1.1.3.2 Dessin du bonhomme
La représentation de la personne humaine a toujours
occupé une place de choix parmi les autres types de dessin que
sont : le dessin de la maison, le dessin de la famille, le dessin de
l'arbre, etc. Plusieurs auteurs (Cox, 1993 ; Goodnow, 1977 ;
cité par Scetbon, 2013) observent que ce dessin-là est
probablement aujourd'hui, le plus précoce, le plus fréquent et le
plus valorisé par les adultes. C'est probablement le dessin le plus
étudié par les chercheurs.Son analyse peut aider à
évaluer le stade de maturation de l'enfant par rapport à sa
découverte des structures corporelles.
· Les étapes de la représentation de la
figure humaine
L'accès à la représentation chez l'enfant
est conditionné par sa capacité à sortir d'un état
symbiotique et indifférencié afin de pouvoir accéder au
monde qui l'entoure et se différencier de l'autre. En effet, le
nourrisson ne reconnait sa mère qu'à partir des sensations
visuelles, tactiles, auditives et olfactives.
Quelques semaines plus tard, les sensations visuelles seront
privilégiées par rapport aux autres. C'est alors que l'enfant
pourra distinguer le visage de sa mère du visage de l'étranger
(angoisse du 8ème mois) : il s'agit d'une
première forme de différenciation. Le visage de la mère
est considéré comme le premier miroir qui renvoie à
l'enfant ses émotions et lui permet de structurer sa
personnalité. La différenciation progressive de l'enfant face
à l'image maternelle lui permet de prendre conscience du dedans et du
dehors. L'image du corps se met en place lors de cette expérience et
peut être représentée à travers la projection.
Du point de vue symbolique, il existe une ressemblance entre
le miroir et la feuille de dessin. Tout comme le miroir reflète l'image
spéculaire de l'enfant, la feuille blanche est une surface neutre
où se projette l'image du corps à travers le geste de
dessiner.
- Avant 18 mois
Avant le 18ème mois de la vie, on dit
généralement que l'enfant produit des traces plutôt que
des dessins. On distingue alors des traces non figuratives et des traces
pré-figuratives. Celles-ci apparaissent lors des contacts ou les
mouvements des doigts, des mains ou des pieds tachetés sur une surface
donnée.
Tisseron pense qu'il s'agit d'une forme de symbolisation
sensori-affectivo-motrice par le geste. Ces traces participeraient
à la mise en place de deux fonctions psychiques primordiales : la
fonction d'enveloppe et la fonction de transformation. Ces grandes fonctions
sont associées aux fantasmes de peau commune avec la mère et de
séparation progressive. En fait, La production de telles traces favorise
l'introjection du fantasme de peau commune, puis son dépassement
(Tisseron, 1995 ; cité par Scetbon, 2013). Pour Haag, les
premières traces se font sur les murs ou sur le sol puis progressivement
sur une feuille détachable du fait d'un dédoublement de la peau
commune (structure en double feuillet de l'enveloppe psychique). Les traces
apparaissent dans des moments où l'enfant se trouve séparé
du corps de sa mère, cela lui permet de projeter les rudiments de son
image corporelle et de représenter les mouvements de va-et-vient de la
mère qui aboutiront à la séparation (Haag, 1995 ;
cité par Scetbon, op.cit.).
- Vers le 18ème mois
Au cours de cette période, l'oeil de l'enfant suit ses
mouvements graphiques sans pouvoir les guider : il a un contrôle
visuel de ses gestes. Pour Tisseron (1995), les traces qui apparaissent
à cet âge sont secondaires, correspondent à la mise en
scène visuelle des fantasmes que les traces primaires ont
contribués à réaliser (Tisseron, 1995 ; cité
par Scetbon, op.cit.).
Deux principales traces apparaissent au cours de cette
période(Haag, 1995 ; cité par Scetbon,
op.cit.) :
Ø les formes circulaires, arrondies ou ovoïdes
souvent refermées sur elles-mêmes et contenant d'autres formes
arrondies ou des points ou des fragments de traits.
Les différentes figures qui y sont issues mettent en
scène le fantasme d'enveloppement réciproque mère-enfant.
L'enfant peut avoir tendance à entourer le contour de la feuille par un
trait comme s'il créait un cadre pour entourer ses surfaces de
figuration. Les figures circulaires avec des surfaces vides correspondent
à des ébauches de conteneurs (le creux maternel et les contours)
plutôt que des contenants. Dans le cas où il existe un point ou
plus à l'intérieur de ces ébauches de cercle on pourrait
penser à des yeux ou les seins maternels.
Ces ébauches de cercles ne pourront symboliser des
formes de contenances que lorsqu'elles se fermeront complètement.
L'enfant à ce stade parvient à figurer trois
représentations symboliques dites essentielles. La première
figuration concerne le Moi psychique de l'enfant qui remplit une fonction de
contenant de pensée comme en témoignent tous les traits et les
points à l'intérieur du cercle. Ensuite vient la
représentation symbolique de l'unité primitive mère-enfant
avant la séparation et enfin la séparation avec une mère
détachée avec le soi de l'enfant.
Ø Les balayages dans lesquels le crayon inscrit les
va-et-vient de la main, aboutissant à la réalisation de lignes
ondulées.
Les lignes mettent en scène le fantasme d'un
éloignement et d'un rapprochement rythmique du corps de la mère
et de son psychisme. L'enfant a dès ces moments accès à
une représentation de la permanence intérieure de la mère.
L'absence physique de la mère n'est plus une source d'angoisse pour
l'enfant.
