I. L'ASSOMPTION AU XVIIe SIÈCLE
a. Les origines de la croyance
Si l'Assomption de la Vierge Marie est aujourd'hui
associée à la fête du 15 Août, il est important de
rappeler son officialisation tardive. C'est en 1950 que le pape Pie XII
proclame le dogme3 de l'Assomption4.
Avant de tenter de reconstituer les origines de la croyance,
nous pouvons nous poser la question suivante : à quelle époque la
Vierge Marie est-elle devenue la Sainte Vierge ? L'homologation des saints nous
amène au IIème siècle avec le culte des
martyrs. Il faudra attendre le début du Vème
siècle pour voir émerger à Constantinople le culte des
saints non martyrs5, et donc celui de la Sainte Vierge. C'est au
même moment que l'on commence à rendre hommage et à
célébrer la naissance de la Vierge au ciel, sans pour autant
mentionner une assomption ou même une dormition.
C'est au début du VIème siècle
que la foi des fidèles en l'Assomption de Marie est attestée : il
s'agit d'une tradition longue, difficile à reconstituer, car au
même titre que le début de la vie de Marie, sa mort est
dénuée de toute documentation, que l'on pourrait
considérer comme « historique ».
Cependant plusieurs ouvrages nous en livrent la croyance la
plus ancienne connue à ce jour. Les transitus
apocryphes6 aussi appelés Dormitio
Mariae7sont datés du VIème
siècle mais pourraient être le résultat écrit d'une
tradition plus ancienne, une tradition orale et vivante de l'Église.
Dans ces textes la fin de la vie de Marie est décrite de plusieurs
façons : la plus
3 Un dogme signifie l'acceptation d'un épisode
comme vérité de la foi par l'Eglise catholique.
4 Le 1er novembre 1950 le pape Pie XII
promulgue le Munificentissimus Deus, un dogme définissant l'Assomption
de Marie.
5 C'est au début du Ve siècle que les
ermites du désert, et d'autres fidèles du dévouement
total, furent reconnus pour leur sainteté héroïque, ils sont
alors vénérés dès leurs morts, et l'on
célèbre leur nouvelle naissance au ciel.
6 Littéralement les apocryphes du «
transfert» : certain textes sont partiellement conservés en grec,
mais il existe des versions plus complètes en éthiopien. Il est
attesté par plusieurs auteurs contemporains, dont René Laurentin,
que ces textes n'ont aucun fondement historique, ils sont l'illustration
par un récit concret de la haute idée qu'on se fait de la fin de
Marie, avec des modalités plus glorieuses encore que celles des martyrs
reconnus saints dès le IIe siècle. (LAURENTIN, René,
Vie authentique de Marie, L'oeuvre éditions, Paris, 2008.
7Dormitio Mariae signifie « la dormition de Marie
».
7
courante décrit les apôtres réunis,
l'âme de la Vierge puis son corps8 rejoignent Jésus
Christ au ciel, avec l'aide ou non des anges. Jamais reconnus par
l'Église car dépourvus de fondements « historiques »,
ces écrits ont néanmoins le mérite de constituer la
première attestation de la foi en l'Assomption au sein du peuple
chrétien, qui l'acceptait déjà comme
vérité.
Un siècle plus tard ces textes
bénéficieront d'un succès important qui encourage leur
diffusion. En réaction l'empereur byzantin Maurice
1er9instaure10 un jour de fête et de repos, le 15
Août, en l'honneur de la Dormition de la Vierge Marie.
Cet évènement marque le début d'une
réflexion théologique plus poussée sur la place de la
Vierge Marie dans le culte et la vie des croyants. L'Assomption
bénéficie alors d'un climat apaisé et c'est ainsi que se
développe en Orient comme en Occident les premières
homélies11 qui accompagnent l'accroissement des
célébrations liturgiques.
Parmi les nombreuses homélies nous pouvons relever
celle de Modeste de Jérusalem12, particulièrement
importante de par son ancienneté mais aussi pour son rôle dans
l'assimilation de cet épisode comme vérité. En 629, soit
quelques décennies après la proclamation de la fête du 15
Août par l'empereur Maurice 1er, saint Modeste devient le
patriarche de Jérusalem. Il consacre une homélie à la
Dormition de Marie, et dans ce sens, est le premier à affirmer sans
hésitation la vraisemblance de ce passage. Ce récit nous est
connu par le témoignage de Photius13, qui aurait lu cette
homélie dans un manuscrit où elle est attribuée à
Modeste de Jérusalem. Malgré ces problèmes d'attribution,
il s'agit d'un récit important, le premier parmi
8 Il est important de remarquer que dans les
apocryphes, l'assomption de l'âme est suivie de l'assomption du corps.
