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L'assomption en Provence au XVIIème siècle.

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par Charlotte Siat
Université d'Aix-Marseille  - Master II Histoire de là¢â‚¬â„¢Art moderne spécialité Art moderne et contemporain 2013
  

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c. Les oeuvres attribuées, la tradition iconographique de l'Assomption en Provence.

Les Assomption, dont l'attribution est certaine et qui constituent notre catalogue, ont été recensées grâce à la base de données Palissy119. Nous soulignons cependant que la liste fournie n'est pas exhaustive ; il s'agit ici des oeuvres toujours conservées in situ. Il parait évident que certaines oeuvres déplacées, disparues, ou cachées dans des collections privées ne feront pas partie de cette étude. L'intention première est de fournir un catalogue le plus représentatif possible de la production picturale associée à l'Assomption en Provence, mais ne prétend pas à l'exhaustivité pour les raisons que nous venons d'énoncer. Notons aussi que

La production assez mince de Jean-Baptiste Faudran peut s'expliquer par son statut d'aristocrate aisé, son art n'était donc pas une source de revenu vitale pour lui.

Il s'agit d'ailleurs d'une exception, car les artistes provençaux sont rarement issus de milieux aisés, s'ils ne sont pas peintre de père en fils, ils sont issus pour la plupart de milieux populaires et artisans.

119 La base de données Palissy est constituée par les apports de la DRAC et de l'Inventaire général du patrimoine culturel. Ces deux services n'ont pas tout à fait la même fonction, l'Inventaire recense et étudie les oeuvres, tandis que la DRAC se concentre sur des questions d'ordre pratique, nous y trouvons donc uniquement des dossiers de restauration (détails techniques, devis, etc).

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certaines oeuvres que nous allons étudier se trouvent dans des comtés voisins, le Dauphiné120 ou le Venaissin, mais en relation directe avec la Provence par leur proximité.

Le culte marial, très présent en Provence, s'intensifie au XVIIème siècle et nous pouvons le mesurer par la multiplication des vocables dédiés à la Vierge. Selon l'ouvrage de Marie-Hélène Froeschlé-Chopard121, ils seraient même cinq fois plus nombreux qu'au XIème et XIIème siècles.

La région se divise en deux principaux cultes : celui des saints de l'Écriture et le culte marial. Cependant, nous observons que selon les parties du territoire, ce dernier est plus ou moins illustré. En effet, la présence du culte marial s'intensifie nettement dans les lieux les plus isolés, où la nature domine. Cette constatation permet de mettre en relief l'importance du rôle protecteur que les habitants accordaient à la Vierge.

Pour plus de clarté, et afin de suivre l'évolution de l'iconographie de l'Assomption en Provence, nous allons tout d'abord étudier les oeuvres attribuées qui ont été exécutées dans la première moitié du siècle. Nous en comptons sept, réparties sur le territoire provençal, dont deux de la main de François Mimault.

Vraisemblablement tombé dans l'oubli dès le XVIIIème siècle, François Mimault fait pourtant partie de ces artistes ayant connu une carrière prolifique en Provence. Originaire des Deux-Sèvres, il s'installe à Draguignan dès 1608122, où il sera très actif, puis à Aix à partir de 1622123. Nous savons aujourd'hui qu'il eu son fils, Bernardin Mimault, et Jean Baptiste de la Rose comme élèves, qui ont d'ailleurs également connu une carrière illustre dans la région. Si nous ne connaissons pas avec certitude les circonstances de la formation de François Mimault,

120 Une grande partie du Dauphiné correspond aujourd'hui aux Alpes-de-Haute-Provence et aux Hautes-Alpes. 121FROESCHLÉ-CHOPARD, Marie-Hélène, Espace et sacré en Provence (XVIe - XXe siècle), Les Éditions du Cerf, Paris, 1994, p.103.

122 François Mimault se marie à Draguignan la même année, le 8 juin 1608.

123 Il meurt à Aix en septembre 1652.

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nous pouvons percevoir dans ses oeuvres plusieurs influences stylistiques, allant de certaines caractéristiques du Maniérisme italien, à une recherche d'un réalisme doux, quand même très éloigné de celui du Caravage. Mais surtout, nous remarquons que Mimault se rattache bien souvent à la tradition provençale prégnante dans ses oeuvres religieuses. Cette tradition picturale, directement issue des représentations médiévales, peut se résumer par une vision frontale de la composition et l'aspect de superposition des registres.

François Mimault consacre deux oeuvres au thème de l'Assomption, l'une en 1614, l'autre en 1630. La première, que nous allons étudier, se trouve toujours dans l'ex-cathédrale de Senez placée sous le vocable de l'Assomption, aujourd'hui située dans le département des Alpes-de-Haute-Provence. Avant tout, nous avons ici la preuve de la mobilité des artistes établis en Provence. Le peintre réside à ce moment-là à Draguignan ; Senez se trouvant à plus de 70kilomètres au nord, nous pouvons supposer que Mimault avait une clientèle suffisamment abondante pour se permettre d'accepter des commandes hors de son lieu d'habitation.

L'oeuvre (Fig.1)124 qui nous intéresse est un triptyque : l'Assomption est figurée sur le panneau central, tandis que les apôtres Paul et Pierre figurent sur les panneaux latéraux. La scène de l'Assomption est ici décomposée en deux registres clairement distincts, et reprend le mode de représentation classique du thème. Dans la partie inférieure, les douze apôtres sont attroupés autour du tombeau vide de la Vierge, cependant un treizième personnage à l'attitude bien différente se distingue. L'homme semble plutôt âgé, il porte une longue barbe blanche ; il est agenouillé en position de prière et, surtout, il regarde en direction du spectateur. Agnès Lory125 avance l'hypothèse, plus que vraisemblable, qu'il s'agirait du commanditaire. Or, d'ordinaire, lorsque le mécène se fait représenter, il est placé à l'écart de la scène divine que

124François MIMAULT, Assomption de la Vierge, 320 x 210 cm, 1614, église paroissiale Notre-Dame-de-l'Assomption, Senez.

125LORY, Agnès, François Mimault (Parthenay v. 1580 - Aix 1652), mémoire de Maîtrise sous la direction de Pascal Julien, Université de Provence, 2003.

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dépeint l'oeuvre. Chez Mimault, celui-ci se trouve parmi les apôtres, si bien que nous ne le distinguons pas d'emblée. Encore plus difficile à percevoir, les armoiries présentes sur la face visible du tombeau126 sont, d'après Jean Bernard Lacroix127, celles de Jacques Martin, alors évêque de Senez, très certainement le commanditaire de l'oeuvre.

Pour en revenir aux apôtres, tous abordent une attitude différente : certains sont étonnés devant le tombeau vide, d'autres lèvent la tête en direction de la Vierge ; mais tous sont dotés par le peintre d'une gestuelle explicite, qui confère à la moitié inférieure du tableau une dynamique indéniable.

