Partie 1 - Facebook : un espace de socialisation 2.0
?
L'espace de socialisation 2.0 est virtuel et ne s'oppose en
rien à l'espace hors ligne, bien au contraire. Le virtuel, comme il est
défini ici, est un prolongement des espaces physiques de socialisations.
En effet, les réseaux sociaux « ont été pensés
et construits en se rapprochant des techniques de soi développées
depuis des siècles »7. Ce n'est donc pas étonnant
que dans beaucoup de cas les amis Facebook soient des connaissances ou amis
réels. Ceux avec qui on a le plus d'interactions sur Facebook sont bien
ceux avec qui on partage dans la vie réelle.
Sur Facebook chacun se présente et dévoile ce
qu'il entend valoriser, mais sans jamais mentir car l'internaute est toujours
jugé par ses amis 2.0, des connaissances hors ligne, seuls arbitres de
cette auto-présentation, cette mise en scène de soi qui constitue
l'identité des internautes dans ces espaces que sont les réseaux
socionumériques.
CHAPITRE 1 : LA CULTURE EXPRESSIVE
Avec les réseaux sociaux, on remarque le passage d'une
intimité non partagée vers une intimité partagée de
plus en plus grande. Cette observation est appelée «
extimité » par le psychanalyste, Serge Tisseron. C'est un
dévoilement d'une partie de l'intimité pour être
validé par autrui. Ce dévoilement s'effectue en clair obscur,
Dominique Cardon nous dit de ne pas croire au développement d'un «
exhibitionnisme généralisé et sans règle »,
les internautes acceptent de ne rendre leur vie privé accessible
qu'à leurs seuls amis, c'est-à-dire, ceux qu'ils ont
accepté sur Facebook.
Toutes ces informations sont soumises au regard de ces amis,
à la fois On- et Off-line. L'internaute est alors contraint de dire
vrai, même s'il entend valoriser certains
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traits de sa personnalité, le mensonge n'est pas admis
dans les communautés. Cette mise en récit de soi est toujours
dans l'attente d'une validation de cet arbitre que sont nos amis. Elle
s'exprime par des « J'aime » ou des commentaires sur le réseau
Facebook.
Les identités sont alors toujours en quête de
validation et l'internaute prend, à chaque publication, le risque de ne
susciter aucune réaction de la part de son audience.
L'utilisateur est, nous dit le psychanalyste, un « expérimentateur
de lui-même ».
A/ Auto-présentation et valorisation de soi
« Le travail de subjectivation, entendue comme processus
de création continue de soi, imprime sur les interfaces des plateformes
du web 2.0 des traces interactives qui font alors corps avec la personne et
désignent aux autres sa singularité »8, c'est de
cette façon que Dominique Cardon défini cette
auto-présentation. Serge Tisseron9, psychanalyste,
émet la possibilité qu'Internet, communément
considéré comme un lieu de mensonges et de dissimulations en tout
genre, constituerait un lieu privilégié de l'authenticité
de chacun. Dominique Cardon appuie cette hypothèse en montrant
qu'effectivement, Internet est connu pour les tromperies et les mensonges, mais
l'Internet des réseaux socionumériques, de par le fait que les
internautes sont amis avec des personnes qu'ils connaissent dans les espaces
physiques, « se trouvent (contraints) par le regard et le jugement
potentiel des autres »10, le coût de la tromperie est
donc fort et il devient « difficile de tricher lorsque les informations
que l'on affiche sur soi vont être également lues et
entérinées par des personnes qui vous connaissent dans la vraie
vie ».
7 Alexandre Coutant, « Des techniques de soi
ambivalentes », Hermès, n° 59, 01/2011, p. 57
8 Dominique Cardon, « Le design de la
visibilité », Réseaux, 152, 2008, p. 100
9 Serge Tisseron, « Intimité et
extimité », Communication, n°88, 19/05/2011
10 Dominique Cardon, « Le design de la
visibilité », Réseaux, 152, 2008, p. 117
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Le cogito de Descartes se déplace pour devenir «
Je vois et je suis vu donc je suis »11. La présentation
de soi, dans la vie ou sur le web est une confirmation de soi par les
réactions qu'elle provoque. Sur les réseaux
socionumériques, la notion d'extimité est
prégnante, ce terme a été proposé par Jacques
Lacan, psychanalyste, ensuite repris par Serge Tisseron12 afin de
rendre compte d'une dynamique par laquelle « des fragments du soi intime
sont proposés au regard d'autrui pour être validés
»13. Cette extimité porte sur des parties de
soi qui étaient secrètes jusque-là et sur la
reconnaissance de leur originalité par les autres. C'est, accéder
à la connaissance de soi en se mettant nu face aux autres. Cependant, il
est important de mentionner que le désir d'extimité et
celui d'intimité fonctionnent ensemble, c'est parce qu'on sait qu'il est
possible de cacher certaines parties de soi que l'on entend en dévoiler
d'autres que l'on sélectionne. D'ailleurs, les Digital Natives
sont connus pour modifier leurs paramètres de
confidentialité et ne pas partager leur vie au vu et au su de n'importe
qui14.
Dresser son profil sur les réseaux sociaux est une
« mise en récit de soi »15, les Digital Natives
savent le faire, ils vont même plus loin, ces réseaux sont un
moyen de se valoriser, d'insister sur les meilleurs traits de leur
personnalité en réponse à ce que ses relations attendent,
de se montrer sous son meilleur jour. Serge Tisseron, pour expliquer cette
tendance, parle de la théorie du « miroir du soliloque ».
