b. La question des copies.
Il convient d'aborder la question des copies à ce stade
de notre étude. En effet parmi notre catalogue d'oeuvres qui en compte
vingt et une, anonymes et attribuées, nous rencontrons une copie d'une
Assomption d'un peintre parisien et trois toiles dont le registre
inférieur est similaire ou quasi similaire.
Nous traiterons en premier le cas de ces trois oeuvres : il
s'agit de l'Assomption de François Mimault à
Senez221, de celle de Jacques Macadré à
Gréoux-les-Bains (Fig.3)222 et d'une toile
anonyme conservée au Luc (Fig.20)223. Cette
dernière se trouve au sein de l'église Notre-Dame-du-Mont-Carmel.
La composition se présente en deux registres, séparés par
une bande de ciel bleu. Dans la partie supérieure, un nuage
s'étend sur toute la largeur de la toile, la Vierge est assise au
milieu, avec de part et d'autre une nuée d'angelots vêtus de
drapés rouges, jaunes et bleus. Marie, elle, porte une robe rouge et un
drapé bleu, le visage légèrement tourné ; ses bras
grand ouverts délimitent l'auréole qui entoure toute la partie
supérieure du corps de la Vierge.
La question de la copie se pose donc pour le registre
inférieur, le groupe des apôtres de l'Assomption du Luc
est quasi- exactement le même que celui de Mimault à Senez. Ici la
disposition des personnages est calquée à l'inverse, les seules
différences se trouvent dans les coloris des vêtements, qui pour
le reste sont strictement similaires. Nous remarquons aussi l'absence d'un
apôtre. Si l'oeuvre de Mimault en compte douze, au Luc nous en trouvons
seulement onze. À ce sujet nous pouvons nous demander si l'oeuvre n'a
pas été coupée sur le côté droit pour rentrer
dans un cadre à postériori224. Si nous ne connaissons
ni l'auteur, ni la
221 Voir dans ce mémoire, II.), c., p. 35.
222 Idem, II.), c., p.38.
223Anonyme, Assomption, 17e
siècle, Notre-Dame-du-Mont-Carmel, Le Luc.
224 L'Assomption du Luc est aujourd'hui
encadrée d'une frise de quadrilobes peinte sur le mur, qui
délimite au-dessus un tympan à l'intérieur duquel sont
figurés une myrte, un rameau et un livre en médaillon. Ces
peintures
72
date de l'exécution de l'oeuvre, nous pouvons supposer
qu'elle fut réalisée après celle de Mimault, sans pour
autant en être certains. En effet, deux hypothèses s'offrent
à nous : la plus probable serait que ces artistes eurent tous deux
connaissance d'une gravure qui circulait dans la région et qui offrait
un modèle de composition dédié au groupe des
apôtres. La seconde, plus discutable voudrait que l'artiste du Luc ait
consciemment copié une partie de l'oeuvre de Mimault. Le peintre aurait
dans ce cas bénéficié d'une fort bonne réputation
dans la région, au point que ses oeuvres soient prisent comme «
références » par d'autres peintres provençaux.
De plus, nous retrouvons également de nombreuses
similitudes entre le groupe des apôtres de Senez et celui de l'oeuvre de
Jacques Macadré réalisée en 1615, une année
après celle de François Mimault. Bien que la composition ne soit
pas tout à fait la même, chez Macadré, les trois
apôtres derrière et à droite du tombeau sont plus
espacés les uns des autres. Notons aussi que le commanditaire
présent dans l'oeuvre de Mimault est ici remplacé par un
apôtre225. La gestuelle est tout autant identique, un seul
apôtre à gauche ne lève pas la main dans la composition du
Luc, le peintre a également rajouté une clé à la
main de saint Pierre sans en changer la position. Cependant là aussi la
couleur des vêtements des douze apôtres varie d'une oeuvre à
l'autre et les coloris dans l'ensemble sont un peu plus ternes dans
l'Assomption du Luc. Dans ce cas, la question se pose encore : Jacques
Macadré a-t-il puisé son inspiration chez Mimault, ou ont-ils eu
le même modèle de gravure ?
