PREMIERE PARTIE : PROBLEMATIQUE DE L'EQUITE DANS
L'EDUCATION EN RDC
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INTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE
Dans son cours «Evaluation des
projets/programmes»8, TOUMBI B. enseigne que l'impact d'un
projet, programme ou d'une politique de développement est fortement
influencé, d'une part, par la cohérence entre les
activités/résultats attendus et les objectifs visés et,
d'autre part, l'adaptation des objectifs au contexte du projet.
Partant de cet enseignement, la première partie du
présent mémoire se propose d'analyser la cohérence interne
et externe de la stratégie de développement du sous-secteur de
l'éducation par rapport à l'objectif d'amélioration de
l'équité dans l'éducation. Pour ce faire, après
avoir élucidé la notion de justice sociale à travers la
lecture de certaines théories de justice sociale, nous allons
démontrer les inégalités entre hommes et femmes dans les
structures éducatives congolaises. Il s'agira de procéder
à une revue comparative des indicateurs de scolarisation pour les
garçons et les filles et de la participation de la femme dans les
structures de gestion. La partie sera clôturée par une analyse des
causes de ces inégalités.
8TOUMBI B., Cours d'Evaluation des projets et
programmes, Masters 2 PDIR, IPD-AC, année académique
2014-2015.
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PREMIER CHAPITRE : L'EQUITE AU REGARD DES
THEORIES DE LA JUSTICE
INTRODUCTION DU PREMIER CHAPITRE
La promotion de la justice sociale implique-t-elle qu'il
faille accorder aux filles et aux garçons les mêmes traitements,
les placer tous dans les conditions identiques à l'école? Un
traitement, ou une action visant uniquement les filles peut-il être
considéré comme un comportement discriminatoire ?
Le premier chapitre de notre mémoire cherche à
trouver une réponse à cette inquiétude. Pour y parvenir,
nous allons interroger certains auteurs ayant développés des
idées sur la justice sociale.
1.1 Egalitarisme ou Equité
1.1.1. La notion d'égalité
Egalité et équité sont-elles synonymes? A
quoi font-elles référence?
Ainsi, pour mieux appréhender les sens de
l'égalité et de l'équité, il nous semble utile de
recourir aux théories modernes de la justice. Il s'agit, pour nous, de
chercher à comprendre ce que chacune de ces théories entend par
justice sociale et relever les voies proposées pour l'atteindre.
Cependant, conscient de l'existence de plusieurs
théories de la justice, nous allons nous limiter à celles qui
nous semblent avoir un lien avec notre sujet de travail, notamment
l'utilitarisme, la théorie d'égalisation des biens premiers, la
théorie d'égalisation des ressources étendues,
l'égalisation des opportunités et le courant de pensée sur
l'éthique de la sollicitude.
j. L'utilitarisme
L'utilitarisme est un courant des pensées qui acceptent
comme fondement morale l'utilité ou le principe du plus grand bonheur.
Les tenants de cette théorie soutiennent que les actions sont bonnes en
fonction du bonheur qu'elles engendrent, et mauvaises si elles tendent à
procurer un malheur. Par bonheur, ces auteurs comprennent le plaisir ou
l'absence de souffrance ; et par malheur, la souffrance ou l'absence du
bonheur. Ils admettent donc qu'une société juste est celle qui
recherche le plus grand bonheur au plus grand nombre. Ceci serait possible,
en
Pour RAWLS, est juste une société dont les
institutions repartissent les biens premiers sociaux entre ses membres de
manière équitable. Par biens premiers,
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termes de méthodologie, par la maximisation de la somme
des utilités des membres qui composent une société.
Notons que l'utilitarisme est la théorie la plus connu
du « courant welfariste », celui qui regroupe les théories du
bien-être, c'est-à-dire celles qui évaluent la justice
d'une action en fonction du bien ou de l'utilité qu'elle procure
à l'individu ou à une communauté. Parmi les tenants de ce
courant, il y a lieu de citer le philosophe et économiste anglais JOHN
STUART MILL qui, en 1869, publia « the subjection of women » dans
lequel il revendiquait, au nom de la justice et de la liberté, les
droits à l'éducation, au travail et au suffrage pour les
femmes.
