieurs à la scène.
La première catégorie, les oeuvres à la
composition traditionnelle sont les plus nombreuses, sur vingt et une oeuvre
recensées, huit d'entre elles sont concernées. Il s'agit de la
représentation de l'Assomption qui est la plus en accord avec les
textes, apocryphes mais surtout les écrits issus de la
littérature religieuse du XVIIème. Si ce type de composition
retranscrit fidèlement les écritures, par les personnages
présents et les émotions qu'ils sont supposés ressentir,
la séparation des deux registres, le terrestre et le céleste est
une tradition strictement picturale. Issu des premières
représentations de l'Assomption au Moyen-âge, puis repris par les
grands maîtres de la Renaissance italienne, ce schéma de
composition perdure ainsi durant tout le grand siècle, et
particulièrement en Provence.
Ainsi nous avons placé dans cette catégorie
quatre Assomption anonymes et quatre autres attribuées. Ces
dernières se composent, dans un ordre chronologique, des oeuvres de
Jacques Macadré240, Nicolas Mignard241, Reynaud
Levieux242 et Claude Bousquet243 en Provence.
240 Voir p.45.
241 Idem, p.53.
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Pour les oeuvres anonymes, trois se trouvent également
en Provence, celles de Grimaud244, d'Aups245, du
Luc246, et une dans le Dauphiné au
Monêtier-les-Bains247. L'ensemble de ces oeuvres fait figurer
les apôtres regroupés autour du tombeau, suivant là aussi
les représentations traditionnelles du thème. Nous l'avons
déjà souligné, mais seule l'Assomption anonyme de
l'église Saint-Pancrace d'Aups déroge à cette règle
puisque les apôtres y sont disposés en cercle autour de la
sépulture.
Bien que notre catalogue ne soit pas exhaustif, le panel des
oeuvres étudiées nous permet toutefois d'observer les tendances
qui en découlent, pour tenter de mieux comprendre la production
artistique liée au thème en Provence. Ainsi au vu de la
majorité des oeuvres reprenant une composition strictement
traditionnelle, nous pourrions tirer la conclusion suivante ; l'Assomption
bénéficie dans la région d'une résonance
particulière au sein du culte des habitants. Ce qui se traduit
picturalement par la reprise d'un schéma de représentation
coutumier, accessible à tous par une narration qui ne conserve que
l'essentiel.
La deuxième catégorie qui regroupe les
Assomption où figurent des saints extérieurs à la
scène, compte six oeuvres, dont quatre attribuées et deux
anonymes. Nous avons là le deuxième type de représentation
le plus rencontré lors de notre étude, ce qui est
révélateur à plus d'un titre. De manière
générale, nous avons vu que les saints sont toujours
représentés par deux, à l'exception peut-être de
l'oeuvre de Trophime Bigot où le Christ et sainte Anne accueillent la
Vierge au ciel. Pour les autres cas, les deux saints sont exclusivement
présents dans le registre terrestre. Nous en comptons donc onze au total
répartis dans six oeuvres. Lorsque nous nous penchons sur la population
de ces saints, la majorité d'entre eux sont issus du premier
millénaire : la tendance que nous avions remarquée au cours de
cette étude se
242 Idem, p.55.
243 Idem, p.57.
244 Voir p.66.
245 Idem, p.65.
246 Idem p.71.
247 Idem p.70.
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confirme donc. Ainsi huit d'entre eux sont issus des Ier,
IIème, IIIème et IVème siècles248, et
trois du Moyen-âge249. Le culte de ces saints est donc
particulièrement présent en Provence, reflétant une
société où les traditions se perpétuent, car comme
le souligne Marie-Hélène Froeschlé-Chopard, « tous
ces saints (...) renvoient à la première
évangélisation »250 et en ce sens « à
la première strate du christianisme d'une région
»251. Nous pouvons aisément conclure que dans le cas de
l'Assomption, l'iconographie participe à maintenir vivantes ces
croyances. En effet, la scène de l'Assomption permet de regrouper les
deux cultes qui font partie des trois plus populaires dans la région, la
Vierge et les saints du premier millénaire. De plus, là encore
nous constatons la persistance des croyances du Moyen-âge avec le culte
de saint François, sainte Claire et sainte Marguerite, que nous
retrouvons dans nos oeuvres dans l'Assomption anonyme d'Ollioules et celle de
Laurent Brunier à Visan.
Ces deux premiers modes de représentation majoritaires,
la composition traditionnelle et la composition incluant des saints qui ne sont
d'ordinaire pas présents, sont le reflet dans les oeuvres
dédiées à l'Assomption d'une région aux traditions
religieuses fermement ancrées.
Nous trouvons également des compositions incluant le
commanditaire : elles sont au nombre de trois ; les oeuvres de François
Mimault à Senez252 et Entrevaux253, et
l'Assomption anonyme de Guillestre254. Peu nombreuses,
elles traduisent souvent la richesse, et / ou le haut rang auxquels
appartiennent les commanditaires. C'est le cas pour ces Assomption qui
émanent toutes du mécénat religieux avec les
évêques de Senez et d'Entrevaux et l'archevêque d'Embrun.
Dans ce cas les artistes répondent à une commande dont les
248 Ier siècle : saint Anne, saint Joseph. II et
IIIème siècles ; saint Marcellin, saint Christophe. III et
IVème siècles ; saint Sébastien, sainte Marguerite.
