1.1.3 Dessin en psychologie et en psychopathologie
Cette partie aborde principalement les différents
stades du développement du dessin chez l'enfant, les différentes
applications du dessin en psychologie ainsi que les liens qui existent entre
les caractéristiques du dessin et certains troubles psychiques.
1.1.3.1 Développement du dessin
chez l'enfant
· Les stades de Luquet
Luquet (1927) fut l'un des premiers à
s'intéresser aux dessins des enfants. Ses recherches ont porté
sur une monographie des dessins de sa fille Simonne. Il définit le
dessin comme un système de ligne dont l'ensemble a une forme, un
ensemble de traits dont l'exécution a été
déterminée par l'intention de représenter un objet
réel que la ressemblance avec cet objet soit obtenue ou non. Pour lui le
dessin a deux principales destinations. Le dessin peut être
exécuté pour le plaisir qu'elle procure à l'oeil. Il
affirme : « L'enfant dessine pour s'amuser. Le dessin est pour
lui un jeu comme les autres et qui s'intercale parmi eux » (Luquet,
op.cit., p.13).Même si l'enfant considère le dessin comme
un jeu, ce jeu constitue une activité sérieuse. En outre, le
dessin peut concerner la reproduction d'un objet déterminé.
Pour Luquet, l'enfant ne représente dans ses dessins
que ce qui fait partie de son expérience et ce qui s'est offert à
sa perception. En examinant les dessins d'un même enfant, on peut
constater que chacun des défauts que présentaient les dessins
antérieurs disparaissent avec le temps. Cette évolution du dessin
comporte des périodes de stagnation et même de régression.
Il propose la notion de réalisme pour caractériser le
dessin enfantin. Le réalisme du dessin concerne la nature de ses motifs
et des sujets dont il traite. Il distingue quatre stades dans le
développement du dessin chez l'enfant. Ce sont :le réalisme
fortuit, le réalisme manqué, le réalisme intellectuel et
le réalisme visuel.
- Le réalisme fortuit (Vers 2ans)
Au début, l'enfant fait des tracés sans
intention de faire une image. Pour lui, faire un tracé c'est
exécuter des mouvements de la main, ces mouvements sont comparables
à n'importe quel mouvement qu'il effectue d'habitude. Il s'agit ici
d'une sorte de décharge de l'énergie neuromusculaire dont le
plaisir incite l'enfant à recommencer. Lorsque l'enfant voit les traces,
il se rend compte que c'est sa production, une manifestation de sa
personnalité. Il prend alors conscience qu'il possède un pouvoir
créateur et décide alors intentionnellement de recommencer. On
passe alors d'une production fortuite à une production intentionnelle.
Cependant, on en est toujours au stade de traits dépourvus de
signification. L'enfant reconnait ensuite qu'il y a certains de ses
tracés qui ressemblent à quelque chose qu'il a déjà
vu, à une image réelle ou à un objet quelconque : le
tracé devient donc la représentation de l'objet.
Pour Luquet (1927), l'enfant à ce stade ne songe
même pas à reproduire l'objet réel du fait qu'il est
convaincu que sa tentative serait d'avance vouée à
l'échec. Progressivement, chaque tracé de l'enfant reçoit
une interprétation flottante car celui-ci applique au
tracé le nom d'une chose quelconque dont il a l'idée dans
l'esprit au moment du gribouillage. Le même tracé peut recevoir
successivement plusieurs interprétations différentes. Puis
l'enfant devient capable de produire d'une manière constante des
tracés toujours sans intentionnalité qu'il essaie de
perfectionner à travers quelques additions et des reprises. Il finit
alors par acquérir la faculté graphique totale car il
est capable d'annoncer son intention (ce qu'il va faire), d'exécuter et
d'interpréter ses tracés.
- Le réalisme manqué (3-4 ans)
Cette étape est marquée par une imperfection
générale du dessin ou incapacité synthétique. A ce
stade, l'enfant veut que son dessin soit réaliste mais il n'arrive pas
à le reproduire. Le premier obstacle est une immaturité physique
qui ne lui permet pas de bien diriger et limiter ses mouvements graphiques de
manière à donner à son tracé l'aspect
souhaité. Le second obstacle concerne une discontinuité de
l'attention enfantine. L'enfant ne reproduit que très peu les
détails de l'objet représenté bien qu'il est conscient de
leur existence. Il cherche à représenter tous les détails
dont il songe et en fonction du degré d'importance qu'il accorde
à telle ou telle partie de l'objet. Des détails viennent
s'ajouter au dessin précédent dès qu'ils attirent
l'attention de l'enfant. Lorsqu'il dessine un détail, il ne pense plus
à ce qu'il a tracé auparavant.
