Sommaire
Introduction 6
Partie 1 - Facebook : un espace de socialisation 2.0 ?
12
Chapitre 1 : La culture expressive 12
Chapitre 2 : Une mise en scène assumée
devant un public ciblé 19
Partie 2 -- Le défi comme matière
à sociabiliser 27
Chapitre 3 : Un jeu d'alcool en clair obscur
27
Chapitre 4 : La pression sociale du défi
34
Partie 3 -- La nature virale de la Neknomination
41
Chapitre 5 : La culture du « Share »
41
Chapitre 6 : Contagion et propagation de la
Neknomination 48
Conclusion 56
Bibliographie 59
Sources 61
Corpus 62
Table des annexes I
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2015
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Introduction
Les réseaux sociaux, vastes territoires investis par
des milliers d'internautes. Ils nous ont conquis et, aujourd'hui, il n'est
presque plus possible d'y échapper, surtout lorsqu'on fait partie des
Digital Natives ou natifs numériques, ces jeunes de la
génération Y, nés avec Internet entre le début des
années 1980 et celui des années 2000. Mais qu'est-ce que ces
réseaux ont changé à nos vies ?
Ils ont d'abord et surtout modifié comment on s'exprime
et à qui on s'adresse. Pour mieux comprendre cette affirmation, il
convient de revenir sur la création de ces nouvelles plateformes que
sont les réseaux sociaux.
Historique de la réussite des réseaux
sociaux
Pourquoi les réseaux sociaux ont pris autant
d'importance dans nos vies ? La réponse à cette question tient en
une invention simple mais efficace qu'est la mise en place progressive de la
liste d'amis comme principal outil de navigation. Inspirée par les
travaux de Stanley Milgram sur les « six degrés de
séparation » montrant les réseaux d'interconnaissances entre
plusieurs personnes totalement inconnues. En bref, le vieil adage qui nous dit
que « le monde est petit ». Cette étude fût
réalisée en 1967, reprenant une idée
développée en 1929 par Frigyes Karinthy. Milgram a ainsi
démontré que tout individu est facilement relié à
un autre par une chaîne de relations sociales. Grâce à cette
expérience empirique réalisée sur 217 individus, une
longueur moyenne de ces chaînes de connaissances a été
établie, celle-ci étant de 5,2 intermédiaires avant
d'avoir une connaissance commune entre deux personnes. Il est donc assez
évident que cette étude constitue l'un des principes fondateurs
des réseaux sociaux actuels, mais cette théorie a malgré
tout été profondément chamboulée par
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ces derniers, on dit souvent que les réseaux sociaux,
et plus particulièrement Facebook a rétréci le monde. Une
étude réalisée en 2011 par quelques chercheurs en
partenariat avec le site Facebook a montré que ces six degrés de
séparation ont été ramenés à 4,74 en moyenne
alors que le site mobilisait 10% de la population mondiale cette année
là.
La réussite de ces sites s'appuie sur une forme
inédite de navigation qui s'inspire des formes de socialisation dans les
espaces physiques, notamment par la mise en place d'un moteur de recherche
imparfait où seule la connaissance a priori de l'identité d'une
personne, nous permet de la retrouver, ou une exploration des traces
d'activité d'amis en amis. Une expérience donc très proche
des attentes et des pratiques ordinaires des utilisateurs. «
Véritable opérateur de territorialisation, le réseau
social transforme l'univers proliférant du Web en un espace familier et
navigable. Il impose aussi une contrainte de réalisme pour les
participants puisqu'il est beaucoup plus difficile de jouer avec ses
caractéristiques identitaires lorsque celles-ci sont soumises au regard
des proches »1. C'est ce qui se joue lorsqu'on parle de
Facebook, un réseau dans lequel on s'exprime, selon Dominique Cardon, en
« clair obscur », « cette zone de familiarité
contrôlée dans laquelle les utilisateurs rendent publics des
éléments parfois très personnels de leur vie quotidienne
tout en pensant ne s'adresser qu'à un réseau de proches »
dans lequel deux processus d'individualisation s'observent : le processus de
subjectivation, qui témoigne davantage d'une capacité de faire
que d'une identité, et un processus de simulation par lequel
l'internaute exprime ses multiples facettes afin d'afficher sa
différence et accroître ses chances d'être identifié
par d'autres. Ce « souci de distinction et de différenciation
à l'égard des autres qui s'affiche par la mise en scène de
signes identitaires sert avant tout à relier ». « Il traduit
ensuite un désir d'individualisation et de singularisation expressive
qui fait de plus en plus dépendre l'identité de chacun des signes
de reconnaissance qu'il reçoit des autres »2.
