II. L'ART EN PROVENCE, LES REPRÉSENTATIONS DE
L'ASSOMPTION.
a. L'Assomption en France, règlements
académiques et préceptes ecclésiastiques.
Alors qu'en Italie, les premières années du
XVIIème siècle sont marquées par la
controversée Mort de la Vierge du Caravage80, la
théorie artistique en France crée de vifs débats, et
l'Église impose un règlement ecclésiastique strict
concernant les oeuvres religieuses. Le tableau du Caravage symbolisant à
lui seul toutes les erreurs condamnables à ne pas
commettre81, la théorie artistique du Grand Siècle est
rythmée par de nombreuses exigences. Fréart de Chambray les
résume dans son ouvrage de 1662, Idée de la perfection de la
peinture (...)82, pour la peinture religieuse. Le profane ne
devait pas se mélanger avec le sacré, les artistes devaient
respecter la vérité historique. Pour l'auteur, la question de la
bienséance est primordiale, l'oeuvre doit être
considérée en fonction de son lieu de réception. Pour cela
les artistes devaient veiller à ne jamais représenter les parties
du corps « qui ne se peuvent montrer honnêtement
»83, ils devaient conserver une idée de justesse et
surtout sauvegarder la moralité de leurs représentations.
Dès le milieu du siècle, les exigences des
ecclésiastiques rejoignent pour la plupart les préoccupations des
artistes, et ce pour plusieurs raisons. Nous pouvons le mesurer dans les sujets
abordés lors des nombreuses conférences tenues au sein de
l'Académie royale de
80Le CARAVAGE, La Mort de la Vierge,
1601-1605, 369x245cm, Musée du Louvre, Paris, voir Annexe
7. Cette oeuvre fut commandée au Caravage par Laerzio Cherubini
pour l'église Santa Maria Scala in Trastevere à Rome. À sa
réception, l'oeuvre fut refusée par les moines, qui ne la
trouvèrent pas digne du lieu. En effet, dans la représentation de
ce moment qui précède de peu l'Assomption de la Vierge, le
Caravage choisi de ne pas employer d'éléments reflétant le
fondement divin de la scène, en renversant l'iconographie traditionnelle
où la Vierge était sacralisée. Il la représente
allongée sur son lit de mort, la tête penchée sur le
côté, presque dans la position d'un corps à l'abandon,
vision très éloignée des oeuvres de dévotion, alors
très respectueuses des conventions. Le choix du peintre provoqua de
vives réactions, le refus du clergé mais aussi les critiques
acerbes de ses contemporains.
81 La Vierge dans l'oeuvre du Caravage est
étendue, les pieds découverts, rien dans cette position ne
rappelle le caractère divin de ce moment. Aucun personnage
présent ne regarde vers le haut, la composition sombre n'annonce pas la
future assomption de la Vierge.
82Fréart, de CHAMBRAY, Idée de la
perfection de la peinture démontrée par les principes de l'art ,
et par des exemples conformes aux observations que Pline et Quintilien ont
faites sur les plus célèbres tableaux des anciens peintres, mis
en parallèle à quelques ouvrages de nos meilleurs peintres
modernes, 1662, p.71 83Idem
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peinture et de sculpture. La question de la
vérité historique y est centrale, l'artiste devait être
fidèle aux Écritures saintes pour les oeuvres religieuses,
à l'Histoire ou à la Tradition. Cette notion de respect
liée au contexte contemporain de la scène
représentée comprend aussi l'exactitude du costume. Il ne devait
résider aucun anachronisme dans les vêtements et attributs.
Ainsi les exigences énoncées par la
théorie artistique du XVIIème font écho aux
préceptes iconographiques du concile de Trente84et rejoignent
donc un enjeu religieux. Le concile déclare que les oeuvres religieuses
devaient éviter les impuretés85, ce qui se traduit au
siècle suivant par l'interdiction de mélanger profane et
sacré dans un même tableau. Il y est aussi question de
bienséance, l'art religieux devant se garder d'avoir des attraits
provocants ou, tout du moins, pouvant suggérer le mauvais message
à un public qui ne serait pas instruit.