- Entre 18 mois et 3 ans
C'est la période où l'usage de la main est
primordial, celle-ci relayant peu à peu la bouche dans l'exploration des
objets. La tenue et l'utilisation du crayon s'améliore. Du point de vue
du développement psychologique, la sphinctérisation anale est
entamée, le moi-corps est bien structuré, l'enveloppe-peau est
suffisamment introjectée et dédoublée pour être
projetée sur la feuille de dessin.Les productions graphiques de ce stade
sont :
Ø le balayage simple à travers les
gestes de coloriages rythmés et les traces en dents de scies ;
Ø le pointillage : dans les
premières figurations, les points vont servir à
représenter les éléments des premiers visages que l'enfant
reconnait ainsi que les orifices de communication. Les points à
l'intérieur du corps peuvent figurer des boutons ou symboliser le
squelette interne de l'enfant. Les points de dehors (soleil,
étoile, pluie, etc.) représentent des éléments de
nature affective ;
Ø les spirales qui sont les tracés
privilégiés des enfants d'âges compris entre 2 ans et 2
ans 6 mois. Dans le développement normal de l'enfant, les spirales se
font dans le sens antihoraire à partir du centre. Lorsque l'enfant
grandit, ce sens à tendance à s'inverser. Pour Haag, la spirale
correspond à une image qui représente l'enroulement du corps de
la droite sur la gauche (Haag, 1995 ; cité par Scetbon, 2013).
- Entre 3 et 4 ans
Les formes se complexifient avec l'apparition de plusieurs
inclusions, l'enfant représente une individuation sous la forme d'une
enveloppe individuelle séparée de la mère. Nous avons
les formes solairesqui constituentdes formes rondes auxquelles
viennent se rattacher des traits. Ces formes représentent le visage, les
yeux, les mains, et des objets d'amour (« papa »,
« maman ») et soi en miroir. Ces formes solaires sont
bisexuées.
Pour Baldy (2009), c'est vers l'âge de trois ans que les
premiers bonshommes émergent du gribouillage. Il distingue d'abordle
bonhomme rond quiest composé d'une figure fermée dans
laquelle quelques traits s'entrecroisent. Ce type de bonhomme traduit la vision
syncrétique du corps humain par l'enfant.
Ensuite, on a lebonhomme énuméré
qui se compose des parties du corps que l'enfant connaît et qu'il
nomme. Ici, l'enfant a une vision discontinue du corps humain. Ces premiers
bonshommes rendent compte de l'impossibilité pour l'enfant de coordonner
les parties et le tout.
C'est vers 3 ans et 6 mois qu'on verra apparaitre
lebonhomme têtard ou figure-têtard apparait en
moyenne à 3ans et demi. Les formes solaires sont orientées, les
traits dans la partie supérieure deviennent des cheveux et les traits
dans la partie inférieure figurent les membres (bras et jambes). Il
s'agit dès ces instants d'une projection du schéma corporel du
fait de la spécificité de la figure fermée et à la
présence du regard. En effet, les yeux permettent au visage de s'animer
et entre en jeu dans la reconnaissance des personnes et des choses. Les
bonshommes-têtards des enfants ont généralement deux
jambes, deux bras ou des cheveux. Ils sont caractérisés par leur
aspect rayonnant, leur contenance et la présence des yeux.
Le bonhomme-têtard est la structure de base de
la représentation des êtres, cette figure apparaît comme le
support de l'identité à un âge où l'enfant devient
capable d'utiliser le " je " dans la communication. Le bonhomme-têtard
n'est pas un bonhomme sans ventre, mais un bonhomme dans lequel la tête
et le ventre seraient confondus.
- A partir de la 5ème
année
Le bonhomme se structure peu à peu au cours de la
cinquième année en se rapprochant de la réalité
(stade du bonhomme complet ou conventionnel). Pour dessiner
le bonhomme conventionnel, l'enfant doit interrompre son travail
après le dessin du rond figurant la tête, puis faire un rond pour
le tronc et reprendre pour ajouter les membres. Les détails du visage
sont de plus en plus nombreux.
On peut distinguer un tronc auquel viennent se rattacher des
membres de plus en plus épais. En règle générale,
le tronc apparait soit en rattachant les bras aux traits figurant les jambes,
soit en comblant le vide situé entre les jambes (espace noirci, trait
horizontal, nombril, boutons, etc.), soit en surajoutant un ventre une fois
fini le bonhomme têtard. Le tronc du bonhomme prend une allure
géométrique, il est debout, de face, nu, souvent avec le nombril
et souriant. Les vêtements apparaissent avec leurs accessoires et les
proportions sont progressivement contrôlées.
La différence des sexes est reconnue vers la
7ème année (stade de la différenciationdes
sexes) et affirmée à travers l'ornementation (bijoux, jupes,
moustaches, cheveux) et les scènes. Katzaroff, a remarqué que les
garçons ne dessinaient que 1 % de filles et que, réciproquement,
les filles avaient tendance à dessiner des personnages féminins
(Katzaroff, 1909 ; cité par Baldy, 2009).
Entre 6-10 ans, l'enfant devient capable de faire une
représentation en profil du bonhomme (stade du profil). On
aboutit à la représentation d'un bonhomme contour, qui
intègre l'ensemble du corps dans un tout cohérent. Ce bonhomme en
plus du profil, peut désormais se baisser et éprouver une
émotion. Cela montre qu'il est capable d'une aptitude à la
décentration, au regard extérieur et sur lui-même. Les
différentes étapes du développement du graphisme et du
bonhomme sont répertoriées dans les deux tableaux
ci-après.
Tableau 1: Les étapes de
représentation de la figure humaine d'après Baldy (op.cit.,
p.134).
Tableau 2: Principaux stades du
graphisme et de la représentation de la forme humaine (Marcilhacy C et
coll., 2011).
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