« (Cette théorie) correspond à la tentation
de ne chercher que la rencontre avec soi à travers tous les appels
lancés à l'autre. C'est la maladie du « moi, je », la
consécration d'un espace où l'autre n'est invité
qu'à me renvoyer l'image de moi que j'attends. Alors que dans la vie
cette posture est difficile à tenir longtemps, Internet la
11 J. Birman, « La visibilité en
question : l'espace, le temps, l'histoire », in Voir ; être vu.
L'injonction à la visibilité dans les sociétés
contemporaines, Acte du colloque organisé les 29, 30 et 31 mai 2008 par
l'Association internationale de sociologie (CR 46) et l'Association
internationales des sociologues de langue française (CR 19). Cité
par Serge Tisseron dans l'article mentionné ci-dessus.
12 Serge Tisseron, L'Intimité
surexposée, Ramsay, 2001, Réédition Hachette
Littératures, 2002
13 Serge Tisseron, « Intimité et
extimité », Revue Communication, n°88, 19/05/2011, pp. 83
à 91. Citation p. 84.
14 La génération Y (18-24 ans),
hyper-connectée se heurte à un paradoxe. C'est bien elle qui se
méfie le plus des réseaux sociaux, notamment au niveau des
paramètres de confidentialité (ils sont 43% à ne laisser
accès à leur profil qu'à leurs seuls amis selon une
étude IFOP réalisée en 2010, Observatoire des
réseaux sociaux), ce chiffre peut paraître faible mais il est
très nettement supérieur par rapport aux autres
générations, moins connectées et moins connaisseuses de
ces réseaux.
15 Dominique Cardon, « Le design de la
visibilité », Réseaux, n°152, 2008, p. 95
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favorise. Pour entrer en contact, chacun est en effet
invité à fabriquer un espace personnel associant des textes, des
photos, des musiques, etc. Le but est d'intéresser l'« absent
», de lui faire signe, de l'amener à soi. (É) dans les
mondes virtuels, les hommes et les femmes sont invités de la même
façon à créer leur « page perso » comme un
reflet de l'identité qu'ils veulent offrir à l'échange.
» 16
Ainsi l'« absent » fait signe à son tour en
likant ou en commentant un lien, une vidéo, une nouvelle photo
de profil, etc. Selon Dominique Cardon, « les goûts, les textes, les
photos ou les vidéos que l'on aime ou que l'on a faites constituent
aussi de puissants instruments de reconnaissance et d'affiliation aux autres.
»17
Ainsi, ce désir d'extimité
répond également à la théorie de la «
pénétration sociale »18 qui décrit un
processus de connaissance réciproque dans nos relations
interpersonnelles dû au passage d'une intimité non partagée
vers une intimité partagée de plus en plus grande.
Néanmoins, dans le même temps, le désir
d'extimité se fait davantage sentir envers des personnes
choisies. Sur les réseaux sociaux, on se dévoile à un
grand nombre de personnes mais le désir d'extimité se
trouve bien dans une volonté de ne la montrer qu'à ses seuls
amis. Selon la « théorie de la facilitation sociale
»19 résumée par Serge Tisseron, « la
présence - réelle ou imaginée - d'un public influence le
processus d'auto-présentation de soi dans le sens d'une
conformité à ce qui est attendu ». C'est comme dire «
Dites-moi comment vous vous intéressez à moi et je saurai qui
j'ai envie d'être »20. Cette quête de validation
des identités passe généralement par trois étapes,
la première est celle de la création d'un espace personnel
proposé au regard et à l'avis des internautes,
c'est-à-dire le profil, sur Facebook. La démarche, dit Tisseron,
est alors toujours narcissique avant d'être réciproque. La seconde
étape s'enclenche lorsqu'un premier visiteur a pris connaissance du
profil, nous sommes alors invités à profiter de son regard sur
16 Théorie développée par
Serge Tisseron dans Virtuel, mon amour - Penser, aimer, souffrir à
l'ère des nouvelles technologies, Albin Michel, 2008, p. 67
17 Dominique Cardon, « Le design de la
visibilité », Réseaux, 152, 2008, p. 95
18 Théorie développée par I.
Altman et D. A. Taylor in Social Penetration : The Development of
Interpersonal Relationships, New York, Holt, Rinehart and Winston, 1973
19 Proposée par R. B. Zajone, in « Social
Facilitation », Science, 149, 1965, pp. 269 à 274
20 Serge Tisseron, Virtuel, mon amour - Penser,
aimer, souffrir à l'ère des nouvelles technologies, Albin
Michel, 2008, p. 39
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l'internaute à travers ses commentaires, ses
likes et ses publications, dans le cas de Facebook. La troisième
commence à partir du moment où le réseau d'« amis
» est bien constitué (même s'il évolue toujours).
Cette étape représente la « sortie du monde
autocentré »21 et chacun est invité à
prendre connaissance des identités de son réseau. A chaque
publication, l'internaute prend un risque car il publie avant d'être
certain de la validation des autres, l'internaute est un «
expérimentateur de lui-même »22.
Cependant, dans cet espace socionumérique qu'est
Facebook, les Digital Natives ne font pas signe à n'importe
qui, ils ont accepté certaines personnes et seuls leurs amis 2.0 sont
invités dans l'espace personnel qu'ils ont créé. C'est
bien d'une expression en clair obscur à laquelle on a à faire sur
Facebook.
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