Mais les intérêts que partagent l'art et la
religion sont aussi et avant tout une nécessité pour les artistes
du Grand Siècle, car il est vrai que nous pourrions penser à une
subordination de la théorie artistique aux préceptes de
l'Église. Il s'agit aussi de relier ces convergences à la place
que les artistes entendaient tenir dans la société ; pour
revendiquer leur statut intellectuel, celui d'hommes érudits, ils
devaient posséder diverses connaissances. L'artiste devait
maîtriser plusieurs sujets, de l'Histoire à la Théologie en
passant par les sciences, afin d'atteindre une clientèle
privilégiée qui serait à même de partager cette
culture.
Mais parmi ces considérations ecclésiastiques,
se détachent des règles propres à la peinture, que nous
illustrerons par trois exemples majeurs du Grand Siècle, à savoir
: Laurent de La Hyre, Nicolas Poussin et Charles Le Brun. Ce dernier
énonce dans ses conférences plusieurs éléments
fondamentaux, dont l'idée de clarté dans la composition, passant
par une hiérarchisation des éléments. Chaque
élément devait servir la composition et non l'alourdir,
84 La 25e session du concile de Trente se
déroula de 1545 à 1563.
85 Entendons tout ce qui n'est pas à
caractère divin, ou indigne de l'être.
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pour en faciliter la compréhension. Le superflu ou les
détails qui n'avaient pas de fonction précise étaient
alors déconseillés.
Pour la première partie du siècle, nous pouvons
citer l'Assomption86 réalisée par Laurent de
La Hyre en 1635. Cette oeuvre s'inscrit à un moment charnière de
la carrière de l'artiste car il s'agit de sa première commande de
grande ampleur, puisque outre l'Assomption, les Capucins
commandèrent au peintre tout un ensemble de tableaux87.La
composition de cette oeuvre, claire et ordonnée, respecte tous les
éléments iconographiques que la tradition des écrits
rapporte. Le registre inférieur présente les apôtres
attroupés autour du tombeau, chacun dans une attitude différente
qui rend compte de leur étonnement et de leur joie. Nous pouvons
néanmoins noter une particularité : bien souvent le tombeau se
trouve rempli de fleurs, alors qu'ici, nous pouvons voir un des apôtres
tenir délicatement le linceul blanc qui enveloppait le corps de Marie.
La partie supérieure de l'oeuvre est emplie d'un vaste nuage sur lequel
la Vierge est assise, une multitude d'angelots représentés
à demi-nus, semblent tournoyer autour d'elle dans un mouvement
ascensionnel.
Antérieure donc à l'introduction en France du
goût classique par Poussin, auquel Laurent de La Hyre adhèrera
dès les années 1640, cette Assomption offre une vision
colorée et réaliste du thème.
Nous passons ensuite à l'exemple phare de
l'Assomption88 par Poussin. Bien que cette oeuvre fût
réalisée à Rome, elle est immédiatement connue par
la gravure, et fait figure de modèle de justesse en France. Alors que
l'iconographie de l'Assomption semble définie, avec les
éléments qui la caractérisent, l'oeuvre de Nicolas Poussin
fait figure d'exception dans le
86 Laurent, DE LA HYRE, Assomption de la Vierge, 1635,
425 x 368 cm, Musée du Louvre, Paris, Annexe 8.
L'oeuvre fut commandée au peintre par l'ordre des Capucins,
pour l'église de leur couvent, rue Saint-Honoré à Paris.
Grâce aux inventaires révolutionnaires, nous savons que ce tableau
était agrémenté d'un retable de bois sculpté, et
qu'il ornait le maître-autel. Le tout était surmonté d'un
Christ portant sa croix de forme circulaire, du même artiste,
aujourd'hui disparu.
87 L'Assomption venait couronner un ensemble de
tableaux représentant des épisodes de la vie de saint
François. 88Nicolas, POUSSIN, L'Assomption de la Vierge,
1649-50, 57x40cm, Musée du Louvre, Paris, voir Annexe
9.
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moment choisi. Dans la plupart des compositions que nous avons
vues, la présence des apôtres étonnés, voire
affolés, et du tombeau signale le commencement de l'Assomption, et
rappelle le caractère terrestre de la vie de Marie avant sa
montée au ciel. Dans la composition de Poussin, aucun de ces
éléments n'est présent : la Vierge est
représentée dans les airs, sur un nuage, et entourée de
quatre anges89. Le groupe est au centre du tableau et parait
être déjà loin du monde terrestre, qui est, ici,
symbolisé par une fine bande de paysage au bas de la composition,
créant ainsi une perspective. La Vierge lève les bras et tous les
regards y compris ceux des anges sont dirigés vers le ciel. Les
drapés semblent animés par le vent provoqué lors de
l'ascension.