1 Dominique Cardon, « L'identité comme
stratégie relationnelle », Hermès, n° 53, 01/
2009, p. 142
2 Ibid.
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Naissance des bravades démonstratives du
web
C'est dans ce contexte que ces bravades, appelés Social
Bragging, sont nées sur les réseaux sociaux. Des chaînes,
des jeux, dangereux ou non, tout y passe et les jeunes en raffolent tout en
s'en lassant très vite. Ephémères, ces contenus sont
pourtant imperméables, scotchés sur la toile et participent de
notre eReputation, de l'expression de soi et des réactions attendues
après leur partage. Selon Beauvisage et al., « les
médias sociaux du Web opèrent une intrication inédite
entre sociabilité et contenus, entre discussion et partage, entre dire
et faire ». L'objectif de ces bravades et de toujours faire mieux que son
prédécesseur pour marquer sa différence et être
reconnu par ses pairs.
La Neknomination
La Neknomination est une de ces nombreuses bravades
démonstratives auxquelles s'adonnent, chaque année, de nombreux
utilisateurs des réseaux sociaux. Cette chaîne de vidéos
dans lesquelles des internautes se filmaient buvant cul-sec un verre d'alcool
(ou tout autre récipient susceptible de contenir un liquide). Le nom est
un néologisme qui résulte de la combinaison de « Nek »,
venant de l'expression anglophone, « To neck your drink » («
boire cul-sec ») et « nomination »3. Effectivement,
avant de devoir réaliser leur vidéo, chacun des internautes doit
avoir été nominé par un confrère qui a
lui-même relevé ce défi. Lorsqu'une personne est
nominée, elle doit également nominer à son tour trois
autres personnes qui auront un temps limité pour réaliser et
publier sa Neknomination sur Facebook. Dans ce mémoire, ceux qui
nominent seront appelés « Neknomineurs » et les
nominés, « Neknominés ».
Le choix de la Neknomination a été une
évidence, défi polémique à cause du rapport
explicite à l'alcool, beaucoup de personnes, dont j'étais, n'ont
pas compris les internautes qui l'ont pratiqué. Dans mon entourage, une
majorité a qualifié de
3 Prononcé à l'anglaise ou à la
française selon les personnes
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« débile » cette pratique, donnant comme
principal argument, le danger de s'exposer sur Internet buvant une grande
quantité d'alcool, ou pour certain, leur ivresse. Assez d'accord,
lorsqu'en février et mars 2014, ces vidéos ont envahi mon fil
d'actualité Facebook. Par ce mémoire, j'ai voulu comprendre ce
qui avait poussé certains utilisateurs du réseau social à
participer à cette chaîne 2.0. Je ne me doutais alors pas que
cette pratique était un exemple symptomatique des transformations qui
s'opèrent en terme de socialisation à l'ère du
numérique et de ses réseaux sociaux.
Cette étude interroge des problématiques en
construction, dynamiques, aucunes d'entre-elles ne sont arrêtées
car les réseaux socionumériques, eux aussi, sont en constante
évolution et les individus se les approprient dans leur quotidien en
créant de nouvelles manières de communiquer. Ils s'en sont
imprégnés pour reconstruire leurs espaces de sociabilités.
L'hypothèse selon laquelle, espaces, physique et numérique sont
interconnectés sera le leitmotiv de cette recherche. On pourra ainsi
voir que les internautes construisent leur identité sur l'Internet, plus
explicitement que dans l'espace physique, dans la mesure où ces
données sont stockés et analysables de manière permanente.