En planification de l'éducation, l'utilitarisme
signifierait par exemple concevoir un programme qui vise à garantir la
scolarisation à un grand nombre des congolais. La justice sociale
signifierait le fait pour la grande majorité des congolais à
être scolarisée. A ce sens, l'accroissement du taux de
scolarisation témoignerait le progrès vers
l'égalité dans l'éducation.
Par ailleurs, étant donné que la notion
d'utilité comporte un caractère subjectif, il semble difficile de
savoir à quel moment l'égalité serait atteinte. Cette
difficulté risque par exemple de faire croire que les
préférences adaptatives constituent un bien-être. En plus,
avec cette approche, l'atteinte du bien-être ne prend pas en compte
l'effort de la personne, le bonheur pouvant par exemple être
accordé par principe, convention, compassion, etc. Dans ce cas, la
personne ne sera considérée que comme bénéficiaire
passif d'une sollicitude, et non comme une propriétaire des droits.
ii. La Théorie d'égalisation équitable
des biens premiers (RAWLS)
Cette théorie est l'invention du philosophe
américain JOHN BORDEN RAWLS (2008). En effet, dans son ouvrage
`Théorie de la Justice', RAWLS récuse l'utilitarisme dominant
car, selon lui, l'égalisation du bien-être entre individus ne peut
être juste à cause de l'existence des gouts dispendieux pour
lesquels les individus doivent être tenus pour responsables par suite de
leurs choix. C'est pourquoi, avec cette théorie, l'auteur cherche
à définir les principes généraux de fonctionnement
des institutions d'une société juste, d'un point de vue justice
distributive, à partir d'une démarche fondée sur les
théories du choix rationnel.
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l'auteur attend les biens sociaux (conditions et ressources)
que tout individu rationnel est censé désirer et qui lui
permettent de réaliser son projet de vie rationnel, c'est-à-dire
des biens utiles à la satisfaction de n'importe quelle
préférence. Il s'agit, selon lui, des libertés
fondamentales, des opportunités offertes aux individus, des pouvoirs et
privilèges, des revenus et richesse ainsi que des bases sociales du
respect de soi.
Pour parvenir à cette égalisation, l'auteur
propose l'existence d'une attente entre les membres de la société
sur les modalités de répartition équitables des conditions
et des ressources pour que chaque individu puisse mettre en oeuvre sa propre
idée du bien compatible avec l'organisation de la société.
Il exige ensuite que la répartition de ces biens premiers respecte les
principes de la liberté de base pour tous, et celui de
l'égalité de chance et de différence.
Encadré 1: Les principes de répartition
des biens de J. Rawls
? Principe de liberté: égale
liberté pour tous, mais qui ne concerne que les libertés de base,
excluant la liberté de contracter ou de posséder des moyens de
production. Ce principe se réfère exclusivement aux
libertés fondamentales et opportunités offertes aux individus
pour lesquelles aucun avantage préférentiel ne peut être
justifié.
? Egalité de chance et principe de
différence : les pouvoirs et privilèges, les revenus et
la richesse ainsi que les bases sociales doivent être distribués
à l'avantage des membres des plus défavorisés de la
société. Ainsi, les inégalités ne sont
justifiées que dans les cas où elles ont été
produites lors d'un processus basé sur des règles justes et
équitables, ou lorsqu'elles procurent le plus grand
bénéfice aux membres les plus désavantagés de la
société, ou encore lorsqu'elles sont justifiées par
l'utilité commune.
Source : Nous-même, à partir des lectures
A travers cette théorie, RAWLS s'inscrit dans la
tradition contractualiste et considère la société comme un
système de coopération acceptée entre les personnes
libres, égales et rationnelles. Pour lui, cet accord doit être le
résultat d'un processus rationnel de délibération, et
être équitable, notamment en étant indépendant des
conditions historiques, naturelles ou sociales. L'individu impliqué dans
un tel processus doit donc être tenu responsable du résultat issu
de son choix.
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iii. Théorie d'égalisation des ressources
étendues de DWORKIN
Comme détaillée ci-haut, la théorie de
RAWLS se limite aux biens sociaux et ne traite pas la question de compensation
des inégalités des talents et handicaps. Ainsi, admettant qu'est
juste une société qui assure à tout individu un traitement
égal, RONALD DWORKIN, philosophe et juriste américain,
soulève la problématique de compensation équitable des
handicaps et des talents.