Quoi qu'il en soit, il faut aussi prendre en compte une
remarque pertinente de Marie-Claude Homet à propos de la copie :
« Le peintre lui-même n'a pas toujours la
perception de ses sources. La part d'inspiration et celle de transcription, et
même d'imitation, restent du domaine de l'inconscient bien plus que
murales sont attribuées au peintre D. Dechiffre, dit Il
pintore, elles sont datées de 1898. Avant de recevoir ce décor
l'oeuvre a donc pu être encadrée durant les siècles
précédents.
Inventaire général du patrimoine culturel, dossier
n° 83001046.
225 Chez Mimault, l'apôtre est présent au dernier
plan, derrière le tombeau.
73
du conscient. Il n'y a que la copie conforme qui traduise
vraiment l'admiration, la volonté de faire comme l'autre
»226.
Cette dernière phrase pourrait définir l'ultime
oeuvre de notre catalogue, l'Assomption
(Fig.21)227 anonyme conservée
au sein de la chapelle Saint-Symphorien de Vernègues228.Il
s'agit en effet de la copie inversée de
l'Assomption229 de Simon Vouet conservée au
musée des Beaux-arts de Reims et réalisée en 1644 pour
l'oratoire de la chapelle d'Anne d'Autriche au Palais Royal. L'oeuvre
présente au bas les apôtres, de part et d'autre de quelques
marches au premier plan qui mènent au tombeau. Juste au-dessus la Vierge
s'élève debout sur les nuages accompagnée par plusieurs
anges. Vouet la représente le visage quasiment de profil. Le mouvement
ascensionnel est particulièrement mis en avant par l'agitation des
drapés du manteau bleu de Marie. Derrière la scène figure
un décor architectural composé de colonnes corinthiennes,
révélant chez Simon Vouet un rapprochement vers le classicisme,
amorcé dès 1640. Cette oeuvre est également
caractérisée par la finesse du dessin et des coloris. En effet
l'oeuvre de la chapelle Saint-Symphorien, bien que le sens soit inversé,
présente une composition identique. Le peintre ne fait cependant pas
figurer les colonnes corinthiennes et « comble » le fond de la
scène par une masse nuageuse. Les personnages se trouvent dans les
mêmes postures, rendant une dynamique similaire à l'oeuvre de
Vouet. Si la lumière vient de la même source sur les deux toiles,
nous remarquons que dans la copie celle-ci est plus intense. Un rayon illumine
la Vierge jusqu'à son tombeau et tranche ainsi d'avantage les
volumes.
226HOMET, Marie-Claude, Michel Serre et la
peinture baroque en Provence (1658-1733), Aix-en-Provence, 1987, p.37.
227 Anonyme, Assomption, 17ème siècle, 173
x 120 cm, chapelle Saint-Symphorien, Vernègues.
228 Dans l'actuel département des
Bouches-du-Rhône.
229Simon VOUET, Assomption de la Vierge, 196
x 129cm, 1644, musée des Beaux-arts, Reims. Annexe
14.
74
Pour le reste, le peintre de Vernègues a largement
copié l'Assomption de Vouet, qui fut reproduite par la gravure
en 1647 par Michel Dorigny230. L'oeuvre de la chapelle
Saint-Symphorien est donc très certainement postérieure à
1647. Bien que le peintre demeure inconnu, la présence au bas à
gauche de l'oeuvre d'un blason231 pose la question du commanditaire.
La halle voutée dans laquelle se trouve l'oeuvre aujourd'hui,
était au XVIIème ouverte sur l'extérieur. L'Assomption
a donc probablement été destinée à un autre
emplacement au sein de l'édifice. Selon les informations connues, cette
halle voutée fut offerte par la dame d'Oppède, certainement
Marie-Thérèse de Pontevès232,
épouse233 d'Henri de Forbin-Mainier234, baron
d'Oppède. La halle ayant été intégrée au
volume intérieur de la chapelle seulement en 1767, il n'est cependant
pas impossible que Marie-Thérèse de Pontevès ait offert
cette toile au même titre que son mécénat envers
l'architecture. Les armoiries présentes sur l'oeuvre rappellent celle de
la famille noble provençale des Agoult235 dont sont issus les
Pontevès. Ainsi nous retrouvons des armoiries où figurent les
deux familles236. De plus l'oeuvre a été datée
par la DRAC237 de la deuxième moitié du XVIIème
siècle, ce qui correspondrait au mécénat pour la halle de
1650 émanant de Marie-Thérèse de Pontevès. Elle
aurait pu également offrir cette oeuvre à une date
postérieure. Il s'agit là d'une hypothèse, car aucun prix
fait existant ne vient confirmer avec certitude cette information.
