c. Les oeuvres attribuées, la tradition
iconographique de l'Assomption en Provence.
Les Assomption, dont l'attribution est certaine et
qui constituent notre catalogue, ont été recensées
grâce à la base de données Palissy119. Nous
soulignons cependant que la liste fournie n'est pas exhaustive ; il s'agit ici
des oeuvres toujours conservées in situ. Il parait
évident que certaines oeuvres déplacées, disparues, ou
cachées dans des collections privées ne feront pas partie de
cette étude. L'intention première est de fournir un catalogue le
plus représentatif possible de la production picturale associée
à l'Assomption en Provence, mais ne prétend pas à
l'exhaustivité pour les raisons que nous venons d'énoncer. Notons
aussi que
La production assez mince de Jean-Baptiste Faudran peut
s'expliquer par son statut d'aristocrate aisé, son art n'était
donc pas une source de revenu vitale pour lui.
Il s'agit d'ailleurs d'une exception, car les artistes
provençaux sont rarement issus de milieux aisés, s'ils ne sont
pas peintre de père en fils, ils sont issus pour la plupart de milieux
populaires et artisans.
119 La base de données Palissy est constituée par
les apports de la DRAC et de l'Inventaire général du patrimoine
culturel. Ces deux services n'ont pas tout à fait la même
fonction, l'Inventaire recense et étudie les oeuvres, tandis que la DRAC
se concentre sur des questions d'ordre pratique, nous y trouvons donc
uniquement des dossiers de restauration (détails techniques, devis,
etc).
40
certaines oeuvres que nous allons étudier se trouvent
dans des comtés voisins, le Dauphiné120 ou le
Venaissin, mais en relation directe avec la Provence par leur
proximité.
Le culte marial, très présent en Provence,
s'intensifie au XVIIème siècle et nous pouvons le
mesurer par la multiplication des vocables dédiés à la
Vierge. Selon l'ouvrage de Marie-Hélène
Froeschlé-Chopard121, ils seraient même cinq fois plus
nombreux qu'au XIème et XIIème
siècles.
La région se divise en deux principaux cultes : celui
des saints de l'Écriture et le culte marial. Cependant, nous observons
que selon les parties du territoire, ce dernier est plus ou moins
illustré. En effet, la présence du culte marial s'intensifie
nettement dans les lieux les plus isolés, où la nature domine.
Cette constatation permet de mettre en relief l'importance du rôle
protecteur que les habitants accordaient à la Vierge.
Pour plus de clarté, et afin de suivre
l'évolution de l'iconographie de l'Assomption en Provence, nous allons
tout d'abord étudier les oeuvres attribuées qui ont
été exécutées dans la première moitié
du siècle. Nous en comptons sept, réparties sur le territoire
provençal, dont deux de la main de François Mimault.
Vraisemblablement tombé dans l'oubli dès le
XVIIIème siècle, François Mimault fait pourtant
partie de ces artistes ayant connu une carrière prolifique en Provence.
Originaire des Deux-Sèvres, il s'installe à Draguignan dès
1608122, où il sera très actif, puis à Aix
à partir de 1622123. Nous savons aujourd'hui qu'il eu son
fils, Bernardin Mimault, et Jean Baptiste de la Rose comme
élèves, qui ont d'ailleurs également connu une
carrière illustre dans la région. Si nous ne connaissons pas avec
certitude les circonstances de la formation de François Mimault,
120 Une grande partie du Dauphiné correspond aujourd'hui
aux Alpes-de-Haute-Provence et aux Hautes-Alpes.
121FROESCHLÉ-CHOPARD, Marie-Hélène, Espace
et sacré en Provence (XVIe - XXe siècle), Les
Éditions du Cerf, Paris, 1994, p.103.
122 François Mimault se marie à Draguignan la
même année, le 8 juin 1608.
123 Il meurt à Aix en septembre 1652.
41
nous pouvons percevoir dans ses oeuvres plusieurs influences
stylistiques, allant de certaines caractéristiques du Maniérisme
italien, à une recherche d'un réalisme doux, quand même
très éloigné de celui du Caravage. Mais surtout, nous
remarquons que Mimault se rattache bien souvent à la tradition
provençale prégnante dans ses oeuvres religieuses. Cette
tradition picturale, directement issue des représentations
médiévales, peut se résumer par une vision frontale de la
composition et l'aspect de superposition des registres.
François Mimault consacre deux oeuvres au thème
de l'Assomption, l'une en 1614, l'autre en 1630. La première, que nous
allons étudier, se trouve toujours dans l'ex-cathédrale de Senez
placée sous le vocable de l'Assomption, aujourd'hui située dans
le département des Alpes-de-Haute-Provence. Avant tout, nous avons ici
la preuve de la mobilité des artistes établis en Provence. Le
peintre réside à ce moment-là à Draguignan ; Senez
se trouvant à plus de 70kilomètres au nord, nous pouvons supposer
que Mimault avait une clientèle suffisamment abondante pour se permettre
d'accepter des commandes hors de son lieu d'habitation.
L'oeuvre (Fig.1)124 qui nous
intéresse est un triptyque : l'Assomption est figurée sur le
panneau central, tandis que les apôtres Paul et Pierre figurent sur les
panneaux latéraux. La scène de l'Assomption est ici
décomposée en deux registres clairement distincts, et reprend le
mode de représentation classique du thème. Dans la partie
inférieure, les douze apôtres sont attroupés autour du
tombeau vide de la Vierge, cependant un treizième personnage à
l'attitude bien différente se distingue. L'homme semble plutôt
âgé, il porte une longue barbe blanche ; il est agenouillé
en position de prière et, surtout, il regarde en direction du
spectateur. Agnès Lory125 avance l'hypothèse, plus que
vraisemblable, qu'il s'agirait du commanditaire. Or, d'ordinaire, lorsque le
mécène se fait représenter, il est placé à
l'écart de la scène divine que
124François MIMAULT, Assomption de la
Vierge, 320 x 210 cm, 1614, église paroissiale
Notre-Dame-de-l'Assomption, Senez.
125LORY, Agnès, François Mimault
(Parthenay v. 1580 - Aix 1652), mémoire de Maîtrise sous la
direction de Pascal Julien, Université de Provence, 2003.
42
dépeint l'oeuvre. Chez Mimault, celui-ci se trouve
parmi les apôtres, si bien que nous ne le distinguons pas
d'emblée. Encore plus difficile à percevoir, les armoiries
présentes sur la face visible du tombeau126 sont,
d'après Jean Bernard Lacroix127, celles de Jacques Martin,
alors évêque de Senez, très certainement le commanditaire
de l'oeuvre.
Pour en revenir aux apôtres, tous abordent une attitude
différente : certains sont étonnés devant le tombeau vide,
d'autres lèvent la tête en direction de la Vierge ; mais tous sont
dotés par le peintre d'une gestuelle explicite, qui confère
à la moitié inférieure du tableau une dynamique
indéniable.