Dans la partie supérieure, la Vierge est représentée agenouillée, de face, ce qui est assez rare dans l'iconographie de l'Assomption. Elle est entourée d'un halo de lumière ; de chaque côté, une troupe d'anges musiciens l'accompagne ; un chérubin, les bras écartés, placé au milieu des deux groupes et face au spectateur, semble faire le lien avec la scène terrestre (Fig.1). Le décor est totalement absent de cette oeuvre. La séparation des registres se fait par le nuage sur lequel se tiennent la Vierge et les anges. C'est une caractéristique de la peinture de François Mimault : son attention semble se porter avant tout sur les personnages, et beaucoup moins sur le décor. C'est le cas de l'Assomption de Senez où l'aspect matériel, le cadre de la scène, est uniquement suggéré par le tombeau ; mais le symbolisme de celui-ci suffit à servir la narration de l'oeuvre.

Pour le choix des coloris le peintre crée un équilibre en utilisant des teintes complémentaires telles que le rouge et le vert, le bleu et le jaune, que l'on retrouve dans les vêtements des apôtres. La Vierge est revêtue de la traditionnelle robe parme et du long manteau bleu.

126 Notons qu'à la base du tombeau figure la signature du peintre Franciscus Mimault pinxit. 127LACROIX, Jean-Bernard, François Mimault, découverte d'un tableau à Senez, dans Annales de Haute-Provence, n°318, Digne, 1er trimestre, 1992, p.5.

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Dans la deuxième Assomption (Fig.2)128, réalisée en 1630 pour la cathédrale Notre-Dame de l'Assomption d'Entrevaux129, nous pouvons constater l'évolution du traitement du thème chez François Mimault. La commande de cette oeuvre émane de l'évêque de Glandèves130, Monseigneur René Leclerc. Le « prix fait », rédigé au début du mois de mai 1630131, fait état des exigences du commanditaire. L'oeuvre exécutée par Mimault y répond parfaitement : la Vierge devait figurer avec les douze apôtres, mais devaient également y être représentés le portrait de l'évêque ainsi que saint François de Paule132. Pour répondre à cette exigence, le peintre va réorganiser la représentation traditionnelle de l'Assomption en divisant son oeuvre en trois registres.

Au bas de la composition, figure l'évêque de Glandèves, agenouillé, les mains jointes devant son livre de prière, et regardant en direction du spectateur. En face de lui se trouve saint François de Paule, représenté en extase par Mimault, qui choisit ainsi de placer le saint en véritable témoin de la scène divine qui se déroule plus haut.

128François MIMAULT, Assomption, 1630, 400 x 345 cm, église paroissiale Notre-Dame-de-l'Assomption, Entrevaux.

Le prix fait pour cette oeuvre nous est connu dès la fin du XIXème siècle grâce à la notice que Frédéric Mireur consacre au peintre, le prix fait y est reproduit en intégralité.

MIREUR, Frédéric, Notice sur le peintre François Mimault (1580-1652), dans Revue des Sociétés savantes des Départements, Imp. Nationales, Paris, 1877, p.15.

129 Entrevaux se situe aujourd'hui dans le département des Alpes-de-Haute-Provence.

130 Le diocèse de Glandèves s'étalait sur un vaste territoire, divisé entre le comté de Provence et le comté de Nice, les évêques du diocèse avaient coutume de résider à Entrevaux.

131Annexe 19.

132 Saint François de Paule était un saint ermite. Il est le fondateur de l'Ordre des Minimes en Calabre. Il fut appelé en France par le roi Louis XI alors malade, saint François étant connu pour les miracles qu'il accomplissait. C'est pourquoi, en Provence son culte est particulièrement développé. Saint François se serait rendu à Bormes-les-Mimosas et à Fréjus, et aurait guéri les deux villes de la peste.

Une chapelle fut érigée à Bormes en 1560 et placée sous son vocable ; saint François de Paule est d'ailleurs devenu le saint patron de la ville.

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Pour figurer le registre intermédiaire, le peintre installe les apôtres et le tombeau vide sur une sorte d'estrade133, marquant ainsi nettement la délimitation entre les deux scènes inférieures de la toile.

Enfin, la partie supérieure du tableau, réservée au registre divin, représente la Vierge en pied, les bras ouverts ; le mouvement ascensionnel est suggéré par la posture de ses jambes, l'une d'elle étant légèrement relevée, et par les drapés de son manteau qui semblent être soulevés par les airs. Le groupe d'angelots, ici représentés nus, tournoie autour de la Vierge, accentuant l'impression de mouvement qui les soulève.

Cette oeuvre révèle l'évolution qui s'opère dans la représentation de ce thème chez François Mimault. En effet l'Assomption de Senez, réalisée seize ans plus tôt, est beaucoup plus dense. La différence majeure entre les deux toiles du peintre, se remarque surtout dans le registre supérieur. La Vierge de Senez est représentée dans une attitude et une position beaucoup plus figées. Dans la seconde Assomption, celle d'Entrevaux, Mimault donne à la Vierge et aux angelots, tout le mouvement et la légèreté relatifs à cette scène. Cette oeuvre, que l'on pourrait qualifier de « mieux équilibrée », est certes la preuve d'une évolution picturale, mais n'oublions pas de souligner que le peintre disposait aussi d'une toile bien plus grande134.

En 1614, au moment où François Mimault peint l'Assomption de Senez, un autre peintre étranger à la Provence, et qui s'y installe également, est demandé pour peindre le même sujet.

Il s'agit du peintre Jacques Macadré, dont le nom réside toujours dans un quasi anonymat135. Originaire de Troyes, il est issu d'une longue lignée de vitriers et peintres verriers troyens.

133 Comme le souligne Agnès Lory, le peintre à déjà intégré cette sorte de piédestal dans une oeuvre antérieure, La Sainte Parenté et les deux saints Jean réalisée en 1616 pour l'église paroissiale Saint-Etienne de Bargemon (actuellement dans le département du Var), voir Annexe 12.

134 L'Assomption d'Entrevaux mesure 400 x 345 cm, contre 320 x 210 cm pour celle de Senez.

135 Jean Boyer lui consacre plusieurs pages dans sa thèse qui reste à ce jour la source la plus fiable et la plus documentée que l'on possède à propos de ce peintre.

