c. Des écrits aux oeuvres figurées :
iconographie de l'Assomption.
La tradition écrite de l'Assomption remonte donc au
VIème siècle. Sa représentation figurée,
du moins l'étape qui suivit, le Couronnement de la Vierge, serait
attestée dès le IXème siècle en Italie,
avec la mosaïque absidale de Sainte Marie in Domnica57.
Il est toutefois important de souligner l'absence de l'Assomption dans les
représentations byzantines, nous retrouvons la dormition ou la mort de
la Vierge et son couronnement, mais le moment intermédiaire, celui de sa
montée au ciel, n'est pas représenté.
vie, et qu'il était capable de la consommer, si elle n'eu
été extraordinairement soutenue de Dieu, voila enfin que toute
languissante et consommée, elle a été abandonnée
à la souveraineté de cet amour qui l'a réduite à la
mort . », BOURGOING, François, Les Vérités et
excellences de Jésus Christ N. S. communiquées à sa sainte
mère, et aux saints : disposées par méditations sur les
mystères et fêtes de la sainte vierge & des saints,
Quatrième et dernière partie, Lyon, 1649, p.221.
57 La mosaïque porte le nom de
l'église-basilique romaine dans laquelle elle est toujours
conservée. L'ensemble de ces mosaïques date de la reconstruction de
l'édifice par le pape Pascal Ier entre 818 et 822.
20
En peinture, c'est à la toute fin du Moyen-âge
que la mort de la Vierge commence à être représentée
en Italie, et l'Assomption commence à être
suggérée.
Nous avons l'exemple de La mort de Marie par Bartolo
di Fredi58 datant de la fin du XIVème
siècle. La Vierge est représentée sur son lit de mort
entourée par les apôtres, le Saint-Esprit placé dans la
partie supérieure du tableau tient l'enfant Jésus dans ses bras,
et est assis sur les ailes de six angelots dont seule la tête est
figurée.
Pour les prémices de ce qui sera l'iconographie
traditionnelle de l'Assomption nous citerons l'oeuvre de Don Silvestro dei
Gherarducci réalisée vers 136559 où nous
pouvons voir une expression de pure dévotion. Cette oeuvre réunit
les critères iconographiques des premières
représentations. La Vierge porte une robe blanche qui lui recouvre les
pieds, elle est voilée, les mains jointes, et les anges qui l'entourent
soutiennent l'auréole de gloire dans laquelle elle est assise.
Au XVème siècle, l'Assomption se
retrouve plus largement suggérée en peinture, et nous voyons
apparaitre plusieurs éléments de composition qui deviendront, au
siècle suivant puis au XVIIème, le schéma
classique de représentation de cet épisode. Pour les
premières décennies du XVème siècle,
nous avons l'exemple d'une Assomption60
réalisée par un maître siennois inconnu qui fut actif entre
1410 et 1430. Il n'y a pas de séparation à proprement parler
entre le registre terrestre et le registre divin. Cette oeuvre présente
plus la séparation entre le registre céleste, celui où la
Vierge Marie s'élève entourée d'anges musiciens, et le
registre divin, qui se trouve dans le quart supérieur. Le Christ sur un
nuage surplombe la scène de l'Assomption, les bras ouverts et
auréolé de gloire.
58Bartolo DI FREDI, Mort et Assomption de
Marie, fin XIVème siècle, Montalcino.
59 Voir Annexe 1.
60 Maître siennois inconnu, Assomption de la
Vierge, huile sur panneau de peuplier, 65x42cm, Berlin,
Gemäldegalerie, voir Annexe 2.
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Vers le milieu du siècle, l'iconographie de
l'Assomption tend à se développer, nous voyons apparaître
le tombeau vide de la Vierge, mais le registre céleste est toujours
nettement privilégié, en atteste la peinture sur bois de Sano di
Pietro61, datant des années 1450. La composition est encore
très géométrique, la Vierge au centre avec neuf anges de
chaque côté, et laisse très peu de place au registre
terrestre : le tombeau et le saint qui se trouvent devant paraissent
minuscules, de même que la colline62 en
arrière-plan.