Dans la partie supérieure, la Vierge est
représentée agenouillée, de face, ce qui est assez rare
dans l'iconographie de l'Assomption. Elle est entourée d'un halo de
lumière ; de chaque côté, une troupe d'anges musiciens
l'accompagne ; un chérubin, les bras écartés, placé
au milieu des deux groupes et face au spectateur, semble faire le lien avec la
scène terrestre (Fig.1). Le décor est totalement
absent de cette oeuvre. La séparation des registres se fait par le nuage
sur lequel se tiennent la Vierge et les anges. C'est une caractéristique
de la peinture de François Mimault : son attention semble se porter
avant tout sur les personnages, et beaucoup moins sur le décor. C'est le
cas de l'Assomption de Senez où l'aspect matériel, le
cadre de la scène, est uniquement suggéré par le tombeau ;
mais le symbolisme de celui-ci suffit à servir la narration de
l'oeuvre.
Pour le choix des coloris le peintre crée un
équilibre en utilisant des teintes complémentaires telles que le
rouge et le vert, le bleu et le jaune, que l'on retrouve dans les
vêtements des apôtres. La Vierge est revêtue de la
traditionnelle robe parme et du long manteau bleu.
126 Notons qu'à la base du tombeau figure la signature du
peintre Franciscus Mimault pinxit. 127LACROIX,
Jean-Bernard, François Mimault, découverte d'un tableau
à Senez, dans Annales de Haute-Provence, n°318, Digne,
1er trimestre, 1992, p.5.
43
Dans la deuxième Assomption
(Fig.2)128, réalisée en 1630
pour la cathédrale Notre-Dame de l'Assomption d'Entrevaux129,
nous pouvons constater l'évolution du traitement du thème chez
François Mimault. La commande de cette oeuvre émane de
l'évêque de Glandèves130, Monseigneur
René Leclerc. Le « prix fait », rédigé au
début du mois de mai 1630131, fait état des exigences
du commanditaire. L'oeuvre exécutée par Mimault y répond
parfaitement : la Vierge devait figurer avec les douze apôtres, mais
devaient également y être représentés le portrait de
l'évêque ainsi que saint François de Paule132.
Pour répondre à cette exigence, le peintre va réorganiser
la représentation traditionnelle de l'Assomption en divisant son oeuvre
en trois registres.
Au bas de la composition, figure l'évêque de
Glandèves, agenouillé, les mains jointes devant son livre de
prière, et regardant en direction du spectateur. En face de lui se
trouve saint François de Paule, représenté en extase par
Mimault, qui choisit ainsi de placer le saint en véritable témoin
de la scène divine qui se déroule plus haut.
128François MIMAULT, Assomption,
1630, 400 x 345 cm, église paroissiale Notre-Dame-de-l'Assomption,
Entrevaux.
Le prix fait pour cette oeuvre nous est connu dès la
fin du XIXème siècle grâce à la notice que
Frédéric Mireur consacre au peintre, le prix fait y est reproduit
en intégralité.
MIREUR, Frédéric, Notice sur le peintre
François Mimault (1580-1652), dans Revue des Sociétés
savantes des Départements, Imp. Nationales, Paris, 1877, p.15.
129 Entrevaux se situe aujourd'hui dans le département des
Alpes-de-Haute-Provence.
130 Le diocèse de Glandèves s'étalait sur
un vaste territoire, divisé entre le comté de Provence et le
comté de Nice, les évêques du diocèse avaient
coutume de résider à Entrevaux.
131Annexe 19.
132 Saint François de Paule était un saint ermite.
Il est le fondateur de l'Ordre des Minimes en Calabre. Il fut appelé en
France par le roi Louis XI alors malade, saint François étant
connu pour les miracles qu'il accomplissait. C'est pourquoi, en Provence son
culte est particulièrement développé. Saint
François se serait rendu à Bormes-les-Mimosas et à
Fréjus, et aurait guéri les deux villes de la peste.
Une chapelle fut érigée à Bormes en 1560
et placée sous son vocable ; saint François de Paule est
d'ailleurs devenu le saint patron de la ville.
44
Pour figurer le registre intermédiaire, le peintre
installe les apôtres et le tombeau vide sur une sorte
d'estrade133, marquant ainsi nettement la délimitation entre
les deux scènes inférieures de la toile.
Enfin, la partie supérieure du tableau,
réservée au registre divin, représente la Vierge en pied,
les bras ouverts ; le mouvement ascensionnel est suggéré par la
posture de ses jambes, l'une d'elle étant légèrement
relevée, et par les drapés de son manteau qui semblent être
soulevés par les airs. Le groupe d'angelots, ici
représentés nus, tournoie autour de la Vierge, accentuant
l'impression de mouvement qui les soulève.
Cette oeuvre révèle l'évolution qui
s'opère dans la représentation de ce thème chez
François Mimault. En effet l'Assomption de Senez,
réalisée seize ans plus tôt, est beaucoup plus dense. La
différence majeure entre les deux toiles du peintre, se remarque surtout
dans le registre supérieur. La Vierge de Senez est
représentée dans une attitude et une position beaucoup plus
figées. Dans la seconde Assomption, celle d'Entrevaux, Mimault
donne à la Vierge et aux angelots, tout le mouvement et la
légèreté relatifs à cette scène. Cette
oeuvre, que l'on pourrait qualifier de « mieux équilibrée
», est certes la preuve d'une évolution picturale, mais n'oublions
pas de souligner que le peintre disposait aussi d'une toile bien plus
grande134.
En 1614, au moment où François Mimault peint
l'Assomption de Senez, un autre peintre étranger à la
Provence, et qui s'y installe également, est demandé pour peindre
le même sujet.
Il s'agit du peintre Jacques Macadré, dont le nom
réside toujours dans un quasi anonymat135. Originaire de
Troyes, il est issu d'une longue lignée de vitriers et peintres verriers
troyens.
133 Comme le souligne Agnès Lory, le peintre à
déjà intégré cette sorte de piédestal dans
une oeuvre antérieure, La Sainte Parenté et les deux saints
Jean réalisée en 1616 pour l'église paroissiale
Saint-Etienne de Bargemon (actuellement dans le département du Var),
voir Annexe 12.
134 L'Assomption d'Entrevaux mesure 400 x 345 cm, contre
320 x 210 cm pour celle de Senez.
135 Jean Boyer lui consacre plusieurs pages dans sa thèse
qui reste à ce jour la source la plus fiable et la plus
documentée que l'on possède à propos de ce peintre.
45
À la toute fin du XVIème
siècle, aux alentours de 1595, il vient s'installer à
Aix-en-Provence, et y restera jusqu'à sa mort, en 1620. Il s'y marie en
1603, avec Antoinette Martel, elle-même fille de peintre troyen
établi à Aix. Malgré les nombreux documents concernant le
peintre que Jean Boyer à découverts, tels que son contrat de
mariage, de nombreux actes concernant son lieu d'habitation rue des
Prêcheurs136, son testament et son inventaire après
décès, nous ne connaissons rien de sa formation.
