1.1.3.3 Valeurs psychologiques du contenu
du dessin
· Valeur projective du dessin
La valeur projective du dessin réside dans son contenu
manifeste que dans son contenu latent. Le contenu manifeste concerne le
matériel qui est « induit plus ou moins consciemment» par
l'individu. Le contenu latent, quant à lui, est le matériel
inconscient livré par le sujet (Widlöcher, 2002 ; cité
par Scetbon, 2013).Le dessin est donc un outil projectif où l'individu
peut représenter sa vie intérieure par l'intermédiaire
d'images et de symboles très personnels et qui ont signification
particulière. De ce fait, le dessin est considéré comme
un outil qualitatif qui permet de faire émerger le sens d'une
expérience pour un individu.
Pour Philippe Wallon, l'enfant projette sur la feuille de
papier, les sentiments qui l'occupent intérieurement. Le dessin
constitue donc un médiateur qui permet de révéler les
difficultés psychologiques (angoisses) de l'enfant et ses
mécanismes de défense, ses intérêts, son estime de
soi, etc(Wallon, P., 2012, cité par Scetbon, op.cit.).
Widlöcher (2002 ; cité par Scetbon,
op.cit.)considère que les commentaires de l'enfant sont aussi
importants que l'observation du dessin et des séries de dessins. Pour la
lecture d'un dessin il propose plusieurs niveaux :
- 1èr niveau : identification
des objets figurés et la scène représentée.
L'histoire racontée à travers le dessin est
révélatrice de l'activité imaginative de l'enfant.
- 2ème niveau : étude
des particularités formelles (taille et forme) qui présentent
également une valeur narrative.
- 3ème niveau : prendre en
compte les réactions affectives liées au travail et
l'impression d'ensemble.
· Dessin et quotient intellectuel : le test de
dessin du bonhomme
En 1926, Florence Goodenough créa un système de
cotation (test de Goodenough) à partir du dessin d'un bonhomme parce
qu'elle pensait que des composantes intellectuelles existaient dans le dessin
d'enfant. Son test utilise une cotation à échelle composée
de 51 critères binaires «absence-présence»
évaluant la quantité de détails, les proportions et la
coordination motrice (Picard &Baldy, 2011).
En 1984, Royer (cité par Picard &Baldy, 2011) a
également élaboré une grille d'analyse du dessin du
bonhomme afin de faire ressortir le quotient intellectuel et des indices
cliniques reliés à la personnalité de l'enfant.
L'étalonnage de son test concerne les enfants de 3 à 12 ans 6
mois. Elle a administré le test du dessin d'un bonhomme et le WISC
à un échantillon de 35 sujets d'intelligence normale,
garçons et filles, âgés de 7 à 13 ans, dont le Q.I.
moyen était de 105, les extrêmes atteignant 90 et 130. Elle a
ensuite administré les deux mêmes tests à un
échantillon de 35 déficients légers et moyens,
âgés également de 7 à 13 ans, dont le Q.I
s'étendait de 42 à 92 et ayant une moyenne de 73.
De ses multiples travaux, elle parvient aux conclusions
suivantes :
- sur le plan de l'intelligence, les résultats
obtenus au dessin du bonhomme peuvent permettre de discriminer, dans une
certaine mesure, les normaux des débiles, ou encore les débiles
légers des débiles profonds, mais non pas les sujets
d'intelligence moyenne des sujets d'intelligence supérieure ;
- pour réussir à bien dessiner un bonhomme,
il faut un minimum d'intelligence qu'on pourrait situer aux alentours d'un Q.I
de 80 à 90. Passé ce cap, d'autres éléments entrent
en jeu pour favoriser le dessin de la forme humaine ;
- aux niveaux les plus bas, l'influence de la perception
spatiale sur le dessin est la plus forte; aux niveaux moyens, c'est
l'intelligence globale; aux niveaux les plus hauts, c'est l'intelligence
verbale (Royer, 1984, p. 72).
· Style graphique et traits de personnalité
Plusieurs auteurs ont identifié des indices graphiques
à analyser lors de l'interprétation d'un dessin. Ces indices sont
révélateurs des traits de personnalité ou encore les
émotions ressenties lors de l'exécution du dessin.