Une enquête d'un échantillon d'utilisateurs de Facebook a
été réalisée pour mieux montrer cette
interconnexion entre ces deux mondes inséparables.
Pour cette étude et afin d'avoir une base
théorique solide, différents auteurs scientifiques ont
été mobilisés, souvent sociologues
spécialisés dans le domaine du numérique. Maintenant
incontournable dans les études sur les identités
numériques, ou plutôt de ce que le numérique a fait des et
aux identités, Dominique Cardon n'a évidemment pas pu être
oublié pour questionner la Neknomination. Il en va de même pour
son confrère Antonio A. Casilli dont les recherches ont
éclairé cette analyse. Les études de Monique Dagnaud sur
les jeunes et le rapport à la fête ont été
mobilisées pour comprendre la culture de ces jeunes étudiants
avides de soirées. Fabien Granjon et Julie Denouël ont permis
d'interroger les questions de la reconnaissance par les pairs qui se joue sur
ces plateformes. Enfin, Thomas Beauvisage a apporté des analyses solides
quant à la viralité des contenus sur le web. Ceci ne constitue
pas une liste exhaustive des auteurs mobilisés qui seront, de toute
façon, cités en
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bibliographie et tout au long de ce mémoire, mais une
liste des principaux chercheurs dont les études ont pu éclairer
ce sujet.
Ces différentes théories ont ensuite
été appliquées à un corpus de huit vidéos.
Cinq vidéos4 constituent une partie d'une chaîne de
Neknomination dont leurs auteurs5 ont fait l'objet d'une
enquête et ont été interrogé indviduellement selon
une grille d'analyse précise6.
Le principal problème rencontré a
été celui de la récupération de vidéos qui
constituaient mon panel d'étude. Certains avaient supprimé leur
vidéo de Facebook, d'autres ne voulaient pas me la confier, des
négociations se sont entamées, et j'ai pu réussir à
récupérer la plupart en me déplaçant dans une autre
ville pour les récupérer par souci technique car les fichiers
étaient trop lourds pour s'envoyer par mail et la personne qui les avait
récupéré ne savait pas comment faire autrement. Pour deux
autres vidéos, les personnes n'ayant pas gardé leur
enregistrement sur leur ordinateur, il a fallut trouver un moyen de les
enregistrer, le téléchargement des vidéos sur Facebook
n'étant pas possible, j'ai donc fait une sorte de screenshot
vidéo, filmer mon ordinateur de l'intérieur via QuickTime,
je m'excuse de la qualité sonore de ces vidéos.
Ainsi, ce mémoire entend avoir une approche à la
fois théorique et empirique pour tenter de comprendre de quelle
manière les vidéos de Neknomination participent d'un besoin de
reconnaissance dans les espaces sociaux, numériques et physiques et
comment circulent-elles dans l'espace socionumérique.
Il s'articule autour de trois parties. La première
questionne les manières dont les internautes utilisent l'espace de
socialisation qu'est le web. Nous verrons comment les internautes construisent
et façonnent leurs identités sur ces réseaux
4 Les trois vidéos restantes sont des
ratés.
5 Sauf un qui n'a pas voulu répondre à
l'étude.
6 Voir Guide d'entretien en Annexes
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socionumériques par l'intermédiaire d'une
auto-présentation réfléchie dont la Neknomination
constitue un bon exemple.
La seconde interroge la question du défi comme
matière à sociabiliser ou à ne pas se
désociabiliser autour d'une étude sur les internautes qui ont
pratiqué la Neknomination, des étudiants fêtards, adeptes
des jeux d'alcool. Elle analysera également autour de la question du
défi, la pression exercée par les pairs.
Enfin, la troisième partie étudiera la question
de la viralité des contenus sur le web, elle montrera comment
circulent-ils dans cet espace socionumérique mais surtout dans quel but,
car c'est bien en cela que la Neknomination, notamment, prend tout son sens
pour ces jeunes.
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