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À la toute fin du XVIème siècle, aux alentours de 1595, il vient s'installer à Aix-en-Provence, et y restera jusqu'à sa mort, en 1620. Il s'y marie en 1603, avec Antoinette Martel, elle-même fille de peintre troyen établi à Aix. Malgré les nombreux documents concernant le peintre que Jean Boyer à découverts, tels que son contrat de mariage, de nombreux actes concernant son lieu d'habitation rue des Prêcheurs136, son testament et son inventaire après décès, nous ne connaissons rien de sa formation. Néanmoins, nous pouvons déduire, au vu des nombreuses commandes qui lui sont passées, qu'il eu une certaine renommée en Provence ; de plus, ayant eu plusieurs élèves137, il devait donc être à la tête d'un petit atelier à Aix. Plusieurs de ses oeuvres ont aujourd'hui disparu ; cependant, les « prix fait », mis à jour par monsieur Boyer, révèlent plusieurs toiles que le peintre a exécutées pour les églises de la ville. Nous pouvons notamment citer une commande émanant de Louis Rabasse, conseiller au Parlement, pour un retable représentant l'Adoration des mages destiné à sa chapelle de l'église de la Madeleine.

Mais Jacques Macadré a aussi réalisé un grand nombre de bannières138, et travaillé pour le compte de la ville en participant à la réalisation des décorations pour les entrées du duc de Guise en 1595 et du roi Henri IV en 1600.

Outre cette carrière au sein de la ville d'Aix, le peintre répond à des commandes émanant de toute la Provence : Lanson près de Carpentras139, Saint Julien140, Ansouis141, ou encore Gréoux-les-Bains142 où il réalise une Assomption (Fig.3)143. Jean Pellicot, alors prévôt144 du Chapitre de l'église paroissiale de Gréoux, passe commande d'un retable de l'Assomption

BOYER, Jean, La peinture et la gravure à Aix-en-Provence aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles: 1530-1790, Service de reproduction de thèses de l'Université de Lille, 1972, p.290 -299.

136 Aujourd'hui rue Portalis.

137 Jean Boyer cite comme élèves de Jacques Macadré, Pierre André, Jacques Bertrand, et Pierre Thevenin.

138 Il a notamment réalisé en collaboration avec François Valisset la bannière pour la Confrérie de l'Annonciade en 1602.

139 Il peint pour l'église paroissiale de Lanson le Couronnement de la Vierge, saint Symphorien et sainte Juliette.

140 Dans l'actuel département du Var. Jacques Macadré a peint pour l'église Notre-Dame-du-Plan un retable.

141 Dans l'actuel Vaucluse. Pour l'église paroissiale d'Ansouis le peintre réalise une Annonciation.

142 Actuellement situé dans les Alpes-de-Haute-Provence.

143Jacques MACADRÉ, Assomption, 1615, Notre-Dame-des-Ormeaux, Gréoux-les-Bains. 144 Un prévôt est le doyen du chapitre d'une cathédrale ou d'une collégiale.

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auprès de Jacques Macadré à la fin du mois de juin 1614. Le « prix fait », partiellement retranscrit par Jean Boyer, mentionne un retable de dix-huit pieds de haut et de dix de large, où doivent être représentés « l'Assomption de Notre-Dame avec des anges alentour et les douze apôtres au bas »145. Le peintre respecte la commande et livre une Assomption à la composition traditionnelle, en deux registres. Au bas le groupe des apôtres autour du tombeau146 comporte de nombreuses similitudes avec celui présent dans l'oeuvre de Mimault à Senez, mais aussi avec une Assomption non attribuée147. Le registre supérieur est découpé par une bande de nuage formant la moitié d'un cercle, sur lequel repose la Vierge et les anges qui l'accompagnent. Elle est représentée à demi-assise, une jambe presque tendue, l'autre pliée avec le pied reposant sur un petit nuage qui se détache des autres. Malgré la position de la Vierge, peut être destinée à suggérer le mouvement ascensionnel de la scène, du moins l'aspect aérien, la composition du registre supérieur reste assez rigide. Cette impression est probablement renforcée par le gris assez sombre que le peintre a choisi pour représenter la masse nuageuse. Les anges s'y cachent, de telle façon que seule la partie haute de leur corps est visible. À l'exception de ces quatre anges, la présence des autres est seulement figurée par des têtes ailées. Nous pouvons déceler, dans ce choix, l'influence des représentations issues de la fin du Moyen-âge et de la Renaissance italienne. En effet, comme nous l'avons vu précédemment les têtes ailées sont particulièrement présentes dans les Assomption des XVème et XVIème siècles. Il est aussi intéressant de noter que dans la composition de Jacques Macadré, le registre des apôtres remplit plus de la moitié de la toile, celui de la Vierge semblant de ce fait manquer de hauteur.

145Gazette des Beaux-arts, Tome LXXVIII, 113e année, Paris, juillet-septembre 1971, p.144. Si nous ne citons que le passage concernant l'Assomption, Jacques Macadré a été chargé de réaliser l'intégralité du retable, où devaient aussi figurer la Nativité, la fuite en Égypte, un Ecce homo, « des anges avec des encensoirs et des flambeaux ». Ainsi que saint Pierre et saint Paul sur l'intérieur des portes du retable, avec d'un côté « la figure dud. prévost à genoux avec son pali », et à l'extérieur devra être représentée l'Annonciation en grisaille.

146 En dessous du tombeau, tout en bas de la toile, à l'endroit où les drapés des apôtres au premier plan se rejoignent, sont placées les initiales du peintre (Fig.3).

147 Cette Assomption est conservée dans l'église paroissiale Notre-Dame-du Mont Carmel au Luc, commune actuellement située dans le Var. Voir III.) b. de ce mémoire.

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Comme chez François Mimault, le décor, du moins l'environnement de la scène, ne semble pas être une priorité chez Jacques Macadré. Sa composition présente l'essentiel nécessaire à la narration et reste teintée de la rigidité des représentations du XVème siècle, encore très prégnante dans la production picturale en Provence.

Malgré leur carrière prolifique dans la région, les noms de ces deux artistes, Mimault et Jacques Macadré, n'ont pas été particulièrement reconnus, à l'exception du milieu universitaire.

La Provence du XVIIème disposait quand même de ses grands noms, et parmi eux, l'arlésien Trophime Bigot. S'il a était ignoré pendant des années, puis identifié comme le « Maître à la Chandelle » au XIXème, une nouvelle fois les recherches d'archives menées par Jean Boyer permirent d'avancer le nom de Trophime Bigot. Nous savons qu'il se forme à Arles, il aurait ensuite effectué le traditionnel voyage à Rome au début du siècle et y serait resté pendant plusieurs années. Son nom réapparait dans les archives d'Arles seulement en 1635. Cette année-là, il réalise l'Assomption (Fig.4)148que nous allons étudier. Toujours conservée en la cathédrale Sainte-Trophime, elle fait partie des trois seules oeuvres attribuées avec certitude au peintre. Si la présence du tableau dans la cathédrale n'est mentionnée pour la première fois qu'en 1790, nous pouvons supposer qu'il s'y trouve depuis sa réalisation. En effet, le « prix fait » toujours inconnu ne peut venir confirmer cette hypothèse ; néanmoins nous savons aussi que les cas de déplacements d'oeuvres surviennent surtout après la Révolution.