En 1947, (cité par Scetbon, 2013) ont comparé le
style graphique d'enfants et leur vie affective. Leurs travaux ont permis de
trouver des associations entre le type de formes représentées et
certains aspects de la personnalité. Ils ont découvert
que :
- les enfants qui représentaient les lignes droites et
les angles étaient plus réalistes, souvent agressifs et
opposants. De plus, ils avaient de bonnes capacités d'organisation et
d'initiative ;
- les enfants qui préféraient les lignes courbes
étaient plus sensibles et avaient tendance à rechercher
l'approbation des adultes. Ces enfants étaient imaginatifs mais
manquaient de confiance en eux ;
- la prédominance de formes circulaires serait un signe
d'immaturité et de féminité.
- l'équilibre entre formes circulaires et lignes
verticales serait le reflet d'un bon équilibre et d'un contrôle de
l'impulsivité ;
- les enfants qui avaient recours aux verticales avaient un
tempérament viril, actif, constructeur et extraverti ;
- les lignes horizontales étaient plus rares et
seraient l'indice de conflits psychologiques.
· Utilisation de l'espace
- L'emplacement du dessin sur la page
On peut considérer l'emplacement du dessin comme un
aspect structural de base du dessin, riche en significations de l'image du
corps. Il est étroitement lié à la hauteur du personnage
dessiné, à sa position, à son expansion dans le cadre
graphique.
Cette notion spatiale n'est pas géométrique mais
psychologique c'est-à-dire subjective. En effet, on fait
référence ici à l'espace dans lequel peut
s'épanouir le moi de l'enfant, ses activités, ses projets de vie.
Cet espace est en fait, le produit de synthèses, de mouvements qui
intègrent des sensations kinesthésiques, visuelles,
proprioceptives, tactiles, auditives. Toutes ces sensations sont vécues
au cours des relations affectives des autres envers l'enfant et de l'enfant
envers les autres (Scetbon, 2013).
Cette position qu'occupe le dessin sur la feuille est donc en
relation avec les désirs, les conflits, les anxiétés qui
marquent les processus de réalisation de soi. Ceux-ci sont gravés
dans l'image du corps et c'est par son intermédiaire que le dedans et le
dehors s'unissent pour déterminer « l'espace vécu » de
chacun.
On considère généralement que l'axe
vertical est étroitement lié au sentiment du poids du corps.
En effet, dans une humeur d'optimisme, de rêverie, d'aspiration, le
corps s'élève comme dégagé de son poids réel
alors que dans une humeur dépressive, le corps devient lourd et est
dans un mouvement de chute en bas. L'image symbolique de « en haut »
et « en bas » dans les traditions et dans les religions est
liée à la survie et à la mort.
L'emplacement horizontal renvoie à la relation
du sujet envers soi-même et vers les autres. Machover (1949)
interprète le choix de la partie droite de la feuille comme
témoignage d'une personnalité tournée vers les autres,
tandis que l'usage de la partie gauche indique une personnalité
tournée vers elle-même. Buck (1948) a, pour sa part, introduit la
dimension temporelle dans le dessin. La partie droite concerne une orientation
vers l'avenir et la partie gauche indique l'impulsivité ou la
satisfaction émotionnelle. Un personnage bien centré dans la
feuille correspond à une maturité. Cette interprétation
s'accorde avec le symbolisme de la droite et de la gauche. La main droite est
la main éduquée, socialisée. La main gauche est plus sous
l'emprise de la spontanéité, du naturel, de la
personnalité.
Plusieurs études ont établi un lien entre
l'emplacement du dessin à gauche et l'anxiété. Par
exemple, Handler et Reyher ont constaté dans leurs recherches que
l'emplacement à gauche va de pair avec l'anxiété. Johnson
lui aussi a trouvé que les étudiants qui sont bien notés
dans leurs études, révèlent une anxiété, et
préfèrent placer leur personnage dans la partie gauche en haut de
la page. Les personnes inhibées, ayant des difficultés sociales
ont tendance à choisir le déplacement du personnage dans une
extrémité de la page (Handler &Reyher, 1964 ;
cité par Anusaksathien, 2011).
