1.2. Problématique de la subordination de la
femme
D'où vient le fait que la femme soit subordonnée
à l'homme. Est-ce naturel ou le fruit d'une construction sociale ?
Quelle est la part de la femme dans l'établissement de cet
état?
Dans la section précédente, nous venons de
montrer que le but de la justice sociale est de corriger les
inégalités dans l'espace social, et instaurer une justice entre
hommes et femmes. Ceci passe par l'octroi des libertés fondamentales et
le renforcement des possibilités permettant à chacun de
décider par lui-même sur sa propre vie et de la mener suivant la
voie qu'il trouve la meilleure.
La présente section cherche ainsi à comprendre
l'origine ou la cause de l'assujettissement de la femme. Il s'agit en premier
lieu de savoir, si cet état est naturel ou alors culturel; et, ensuite,
de s'interroger sur la responsabilité de la femme dans
l'établissement et la perpétuation de cet état.
1.2.1 Origine de l'assujettissement de la femme
Depuis des décennies, l'origine et/ou la cause de
l'assujettissement de la femme font l'objet des multiples controverses. Pour
les uns, cette subordination serait le fait de la nature qui donnerait à
l'homme la transcendance par rapport à la femme. Dans ce cadre, penser
à l'égalité entre homme et femme serait illusoire. Pour
d'autres par contre, l'assujettissement de la femme serait issu des
constructions sociales. Il aurait évolué au fil des années
jusqu'à devenir la normale sociétale ; un changement social est
donc possible.
Face à cette dialectique, différents mouvements
et courants de pensée ont vu le jour. Ils sont connus sous le vocable du
féminisme. Dans les entendements de TOUPIN L. (1998), féminisme
réfère à une «prise de conscience d'abord
individuelle, puis collective, suivie d'une révolte contre l'arrangement
des rapports de sexe et la position subordonnée que les femmes y
occupent dans une société donnée, à un moment
donnée de son histoire».
Pour sortir de cette subordination, les marxistes
préconisent les solutions suivantes :
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Ainsi, le mouvement féministe cherche à
comprendre les raisons de la subordination des femmes et propose des voies et
moyens pour un changement.
Les lignes qui suivent présentent les perceptions des
trois principaux courants féministes sur les causes de la subordination
de la femme et des stratégies de changement proposées par chacun
d'eux.
i. Le Féminisme libéral
égalitaire
Appelé également féminisme
réformiste ou encore féminisme des droits égaux.
Les féministes libérales égalitaires
pensent que la subordination de la femme est causée par sa socialisation
différenciée. Cette socialisation serait entretenue par des
préjugés, des stéréotypes, des mentalités et
valeurs rétrogrades qui se font plus sentir dans l'éducation,
dans le monde du travail, dans les églises, les partis politiques, les
gouvernements, la famille, bref dans toute la sphère de la vie sociale.
Ce courant revendique, pour les femmes, l'égalité des droits,
sans discrimination, entre femmes et hommes : égalité
d'accès à l'éducation, égalité de traitement
en milieu professionnel, l'égalité dans les lois et
égalité politique.
Pour y parvenir, deux stratégies sont
proposées:
? L'éducation non sexiste,
c'est-à-dire qu'il faut socialiser la femme autrement. Une telle
éducation permettra de changer les mentalités et conduire au
changement de la société.
? Les pressions sur le pouvoir public en vue
du changement des lois discriminatoires. Cette pression prendrait la forme des
mémoires adressées au gouvernement, des sessions de
sensibilisation du public par des colloques, de la formation des coalitions
d'appui à des revendications, etc.
ii. Le courant marxiste du féminisme
Les féministes marxistes pensent quant à eux que
l'assujettissement de la femme serait issu de l'avènement du
capitalisme. Ce système économique, cultivant la
propriété privée, institue dans les mentalités des
individus les besoins de transmettre leurs propriétés par
l'héritage. Ces mentalités créant ainsi chez ces derniers
le besoin de s'assurer de la certitude de leurs descendances. Ce qui conduisit
finalement à l'institution du mariage monogamique dans lequel les femmes
ont été placées sous contrôle de leurs maris
(institution du patriarcat) et hors de la production sociale (confinée
aux travaux de ménage).
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? La participation des femmes à la lutte des classes
afin d'abolir la société capitaliste et la
remplacer par la propriété collective.
? L'instauration d'une prise en charge collective des
enfants et du travail domestique, et la réintégration
des femmes dans la production sociale et au sein du marché du travail
salarié.
iii. Le féminisme radical
Alors que, pour analyser la subordination de la femme, les
marxistes font référence au système économique (le
capitalisme), les féministes radicaux pensent plutôt au
système social (le patriarcat). Pour expliquer l'assujettissement de la
femme, ces derniers féministes se disent remonter jusqu'à la
« racine » du problème ; d'où le qualificatif radical.