Néanmoins, nous pouvons déduire, au vu des nombreuses commandes
qui lui sont passées, qu'il eu une certaine renommée en Provence
; de plus, ayant eu plusieurs élèves137, il devait
donc être à la tête d'un petit atelier à Aix.
Plusieurs de ses oeuvres ont aujourd'hui disparu ; cependant, les « prix
fait », mis à jour par monsieur Boyer, révèlent
plusieurs toiles que le peintre a exécutées pour les
églises de la ville. Nous pouvons notamment citer une commande
émanant de Louis Rabasse, conseiller au Parlement, pour un retable
représentant l'Adoration des mages destiné à sa chapelle
de l'église de la Madeleine.
Mais Jacques Macadré a aussi réalisé un
grand nombre de bannières138, et travaillé pour le
compte de la ville en participant à la réalisation des
décorations pour les entrées du duc de Guise en 1595 et du roi
Henri IV en 1600.
Outre cette carrière au sein de la ville d'Aix, le
peintre répond à des commandes émanant de toute la
Provence : Lanson près de Carpentras139, Saint
Julien140, Ansouis141, ou encore
Gréoux-les-Bains142 où il réalise une
Assomption (Fig.3)143. Jean
Pellicot, alors prévôt144 du Chapitre de
l'église paroissiale de Gréoux, passe commande d'un retable de
l'Assomption
BOYER, Jean, La peinture et la gravure à
Aix-en-Provence aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles: 1530-1790,
Service de reproduction de thèses de l'Université de Lille, 1972,
p.290 -299.
136 Aujourd'hui rue Portalis.
137 Jean Boyer cite comme élèves de Jacques
Macadré, Pierre André, Jacques Bertrand, et Pierre Thevenin.
138 Il a notamment réalisé en collaboration avec
François Valisset la bannière pour la Confrérie de
l'Annonciade en 1602.
139 Il peint pour l'église paroissiale de Lanson le
Couronnement de la Vierge, saint Symphorien et sainte Juliette.
140 Dans l'actuel département du Var. Jacques
Macadré a peint pour l'église Notre-Dame-du-Plan un retable.
141 Dans l'actuel Vaucluse. Pour l'église paroissiale
d'Ansouis le peintre réalise une Annonciation.
142 Actuellement situé dans les
Alpes-de-Haute-Provence.
143Jacques MACADRÉ, Assomption, 1615,
Notre-Dame-des-Ormeaux, Gréoux-les-Bains. 144 Un prévôt est
le doyen du chapitre d'une cathédrale ou d'une collégiale.
46
auprès de Jacques Macadré à la fin du
mois de juin 1614. Le « prix fait », partiellement retranscrit par
Jean Boyer, mentionne un retable de dix-huit pieds de haut et de dix de large,
où doivent être représentés « l'Assomption de
Notre-Dame avec des anges alentour et les douze apôtres au bas
»145. Le peintre respecte la commande et livre une Assomption
à la composition traditionnelle, en deux registres. Au bas le groupe des
apôtres autour du tombeau146 comporte de nombreuses
similitudes avec celui présent dans l'oeuvre de Mimault à Senez,
mais aussi avec une Assomption non attribuée147. Le registre
supérieur est découpé par une bande de nuage formant la
moitié d'un cercle, sur lequel repose la Vierge et les anges qui
l'accompagnent. Elle est représentée à demi-assise, une
jambe presque tendue, l'autre pliée avec le pied reposant sur un petit
nuage qui se détache des autres. Malgré la position de la Vierge,
peut être destinée à suggérer le mouvement
ascensionnel de la scène, du moins l'aspect aérien, la
composition du registre supérieur reste assez rigide. Cette impression
est probablement renforcée par le gris assez sombre que le peintre a
choisi pour représenter la masse nuageuse. Les anges s'y cachent, de
telle façon que seule la partie haute de leur corps est visible.
À l'exception de ces quatre anges, la présence des autres est
seulement figurée par des têtes ailées. Nous pouvons
déceler, dans ce choix, l'influence des représentations issues de
la fin du Moyen-âge et de la Renaissance italienne. En effet, comme nous
l'avons vu précédemment les têtes ailées sont
particulièrement présentes dans les Assomption des
XVème et XVIème siècles. Il est
aussi intéressant de noter que dans la composition de Jacques
Macadré, le registre des apôtres remplit plus de la moitié
de la toile, celui de la Vierge semblant de ce fait manquer de hauteur.
145Gazette des Beaux-arts, Tome LXXVIII,
113e année, Paris, juillet-septembre 1971, p.144. Si nous ne
citons que le passage concernant l'Assomption, Jacques Macadré a
été chargé de réaliser l'intégralité
du retable, où devaient aussi figurer la Nativité, la fuite en
Égypte, un Ecce homo, « des anges avec des encensoirs et des
flambeaux ». Ainsi que saint Pierre et saint Paul sur l'intérieur
des portes du retable, avec d'un côté « la figure dud.
prévost à genoux avec son pali », et à
l'extérieur devra être représentée l'Annonciation en
grisaille.
146 En dessous du tombeau, tout en bas de la toile, à
l'endroit où les drapés des apôtres au premier plan se
rejoignent, sont placées les initiales du peintre
(Fig.3).
147 Cette Assomption est conservée dans l'église
paroissiale Notre-Dame-du Mont Carmel au Luc, commune actuellement
située dans le Var. Voir III.) b. de ce mémoire.
47
Comme chez François Mimault, le décor, du moins
l'environnement de la scène, ne semble pas être une
priorité chez Jacques Macadré. Sa composition présente
l'essentiel nécessaire à la narration et reste teintée de
la rigidité des représentations du XVème
siècle, encore très prégnante dans la production picturale
en Provence.
Malgré leur carrière prolifique dans la
région, les noms de ces deux artistes, Mimault et Jacques
Macadré, n'ont pas été particulièrement reconnus,
à l'exception du milieu universitaire.
La Provence du XVIIème disposait quand
même de ses grands noms, et parmi eux, l'arlésien Trophime Bigot.
S'il a était ignoré pendant des années, puis
identifié comme le « Maître à la Chandelle » au
XIXème, une nouvelle fois les recherches d'archives
menées par Jean Boyer permirent d'avancer le nom de Trophime Bigot. Nous
savons qu'il se forme à Arles, il aurait ensuite effectué le
traditionnel voyage à Rome au début du siècle et y serait
resté pendant plusieurs années. Son nom réapparait dans
les archives d'Arles seulement en 1635. Cette année-là, il
réalise l'Assomption
(Fig.4)148que nous allons
étudier. Toujours conservée en la cathédrale
Sainte-Trophime, elle fait partie des trois seules oeuvres attribuées
avec certitude au peintre. Si la présence du tableau dans la
cathédrale n'est mentionnée pour la première fois qu'en
1790, nous pouvons supposer qu'il s'y trouve depuis sa réalisation. En
effet, le « prix fait » toujours inconnu ne peut venir confirmer
cette hypothèse ; néanmoins nous savons aussi que les cas de
déplacements d'oeuvres surviennent surtout après la
Révolution.