Bien plus tard les écrits décrivent que l'âme et le corps
de Marie seront emportés simultanément au ciel. Mais les premiers
écrits explicitent donc par l'emploi de ce terme dormition, que la
Vierge est bien morte avant d'être enlevée (ou
élevée) au ciel.
9 L'empereur byzantin Maurice 1er
(539-602) règne de 582 à 602. L'historien byzantin Theophylactus
Simocatta nous en livre les dates dans son ouvrage du VIIème
siècle.
10 Entre 582 et 602.
11 Une homélie est un sermon prononcé
par le prêtre.
12 Notons que l'attribution de cette homélie
est aujourd'hui contestée, voir JUGIE, Martin, Deux homélies
patriotiques pseudépigraphes : Saint-Athanase sur l'Annonciation ;
Saint-Modeste de Jérusalem sur la Dormition, In: Échos
d'Orient, tome 39, N°199-200, 1941, pp. 285-289.
13 Photius (810 env. - 895 env.) fut patriarche de
Constantinople de 858 à 867 puis de 877 à 886.
8
ceux des Pères grecs, à affirmer et glorifier
l'Assomption de la Vierge. Cette homélie se détache aussi par son
contenu doctrinal particulièrement explicite, qui sans détour
aborde le mystère qui englobe la fin de la vie de Marie. Ainsi selon
Modeste de Jérusalem, le corps et l'âme de la Vierge
s'élèvent dans la gloire. Il affirme que Marie devait être
semblable à son Fils, qui l'a lui-même ressuscitée, son
corps virginal n'ayant pas connu la corruption. Cependant l'auteur ne cherche
pas à combler le mystère qui englobe la mort et l'Assomption de
Marie. Il se contente de la présenter comme une vérité
vraisemblable. La signification du dénouement de la vie de la Vierge
revêt un caractère particulier dans cette homélie : elle
aurait une fois au ciel le rôle de médiatrice en faveur des
hommes14.
Une autre homélie est à rapprocher de celle-ci
car aussi datée du VIIème siècle. Elle est
attribuée à Jean de Thessalonique15. Composée
à l'occasion de l'introduction de la fête de l'Assomption en
Thessalonique, elle n'est cependant pas une homélie pour la fête.
Contrairement à Modeste de Jérusalem, l'auteur a largement
puisé son inspiration dans le Transitus Mariae, tout en
extrapolant son discours dans l'intention de le rendre vivant. Ce récit
visait probablement avant tout à instruire les fidèles, puisque
son historicité est remise en cause par l'emploi d'un registre
merveilleux et de dialogues vraisemblablement écrits de sa main.
Cependant on ne peut pas négliger la part de l'homélie de Jean de
Thessalonique dans la tradition de l'Assomption.
En effet les orateurs qui lui succèdent s'en inspirent,
y trouvant une source épurée, plus aisément maniable que
les apocryphes.
14 « Dieu préserve vraiment de toute affliction ceux
qui reconnaissent Marie Mère de Dieu : il t'a emmenée près
de lui pour que tu puisses intercéder avec nous », Modeste de
Jérusalem, Homélie sur l'Assomption, 10, PG 86 ,2,3301 C.
15 Jean de Thessalonique fut nommé patriarche
de Thessalonique en 605.
9
Parmi les grands orateurs du VIIIème
siècle qui ont consacré une homélie à l'Assomption
de la Vierge nous trouvons Germain de Constantinople16, que nous
pouvons citer :
« Tu apparais, comme il est écrit, en splendeur ;
et ton corps virginal est entièrement chaste, entièrement la
demeure de Dieu ; de sorte que, de ce fait, il est ensuite exempt de tomber en
poussière ; transformé dans son humanité en une sublime
vie d'incorruptibilité, vivant lui-même et très glorieux,
intact et participant à la vie parfaite. »17.
André de Crète18 et Jean de
Damas19, pour ne citer que les plus connus, ont aussi
consacré une homélie à la Vierge. Ces auteurs
dédieront une plus grande part aux influences apportées par les
récits apocryphes, rendant leurs homélies contestables sur le
plan historique.