Ainsi, rejetant les idées que la subordination de la femme serait la
conséquence des préjugés et des lois injustes, moins
encore du système capitaliste, les tenants du féminisme radical
pensent plutôt que c'est le patriarcat qui explique la domination des
femmes par les hommes. L'ennemi principal est donc le pouvoir des hommes qu'il
faille à tout prix limiter. Le patriarcat aurait créé la
culture masculine dominante et la culture féminine dominée. Ce
pouvoir se manifeste par le contrôle du corps des femmes, notamment le
contrôle de la maternité et de la sexualité des femmes.
Certes, il faut à ce niveau rappeler la conclusion de
BOURGUIGNON ANDRE (1989) qui pense que l'assujettissement de la femme
découle de la peur que l'homme éprouve devant la sexualité
féminine. Et donc pour faire face à la peur de cette
sexualité (qui donnait du pouvoir à la femme dans la
société traditionnelle matriarcale), l'homme se serait
réservé les activités professionnelles, politiques et
religieuses grâces auxquelles il aurait progressivement établi et
étendu son pouvoir sur la femme. Pour ce faire, des règles et
lois protégeant le pouvoir des hommes ont été
établies et la femme s'est retrouvée discriminée.
BOURGUIGNON ajoute que cette peur de l'homme est apparue avec les
bouleversements causés par le passage du nomadisme à la
sédentarité, lequel passage exigeait aux hommes de transmettre de
l'héritage à leur progéniture.
En plus, BOURGUIGNON soutient l'idée que la femme est
l'héritière directe de l'activité sexuelle intense des
femelles primates, et que, c'est seulement elle qui possède la
capacité de déterminer avec précision la paternité
d'un enfant. A cet effet, « l'homme chercha à tout prix à la
contrôler; d'où la claustration des femmes, l'excision
clitoridienne, l'immolation des veuves, etc».
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La stratégie globale de sortie proposée par ce
courant est le renversement du patriarcat. Pour ce faire, il
est nécessaire que les femmes se réapproprient le contrôle
de leur propre corps. Les actions proposées sont par exemple la vie
entre les lesbiennes ou les célibataires seulement, les manifestations
contre la pornographie, les concours de beauté, les mutilations
sexuelles, etc.
L'analyse des différents courants nous donnent une
vision d'ensemble sur les causes possibles de la subordination de la femme. Il
faut néanmoins souligner que:
? Ces courants ont connu, en leurs seins, diverses
métamorphoses. On rencontre ainsi, pour le courant marxiste, le
féminisme socialiste, le féminisme populaire, le courant du
salaire contre travail ménager, etc; et pour le féminisme
radical, le courant radical matérialiste, le courant radical de la
différence, etc.
? En plus, il existe toute une panoplie des doctrines et
pensées sur ce sujet. Notre objectif n'étant pas de les recenser
toutes, mais, sur un plan purement pédagogique, de s'appesantir sur les
points de repère à partir desquels l'évolution de la
pensée féministe peut être comprise.
Tableau 1 : Résumé des trois courants
féministes
Courants féministes
|
Origine de la subordination
|
Solutions proposées ou actions
menées
|
Féminisme libéral égalitaire
|
La socialisation différenciée de la femme
|
? Education non sexiste
? Pressions sur le gouvernement pour supprimer les
inégalités dans des lois
|
Le courant marxiste du féminisme
|
Le capitalisme (Système économique)
|
Abolition du capitalisme et réintégration de la
femme dans la production sociale et le marché du travail
salarié.
|
Le
féminisme radical
|
Le patriarcat (Système social)
|
Le renversement du patriarcat et la réappropriation par
les femmes du contrôle de leurs propres corps.
|
Source : Tableau construit sur base de nos lectures
Après analyse de ces différents courants
féministes, nous retenons que les causes de l'assujettissement de la
femme sont complexes et systémiques, et que la réduction de leur
analyse sur un seul fait serait limitative. En effet, dans leurs recherches sur
la cause de l'assujettissement de la femme, tous ces courants
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convergent sur un fait, le pouvoir inégal entre hommes
et femmes qui s'est transformé en domination de la femme par l'homme. La
différence entre eux réside plutôt dans la réponse
à la question de savoir pourquoi cette domination s'est-elle
transformée en assujettissement.
Ainsi pensons-nous qu'une analyse véritable et
complète doit prendre en compte les aspects soulevés par les
trois courants car il s'agit en fait, d'après nous des
éléments liés.
En effet, le système économique (capitalisme) et
le système social (patriarcat) se sont mutuellement appuyés pour
assoir la domination masculine et l'un des outils utilisé fut une
règlementation discriminatoire à la merci de la femme. A ce
sujet, le CDEG (2011) reconnait que «l'homme étant
considéré comme la norme humaine, c'est l'expérience
masculine qui a déterminé la manière dont les
sociétés devaient être structurées, et c'est son
savoir et sa théorie, bâtis dans le cadre d'un paradigme
patriarcal de la société humaine, qui se sont imposés dans
notre héritage intellectuel»9.
Ainsi, la lutte pour la libération de la femme doit
également être holistique et coordonnée pour être
efficace. Elle nécessite, de manière simultanée, des
actions de lutte contre les lois et normes discriminatoires, des efforts pour
accroitre la capacité productive des femmes et une détermination
pour renforcer le leadership féminin.
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