L'Assomption de Trophime Bigot présente la
composition traditionnelle en deux registres : en bas, les apôtres sont
regroupés autour du tombeau, ici à peine visible. Dans le
registre céleste, la Vierge est représentée dans une
attitude très pieuse, assise sur un nuage soutenu par des
148 Trophime BIGOT, Assomption, 250 x 150 cm, 1635,
Saint-Trophime, Arles. Un cartel placé en bas à gauche et
rédigé en latin par le peintre comporte sa signature et la date
de réalisation de l'oeuvre.
48
angelots, les mains jointes, un halo de lumière
entourant son visage. Cependant, une particularité réside dans
cette partie de l'oeuvre. En effet, le corps de la Vierge,
légèrement tourné vers la gauche, fait face à deux
personnages dont la présence est rarissime dans l'iconographie de
l'Assomption. Il s'agit du Christ, habituellement présent dans les
représentations du Couronnement de la Vierge, et de sa mère,
Sainte Anne. Dans cette oeuvre, les deux femmes se font face, Sainte Anne
tendant les bras vers sa fille ; le Christ lui est représenté
flottant dans les airs. Tous deux semblent accueillir la Vierge au ciel.
Outre cette spécificité dans la composition,
l'oeuvre est peinte dans des tons froids ; la lumière diffuse donne une
tonalité douce à l'ensemble. Bien que l'artiste ai
été associé au « Maître à la chandelle
» qui est actif à Rome de 1620 à 1634, cette Assomption
n'adopte aucun des traits du courant caravagesque que l'on prête
à ce peintre. Trophime Bigot réalise un tableau qui cadre, pour
l'instant, parfaitement à la tendance stylistique des oeuvres que nous
avons vu, mais nous ne pouvons pas encore parler d'un mode de
représentation privilégié.
La commande de l'oeuvre que nous allons maintenant
étudier, émane de Visan, au nord de Carpentras. Le village fait
alors parti du comtat Venaissin, possession pontificale. La chapelle de
Notre-Dame-des-Vignes est, au XVIIème siècle, un lieu
de culte fréquenté et abrite la confrérie de Saint
Vincent. Elle avait été créée à la fin du
XVème siècle par l'ensemble des vignerons de Visan,
qui participaient annuellement à une bravade149 suivie d'une
procession, à laquelle tous les membres de la confrérie devaient
être présents. La chapelle de Notre-Dame-des-Vignes comporte
également une autre spécificité : elle est placée
sous la responsabilité de rectoresses150.
149 Une bravade est un défilé costumé
où les personnes sont armées de tromblons, qui est un type
particulier d'arme à feu. Ces défilés ont lieu lors des
fêtes patronales en Provence.
150 Tous les ans deux rectoresses étaient choisies par le
curé de la paroisse, lui-même assisté de celles qui
quittaient leur poste.
49
En 1637, l'une des deux rectoresses alors en charge, Isabeau
de la Ville151, règle un acompte de vingt-trois livres,
à valoir sur les soixante du coût total de la commande d'une
Assomption (Fig.5)152
passée au peintre Laurent Brunier. Nous ne connaissons rien de la
formation, ni des origines de ce peintre, si ce n'est qu'il exerce à
Malaucène, petite ville située au sud de Visan, à quelques
kilomètres de Carpentras, cependant nous pouvons penser qu'il est
originaire de la région.
L'Assomption qu'il réalise, présente
une iconographie particulière, relative aux dévotions de la
confrérie Saint Vincent, et une composition tout à fait
traditionnelle.
Au bas de la toile sont représentés saint Joseph
et sainte Marguerite, particulièrement vénérés en
Provence au XVIIème siècle. En effet, l'étude
menée par Marie-Hélène
Froeschlé-Chopard153, démontre que le culte des saints
du premier millénaire, dont est issu Joseph, est le plus répandu
en Provence. Ce dernier est représenté à côté
du tombeau vide de la Vierge, les mains croisées sur la poitrine, tenant
un rameau, son attribut traditionnel.
De l'autre côté, se tient sainte Marguerite. Elle
est représentée avec ses deux attributs, qui permettent de la
reconnaitre sans difficulté. Le premier, le dragon, à ses pieds,
représenté ailé, doté d'une corne, la gueule
ouverte sur des dents acérées et regardant dans la direction de
la sainte. Elle, est à genoux, les mains jointes, tenant un crucifix qui
est son second attribut. Le culte de cette sainte fut très populaire au
Moyen-âge. Selon La légende dorée154
sainte Marguerite est une vierge martyre qui aurait vécu au début
du IVème siècle. Elle aurait été
emprisonnée, puis aurait lutté et enfin vaincu à l'aide de
son crucifix, le démon qui se serait montré à elle sous la
forme d'un dragon. Le peintre répond probablement aux directives
151 Dossier n° 84000941, Inventaire général du
patrimoine culturel.
152Laurent, BRUNIER, Assomption, 200 x 150
cm, 1637, chapelle Notre-Dame-des-Vignes, Visan.
153FROESCHLÉ-CHOPARD, Marie-Hélène, Espace
et sacré en Provence (XVIe - XXe siècle), Les
Éditions du Cerf, Paris, 1994, p.135.
154DE VORAGINE, Jacques, La légende
dorée, traduite du latin et précédée d'une
notice historique et bibliographique, par Monsieur Gustave Brunet, C. Gosselin,
Paris, 1843, p.153.
50
iconographiques, qui lui ont été
adressées, en ajoutant ce personnage à sa composition. Cependant,
nous savons que le culte de sainte Marguerite fait partie des plus populaires
à la fin du Moyen-âge et nous pourrions voir ici la
pérennité des croyances du XVème siècle
dans les oeuvres provençales.
Dans la partie supérieure la Vierge est
représentée debout, les bras ouverts, soutenue par quatre anges,
le nuage sur lequel elle se tient délimitant les deux registres.
De façon générale, l'attitude des trois
personnages est assez figée, les coloris, difficilement
lisibles155, semblent avoir été assez vifs, comme en
témoigne le rouge flamboyant de la robe de la Vierge.
Non loin de Visan, un peu plus au nord, dans la commune de
Grillon, se trouve une autre Assomption
(Fig.6)156, actuellement
conservée au sein de l'église paroissiale
Sainte-Agathe157. La toile est signée et datée,
ANNO 1640, I. MONIER M. CH. Cependant aucun « prix fait
» ou autre document existant ne viennent compléter ces informations
sommaires. Le nom de Monier évoque celui du peintre originaire de Blois,
Jean Mosnier158 mais ce dernier réalise le voyage en Italie
bien des années auparavant ; en effet, selon
Félibien159, il serait rentré en France en 1625. Il
n'aurait donc pas pu réaliser cette Assomption, au retour de
son voyage qui aurait, dans ce cas comporté une escale dans le comtat
Venaissin.
155 La toile est en effet très abimée rendant la
lecture complexe ; nous pouvons noter plusieurs repeints et une couche
blanchâtre formée par le verni ; de plus la couche picturale est
en grande partie craquelée (manquante au niveau de la tête de
saint Joseph).
156I.MONIER, Assomption, 1640, église
Sainte-Agathe, Grillon.