L'Assomption de Trophime Bigot présente la composition traditionnelle en deux registres : en bas, les apôtres sont regroupés autour du tombeau, ici à peine visible. Dans le registre céleste, la Vierge est représentée dans une attitude très pieuse, assise sur un nuage soutenu par des

148 Trophime BIGOT, Assomption, 250 x 150 cm, 1635, Saint-Trophime, Arles. Un cartel placé en bas à gauche et rédigé en latin par le peintre comporte sa signature et la date de réalisation de l'oeuvre.

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angelots, les mains jointes, un halo de lumière entourant son visage. Cependant, une particularité réside dans cette partie de l'oeuvre. En effet, le corps de la Vierge, légèrement tourné vers la gauche, fait face à deux personnages dont la présence est rarissime dans l'iconographie de l'Assomption. Il s'agit du Christ, habituellement présent dans les représentations du Couronnement de la Vierge, et de sa mère, Sainte Anne. Dans cette oeuvre, les deux femmes se font face, Sainte Anne tendant les bras vers sa fille ; le Christ lui est représenté flottant dans les airs. Tous deux semblent accueillir la Vierge au ciel.

Outre cette spécificité dans la composition, l'oeuvre est peinte dans des tons froids ; la lumière diffuse donne une tonalité douce à l'ensemble. Bien que l'artiste ai été associé au « Maître à la chandelle » qui est actif à Rome de 1620 à 1634, cette Assomption n'adopte aucun des traits du courant caravagesque que l'on prête à ce peintre. Trophime Bigot réalise un tableau qui cadre, pour l'instant, parfaitement à la tendance stylistique des oeuvres que nous avons vu, mais nous ne pouvons pas encore parler d'un mode de représentation privilégié.

La commande de l'oeuvre que nous allons maintenant étudier, émane de Visan, au nord de Carpentras. Le village fait alors parti du comtat Venaissin, possession pontificale. La chapelle de Notre-Dame-des-Vignes est, au XVIIème siècle, un lieu de culte fréquenté et abrite la confrérie de Saint Vincent. Elle avait été créée à la fin du XVème siècle par l'ensemble des vignerons de Visan, qui participaient annuellement à une bravade149 suivie d'une procession, à laquelle tous les membres de la confrérie devaient être présents. La chapelle de Notre-Dame-des-Vignes comporte également une autre spécificité : elle est placée sous la responsabilité de rectoresses150.

149 Une bravade est un défilé costumé où les personnes sont armées de tromblons, qui est un type particulier d'arme à feu. Ces défilés ont lieu lors des fêtes patronales en Provence.

150 Tous les ans deux rectoresses étaient choisies par le curé de la paroisse, lui-même assisté de celles qui quittaient leur poste.

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En 1637, l'une des deux rectoresses alors en charge, Isabeau de la Ville151, règle un acompte de vingt-trois livres, à valoir sur les soixante du coût total de la commande d'une Assomption (Fig.5)152 passée au peintre Laurent Brunier. Nous ne connaissons rien de la formation, ni des origines de ce peintre, si ce n'est qu'il exerce à Malaucène, petite ville située au sud de Visan, à quelques kilomètres de Carpentras, cependant nous pouvons penser qu'il est originaire de la région.

L'Assomption qu'il réalise, présente une iconographie particulière, relative aux dévotions de la confrérie Saint Vincent, et une composition tout à fait traditionnelle.

Au bas de la toile sont représentés saint Joseph et sainte Marguerite, particulièrement vénérés en Provence au XVIIème siècle. En effet, l'étude menée par Marie-Hélène Froeschlé-Chopard153, démontre que le culte des saints du premier millénaire, dont est issu Joseph, est le plus répandu en Provence. Ce dernier est représenté à côté du tombeau vide de la Vierge, les mains croisées sur la poitrine, tenant un rameau, son attribut traditionnel.

De l'autre côté, se tient sainte Marguerite. Elle est représentée avec ses deux attributs, qui permettent de la reconnaitre sans difficulté. Le premier, le dragon, à ses pieds, représenté ailé, doté d'une corne, la gueule ouverte sur des dents acérées et regardant dans la direction de la sainte. Elle, est à genoux, les mains jointes, tenant un crucifix qui est son second attribut. Le culte de cette sainte fut très populaire au Moyen-âge. Selon La légende dorée154 sainte Marguerite est une vierge martyre qui aurait vécu au début du IVème siècle. Elle aurait été emprisonnée, puis aurait lutté et enfin vaincu à l'aide de son crucifix, le démon qui se serait montré à elle sous la forme d'un dragon. Le peintre répond probablement aux directives

151 Dossier n° 84000941, Inventaire général du patrimoine culturel.

152Laurent, BRUNIER, Assomption, 200 x 150 cm, 1637, chapelle Notre-Dame-des-Vignes, Visan. 153FROESCHLÉ-CHOPARD, Marie-Hélène, Espace et sacré en Provence (XVIe - XXe siècle), Les Éditions du Cerf, Paris, 1994, p.135.

154DE VORAGINE, Jacques, La légende dorée, traduite du latin et précédée d'une notice historique et bibliographique, par Monsieur Gustave Brunet, C. Gosselin, Paris, 1843, p.153.

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iconographiques, qui lui ont été adressées, en ajoutant ce personnage à sa composition. Cependant, nous savons que le culte de sainte Marguerite fait partie des plus populaires à la fin du Moyen-âge et nous pourrions voir ici la pérennité des croyances du XVème siècle dans les oeuvres provençales.

Dans la partie supérieure la Vierge est représentée debout, les bras ouverts, soutenue par quatre anges, le nuage sur lequel elle se tient délimitant les deux registres.

De façon générale, l'attitude des trois personnages est assez figée, les coloris, difficilement lisibles155, semblent avoir été assez vifs, comme en témoigne le rouge flamboyant de la robe de la Vierge.

Non loin de Visan, un peu plus au nord, dans la commune de Grillon, se trouve une autre Assomption (Fig.6)156, actuellement conservée au sein de l'église paroissiale Sainte-Agathe157. La toile est signée et datée, ANNO 1640, I. MONIER M. CH. Cependant aucun « prix fait » ou autre document existant ne viennent compléter ces informations sommaires. Le nom de Monier évoque celui du peintre originaire de Blois, Jean Mosnier158 mais ce dernier réalise le voyage en Italie bien des années auparavant ; en effet, selon Félibien159, il serait rentré en France en 1625. Il n'aurait donc pas pu réaliser cette Assomption, au retour de son voyage qui aurait, dans ce cas comporté une escale dans le comtat Venaissin.

155 La toile est en effet très abimée rendant la lecture complexe ; nous pouvons noter plusieurs repeints et une couche blanchâtre formée par le verni ; de plus la couche picturale est en grande partie craquelée (manquante au niveau de la tête de saint Joseph).

