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La neknomination : défi d'expression de soi et culture du « share ».

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par Clémence CORDEAU
Institut Français de Presse (Paris 2) - Master 1, Sciences politiques et sociales, mention médias, information et communication 2015
  

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B/ Une expression en clair obscur

Avant de faire une analyse des vidéos de Neknomination qui ont affublé les Timelines Facebook de février à mars 2014, il convient de définir ce réseau socionumérique et la manière dont les internautes s'y expriment. Dominique Cardon emploie le terme de « clair obscur » pour le réseau qui nous intéresse, lorsqu'il dresse une typologie des différentes expressions utilisées sur les réseaux sociaux. Selon lui, il serait hâtif de conclure qu'il n'y aurait plus aucune distinction entre les sphères privée et publique et « au développement d'un exhibitionnisme généralisé et sans règle », le chercheur explique que dans cet univers, des ressources sont mis à disposition des internautes pour contrôler « ce qu'ils montrent d'eux et la manière dont les autres y accèdent ». Différentes stratégies sont adoptées suivant le mode d'expression associée à chaque réseau social, « dans le modèle en clair-obscur, on verra les participants dévoiler des caractéristiques souvent très personnelles de leur identité en profitant de l'opacité de plateformes n'autorisant la navigation que par les liens de proche en proche ». On voit donc bien ici l'importance de ne pas accepter

21 Serge Tisseron, Virtuel, mon amour - Penser, aimer, souffrir à l'ère des nouvelles technologies, Albin Michel, 2008, p. 38

22 Serge Tisseron, Virtuel, mon amour - Penser, aimer, souffrir à l'ère des nouvelles technologies, Albin Michel, 2008, p. 40

 

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n'importe qui. Un panel d'utilisateurs de Facebook interrogé, âgés de 17 à 23 ans, confirme bien cette hypothèse, les Digital Natives n'acceptent que des connaissances, c'est-à-dire des personnes qu'ils ont vu et à qui ils ont parlé au moins une fois dans un espace relationnel physique. Leurs relations 2.0 (sur Facebook en tout cas) naissent donc d'abord dans la vie réelle. Sur ce type de plateforme en clair obscur, la visibilité des personnes est donc relative, c'est ce que le chercheur appelle, « la navigation à la torche », à l'image d'une lampe de poche utilisée dans le noir qui ne nous permet de voir que le triangle de lumière que l'objet produit. Pour les internautes, la vision de leurs informations est claire pour leurs proches (amis) et en pénombre pour les autres, l'internaute peut en contrôler l'étendue en modifiant ses paramètres de confidentialité. Sur Facebook, il est possible de créer un profil public (par défaut), tout le monde, même les inconnus pourront donc accéder au profil. Lorsqu'on les modifie, on peut rendre accessible le profil qu'aux seuls amis, ou amis d'amis, etc. On peut également le bloquer totalement de manière à ce que personne ne puisse publier sur le mur, même les amis, cependant ces paramètres là sont assez rares. Facebook offre ainsi un panel assez large dans les changements des paramètres de confidentialité, même s'il a pu exister des failles, par exemple, lorsque l'on se mettait sur le Facebook.us on pouvait accéder à tous les profils, il y a également eu l'affaire des conversations instantanées qui se sont retrouvées sur le journal des personnes concernées23. Il n'en reste pas moins que ces plateformes n'offrent pas de moteurs de recherche critériel, sur Facebook, pour trouver une personne, il est nécessaire de connaître a priori, son prénom, nom ou pseudo, ceci « installe une opacité relative face aux risques pris par les utilisateurs qui rendent visibles des traits sensibles de leur identité »24. Les internautes sont donc protégés d'une recherche rapide. Ils s'exhibent alors dans un espace en clair obscur et profitent de « la plasticité de la visibilité sur internet pour constituer des cercles relationnels avec des

23 Huffington Post, Messages privés rendus publics : hallucination collective ou désinformation de Facebook ?, article du 24/09/2012, par Alexandre Phalippou http://www.huffingtonpost.fr/2012/09/24/bug-facebook-hallucination-ou-desinformation-prives-publics n 1910500.html

24 Dominique Cardon, « Le design de la visibilité », Réseaux, n°152, 2008, p. 109

 

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proches, qu'ils connaissent et rencontrent souvent dans la vie réelle, tout en restant relativement cachés des autres »25.

Le principal problème se situe dans le fait que les internautes, de plus en plus, mêlent différentes sphères de leur vie dans leur profil Facebook. En effet, amis, familles, connaissances et professionnels y sont sans cesse mélangés et « cette capacité à s'exposer tout en contrôlant son exposition réclame des compétences sociales et relationnelles spécifiques et très inégalement distribuées »26.

« Le principe d'extension du réseau relationnel - qui reste limité sur les plateformes en clair obscur - introduit cependant de nouvelles dimensions, la visibilité, la calculabilité et l'exhibition, dans la fabrication des relations sociales. La logique d'accumulation des liens que viennent constamment entretenir de multiples artefacts proposant une métrique relationnelle (compteur d'amis, classement de popularité, notes de pertinence) contribue à réifier la relation amicale. Plus encore, elle invite les participants à endosser des formats de présentation d'eux-mêmes qui les place dans une logique du calcul, de l'exhib' et du rendement. »27

Selon Monique Dagnaud, sur ces espaces, les jeunes travaillent moins une explication de soi qu'une projection de soi, ils ne perdent « jamais à l'esprit que sa subjectivité va être publicisée et qu'elle doit être affinée sous un angle original (É) Cette communication est donc en partie calculée »28. Pour la chercheuse, l'affaire de chaque utilisateur de Facebook est de créer « un fan-club autour de soi », on gagne en popularité en dressant son « roman personnel » dont chaque chapitre est écrit subtilement dans son profil, ses relations, ses partages. Selon Dominique Cardon, « La tyrannie du « cool », l'injonction à accepter les nouveaux « amis », l'invitation à l'exposition de soi, le frottement de cercles de sociabilités différents, les révélations incontrôlées ou le conformisme dans la théâtralisation de son identité peuvent générer

25 Dominique Cardon, « Le design de la visibilité », Réseaux, n°152, 2008, pp. 109 et 110

26 Ibid., p. 132

27 Ibid.

28 Monique Dagnaud, Génération Y - Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion - 2ème édition, Science Po les presses, 2013

 

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tout une série d'expériences malheureuses »29. Mais la Neknomination est-elle l'une de ces expériences malheureuses ? Toujours est-il qu'elle repose sur ces différents points proposés par Dominique Cardon. C'est une mise en scène assumée devant le public que sont les amis Facebook des Neknominés. Il ne faut cependant pas perdre de vue que « l'exposition de soi ne signifie pas un renoncement au contrôle de son image »30.

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