157 L'église Saint-Agathe à été
érigée au XIXème siècle, en 1861.
158 D'après les Entretiens de Félibien,
Jean Mosnier est né à Blois en 1600, d'un père peintre sur
verre. Il apprend la peinture auprès de lui jusqu'à ses seize
ans. C'est à cet âge que Marie de Médicis, alors à
Blois, repère son talent lorsqu'elle lui demande une copie d'une oeuvre
qu'elle souhaitait acquérir. Par la suite, elle prend en charge le
voyage en Italie de Mosnier. De retour en France en 1625, la capitale ne lui
manifeste pas le soutient qu'il espérait, il se rend donc à
Chartres, puis travaille essentiellement dans sa province natale, où il
meurt à Blois en 1656.
FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur
les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes ;
augmentée des Conférences de l'Académie royale de peinture
& de sculpture, avec la vie des architectes, Trévoux,
réédition, 1725, p.404 à 406.
159Idem, p. 405.
51
Cependant, l'hypothèse du lieu d'origine du tableau
parait très vraisemblable au vu de l'iconographie particulière de
cette Assomption. Cette oeuvre fait figurer l'Assomption de Marie
comme une apparition à saint Sébastien et à saint Roch de
Montpellier, deux saints populaires depuis le XVème
siècle en Provence.
Au premier plan, saint Sébastien, dont le culte remonte
au haut Moyen-âge, est représenté selon l'iconographie qui
s'est développée à la Renaissance, en un homme souvent
jeune, attaché et le corps transpercé de flèches, attribut
de son martyr.
À droite, saint Roch, aussi appelé saint Roch de
Montpellier160, est accompagné d'un ange qui le soutient et
pose sa main sur sa blessure. Ce saint aurait en effet été
atteint de la peste au retour de son pèlerinage à Rome,
après avoir aidé beaucoup de malades sur sa route. Il
décida de se réfugier en forêt et de prier jusqu'à
sa mort. Un ange serait venu lui apporter de l'aide et le soigner. Le peintre
représente le saint avec tous les attributs permettant aux spectateurs
de le reconnaitre. Outre la présence de l'ange, nous pouvons observer
que sur le drapé de l'épaule du saint, est cousu une coquille.
Elle représente le pèlerin, en référence au
pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, tout comme le bâton
qu'il tient dans son autre main. Son culte se répand sur le territoire
provençal immédiatement après sa mort, et au
XVIIème siècle, saint Roch fait parti des «
grands saints »161 intercesseurs de Provence. Le choix de
l'iconographie nous donne un indice de la provenance de cette oeuvre, qui
pourrait être la chapelle des Pénitents blancs, qui a
été érigée la même année que
l'exécution du tableau, en 1640.De plus, la présence de cette
confrérie est attestée à Grillon au
XVIIème par leurs statuts approuvés par
l'évêque de Vaison-la-Romaine. Les statuts établissent les
règles inhérentes à une confrérie ; pour les
Pénitents blancs, l'une d'entre-elles stipule que tous les membres
160 Saint Roch serait né au XIVème
siècle à Montpellier ; néanmoins très peu de
sources fiables existent concernant sa vie.
161FROESCHLÉ-CHOPARD,
Marie-Hélène, Espace et sacré en Provence (XVIe - XXe
siècle), Les Éditions du Cerf, Paris, 1994, p.132.
52
doivent se confesser notamment lors des fêtes mariales.
Le choix d'un sujet comme l'Assomption parait donc d'autant plus probable. Mais
au-delà de cette dévotion particulière, la chapelle des
Pénitents blancs fut placée, dès sa création, sous
le vocable de l'Assomption de Notre-Dame et de saint Sébastien. Cette
dernière donnée expliquerait l'entière iconographie de la
toile.
L'espace entre les deux saints laisse voir un paysage, avec
une ville fortifiée au loin, qui pourrait être
Valréas162, dont les remparts ont été
construits au Moyen-âge.
Au-dessus, la Vierge se tient debout sur un nuage, soutenue
par trois têtes d'anges à ses pieds et deux autres à ses
côtés. L'une de ses mains n'est pas visible, l'autre est
placée sur sa poitrine ; son attitude générale semble
dépourvue de mouvement, presque rigide. Il en va de même pour
saint Sébastien et saint Roch avec l'ange. Malgré des nuances,
comme la représentation du paysage issue de la Renaissance, là
encore nous observons la longévité de la tradition
médiévale de représentation.
Nous allons voir que cette tendance ne prévaut pas dans
toutes les oeuvres, et c'est le cas avec l'une des
Assomption163 réalisée par Nicolas Mignard.
Le peintre fait, sans aucun doute, partie des « grands noms » de la
Provence, parmi tous ces artistes étrangers qui peuplent la vie
artistique de la région. Originaire de Troyes en Champagne, Nicolas
Mignard arrive à Avignon au printemps de l'année 1633. Il se rend
à Rome deux ans plus tard, grâce aux faveurs de Richelieu. En
1637, il revient en Provence et reste à Avignon durant les vingt-trois
années suivantes. Nul besoin de préciser qu'il eu une
carrière très prolifique dans la région164.
162 Valréas est une ville fortifiée située
seulement à cinq kilomètres de Grillon.
163 Le peintre consacre en effet plusieurs toiles à ce
thème, outre l'Assomption de Tarascon, nous avons aussi
connaissance d'une Assomption datée de 1647 et une autre
à Toulon de 1658.
Nicolas MIGNARD, Assomption, 600 x 370 cm, 1647, oeuvre
disparue dans un incendie. Nicolas, MIGNARD, Assomption, 800 x 600 cm,
vers 1658, église Sainte-Marie-de-la-Seds, Toulon.
164 La carrière de Nicolas Mignard est
caractérisée par deux phases : l'une à Avignon, l'autre
à la Cour, la première est celle qui nous intéresse. En
effet Mazarin le fit venir à Paris, où il rencontre
l'hostilité de son propre frère, Pierre Mignard. Cependant, il
réalise un grand nombre de portraits, dont celui du roi Louis XIV. Il
est reçu en 1663 au sein de l'Académie royale de peinture et de
sculpture.
53
Il réalise des oeuvres pour la ville d'Avignon mais
aussi pour Carcassonne, Sisteron, Aix, et Tarascon. C'est dans cette
dernière qu'il réalise une Assomption
(Fig.7)165 pour l'église
Sainte-Marthe en 1643. Si la composition est tout à fait habituelle, en
deux registres avec les apôtres en bas et la Vierge portée par des
anges en haut, nous remarquons l'exécution que l'on pourrait qualifier
de plus moderne. On est loin, ici, des réminiscences des
représentations du XVème siècle ; la formation
et les modèles du peintre sont en effet bien visibles. Nous savons
désormais que ses premiers modèles furent les décorations
du Primatice et du Rosso réalisées à Fontainebleau dans la
première moitié du XVIème siècle. Il a
ensuite étudié la production des Carrache à Rome, puis
probablement, fréquenté l'atelier de Simon Vouet. Sa formation
est donc empreinte des grands modèles italiens, mais aussi de la
production contemporaine.