156I.MONIER, Assomption, 1640, église Sainte-Agathe, Grillon.

157 L'église Saint-Agathe à été érigée au XIXème siècle, en 1861.

158 D'après les Entretiens de Félibien, Jean Mosnier est né à Blois en 1600, d'un père peintre sur verre. Il apprend la peinture auprès de lui jusqu'à ses seize ans. C'est à cet âge que Marie de Médicis, alors à Blois, repère son talent lorsqu'elle lui demande une copie d'une oeuvre qu'elle souhaitait acquérir. Par la suite, elle prend en charge le voyage en Italie de Mosnier. De retour en France en 1625, la capitale ne lui manifeste pas le soutient qu'il espérait, il se rend donc à Chartres, puis travaille essentiellement dans sa province natale, où il meurt à Blois en 1656.

FÉLIBIEN, André, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes ; augmentée des Conférences de l'Académie royale de peinture & de sculpture, avec la vie des architectes, Trévoux, réédition, 1725, p.404 à 406.

159Idem, p. 405.

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Cependant, l'hypothèse du lieu d'origine du tableau parait très vraisemblable au vu de l'iconographie particulière de cette Assomption. Cette oeuvre fait figurer l'Assomption de Marie comme une apparition à saint Sébastien et à saint Roch de Montpellier, deux saints populaires depuis le XVème siècle en Provence.

Au premier plan, saint Sébastien, dont le culte remonte au haut Moyen-âge, est représenté selon l'iconographie qui s'est développée à la Renaissance, en un homme souvent jeune, attaché et le corps transpercé de flèches, attribut de son martyr.

À droite, saint Roch, aussi appelé saint Roch de Montpellier160, est accompagné d'un ange qui le soutient et pose sa main sur sa blessure. Ce saint aurait en effet été atteint de la peste au retour de son pèlerinage à Rome, après avoir aidé beaucoup de malades sur sa route. Il décida de se réfugier en forêt et de prier jusqu'à sa mort. Un ange serait venu lui apporter de l'aide et le soigner. Le peintre représente le saint avec tous les attributs permettant aux spectateurs de le reconnaitre. Outre la présence de l'ange, nous pouvons observer que sur le drapé de l'épaule du saint, est cousu une coquille. Elle représente le pèlerin, en référence au pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, tout comme le bâton qu'il tient dans son autre main. Son culte se répand sur le territoire provençal immédiatement après sa mort, et au XVIIème siècle, saint Roch fait parti des « grands saints »161 intercesseurs de Provence. Le choix de l'iconographie nous donne un indice de la provenance de cette oeuvre, qui pourrait être la chapelle des Pénitents blancs, qui a été érigée la même année que l'exécution du tableau, en 1640.De plus, la présence de cette confrérie est attestée à Grillon au XVIIème par leurs statuts approuvés par l'évêque de Vaison-la-Romaine. Les statuts établissent les règles inhérentes à une confrérie ; pour les Pénitents blancs, l'une d'entre-elles stipule que tous les membres

160 Saint Roch serait né au XIVème siècle à Montpellier ; néanmoins très peu de sources fiables existent concernant sa vie.

161FROESCHLÉ-CHOPARD, Marie-Hélène, Espace et sacré en Provence (XVIe - XXe siècle), Les Éditions du Cerf, Paris, 1994, p.132.

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doivent se confesser notamment lors des fêtes mariales. Le choix d'un sujet comme l'Assomption parait donc d'autant plus probable. Mais au-delà de cette dévotion particulière, la chapelle des Pénitents blancs fut placée, dès sa création, sous le vocable de l'Assomption de Notre-Dame et de saint Sébastien. Cette dernière donnée expliquerait l'entière iconographie de la toile.

L'espace entre les deux saints laisse voir un paysage, avec une ville fortifiée au loin, qui pourrait être Valréas162, dont les remparts ont été construits au Moyen-âge.

Au-dessus, la Vierge se tient debout sur un nuage, soutenue par trois têtes d'anges à ses pieds et deux autres à ses côtés. L'une de ses mains n'est pas visible, l'autre est placée sur sa poitrine ; son attitude générale semble dépourvue de mouvement, presque rigide. Il en va de même pour saint Sébastien et saint Roch avec l'ange. Malgré des nuances, comme la représentation du paysage issue de la Renaissance, là encore nous observons la longévité de la tradition médiévale de représentation.

Nous allons voir que cette tendance ne prévaut pas dans toutes les oeuvres, et c'est le cas avec l'une des Assomption163 réalisée par Nicolas Mignard. Le peintre fait, sans aucun doute, partie des « grands noms » de la Provence, parmi tous ces artistes étrangers qui peuplent la vie artistique de la région. Originaire de Troyes en Champagne, Nicolas Mignard arrive à Avignon au printemps de l'année 1633. Il se rend à Rome deux ans plus tard, grâce aux faveurs de Richelieu. En 1637, il revient en Provence et reste à Avignon durant les vingt-trois années suivantes. Nul besoin de préciser qu'il eu une carrière très prolifique dans la région164.

162 Valréas est une ville fortifiée située seulement à cinq kilomètres de Grillon.

163 Le peintre consacre en effet plusieurs toiles à ce thème, outre l'Assomption de Tarascon, nous avons aussi connaissance d'une Assomption datée de 1647 et une autre à Toulon de 1658.

Nicolas MIGNARD, Assomption, 600 x 370 cm, 1647, oeuvre disparue dans un incendie. Nicolas, MIGNARD, Assomption, 800 x 600 cm, vers 1658, église Sainte-Marie-de-la-Seds, Toulon.

164 La carrière de Nicolas Mignard est caractérisée par deux phases : l'une à Avignon, l'autre à la Cour, la première est celle qui nous intéresse. En effet Mazarin le fit venir à Paris, où il rencontre l'hostilité de son propre frère, Pierre Mignard. Cependant, il réalise un grand nombre de portraits, dont celui du roi Louis XIV. Il est reçu en 1663 au sein de l'Académie royale de peinture et de sculpture.

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Il réalise des oeuvres pour la ville d'Avignon mais aussi pour Carcassonne, Sisteron, Aix, et Tarascon. C'est dans cette dernière qu'il réalise une Assomption (Fig.7)165 pour l'église Sainte-Marthe en 1643. Si la composition est tout à fait habituelle, en deux registres avec les apôtres en bas et la Vierge portée par des anges en haut, nous remarquons l'exécution que l'on pourrait qualifier de plus moderne. On est loin, ici, des réminiscences des représentations du XVème siècle ; la formation et les modèles du peintre sont en effet bien visibles. Nous savons désormais que ses premiers modèles furent les décorations du Primatice et du Rosso réalisées à Fontainebleau dans la première moitié du XVIème siècle. Il a ensuite étudié la production des Carrache à Rome, puis probablement, fréquenté l'atelier de Simon Vouet. Sa formation est donc empreinte des grands modèles italiens, mais aussi de la production contemporaine.