249 XIIème et XIIIème siècles ; saint
François, sainte Claire. XIVème siècle ; saint Roch.
Notons toute fois que le culte de saint Joseph fut intégré
à la liturgie chrétienne qu'au XVème siècle.
250FROESCHLÉ-CHOPARD,
Marie-Hélène, Espace et sacré en Provence (XVIe - XXe
siècle), Les Éditions du Cerf, Paris, 1994, p.133.
251 Idem, Idem.
252 Voir p.41.
253 Idem, p.43.
254 Idem, p.66.
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directives iconographiques leurs ont été
clairement exposées, lors de la signature du prix fait notamment.
Cependant, la notion du lieu de destination de l'oeuvre est également
importante et à prendre en compte. En se faisant représenter en
spectateur, ou comme chez Mimault à Senez, acteur de la scène,
les commanditaires entendent ainsi témoigner leur dévotion. Ces
oeuvres exposées aux yeux des fidèles dans les églises
pour lesquelles elles ont été réalisées, offrent
à tous le témoignage de la grande piété de ces
représentants de l'autorité chrétienne.
Enfin, quatre dernières oeuvres n'appartiennent
à aucune de ces catégories, et révèlent des
exceptions plus rares dans la production artistique liée au thème
dans la région. Parmi celles-ci, deux oeuvres présentent une
iconographie originale qui n'est vraisemblablement pas très
répandue en Provence, il s'agit des Assomption anonymes de
Salon-de-Provence255 et de Cavaillon256. Nous l'avons vu
seul le groupe de la Vierge avec les anges est représenté. Ce
mode de représentation s'inscrit en effet à l'opposé de la
composition traditionnelle en deux registres. À Salon le choix du
peintre pour cette iconographie a peut-être été
dicté par le lieu de destination, qui impliquait une grande distance
entre l'oeuvre et le spectateur. Mais le point commun entre l'Assomption de
Salon et celle de Cavaillon semble être le fait qu'elles appartiennent
toutes deux à un ensemble de plusieurs oeuvres. Dans ce cas la
scène, réduite au groupe céleste, devient certainement
suffisamment lisible lorsque celle-ci est accompagnée par d'autres
oeuvres figurant les épisodes de la vie de la Vierge.
À ces deux toiles nous pouvons ajouter la copie
d'après Vouet de Vernègues257 qui dévoile une
facette du mécénat en Provence, cependant la commande de copie
conforme ne parait pas extrêmement répandue dans la région.
Nous pouvons en supposer de même pour les oeuvres commandées
à des peintres parisiens. En effet l'Assomption de Philippe de
Champaigne258
255 Voir p.66.
256 Idem, p.67.
257 Idem, p.73.
258 Idem, p.58.
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conservée à Saint-Julien-en-Beauchêne est
la seule dans notre catalogue qui illustre cette particularité, pour le
Dauphiné. Il est d'autant plus étonnant de remarquer que cette
commande, qui témoigne très probablement d'une recherche de
prestige, émane d'un ordre religieux, les Chartreux, établis au
sein d'un si petit village. À ce sujet nous sommes forcés de
constater qu'au XVIIème siècle, la diffusion des oeuvres des
maîtres de la capitale par la gravure est rapide mais surtout, couvre un
large territoire. Cependant, cela ne suffit pas pour affirmer que Paris avait
un grand pouvoir d'attraction sur la Provence. Bien qu'elle ne dispose pas
XVIIème siècle de grands noms, tels que l'on peut rencontrer dans
la capitale, la présence de peintres de talents originaires de la
région est incontestable. Nous l'avons vu avec François Mimault
ou Reynaud Levieux par exemple. Néanmoins, nous remarquons que la notion
de prestige liée à l'artiste est nettement moins marquée
que dans un grand centre artistique tel que Paris. La région illustre
bien la complexité du passage d'un statut d'artisan à celui
d'artiste, car aucune réelle différence n'est faite dans la
première moitié du siècle. Les peintres étaient
alors intégrés à des corporations de sculpteurs dont le
statut était lui aussi associé à celui d'un artisan. Ce
que l'on pourrait reconnaitre comme un tournant dans le statut social des
peintres s'opère dans la deuxième moitié du siècle,
quand est créée à Aix en 1663 la confrérie de Saint
Luc, qui avait pour vocation de regrouper plusieurs arts, peinture, sculpteurs
ou encore broderie. Cette tardive assimilation du statut de l'artiste dans la
société a peut-être contribué à en garder un
certain nombre dans l'ombre. Toutefois cette étude permet de rassembler
autour du thème de l'Assomption, quelques noms, ou oeuvres anonymes qui
rendent compte du vivier de talent dont disposait la région.
En somme, notre catalogue qui regroupe des oeuvres de toute la
Provence, du comté Venaissin et du Dauphiné, montre la
prédominance du mode de représentation traditionnel
dédié à l'Assomption, révélant ainsi
l'étroit parallèle entre la production écrite et
picturale. Mais surtout, il met en évidence l'aspect
particulièrement pieux de la Provence. La région associe
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les croyances universelles aux croyances locales, qui au
XVIIème maintiennent un climat mystique dans l'esprit des
fidèles. La composition des oeuvres picturales en est le reflet le plus
direct : l'Assomption est représentée avant tout pour servir une
dévotion bien vivante.
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