C'est également au VIIème
siècle que l'Assomption, d'abord appelée Dormition de Marie, se
répand en Occident. Le pape Théodore20, originaire de
Constantinople, apporte avec lui cette fête à Rome. Le
siècle suivant voit cette commémoration se répandre un peu
partout en Occident, et c'est au IXème siècle que
l'Assomption est ordonnée à la totalité de l'Empire
Franc.
En effet le Concile de Mayence21, qui eut lieu le
huit juin de l'an 813 dans le Cloître de l'Eglise de Saint-Alban, affirma
cinquante-cinq Canons22dont une liste de fêtes imposant le
repos des fidèles. Parmi celles-ci nous trouvons l'Assomption de Sainte
Marie, ce qui officialise la place de cette fête dans le culte
catholique.
16 Il fut patriarche de Constantinople de 715 à
730.
17 Extrait tiré de St GERMAIN DE
CONSTANTINOPLE, Sermon I In Dormitionem Deiparae ; Patrologie grecque
98, col, 345-348, In BUR, Jacques, Pour comprendre la Vierge
Marie, les éditions du Cerf, Paris, 1992.
18 André de Crète fut engagé
contre l'iconoclasme, il quitta sa ville d'origine, Damas, pour Constantinople,
et fut donc contemporain de Germain de Constantinople.
19 Jean de Damas ou Jean Damascène (676-749)
fut un théologien de l'Eglise catholique, il est l'auteur de trois
homélies sur la Dormition de la Vierge. Voir JUGIE, Martin, Analyse
du discours de Jean de Thessalonique sur la Dormition de la Sainte Vierge,
In: Échos d'Orient, tome 22, N°132, 1923. pp. 385-397.
20Le pape Théodore est élu en 642 et
siègera jusqu'à sa mort en 649.
21 Voir LONGUEVAL, Père Jacques, Histoire
de l'Eglise Gallicane, Tome IV, Paris, 1733.
22 Les Canons de l'église catholique
constituent l'ensemble des lois ecclésiastiques concernant la foi ou la
discipline religieuse. Ces textes juridiques font obligation aux
chrétiens d'adhérer, dans la foi, aux vérités
proposées par le Magistère de l'Eglise.
10
Il semblerait que durant tout le Moyen-âge la tradition
de l'Assomption persiste sans réels heurts, puisqu'aucun
évènement ne vient perturber cette croyance. Néanmoins il
est important de rappeler la différence entre le culte catholique et le
culte protestant concernant cet épisode. Dans les premiers temps la
nuance réside dans l'utilisation des termes Assomption et Dormition.
Comme nous l'avons vu, le culte catholique reconnut très tôt
l'idée du corps incorruptible de la Vierge, et donc de ce fait son
élévation au ciel, corps et âme, d'où le terme
« Assomption », du latin assumptio qui signifie l'action de
prendre.
Chez les protestants, la Dormition vient de dormitio,
l'action de dormir, le sommeil. L'accent est avant tout porté sur
la mort de la Vierge Marie, une mort douce comparable à un
endormissement.
Cependant les deux visions se rejoignent dans la croyance en
un dénouement glorieux de la vie terrestre de Marie.
Les protestants croient également en
l'élévation de la Vierge. Son fils le Christ serait
lui-même venu chercher l'âme de sa mère. C'est une
différence qui se retrouve avant tout dans les premières
représentations de cet évènement23.
Au-delà de l'étymologie de ces deux termes, la
principale dissonance entre les deux cultes se retrouve dans l'acceptation de
l'Immaculée Conception. Les protestants la réfutent, tandis que
les catholiques s'y appuient en partie pour expliquer l'Assomption de Marie. En
effet, comme nous l'avons déjà vu, le culte chrétien
considère que son corps est resté intact, qu'il n'a pas connu la
corruption ni le péché. C'est pourquoi la Vierge ressuscite corps
et âme. Les fidèles de confession protestante, même s'ils ne
rejettent pas l'idée de l'Assomption de la Vierge, ne la fêtent
pas, car pour eux, le problème réside dans l'absence de textes
bibliques sur le sujet. Durant les siècles suivants le terme «
Dormition » est moins utilisé, pour presque disparaitre au profit
de celui de l'Assomption.
23 Voir I.) c. de mémoire.
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