Dans cette Assomption, les coloris sont clairs et les formes douces ; le peintre a veillé à la vérité des expressions qu'il a données aux personnages. Les apôtres, notamment, semblent pour la plupart étonnés, pris de surprise. La Vierge, quant à elle, représentée assise, les mains croisées sur la poitrine, le regard levé vers le ciel, exalte avec grâce le sentiment d'amour qui l'anime.

Nous avons là un exemple de la diversité des goûts qui circulent en Provence. Si la rigidité des représentations du Moyen-âge se dévoile encore dans de nombreuses peintures, l'innovation que constituaient les nouvelles représentations italiennes, ou celles d'artistes comme Vouet alors très en vogue, s'exporte également en Provence. L'influence de la peinture du nord n'est donc pas non plus la seule à s'imposer, et nous pouvons imaginer la forte impression que cette Assomption pu avoir sur les fidèles de Tarascon.

Voir WYTENHOVE, Henri, La peinture en Provence au XVIIe siècle, musée des Beaux-arts, Marseille, 1978, p.90-91.

165Nicolas MIGNARD, Assomption, 303 x 231 cm, 1643, église Sainte-Marthe, Tarascon.

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Nicolas Mignard avait, en Provence un rival ; du moins il avait été mis en concurrence avec ce dernier lors de la commande en 1645, de l'Assomption166 pour le maître-autel de la cathédrale de Nîmes, qu'il remporte tout de même.

En ce rival, il faut voir Reynaud Levieux, cet autre peintre qui est alors demandé pour des commandes prestigieuses dans toute la région. Né à Nîmes en 1613, il part pour Rome dès 1640, puis revient dans sa ville natale en 1644. Il s'installe ensuite à Montpellier, puis à Avignon en 1654 ; il exécute dans ces deux villes de nombreuses commandes167. Finalement, Reynaud Levieux vient se fixer à Aix en 1663168, juste après que Nicolas Mignard et Jean Daret soient appelés à la Cour par Louis XIV.

Avant d'aborder l'oeuvre qui nous intéresse, il parait important de souligner que Reynaud Levieux, bien que son nom soit tombé dans l'oubli puis redécouvert depuis peu, était au XVIIème un de ces grands artistes que comptait la Provence. Jean Boyer à d'ailleurs dit de lui que s'il « avait fait carrière à Paris, il n'est pas douteux qu'il occuperait aujourd'hui, parmi les peintres français du XVIIème siècle, une place de choix »169. C'est en effet, une personnalité à part qui se dégage. Reynaud Levieux bénéficie d'une certaine estime et est reconnu en Provence, fait que l'on peu déduire de ses multiples commandes, mais aussi du prix relativement élevé de celles-ci170. Bien qu'il soit considéré comme un solitaire car jamais marié, cette solitude ne le pénalise pas dans sa carrière puisqu'il collabore, à plusieurs

166 Nicolas MIGNARD, Assomption, 600 x 370 cm, 1647, musée du vieux Nîmes, Nîmes.

167 À Montpellier il réalise des oeuvres pour les Pénitents blancs, et pour la cathédrale ; à Avignon, il travaille pour les Pénitents noirs de Saint-Jean-Baptiste et ceux de la Miséricorde. Ce ne sont que des exemples car, outre les commandes religieuses, le peintre réalise des oeuvres profanes, telles que des portraits (notamment le Portrait de Louis XIV, commandé pour le Parlement à Aix, disparu aujourd'hui) et des natures mortes.

168 Cependant, Reynaud Levieux ne reste pas définitivement à Aix ; il finit par partir pour Rome une dernière fois en 1669, accompagné de son apprenti Jean Pavillon (fils de Pierre Pavillon, contemporain de Levieux). Il y meurt à la fin du XVIIème siècle, probablement aux alentours de 1690. Reynaud Levieux avait préalablement stipulé dans son testament (daté du 4 février 1669, alors qu'il est en bonne santé) qu'il laissait le choix de l'église où il serait inhumé à ses apprentis s'il venait à mourir à Rome. Il est enterré dans l'église Sainte-Marie des Anges.

169BOYER, Jean, La peinture et la gravure à Aix-en-Provence aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles: 1530-1790, Service de reproduction de thèses de l'Université de Lille, 1972, Tome 1, p.86.

170 Il se fait payer 300 livres pour ses oeuvres « de jeunesse », et jusqu'à 850 livres pour la fin de sa carrière.

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reprises, avec d'autres artistes. Nous pouvons citer Jean Daret171, Nicolas Pinson pour les peintres, Jean-Claude Rambot172 ou Michel Péru173 pour les sculpteurs.

L'oeuvre de Reynaud Levieux compte une majorité de commandes religieuses. Parmi les sujets qu'il représente le plus fréquemment, nous trouvons les principaux épisodes de la vie du Christ et de la Vierge, dont l'Assomption. Le peintre se consacre à deux reprises à ce thème : la première à Aix, l'oeuvre qui nous intéresse (Fig.8)174, et la seconde envoyée de Rome en 1680, conservée au sein de la Collégiale Notre-Dame-des-Anges de l'Isle-sur-Sorgue.

L'Assomption d'Aix est commandée à Reynaud Levieux par deux consuls de la ville, André de Ballon et Pierre Arnoux175 pour la chapelle de l'hôtel de ville ; outre l'oeuvre, le peintre devait fournir les dessins pour le retable et l'autel.

La composition de l'oeuvre a la particularité de ne pas réellement séparer les deux registres, traditionnellement bien distincts. Ici, la Vierge n'a pas avoir encore tout à fait quitté le monde terrestre et semble être toujours avec les apôtres. Elle est assise sur un nuage, les bras ouverts, dans une attitude statique, entourée de putti176. Nous pouvons remarquer que le peintre la représente jeune, au visage particulièrement doux. Reynaud Levieux était d'ailleurs connu pour la pureté et la beauté de ses vierges, qualités que nous reconnaissons dans cette oeuvre. Les apôtres, attroupés autour du tombeau, montrent de l'étonnement, comme la tradition le

171 Jean Daret et Reynaud Levieux collaborent à l'occasion de la réalisation de l'ensemble décoratif de la chapelle de la congrégation des Messieurs à Aix, puis en 1666 pour le dessin de la fontaine de la porte Saint-Louis.

WYTENHOVE, Henri, La peinture en Provence au XVIIe siècle, musée des Beaux-arts, Marseille, 1978, p.84.

172 Jean-Claude Rambot, Jean Daret et Reynaud Levieux participent tous les trois, à la fin de l'année 1666, à la décoration de la chambre de Lucrèce de Forbin dans son hôtel particulier de la rue de la Verrerie à Aix.