Dans cette Assomption, les coloris sont clairs et les
formes douces ; le peintre a veillé à la vérité des
expressions qu'il a données aux personnages. Les apôtres,
notamment, semblent pour la plupart étonnés, pris de surprise. La
Vierge, quant à elle, représentée assise, les mains
croisées sur la poitrine, le regard levé vers le ciel, exalte
avec grâce le sentiment d'amour qui l'anime.
Nous avons là un exemple de la diversité des
goûts qui circulent en Provence. Si la rigidité des
représentations du Moyen-âge se dévoile encore dans de
nombreuses peintures, l'innovation que constituaient les nouvelles
représentations italiennes, ou celles d'artistes comme Vouet alors
très en vogue, s'exporte également en Provence. L'influence de la
peinture du nord n'est donc pas non plus la seule à s'imposer, et nous
pouvons imaginer la forte impression que cette Assomption pu avoir sur
les fidèles de Tarascon.
Voir WYTENHOVE, Henri, La peinture en Provence au XVIIe
siècle, musée des Beaux-arts, Marseille, 1978, p.90-91.
165Nicolas MIGNARD, Assomption, 303 x 231 cm,
1643, église Sainte-Marthe, Tarascon.
54
Nicolas Mignard avait, en Provence un rival ; du moins il
avait été mis en concurrence avec ce dernier lors de la commande
en 1645, de l'Assomption166 pour le maître-autel de
la cathédrale de Nîmes, qu'il remporte tout de même.
En ce rival, il faut voir Reynaud Levieux, cet autre peintre
qui est alors demandé pour des commandes prestigieuses dans toute la
région. Né à Nîmes en 1613, il part pour Rome
dès 1640, puis revient dans sa ville natale en 1644. Il s'installe
ensuite à Montpellier, puis à Avignon en 1654 ; il exécute
dans ces deux villes de nombreuses commandes167. Finalement, Reynaud
Levieux vient se fixer à Aix en 1663168, juste après
que Nicolas Mignard et Jean Daret soient appelés à la Cour par
Louis XIV.
Avant d'aborder l'oeuvre qui nous intéresse, il parait
important de souligner que Reynaud Levieux, bien que son nom soit tombé
dans l'oubli puis redécouvert depuis peu, était au
XVIIème un de ces grands artistes que comptait la Provence.
Jean Boyer à d'ailleurs dit de lui que s'il « avait fait
carrière à Paris, il n'est pas douteux qu'il occuperait
aujourd'hui, parmi les peintres français du XVIIème
siècle, une place de choix »169. C'est en effet, une
personnalité à part qui se dégage. Reynaud Levieux
bénéficie d'une certaine estime et est reconnu en Provence, fait
que l'on peu déduire de ses multiples commandes, mais aussi du prix
relativement élevé de celles-ci170. Bien qu'il soit
considéré comme un solitaire car jamais marié, cette
solitude ne le pénalise pas dans sa carrière puisqu'il collabore,
à plusieurs
166 Nicolas MIGNARD, Assomption, 600 x 370 cm, 1647,
musée du vieux Nîmes, Nîmes.
167 À Montpellier il réalise des oeuvres pour les
Pénitents blancs, et pour la cathédrale ; à Avignon, il
travaille pour les Pénitents noirs de Saint-Jean-Baptiste et ceux de la
Miséricorde. Ce ne sont que des exemples car, outre les commandes
religieuses, le peintre réalise des oeuvres profanes, telles que des
portraits (notamment le Portrait de Louis XIV, commandé pour le
Parlement à Aix, disparu aujourd'hui) et des natures mortes.
168 Cependant, Reynaud Levieux ne reste pas définitivement
à Aix ; il finit par partir pour Rome une dernière fois en 1669,
accompagné de son apprenti Jean Pavillon (fils de Pierre Pavillon,
contemporain de Levieux). Il y meurt à la fin du
XVIIème siècle, probablement aux alentours de 1690.
Reynaud Levieux avait préalablement stipulé dans son testament
(daté du 4 février 1669, alors qu'il est en bonne santé)
qu'il laissait le choix de l'église où il serait inhumé
à ses apprentis s'il venait à mourir à Rome. Il est
enterré dans l'église Sainte-Marie des Anges.
169BOYER, Jean, La peinture et la gravure
à Aix-en-Provence aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles:
1530-1790, Service de reproduction de thèses de l'Université
de Lille, 1972, Tome 1, p.86.
170 Il se fait payer 300 livres pour ses oeuvres « de
jeunesse », et jusqu'à 850 livres pour la fin de sa
carrière.
55
reprises, avec d'autres artistes. Nous pouvons citer Jean
Daret171, Nicolas Pinson pour les peintres, Jean-Claude
Rambot172 ou Michel Péru173 pour les
sculpteurs.
L'oeuvre de Reynaud Levieux compte une majorité de
commandes religieuses. Parmi les sujets qu'il représente le plus
fréquemment, nous trouvons les principaux épisodes de la vie du
Christ et de la Vierge, dont l'Assomption. Le peintre se consacre à deux
reprises à ce thème : la première à Aix, l'oeuvre
qui nous intéresse (Fig.8)174, et la seconde
envoyée de Rome en 1680, conservée au sein de la
Collégiale Notre-Dame-des-Anges de
l'Isle-sur-Sorgue.
L'Assomption d'Aix est commandée à
Reynaud Levieux par deux consuls de la ville, André de Ballon et Pierre
Arnoux175 pour la chapelle de l'hôtel de ville ; outre
l'oeuvre, le peintre devait fournir les dessins pour le retable et l'autel.
La composition de l'oeuvre a la particularité de ne pas
réellement séparer les deux registres, traditionnellement bien
distincts. Ici, la Vierge n'a pas avoir encore tout à fait quitté
le monde terrestre et semble être toujours avec les apôtres. Elle
est assise sur un nuage, les bras ouverts, dans une attitude statique,
entourée de putti176. Nous pouvons remarquer que le peintre
la représente jeune, au visage particulièrement doux. Reynaud
Levieux était d'ailleurs connu pour la pureté et la beauté
de ses vierges, qualités que nous reconnaissons dans cette oeuvre. Les
apôtres, attroupés autour du tombeau, montrent de
l'étonnement, comme la tradition le
171 Jean Daret et Reynaud Levieux collaborent à l'occasion
de la réalisation de l'ensemble décoratif de la chapelle de la
congrégation des Messieurs à Aix, puis en 1666 pour le dessin de
la fontaine de la porte Saint-Louis.
WYTENHOVE, Henri, La peinture en Provence au XVIIe
siècle, musée des Beaux-arts, Marseille, 1978, p.84.
172 Jean-Claude Rambot, Jean Daret et Reynaud Levieux
participent tous les trois, à la fin de l'année 1666, à la
décoration de la chambre de Lucrèce de Forbin dans son
hôtel particulier de la rue de la Verrerie à Aix.