De façon plus générale, nous retrouvons
deux éléments iconographiques qui se développent au
XVème siècle, à savoir : la présence du
tombeau, rempli ou non de fleurs, et la présence obligatoire des anges,
et des saints ou apôtres. Ces deux constantes sont de plus en plus
réunies dans les oeuvres italiennes du dernier quart du
XVème siècle, avec par exemple l'Assomption
de Bartolomeo della Gatta63. Il y a là les deux
registres clairement distincts :les apôtres sont réunis autour du
tombeau rempli de lys, certains regardent à l'intérieur tandis
que d'autres lèvent la tête avec étonnement vers la Vierge
qui s'élève accompagnée de nombreux anges. Une
particularité est à noter dans la scène : saint Thomas au
premier plan est vu de dos, il lève la tête pour regarder la
Vierge qui lui tend sa ceinture en gage de témoignage de sa
résurrection. Par sa composition l'oeuvre de Bartolomeo della Gatta
annonce le célèbre Couronnement de la
Vierge64 de Raphaël qui prévaudra comme
modèle de justesse au XVIIème siècle.
Pourtant l'oeuvre du maitre de Raphaël, le
Pérugin, consacrée à ce thème diffère sur
plusieurs points. Son Assomption65 peinte aux alentours de
1500, ne fait pas figurer le tombeau de la
61 Ansano di Pietro dit San di Pietro,
Assomption de la Vierge, vers 1450, tempera sur bois, 32x47cm,
Altenburg, Lindenau-Museum, Allemagne, voir Annexe 3.
62 Il s'agit probablement du mont Sion près de
Jérusalem, lieu que les écritures ont mentionné comme
étant l'endroit où l'Assomption de Marie s'est produite.
63 Bartolomeo della Gatta, Assomption, vers
1475, tempera sur bois, 317x221cm, Cortone, Musée diocésain.
64 Raphaël, Couronnement de la Vierge
(dit Retable Oddi), 1502-1504, Peinture grasse à tempera sur bois
transférée sur toile, 272x162cm, Pinacothèque du Vatican,
Rome. Voir Annexe 4.
65 Pietro Perugino dit le Pérugin,
Assomption de la Vierge avec quatre Saints, vers 1500, huile sur bois,
415x246cm, Galerie des Offices, Florence, voir Annexe 5.
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Vierge, l'oeuvre est séparée en trois registres.
Dans la partie inférieure les quatre personnages, saint Bernardo degli
Uberti, saint Giovanni Gualberto, saint Benoît et l'archange Michel, se
tiennent debout66. Deux d'entre eux67 regardent la Vierge
portée par plusieurs têtes d'angelots et accompagnée
d'anges musiciens qui se tiennent dans la partie centrale du tableau.
Le registre supérieur est celui du divin, Dieu regarde
en direction de la Vierge qui elle-même lève la tête vers
Lui. La composition distingue nettement les trois registres, en mettant en
scène la correspondance des regards, mais reste relativement
statique.
Seulement trois ou quatre ans après l'Assomption de son
maître, Raphaël peint le Couronnement de la Vierge. Il est
nécessaire de se pencher quelques instants sur cette oeuvre, bien que
très connue et étudiée à de multiples reprises,
carelle constitue pour les représentations de l'Assomption
postérieures, un véritable modèle pour les peintres. La
composition est plus simple que celle du Pérugin, il n'y a que deux
registres, mais deux épisodes sont représentés.
Dans la partie inférieure, le tombeau ouvert dans
lequel poussent des fleurs de lys et des roses, entouré par les
apôtres, évoque l'Assomption, tandis que dans le registre
céleste est représenté le couronnement de la Vierge. Elle
est assise à côté du Christ les mains jointes, il la
couronne accompagné d'anges musiciens.