173 Michel Péru réalise notamment des boiseries pour la chapelle des notaires de l'église Saint-Pierre d'Avignon, suivant les dessins fournis par Reynaud Levieux en 1659.

174Reynaud LEVIEUX, Assomption, 280 x 205 cm, 1662, Aix-en-Provence.

L'oeuvre a été acheminée vers la chapelle des Andrettes (actuelle chapelle du lycée Mignet) sous la Révolution ; elle y était en dépôt, mais dernièrement elle a été transportée dans un lieu inconnu, probablement les réserves du musée Granet.

175 Ces informations sont connues par le prix fait, reproduit partiellement en Annexe 20.

176 Certains sont représentés entièrement, pour d'autres, uniquement la tête.

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veut ;ils sont cependant représentés dans une attitude noble, caractéristique du style de Levieux. De plus, un grand soin a été apporté aux drapés, qui ne sont pas agités par les airs, et dont la tonalité est adaptée à chaque personnage. Derrière la glorieuse scène, le peintre a esquissé un paysage à la lumière pâle, parfois assimilé par les auteurs177 à la Sainte Victoire.

Les coloris et la composition de cette Assomption révèlent les influences italiennes de Reynaud Levieux. Nous savons qu'à Rome, il étudie les grands maîtres du XVIème siècle, mais aussi les artistes de la première moitié du XVIIème, tels que le Dominiquin, Guido Reni ou encore le Guerchin178, et refuse clairement le caravagisme du début du siècle. Levieux pourrait se rattacher au courant classique, qui s'épanouit d'abord à Paris, puis en province, avec également Nicolas Mignard pour la Provence.

La composition, elle, rappelle une Assomption179 antérieure, celle d'Annibal Carrache réalisée pour l'église Santa Maria del Popolo à Rome au tout début du XVIIème. Nous retrouvons des analogies dans le modelé du visage et la position de la Vierge ; l'appréhension de l'espace est cependant différente chez Reynaud Levieux, de même que les coloris, assurément plus clairs.

Cette oeuvre se situe à l'apogée de sa carrière. Il avait alors établi son atelier à Aix, et quelques années plus tard, en 1665, il renouvelle le contrat d'André Boisson, son apprenti. En 1666, Reynaud Levieux devient même un des peintres attitrés de la ville. Il livre alors une peinture, dont notre Assomption, sobre, consciemment méditative, et « d'un caractère très doux »180.

Reynaud Levieux peut donc être compté parmi ces artistes provençaux qui connaissent une brillante carrière, qui est due aussi à sa grande capacité d'adaptation aux décors et aux lieux.

177WYTENHOVE, Henri, Reynaud Levieux et la peinture classique en Provence, Édisud, Aix-en-Provence, 1990, p.127.

178 Guido Reni (1575 - 1642),Le Dominiquin (1581 - 1641), le Guerchin (1591 - 1666).

179 Annibal CARRACHE, Assomption, 245 x 155 cm, 1600-1601, chapelle Cerasi, église Santa Maria del Popolo, Rome.

180CHENNEVIERES, Philippe de, Recherches sur la vie et les ouvrages de quelques provinciaux de l'ancienne France, Paris, 1847-1850, p.87.

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Claude Bousquet, qui réalise une Assomption (Fig.9)181 en 1666, est quant à lui encore aujourd'hui très peu connu. Nous ne savons rien de sa carrière, mis à part qu'il est originaire de Marseille et qu'il aurait cautionné Michel Serre182 lorsque ce dernier arrive dans la ville en 1675.Quoi qu'il en soit, Claude Bousquet devait bénéficier d'une certaine popularité puisqu'il exécute vraisemblablement des oeuvres pour d'autres villes de la région.

L'Assomption que le peintre achève en 1666 pour la collégiale Saint-Pierre et Notre-Dame de l'Assomption à Cuers, a cependant été réalisée à Marseille183. L'oeuvre se présente en deux registres.

En bas, deux apôtres au premier plan lèvent la tête vers Marie ; l'un d'eux a les mains croisées, l'autre les mains jointes. Entre eux, le tombeau est représenté en largeur, fermé par une tombale184 recouverte de fleurs. C'est un détail original puisque, nous l'avons vu dans les textes du XVIIème et même antérieurs, lors de l'Assomption de la Vierge, son tombeau est systématiquement ouvert. Derrière celui-ci nous pouvons voir le reste des apôtres au second plan ; l'un d'entre eux lève les bras au ciel ; ils sont, de manière générale, tous représentés dans des attitudes différentes qui montrent surtout l'étonnement.

Une bande de ciel vient séparer les deux registres. Dans la partie supérieure, la Vierge est représentée assise, les bras ouverts, au milieu d'une nuée d'anges. Là encore, le peintre choisi d'intégrer à la nuée des têtes de putti, issues de l'iconographie du Moyen-âge. Cependant, Claude Bousquet confère au registre céleste une impression de mouvement, surtout visible par les drapés des anges au premier plan du groupe.

181Claude BOUSQUET, Assomption, 314 x 245 cm, 1666, collégiale Saint-Pierre et Notre-Dame de l'Assomption, Cuers.

Cuers se situe actuellement dans le département du Var.

182 Michel Serre né à Tarragone en Espagne. Il se rend en Italie dès 1670, avant de s'établir cinq ans plus tard dans la cité phocéenne. Il y mène une brillante carrière, que nous connaissons bien aujourd'hui. Il est notamment célèbre pour les trois peintures historiques qu'il réalise à Marseille, au début du XVIIIème siècle, suite à la peste de 1720.

183 Dossier IM83000473, Inventaire général du patrimoine culturel. D'après le dossier, et comme nous pouvons le constater sur la photographie, l'oeuvre est en mauvais état, avec de nombreux manques, et noircie.

184 Une tombale est l'élément horizontal qui recouvre la sépulture.

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Pour ce qui est des coloris, ils semblent avoir été assez vifs, mais l'état de la toile ne nous permet pas d'en dire plus.

Claude Bousquet réalise une Assomption à l'iconographie traditionnelle, qui semble être le type d'oeuvre que l'on reproduit le plus fréquemment en Provence. Nous remarquons également que, dans cette oeuvre le décor n'est pas primordial, ce qui est généralement le cas, mis à part quelques exceptions dont l'Assomption précédente de Reynaud Levieux.

L'Assomption suivante, n'a pas été réalisée en Provence185, cependant, dans une courte parenthèse, nous verrons qu'elle illustre un cas particulier de commande.

Il s'agit de l'oeuvre réalisée par le célèbre Philippe de Champaigne (Fig.10)186 pour les Chartreux de Durbon, un petit village de la commune de Saint-Julien-en-Beauchêne187 , qui appartient au XVIIème siècle au Dauphiné. Le peintre dont la carrière est bien connue188, s'adonne à tous les genres, portraits189, paysages, mais surtout à la peinture religieuse : ainsi il réalise jusqu'à treize Assomption190.