173 Michel Péru réalise notamment des boiseries
pour la chapelle des notaires de l'église Saint-Pierre d'Avignon,
suivant les dessins fournis par Reynaud Levieux en 1659.
174Reynaud LEVIEUX, Assomption, 280 x 205 cm,
1662, Aix-en-Provence.
L'oeuvre a été acheminée vers la chapelle
des Andrettes (actuelle chapelle du lycée Mignet) sous la
Révolution ; elle y était en dépôt, mais
dernièrement elle a été transportée dans un lieu
inconnu, probablement les réserves du musée Granet.
175 Ces informations sont connues par le prix fait, reproduit
partiellement en Annexe 20.
176 Certains sont représentés entièrement,
pour d'autres, uniquement la tête.
56
veut ;ils sont cependant représentés dans une
attitude noble, caractéristique du style de Levieux. De plus, un grand
soin a été apporté aux drapés, qui ne sont pas
agités par les airs, et dont la tonalité est adaptée
à chaque personnage. Derrière la glorieuse scène, le
peintre a esquissé un paysage à la lumière pâle,
parfois assimilé par les auteurs177 à la Sainte
Victoire.
Les coloris et la composition de cette Assomption
révèlent les influences italiennes de Reynaud Levieux. Nous
savons qu'à Rome, il étudie les grands maîtres du
XVIème siècle, mais aussi les artistes de la
première moitié du XVIIème, tels que le
Dominiquin, Guido Reni ou encore le Guerchin178, et refuse
clairement le caravagisme du début du siècle. Levieux pourrait se
rattacher au courant classique, qui s'épanouit d'abord à Paris,
puis en province, avec également Nicolas Mignard pour la Provence.
La composition, elle, rappelle une
Assomption179 antérieure, celle d'Annibal Carrache
réalisée pour l'église Santa Maria del Popolo à
Rome au tout début du XVIIème. Nous retrouvons des
analogies dans le modelé du visage et la position de la Vierge ;
l'appréhension de l'espace est cependant différente chez Reynaud
Levieux, de même que les coloris, assurément plus clairs.
Cette oeuvre se situe à l'apogée de sa
carrière. Il avait alors établi son atelier à Aix, et
quelques années plus tard, en 1665, il renouvelle le contrat
d'André Boisson, son apprenti. En 1666, Reynaud Levieux devient
même un des peintres attitrés de la ville. Il livre alors une
peinture, dont notre Assomption, sobre, consciemment
méditative, et « d'un caractère très doux
»180.
Reynaud Levieux peut donc être compté parmi ces
artistes provençaux qui connaissent une brillante carrière, qui
est due aussi à sa grande capacité d'adaptation aux décors
et aux lieux.
177WYTENHOVE, Henri, Reynaud Levieux et la
peinture classique en Provence, Édisud, Aix-en-Provence, 1990,
p.127.
178 Guido Reni (1575 - 1642),Le Dominiquin (1581 - 1641), le
Guerchin (1591 - 1666).
179 Annibal CARRACHE, Assomption, 245 x 155 cm,
1600-1601, chapelle Cerasi, église Santa Maria del Popolo, Rome.
180CHENNEVIERES, Philippe de, Recherches sur la
vie et les ouvrages de quelques provinciaux de l'ancienne France, Paris,
1847-1850, p.87.
57
Claude Bousquet, qui réalise une Assomption
(Fig.9)181 en 1666, est quant
à lui encore aujourd'hui très peu connu. Nous ne savons rien de
sa carrière, mis à part qu'il est originaire de Marseille et
qu'il aurait cautionné Michel Serre182 lorsque ce dernier
arrive dans la ville en 1675.Quoi qu'il en soit, Claude Bousquet devait
bénéficier d'une certaine popularité puisqu'il
exécute vraisemblablement des oeuvres pour d'autres villes de la
région.
L'Assomption que le peintre achève en 1666
pour la collégiale Saint-Pierre et Notre-Dame de l'Assomption à
Cuers, a cependant été réalisée à
Marseille183. L'oeuvre se présente en deux registres.
En bas, deux apôtres au premier plan lèvent la
tête vers Marie ; l'un d'eux a les mains croisées, l'autre les
mains jointes. Entre eux, le tombeau est représenté en largeur,
fermé par une tombale184 recouverte de fleurs. C'est un
détail original puisque, nous l'avons vu dans les textes du
XVIIème et même antérieurs, lors de l'Assomption
de la Vierge, son tombeau est systématiquement ouvert. Derrière
celui-ci nous pouvons voir le reste des apôtres au second plan ; l'un
d'entre eux lève les bras au ciel ; ils sont, de manière
générale, tous représentés dans des attitudes
différentes qui montrent surtout l'étonnement.
Une bande de ciel vient séparer les deux registres.
Dans la partie supérieure, la Vierge est représentée
assise, les bras ouverts, au milieu d'une nuée d'anges. Là
encore, le peintre choisi d'intégrer à la nuée des
têtes de putti, issues de l'iconographie du Moyen-âge. Cependant,
Claude Bousquet confère au registre céleste une impression de
mouvement, surtout visible par les drapés des anges au premier plan du
groupe.
181Claude BOUSQUET, Assomption, 314 x 245
cm, 1666, collégiale Saint-Pierre et Notre-Dame de l'Assomption,
Cuers.
Cuers se situe actuellement dans le département du Var.
182 Michel Serre né à Tarragone en Espagne. Il se
rend en Italie dès 1670, avant de s'établir cinq ans plus tard
dans la cité phocéenne. Il y mène une brillante
carrière, que nous connaissons bien aujourd'hui. Il est notamment
célèbre pour les trois peintures historiques qu'il réalise
à Marseille, au début du XVIIIème
siècle, suite à la peste de 1720.
183 Dossier IM83000473, Inventaire général du
patrimoine culturel. D'après le dossier, et comme nous pouvons le
constater sur la photographie, l'oeuvre est en mauvais état, avec de
nombreux manques, et noircie.
184 Une tombale est l'élément horizontal qui
recouvre la sépulture.
58
Pour ce qui est des coloris, ils semblent avoir
été assez vifs, mais l'état de la toile ne nous permet pas
d'en dire plus.
Claude Bousquet réalise une Assomption
à l'iconographie traditionnelle, qui semble être le type
d'oeuvre que l'on reproduit le plus fréquemment en Provence. Nous
remarquons également que, dans cette oeuvre le décor n'est pas
primordial, ce qui est généralement le cas, mis à part
quelques exceptions dont l'Assomption précédente de
Reynaud Levieux.
L'Assomption suivante, n'a pas été
réalisée en Provence185, cependant, dans une courte
parenthèse, nous verrons qu'elle illustre un cas particulier de
commande.
Il s'agit de l'oeuvre réalisée par le
célèbre Philippe de Champaigne
(Fig.10)186 pour les Chartreux de Durbon, un petit
village de la commune de Saint-Julien-en-Beauchêne187 , qui
appartient au XVIIème siècle au Dauphiné. Le peintre dont
la carrière est bien connue188, s'adonne à tous les
genres, portraits189, paysages, mais surtout à la peinture
religieuse : ainsi il réalise jusqu'à treize
Assomption190.