Luquet considère que l'attention de l'enfant dans cette
phase s'épuise vite parce qu'elle doit songer à ce qu'il faut
dessiner et contrôler les mouvements graphiques par lesquelles la
représentation se fait. Le dessin est achevé pour l'enfant
lorsque son attention est épuisée même si le dessin semble
incomplet pour l'adulte qui l'observe. Dans cette phase on note
également des défauts dans les éléments
représentés, des disproportions, des exagérations de
dimensions, des disjonctions, des extériorisations et des inclusions de
détails, une mauvaise relation des parties représentées.
L'imperfection générale du dessin disparait progressivement au
fur et à mesure que l'attention de l'enfant se développe.
- Le réalisme intellectuel (4-10 ans)
Dans le réalisme intellectuel, l'enfant
considère que son dessin ressemble à l'objet
représenté s'il contient tous les éléments
réels visibles ou invisibles (c'est-à-dire tout ce qui y est) de
cet objet. Il cherche à donner dans le dessin la représentation
la plus complète et la plus fidèle. Parfois, ce réalisme
intellectuel peut pousser l'enfant à représenter des
éléments abstraits qui n'existent que dans son esprit. En fait,
à ce stade l'enfant ne dessine que pour sa propre satisfaction et s'il
lui arrive de présenter ses dessins à l'adulte c'est pour montrer
son habileté à dessiner à ce dernier.
C'est à ce stade qualifié d'apogée du
dessin enfantin que l'enfant commence à ajouter des légendes
à ses dessins mais qu'il ne sait pas encore écrire. Il
considère le nom de l'objet comme un de ses caractères au
même titre que ses différentes parties, celui-ci doit donc figurer
dans le dessin.
Les dessins de l'enfant sont aussi caractérisés
par :
Ø La transparence qui consiste à
figurer dans le dessin des éléments invisibles de l'objet comme
si ceux qui les masquent sont devenus transparents (par exemple des meubles
d'une maison visibles de face, le corps du bonhomme visible sous ses
vêtements ou sous les couvertures d'un lit).
Ø Le plan qui consiste à figurer
l'objet par sa projection sur le sol, comme s'il était vu de dessus. Ce
type de représentation est surtout appliqué aux maisons vu de
l'intérieur.
Ø Le rabattement qui consiste à
rabattre de chaque côté les supports des objets (pieds des
animaux, des meubles, les roues des voitures).
Luquet considère que la fin du dessin enfantin est
caractérisée par une renonciation au réalisme intellectuel
comme mode de représentation graphique des objets et la volonté
de se conformer à l'apparence visuelle. Ce dépassement n'est pas
une tâche facile car il est possible de rencontrer des adultes dont les
dessins révèlent qu'ils n'ont pas dépassé le stade
du réalisme intellectuel.
- Le réalisme visuel (Vers 12 ans)
L'exécution du dessin à ce stade se soumet
à la réalité de l'objet tel qu'il est perçu.
L'enfant a en quelque sorte atteint la période adulte et ses dessins
tendent à se perfectionner par l'apprentissage de certaines techniques
spéciales. Le réalisme visuel suppose une exclusion des
procédés à l'oeuvre dans le réalisme intellectuel.
C'est ainsi que l'opacité (suppression dans le dessin des
détails objectivement invisibles) se substitue à la
transparence et la perspective (qui consiste en une
modification de la silhouette d'un objet ou d'un détail vu de face ou de
coté) au rabattement.
La narration graphique apparaît alors sous plusieurs
formes: une scène ou plusieurs scènes de l'histoire sur le
même dessin ou encore un mouvement décomposé dans le
même dessin. Le point critique de ce dernier stade est que maintes fois,
le réalisme intellectuel vient s'y substituer.
L'examen du dessin par Luquet nous a permis de comprendre la
psychologie de l'enfant qui selon lui est influencée par des facteurs
extrinsèques (la société, la famille) et
intrinsèques (absence des leçons de l'expérience,
prédominance de l'instinct). En outre, Luquet considère que le
dessin peut et doit intervenir dans l'explication de la réalité
psychique de l'enfant. Il affirme : « Par le sérieux avec
lequel il s'applique à ses dessins, par les facultés qu'il y met
en oeuvre, l'enfant forge, si l'on peut le dire, son organisme
psychique. » (Luquet, 1927, p.182). Luquet pense que l'enfant utilise
la couleur de façon réaliste ou décorative. L'utilisation
de la couleur est réaliste lorsqu'elle est conforme à l'objet
(plante, ciel, eau) et décorative quand l'objet est d'une autre
couleur.
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