L'oeuvre de Saint-Julien-en-Beauchêne révèle une vision resserrée du thème au style presque dépouillé. Seul le registre supérieur est figuré. La Vierge apparaît à demi-assise sur un nuage

185 Provence, comtat Venaissin, Dauphiné.

186Philippe DE CHAMPAIGNE, Assomption, 245 x 185 cm, 1671, église paroissiale Sainte-Blaise, Saint-Julien-en-Beauchêne.

187 L'Assomption de Philippe de Champaigne ne semble pas avoir quitté la commune, à part au début du XXème siècle pour être restaurée au Louvre, puis en 2007 lorsqu'elle est prêtée pour l'exposition « Philippe de Champaigne, 1602-1674. Entre politique et dévotion. », qui eu lieu au Palais des Beaux-arts de Lille. L'oeuvre est mentionnée dès 1887 dans l'église paroissiale Sainte-Blaise de Saint-Julien-en-Beauchêne, dans l'actuel département des Hautes-Alpes.

188 Nous rappelons tout de même que Philippe de Champaigne est originaire des Pays-Bas où il se forme. En 1621 il se fixe à Paris, et connait une brillante carrière au sein de la cour de Louis XIII, c'est également un proche de Nicolas Poussin. Particulièrement intégré au courant classique français, Philippe de Champaigne après un bref retour à Bruxelles sa ville natale, est rappelé en France afin de participer à la décoration du palais du Luxembourg. Il fait surtout partie des membres fondateurs de l'Académie royale de peinture et de sculpture en 1648.

189 Parmi les nombreux portraits du peintre, il réalise celui du cardinal Richelieu vers 1639.

190 Sur les treize oeuvres recensées, huit nous sont parvenue, nous avons actuellement dans la région l'Assomption de Saint-Julien-en-Beauchêne et celle de format rond, conservée au musée des Beaux-arts de Marseille datée de 1646, Annexe 13.

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soutenu par cinq anges, une main sur la poitrine, l'autre levée. Elle est représentée dans une attitude calme, statique, cependant le mouvement ascendant est largement figuré par les anges.

Outre l'iconographie, c'est avant tout la commande en elle-même qui nous intéresse, elle démontre en effet une des facettes du mécénat provençal. Bien que ce soit exceptionnel, les commanditaires provinciaux font parfois appel à des artistes de la capitale. C'est le cas des Chartreux de Durbon, ordre qui voue une dévotion particulière à la Vierge, lorsqu'ils passent commande de l'Assomption à Philippe de Champaigne. Ce dernier réalise l'oeuvre à Paris191, elle est ensuite acheminée dans le petit village de montagne. Ce choix témoigne avant tout d'une quête de prestige de la part des commanditaires, Champaigne avait par ailleurs déjà réalisé une Assomption pour les Chartreux d'Alençon en 1656, et répond à la même commande pour ceux de Bordeaux en 1673.

Les Chartreux sont aussi à l'origine de la commande de la dernière oeuvre de notre catalogue192. Il s'agit des Chartreux de Montrieux, établis au Revest-les-Eaux193. Ces derniers demandèrent en 1674 au peintre Pierre Le Roy de réaliser une Assomption (Fig.11)194 pour l'église paroissiale Saint-Christophe alors en construction. Nous avons très peu d'éléments au sujet de ce peintre, il est vraisemblablement originaire de Provence, du moins rien ne le rattache à une autre partie du territoire. Le Roy effectue cependant le traditionnel voyage à Rome, où sa présence est signalée dans les stati anime de 1664195, à son retour il séjourne à Toulon et à Marseille. Il réalise deux oeuvres pour la commune du Revest, une Assomption

191 En effet le prix fait a été rédigé à Paris le 29 juillet 1971.

192 Catalogue d'oeuvres attribuées.

193 Actuel département du Var.

194LE ROY, Assomption, 319 x 222 cm, 1675, église Saint Christophe, Le Revest-les-Eaux.

L'oeuvre est signée et datée, LE ROY INVTOR PINGEBAT ANNO 1675.

195HOMET, Marie-Claude, Michel Serre et la peinture baroque en Provence (1658-1733), Aix-en-Provence,

1987, p. 156.

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commandée pour l'église paroissiale en mai 1674, puis une Annonciation pour les Pénitents

Blancs196.

Lorsque nous prenons connaissance du prix fait197 pour l'Assomption, l'iconographie est strictement dictée au peintre. Pierre Le Roy répond à la commande en représentant au bas, saint Jacques et saint Christophe de chaque côté du tombeau. Ce choix est explicité par les commanditaires dans le prix fait, en effet l'église paroissiale est placée, lors de sa construction, sous la protection de saint Christophe et de saint Jacques le Majeur, ils étaient de plus les saints patrons de la ville.

Saint Jacques le Majeur est l'un des douze apôtres du Christ, il fait partie des saints du premier millénaire, dont, nous l'avons vu, le culte est particulièrement présent en Provence au XVIIème siècle. Le peintre lui donne les attributs habituels : il est vêtu de ses habits de pèlerin, avec à la main un bâton et une besace. Bien que l'église du Revest soit placée sous son vocable, la présence de saint Christophe dans une Assomption est plus étonnante. Il est celui qui porte le Christ enfant sur ses épaules pour traverser la rivière, l'iconographie traditionnelle le peint sous les traits d'un géant. Pierre Le Roy ne prend pas ce parti, par souci d'équilibre de la composition probablement.

Le registre supérieur respecte lui aussi en tout point les directives du prix fait : le peintre fait figurer la ligne du paysage à l'horizon, au-dessus, la Vierge est assise sur un nuage de forme circulaire que plusieurs anges soutiennent. Pierre Le Roy insère également des têtes de putti à sa composition, au-dessus de la Vierge et sur le nuage.

196 L'Annonciation fut commandée à Reynaud Levieux seulement quatre mois après l'Assomption, par les Pénitents blancs.

en septembre 1674 par les Pénitents blancs pour le même édifice, seulement quatre mois après l'Assomption.

197 Prix fait reproduit en Annexe 21.

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Finalement le peintre en suivant les attentes des commanditaires, réalise une Assomption à l'iconographie et la composition singulière, puisqu'il ne fait figurer aucun des autres apôtres, qui sont selon les textes toujours présent lors de cet épisode.

À l'ensemble de ces oeuvres attribuées, il convient d'ajouter les Assomption anonymes, également nombreuses en Provence, afin de tenter au mieux de dégager un éventuel mode de représentation privilégié. Bien que nous ne puissions pas les rattacher à un peintre, à ses influences, ces toiles n'en restent pas moins le résultat d'un travail abouti, et en ce sens elles constituent autant d'indices qui alimentent une possible tradition iconographique du thème dans la région.

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