L'oeuvre de Saint-Julien-en-Beauchêne
révèle une vision resserrée du thème au style
presque dépouillé. Seul le registre supérieur est
figuré. La Vierge apparaît à demi-assise sur un nuage
185 Provence, comtat Venaissin, Dauphiné.
186Philippe DE CHAMPAIGNE, Assomption, 245
x 185 cm, 1671, église paroissiale Sainte-Blaise,
Saint-Julien-en-Beauchêne.
187 L'Assomption de Philippe de Champaigne ne semble pas
avoir quitté la commune, à part au début du XXème
siècle pour être restaurée au Louvre, puis en 2007
lorsqu'elle est prêtée pour l'exposition « Philippe de
Champaigne, 1602-1674. Entre politique et dévotion. », qui eu lieu
au Palais des Beaux-arts de Lille. L'oeuvre est mentionnée dès
1887 dans l'église paroissiale Sainte-Blaise de
Saint-Julien-en-Beauchêne, dans l'actuel département des
Hautes-Alpes.
188 Nous rappelons tout de même que Philippe de Champaigne
est originaire des Pays-Bas où il se forme. En 1621 il se fixe à
Paris, et connait une brillante carrière au sein de la cour de Louis
XIII, c'est également un proche de Nicolas Poussin.
Particulièrement intégré au courant classique
français, Philippe de Champaigne après un bref retour à
Bruxelles sa ville natale, est rappelé en France afin de participer
à la décoration du palais du Luxembourg. Il fait surtout partie
des membres fondateurs de l'Académie royale de peinture et de sculpture
en 1648.
189 Parmi les nombreux portraits du peintre, il réalise
celui du cardinal Richelieu vers 1639.
190 Sur les treize oeuvres recensées, huit nous sont
parvenue, nous avons actuellement dans la région l'Assomption
de Saint-Julien-en-Beauchêne et celle de format rond,
conservée au musée des Beaux-arts de Marseille datée de
1646, Annexe 13.
59
soutenu par cinq anges, une main sur la poitrine, l'autre
levée. Elle est représentée dans une attitude calme,
statique, cependant le mouvement ascendant est largement figuré par les
anges.
Outre l'iconographie, c'est avant tout la commande en
elle-même qui nous intéresse, elle démontre en effet une
des facettes du mécénat provençal. Bien que ce soit
exceptionnel, les commanditaires provinciaux font parfois appel à des
artistes de la capitale. C'est le cas des Chartreux de Durbon, ordre qui voue
une dévotion particulière à la Vierge, lorsqu'ils passent
commande de l'Assomption à Philippe de Champaigne. Ce dernier
réalise l'oeuvre à Paris191, elle est ensuite
acheminée dans le petit village de montagne. Ce choix témoigne
avant tout d'une quête de prestige de la part des commanditaires,
Champaigne avait par ailleurs déjà réalisé une
Assomption pour les Chartreux d'Alençon en 1656, et
répond à la même commande pour ceux de Bordeaux en 1673.
Les Chartreux sont aussi à l'origine de la commande de
la dernière oeuvre de notre catalogue192. Il s'agit des
Chartreux de Montrieux, établis au Revest-les-Eaux193. Ces
derniers demandèrent en 1674 au peintre Pierre Le Roy de réaliser
une Assomption (Fig.11)194 pour
l'église paroissiale Saint-Christophe alors en construction. Nous avons
très peu d'éléments au sujet de ce peintre, il est
vraisemblablement originaire de Provence, du moins rien ne le rattache à
une autre partie du territoire. Le Roy effectue cependant le traditionnel
voyage à Rome, où sa présence est signalée dans les
stati anime de 1664195, à son retour il
séjourne à Toulon et à Marseille. Il réalise deux
oeuvres pour la commune du Revest, une Assomption
191 En effet le prix fait a été
rédigé à Paris le 29 juillet 1971.
192 Catalogue d'oeuvres attribuées.
193 Actuel département du Var.
194LE ROY, Assomption, 319 x 222 cm, 1675,
église Saint Christophe, Le Revest-les-Eaux.
L'oeuvre est signée et datée, LE ROY INVTOR
PINGEBAT ANNO 1675.
195HOMET, Marie-Claude, Michel Serre et la
peinture baroque en Provence (1658-1733), Aix-en-Provence,
1987, p. 156.
60
commandée pour l'église paroissiale en mai 1674,
puis une Annonciation pour les Pénitents
Blancs196.
Lorsque nous prenons connaissance du prix fait197
pour l'Assomption, l'iconographie est strictement dictée au
peintre. Pierre Le Roy répond à la commande en
représentant au bas, saint Jacques et saint Christophe de chaque
côté du tombeau. Ce choix est explicité par les
commanditaires dans le prix fait, en effet l'église paroissiale est
placée, lors de sa construction, sous la protection de saint Christophe
et de saint Jacques le Majeur, ils étaient de plus les saints patrons de
la ville.
Saint Jacques le Majeur est l'un des douze apôtres du
Christ, il fait partie des saints du premier millénaire, dont, nous
l'avons vu, le culte est particulièrement présent en Provence au
XVIIème siècle. Le peintre lui donne les attributs habituels : il
est vêtu de ses habits de pèlerin, avec à la main un
bâton et une besace. Bien que l'église du Revest soit
placée sous son vocable, la présence de saint Christophe dans une
Assomption est plus étonnante. Il est celui qui porte le Christ enfant
sur ses épaules pour traverser la rivière, l'iconographie
traditionnelle le peint sous les traits d'un géant. Pierre Le Roy ne
prend pas ce parti, par souci d'équilibre de la composition
probablement.
Le registre supérieur respecte lui aussi en tout point
les directives du prix fait : le peintre fait figurer la ligne du paysage
à l'horizon, au-dessus, la Vierge est assise sur un nuage de forme
circulaire que plusieurs anges soutiennent. Pierre Le Roy insère
également des têtes de putti à sa composition,
au-dessus de la Vierge et sur le nuage.
196 L'Annonciation fut commandée à Reynaud
Levieux seulement quatre mois après l'Assomption, par les
Pénitents blancs.
en septembre 1674 par les Pénitents blancs pour le
même édifice, seulement quatre mois après
l'Assomption.
197 Prix fait reproduit en Annexe 21.
61
Finalement le peintre en suivant les attentes des
commanditaires, réalise une Assomption à l'iconographie
et la composition singulière, puisqu'il ne fait figurer aucun des autres
apôtres, qui sont selon les textes toujours présent lors de cet
épisode.
À l'ensemble de ces oeuvres attribuées, il
convient d'ajouter les Assomption anonymes, également nombreuses en
Provence, afin de tenter au mieux de dégager un éventuel mode de
représentation privilégié. Bien que nous ne puissions pas
les rattacher à un peintre, à ses influences, ces toiles n'en
restent pas moins le résultat d'un travail abouti, et en ce sens elles
constituent autant d'indices qui alimentent une possible tradition
iconographique du thème dans la région.
62
|
|