Lorsqu'un dessin occupe une très petite dimension, cela
est associé à une perception négative de soi, à la
dévalorisation et à la timidité. Cependant, il sera signe
de confiance en soi, d'extraversion s'il occupe plus de la moitié d'une
feuille. Dans ce dernier cas, il peut aussi indiquer une difficulté
à se contrôler ou une tendance à passer à l'acte
(Crotti&Magni, 1996; Urban, 1963 ; cités par Scetbon,
op.cit.).
Pour Alschuler et Hattwick (1947 ; cité par
Scetbon, op.cit.), la tendance de l'enfant à dépasser le
cadre lors du dessin est associée à un manque de contrôle
et serait un signe d'immaturité ou une attitude d'opposition.
Les enfants qui n'acceptent pas les limites réalisent
de grands dessins jusqu'au bord de la feuille. Si le dessin est excentrique ou
de très petite taille, cela serait un indice de
déséquilibre.
Les enfants inhibés n'osant pas explorer le monde,
réalisent souvent de petits dessins. Si l'enfant à une
préférence pour la partie supérieure de la feuille, cela
marquerait l'orgueil, alors que la préférence de la partie basse
serait liée à la stabilité. Pour ces deux auteurs, l'usage
du côté droit ou gauche de la feuille ne serait pas significatif
d'un trait de personnalité.
Quant à Max Pulver (cité par Scetbon, 2013) a
tenté de diviser la feuille de papier en plusieurs zones symboliques.
Pour lui, le haut de la feuille correspond à la zone de l'esprit et de
l'épanouissement dans le monde ambiant, le bas exprimerait la zone des
tendances érotiques, des pulsions biologiques et notre appartenance au
monde collectif, la gauche figurerait le passé, l'introversion, les
fixations infantiles et la droite symboliserait l'avenir, l'extraversion,
l'autorité. Le centre serait la zone où se projette le Moi du
sujet et les diagonales représenteraient des combinaisons des quadrants
décrits. Ces zones symboliques sont illustrées par Royer dans le
tableau 3 ci-après.
Tableau 3: Zones symboliques
de la feuille du dessin (Royer 1995 ; cité par Couillard), 2011.
· Utilisation de la couleur
Pour Buck (cité dans Royer, 1995), la couleur
révèle le noyau affectif le plus profond de la psyché.
Pour Royer (op.cit.), un dessin sans couleur peut être
comparé à une phrase sans qualificatif ni tonalités
affectives. Les enfants bien adaptés font des dessins avec une
variété de couleurs alors que les enfants émotionnellement
instables n'utilisent que quelques couleurs.
Selon Greig (2000), les plus jeunes enfants choisissent les
couleurs qu'ils préfèrent (le rouge en particulier) sans se
préoccuper des teintes naturelles. Pendant la période de latence,
le choix des couleurs devient de plus en plus réaliste. Au début
de l'adolescence, la couleur est généralement abandonnée.
Widlöcher (2002), après une étude sur
l'utilisation des couleurs chez des enfants révèle que :
- les enfants ouverts, bien adaptés au groupe ont
tendance à utiliser les couleurs chaudes ;
- les couleurs neutres sont retrouvées chez des enfants
renfermés, indépendants et le plus souvent agressifs ;
- le rouge est la couleur préférée des
jeunes enfants, mais chez les enfants plus grands, elle exprimerait des
mouvements d'hostilité et des dispositions agressives ;
- les enfants qui utilisent le bleu se conformeraient aux
règles extérieures et se répartissent en groupes : ceux
qui n'acceptent pas ces règles en profondeur et ceux qui les
acceptent ;
- l'utilisation du noir serait liée à la peur,
l'anxiété et des comportements dépressifs ;
- l'orange refléterait un état d'esprit heureux,
détendu et le brun, le besoin de salir ;
- le vert serait utilisé en lien avec une
réaction contre la discipline trop rigoureuse ;
- le violet serait témoin de tensions
conflictuelles.
La répartition des couleurs est également
à prendre en compte. La superposition serait le reflet d'un conflit des
tendances. L'isolement des couleurs refléterait rigidité et
crainte. Le mélange sans discrimination serait lié à une
immaturité et de l'impulsivité.