Au XVIème siècle l'Assomption ne
cessera d'être représentée par les plus grands noms : celle
du Titien après Raphaël retient l'attention. L'Assomption
du Titien68 présente la Vierge dans un flot de
lumière, les bras tendus vers la figure de Dieu au-dessus d'elle. Le
mouvement est nettement visible dans les vêtements de celle-ci, sa robe
cramoisie et son voile bleu semblent
66 Le Pérugin n'a pas représenté
le tombeau vide de la Vierge.
67 Saint Benoît et saint Giovanni Gualberto sont
les seuls à regarder l'Assomption.
68 Le Titien, L'Assomption de la Vierge,
vers 1516-18, huile sur bois, 690x360cm, Venise, basilique Santa Maria Gloriosa
dei Frari, voir Annexe 6.
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tournoyer et lui découvrent les pieds. Dans le registre
inférieur les apôtres sont attroupés, certains
lèvent les bras au ciel, d'autres penchent la tête probablement
au-dessus du tombeau vide, que l'on ne voit pas ici, caché par la
foule.
Au travers de ces oeuvres italiennes emblématiques,
nous pouvons entrevoir ce que seront les codes de représentation
assignés à l'Assomption au XVIIème
siècle en France. Outre les apôtres et autres personnages
présents sur terre, la présence systématique des anges
n'est pas à négliger. Ils69 sont donc obligatoirement
présents dans les représentations de l'Assomption :les anges sont
les messagers de Dieu et présents tout au long de la vie du
Christ70. D'après les écritures saintes les anges ne
sont pas humains, ils appartiennent au monde céleste et sont de «
purs esprits »71. L'art a donc dû les représenter,
leur donner forme humaine. Les anges ne sont jamais figurés adultes, ce
sont des adolescents ou des enfants. Ils prennent d'ailleurs, à partir
du XVIème siècle, presque exclusivement l'apparence
d'enfants. Ils symbolisent ainsi l'innocence, la jeunesse éternelle,
permise par leur immatérialité.
De façon générale, dans l'iconographie
chrétienne, la fonction des anges est relative aux âmes : leur
mission est de les transporter au ciel, puis de les présenter au
Jugement Dernier, au cours duquel sont séparées les bonnes
âmes des mauvaises. Pour les élus, ce sont eux qui souvent donnent
les couronnes, et les conduisent au paradis.
Tout comme son fils, la Vierge bénéficie de
l'aide des anges envoyés par Dieu : ils sont présents lors de sa
Présentation au temple72, mais surtout lors de son Assomption
et de son Couronnement où la croyance leur a donné un rôle
prépondérant. Ils participent et
69 Du latin angelus, signifie
envoyé, messager.
70 Dans la bible le Christ dit « Penses-tu que je
ne puisse faire appel à mon Père, qui mettrait aussitôt
à ma disposition plus de douze légions d'anges ? »,
Matthieu, 26,53.
71BARBIER DE MONTAULT, Xavier, Traité
d'iconographie chrétienne, 1 vol, Société de
librairie ecclésiastique et religieuse, Paris, 1898, p.2
72 Tout comme l'Assomption, la Présentation
de Marie au temple est un épisode connu par la tradition, et non par les
Ecritures saintes. Ce passage de la vie de Marie n'apparaît pas dans le
Nouveau Testament.