L'Assomption de Poussin respecte les principes de
convenance de son époque. Le choix du peintre pour des couleurs sobres,
variées et douces fut loué auprès de ses contemporains,
ainsi que la finesse des traits des personnages, qui expriment crainte et
amour. C'est une oeuvre qui revêt une forte dévotion, qui
s'apparente à une vision, sans toutefois outrepasser la Tradition, ni
enfreindre la bienséance. Quelques années auparavant, le peintre
avait d'ailleurs représenté le Ravissement de saint
Paul90 avec la même composition.
Une décennie plus tard Charles Le Brun réalise
une Assomption91 pour l'oratoire de l'appartement d'Anne
d'Autriche92. Tout comme dans l'oeuvre de Poussin, les principaux
attributs de l'Assomption ne sont pas représentés. Ici, aucun
élément ne rappelle la vie terrestre de Marie qui vient de
s'achever : elle est représentée s'élevant sur un nuage
parmi une nuée d'anges. Certains regardent la Vierge et semblent
exprimer « le ravissement et la
89 Ici les anges sont représentés
adolescents, et vêtus d'un drapé.
90 Nicolas, POUSSIN, le Ravissement de saint
Paul, 1643, 41,6 x 30,2 cm, John and Mable Ringling Museum of Art,
Floride, voir Annexe 10.
91 Charles, LE BRUN, Assomption, 1661-1662,
136,5 x 193 cm, musée Thomas Henry, Cherbourg, Annexe
11.
92 L'Assomption de Le Brun figurait dans
l'oratoire d'Anne d'Autriche, ainsi que deux autres oeuvres de la main du
maitre, Le Crucifix aux anges et l'Ascension. L'oeuvre
était à l'origine cintrée et peinte sur bois, à une
date inconnue mais vraisemblablement ancienne, elle aurait été
transposée sur toile et complétée pour s'adapter à
un format rectangulaire.
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vénération »93, tandis que ceux
au premier plan sont tournés vers le spectateur. Mais pour rappeler les
textes dédiés à ce sujet, nous apercevons derrière
la Vierge, un ange tenant une harpe, certainement pour rappeler au public, le
rôle actif qu'ils ont eu selon la croyance populaire. Charles Le Brun
livre une Assomption qui plait à l'oeil tout en suivant les
prescriptions de l'art religieux, pour inspirer la dévotion requise par
ce sujet.
Au travers de ces trois exemples emblématiques, nous
pouvons entrevoir toute l'importance de ce sujet religieux au
XVIIème siècle. Un tel succès, s'il peut
s'expliquer par le contexte politique et la piété du roi Louis
XIII, est aussi dû à une raison propre à sa valeur
artistique. Cette image rassurante de Marie, où elle est
représentée heureuse et dans toute sa gloire, constitue un sujet
plaisant et pieux. Les commanditaires ne s'en lassent pas ; l'Assomption
revêt un esthétisme agréable. Rappelons que l'iconographie
mariale a presque toujours représenté la Vierge malheureuse,
comme en attestent les épisodes de la Passion du Christ94.
Mais ce thème plaît également à l'esprit car il est
à même d'inspirer aux fidèles une dévotion
particulière, notamment par le biais d'une douceur propre aux
représentations de la Vierge.
Cet engouement pour l'Assomption propre au
XVIIème s'étend jusqu'en Provence. Cela s'explique en
partie par la reproduction en gravure des tableaux de grands maîtres,
permettant leur diffusion dans l'ensemble du royaume. Nous en avons eu
l'exemple avec l'Assomption de Poussin, reproduite la même
année que son exécution.
Nous allons justement nous intéresser à la
Provence, où l'Assomption est particulièrement présente,
et à la place particulière que cette région occupe au
XVIIème siècle.
93Notices des tableaux composant le musée
de Cherbourg, imprimerie de Dezauche, Paris, 1835, p.30.
94 L'art représente la Vierge dans de
nombreux épisodes de la Passion, le Portement de Croix, la Crucifixion,
le Calvaire, la Descente de croix, et la Pietà.
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