Selon Barbey, les dessins monochromes, de couleur sombre
marquent, des affects dépressifs, abandonniques. Les dessins
multicolores, aux couleurs exubérantes sont un signe de défenses
maniaques tandis qu'un dessin où la couleur est bien
tempérée est signe d'une affectivité moins secouée
de conflits. Les couleurs rouges et noires ont principalement été
utilisées pour représenter la douleur. Les enfants en souffrance
par rapport à leur image corporelle, proposeront des dessins
souillés ou raturés de couleurs sombres et froides (Barbey,
2002 ; cité par Scetbon, 2013). Toutefois, le symbolisme des
couleurs peut varier d'une culture à l'autre.
· Caractéristiques du trait
Le type de traits utilisé par l'enfant dans ses dessins
est également riche de sens.Fernandez (2005) propose huit
caractéristiques physiologiques du trait. Les quatre premières
qui concernent l'appui et l'épaisseur du trait, la
netteté, la droiture et la rapidité sont des
éléments actifs. Les quatre autres éléments sont
passifs : la légèreté, le caractère
pâteux, le caractèrecourbé et la lenteur
du trait.
Un tracé appuyé sans hésitation renvoie
à la vitalité et à l'affirmation de soi tandis que des
traits trop marqués, au point de trouer le papier trahissent
l'agressivité. Le tracé léger peut refléter une
timidité, de la difficulté à s'affirmer, de l'inhibition,
ainsi qu'un manque de confiance. Les courbes sont davantage associées
à la féminité alors que les angles et les lignes droites
évoquent la virilité, l'agressivité (Chermet-Carroy,
1988).
Kim-Chi (1989) mentionne que des traits trop appuyés
peuvent trahir une importante tension nerveuse tandis que des traits faibles
peuvent refléter un manque d'assurance et même un sentiment
dépressif. Les individus équilibrés auront donc tendance
à utiliser des traits d'une intensité contrôlée.
Les traits réguliers (fluides, sûrs) pourraient
refléter de bonnes capacités d'adaptation ainsi que de la
confiance en soi alors que des traits hésitants, morcelés ou
repris peuvent être présents chez des individus éprouvant
des difficultés d'adaptation. La circularité et l'arrondi du
trait seraient liés à un désir de protection.
(Crotti&Magni, 1996, 2001 ; cité par Scetbon, 2013).
Selon Royer (1984), le carré fait
référence à la rationalité, à l'abstraction
et à la dureté alors que le cercle évoque l'unité,
la cohérence, l'harmonie. En ce qui a trait au triangle, si la pointe
est en haut, il reflète la stabilité alors qu'une pointe en bas
peut évoquer le manque de stabilité. Quant à la spirale,
Royer considère qu'il s'agit d'un cercle vivant qui va en s'agrandissant
ou en se refermant sur lui-même.
Pour Aubin (1970), un trait léger allant jusqu'au
pointillé serait le signe d'une inhibition et un estompage flou pourrait
refléter une difficulté à se vivre comme une personne,
voire un sentiment de dépersonnalisation. Philippe Wallon (2012)
considère les traits repassés comme des révélateurs
d'angoisse tandis que pour Vinay, un trait net témoignerait d'une grande
capacité d'indépendance, d'un équilibre psychique et une
solidité. Par ailleurs, ce type de trait serait aussi associé
à une froideur dans les échanges sociaux. Le trait droit serait
caractéristique de la capacité à prendre des
décisions. La rapidité d'exécution du trait serait un
signe de l'énergie motrice. Un trait léger évoquerait la
timidité, la fragilité, le manque de confiance en soi. Un trait
pâteux serait lié à une charge affective importante. La
lenteur du trait témoignerait d'obstacles psychiques (Vinay, 2007).
D'après Alschuler et Hattwick (cité par Scetbon,
2013), la représentation de lignes avec des directions cohérentes
est associée à l'esprit de décision, alors que la
représentation de traits qui vont dans toutes les directions est le
reflet d'une impulsivité. Les formes angulaires reflètent un
maniérisme agressif tandis que la disposition en zigzag ou la
représentation de lignes brisées seraient des signes
d'instabilité. L'absence de trace a été
particulièrement observée chez des enfants autistes
parHaag(1995).
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