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accompagnent la Vierge durant son Assomption, accomplissant la
volonté divine. Parfois représentés entièrement,
ils sont dans de nombreuses oeuvres, réduits à une tête
ailée73 ; cette tendance bien présente au
XVème siècle s'accentue à la Renaissance. En
privant les anges de leurs corps, les artistes symbolisent leur vie
immatérielle, qui n'est en aucun cas terrestre. Comme nous l'avons vu
dans ces quelques oeuvres antérieures au XVIIème
siècle, la Vierge est très souvent accompagnée d'anges
musiciens ; c'est un de leurs rôles74. Les nombreux
instruments de musique dont ils sont dotés donnent l'idée de la
joie de ce moment. Sur ce point, les oeuvres picturales et écrites se
répondent : en effet dans les ouvrages du XVIIème le
rôle des anges est également explicité :
« Les Anges qui l'accompagnaient à divers choeurs,
étaient tous ravis d'étonnement et d'admiration de tant de
lumières, d'une si grande beauté, et d'une suavité
d'odeurs célestes si ineffables, les uns allaient devant, qui chantaient
: quelle est celle-là qui s'avance comme une aurore (...),
belle comme la Lune, choisie comme le Soleil ? »75
Si les anges, par l'intervention divine, accompagnent la
Vierge lors de son Assomption, ils lui doivent obéissance après
son Couronnement :
73 Parmi les oeuvres déjà citées,
trois têtes d'anges soutiennent l'assise de la Vierge dans
.l'Assomption de Bartolomeo della Gatta, chez le Pérugin
(Assomption de la Vierge avec quatre Saints, vers 1500) une multitude
de têtes ailées parsèment l'oeuvre.
A l'inverse chez le Titien, les anges sont
représentés le corps entier, nus pour la plupart, ce qui dans
l'iconographie des anges commence à se développer au début
du XVIème siècle avec la Renaissance. Dans l'art du XVème
siècle les anges sont toujours revêtus d'une longue robe blanche
ou d'une tunique brodée (appelées dans la liturgie aube et
dalmatique, voir Annexe 3). Cela s'explique par la fonction
qu'on leur porte, ils sont pour les fidèles les ministres de Dieu, les
représentations leurs donnent alors les vêtements des ministres
sur terre, les évêques et les diacres.
74 Avant le moment de l'Assomption, les écrits
prêtent un autre rôle aux anges, tout aussi important mais qui
n'est pas figuré en peinture, ils auraient fait se réunir tous
les apôtres : « (...) qui par la volonté divine se
trouvèrent tous en la sainte montagne de Sion, où Jésus
avait fait la dernière Cène avec ses disciples, et y furent
transportés de divers lieux bien éloignés par le
ministère des Anges (...) », BOURGOING, François, Les
Vérités et excellences de Jésus Christ N. S.
communiquées à sa sainte mère, et aux saints :
disposées par méditations sur les mystères et fêtes
de la sainte vierge & des saints, Quatrième et
dernière partie, Lyon, 1649, p.223. 75BOURGOING,
François, Les Vérités et excellences de Jésus
Christ N. S. communiquées à sa sainte mère, et aux saints
: disposées par méditations sur les mystères et
fêtes de la sainte vierge & des saints, Paris, 1634, p.4243.
25
« (...) en effet le Père la couronne comme sa
fille pour être la Reine de tous les Anges qui lui obéissent, en
faveur de tous les mortels, qui attendent l'héritage du Salut.
»76
Ainsi l'iconographie de l'Assomption est, à la fin du
XVIème siècle, assez constante, avec une composition
en deux ou trois registres77. Les éléments
récurrents sont la présence des apôtres, tout du moins de
plusieurs spectateurs, le tombeau vide78, les anges en nombre
souvent important.
L'Assomption désigne un moment précis, qui se
déroule après la mort de la Vierge mais avant son couronnement
aux cieux. Pourtant comme nous l'avons vu plus haut, l'Assomption et le
Couronnement sont parfois représentés dans une même
oeuvre79, où la Vierge portée par des anges peut
figurée seule au centre de la composition, comme nous allons le voir au
siècle suivant en France.
76CAMBOUNET DE LA MOTHE, Jeanne de (ou Jeanne de
Sainte-Ursule), Journal des illustres religieuses de l'ordre de
Sainte-Ursule, avec leurs maximes, pratiques spirituelle, monastère
de Bourg-en-Bresse, 1684-1690, p.324.
77 Terrestre, céleste et divin.
78 Le tombeau peut être vide ou remplis de
fleurs, roses ou lys.
79 RAPHAËL, Couronnement de la Vierge
(dit Retable Oddi), 1502-1504, Peinture grasse à tempera sur bois
transférée sur toile, 272x162cm, Pinacothèque du Vatican,
Rome, Annexe 4.
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