230 Michel Dorigny était le gendre et
l'élève de Simon Vouet, c'est un peintre et un graveur qui
réalisa de nombreuses oeuvres.
Voir DUMESNIL, Robert, Catalogue raisonné des
estampes gravées par les peintres et dessinateurs de l'école
française, Tome 4, Allouard Libraire, Paris, 1839, p.247 à
p.300.
231 Ces armoiries se présentent sous la forme d'un blason
bleu portant un loup sur la diagonale. Voir détail
(Fig.21).
232 Marie-Thérèse de Pontevès (1626 -
1699).
233 Le mariage eu lieu en juin1637.
CHENAYE-DESBOIS, M. de la, Dictionnaire de la
noblesse, Tome 6, Antoine Boudet Libraire, Paris, 1773, p. 528.
234 Henri de Forbin-Mainier fut baron d'Oppède, «
seigneur de la Fare, du Rouvet, de Peyroles et en partie de Varage, fut connu,
comme son père, conseiller, puis président, et enfin premier
président du Parlement de Provence, par provisions du 19 septembre 1655.
»
Idem
235 Voir CHENAYE-DESBOIS, M. de la, Dictionnaire de la
noblesse, Tome 1er, Antoine Boudet Libraire, Paris, 1770,
p.74.
236 Voir (Fig.21).
237 Dossier DRAC n° PM13002600
75
Par ailleurs, nous avons connaissance d'une autre copie
inversée de l'oeuvre de Simon Vouet, conservée au sein de
l'église paroissiale Saint-Michel de Bordeaux, cette
Assomption238 anonyme est néanmoins
datée239 et porte les armoiries du commanditaire, qui
là aussi n'ont pas pu être identifiées avec certitude.
L'exemple de la copie de Vernègues prouve la
rapidité de diffusion en Provence des oeuvres des grands maitres
parisiens, mais pas seulement. Bien que le peintre reproduise la composition
exacte de Vouet, le traitement de la lumière et des coloris nous indique
une maitrise certaine de son art, et dénote un trait stylistique propre
aux artistes provençaux. Si nous n'avons qu'un exemple dans notre
catalogue de réplique exacte comme celle-ci, nous remarquons ici que la
réponse de l'artiste à la question de la copie est double. La
notion d'admiration, liée à Simon Vouet peintre tout autant
parisien qu'italien, devait être présente chez le commanditaire et
chez l'artiste. Cependant ce dernier, s'il répond à la demande en
reproduisant la composition, ne tourne pas le dos à une tradition
ancrée en Provence où la vivacité des coloris est
prédominante. Mais il ne faut pas oublier un paramètre important,
notre peintre était peut être copiste, ce qui est certain c'est
que le fait qu'il soit choisi par le commanditaire pour ce type de travail
révèle un aspect de son art. Cela démontre que l'artiste
était alors considéré comme digne et assez talentueux pour
reproduire au mieux la manière du maître.
Au XVIIème siècle, la notion de copie, de
reproduction n'était donc absolument pas considérée de
manière dépréciative comme aujourd'hui. Nous le savions
pour sa fonction d'enseignement, lorsque les peintres au cours de leur
apprentissage reproduisaient les oeuvres de grands maîtres de la
Renaissance ou les modèles antiques. La copie avait une réelle
fonction d'enseignement, et était considérée comme une
règle inhérente à la pédagogie
238Anonyme, Assomption, 1652, 211x151 cm,
d'après Simon Vouet, église Saint-Michel, Bordeaux.
Annexe 15. 239 La date, 1652, se trouve en bas au gauche de
l'oeuvre.
Inventaire général du patrimoine culturel,
région Aquitaine, dossier n° IM33002195.
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artistique. Outre cette fonction que nous connaissons bien,
elle permettait donc la diffusion d'oeuvres prestigieuses dans tout le royaume
dont la Provence.
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