Revenant sur la notion de responsabilité, DWORKIN
avance l'idée selon laquelle la conception de la vie bonne implique une
distinction entre le contexte et la personne. Pour lui, la possibilité
d'une réussite humaine réside dans l'art de relever, avec
compétence, le défi que nous imposent les circonstances dans
lesquelles nous sommes placés. DWORKIN pensent donc que si les individus
étaient en tout point identiques, ce qui n'est pas possible,
l'égalisation impliquerait simplement de donner à chacun une part
égale des ressources externes de la société.
Or, nous remarquons avec DENIS MAGUAIN (2002) que dans la
réalité, «les individus sont loin d'être parfaitement
homogènes. Ils se distinguent, d'une part, en ce qui concerne les
circonstances auxquelles ils font face (milieu social, carte
génétique, handicap, éducation, etc.) et, d'autre part,
les ambitions et préférences qu'ils développent ».
Ainsi, DWORKIN admet que les circonstances auxquelles fait face une personne
peuvent s'interpréter comme une partie des ressources lui permettant
d'accomplir sa conception de vie bonne. Il faut donc prendre en compte ces
ressources, non seulement externes, mais également certaines variables
personnelles reflétant les circonstances entourant une personne. A cet
effet, une juste redistribution cherchera à égaliser aussi bien
les ressources sociales externes (biens premiers de RAWLS) que l'ensemble des
ressources internes (qui sont non échangeables, comme les talents, le
handicap, et autres aptitudes naturelles).
Par ailleurs, si les circonstances (handicap) et talents
constituent des ressources, comment parvenir à leur égalisation
entre les individus ? Pour répondre à ce défi, DWORKIN
propose qu'il faille collecter un impôt sous la forme de prime
d'assurance volontaire, et que toute personne puisse y participer avec un
même montant. Ensuite, l'Etat devra effectuer un transfert, sous la forme
d'aide publique, aux personnes défavorisées par le sort. Ce
serait aussi la même procédure pour compenser les personnes ayant
des talents inégaux. Car, selon DWORKIN, les individus ont la
possibilité de s'assurer contre une éventualité d'avoir un
faible revenu. DWORKIN rejette par contre l'option de traiter les
inégalités des talents en
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matières d'égalisation des ressources et appelle
un tel régime «l'esclavage des talentueux».
La théorie de RAWLS pose le jalon pour la
problématique de la responsabilité de la femme dans son
asservissement et permet de répondre à la question de savoir s'il
faille la compenser pour les situations dont elle ne serait pas tenue pour
responsable. Pour l'éducation par exemple, est-ce par volonté et
libre choix que les filles désertent les écoles plus que les
garçons, réussissent moins bien que les garçons, qu'elles
sont moins représentées au secondaire que les garçons?
iv. La théorie d'égalisation des
opportunités de SEN
Rejetant les idées welfaristes et se situant en
opposition avec les pensées ressourcistes de RAWLS et DWORKIN, AMARTYA
KUMAR SEN, économiste et philosophe indien, appelle à mettre
l'accent plutôt sur les chances ou les opportunités que sur les
résultats finaux ou les ressources.
Rappelons tout d'abord que la théorie de SEN fait
partie du courant d'égalisation du domaine de choix ou des
opportunités. Cette école avance l'idée
générale que la distribution des biens est juste dès lors
que l'ensemble des niveaux des résultats que l'individu peut atteindre
avec cette part et ses caractéristiques personnelles est le même
pour tous. L'idée est de mettre l'accent, non sur les résultats
effectivement atteints (car ils dépendent des choix des individus), mais
sur l'ensemble des résultats possibles, c'est-à-dire des
possibilités réelles des résultats. Ce qui compte dans ce
courant n'est pas la quantité des ressources, mais ce qu'elles
permettent à l'individu de faire ou d'être.
C'est dans cette foulée que SEN développe la
théorie de l'égalité des
capabilités. A travers cette démarche, l'auteur cherche une
approche alternative focalisée directement sur la liberté, vue
dans la forme des capabilités individuelles de faire quelque chose
qu'une personne a raison de réaliser. Il met l'accent sur l'importance
des politiques publiques et de la participation populaire dans la prise de
décision. Dans « Development as freedom (2000), l'auteur precise
que « these capabilities can be enhanced by public policy, but also, on
the other side, the direction of public policy can be influenced by the
effective use of participatory capabilities by the public».
Ainsi, pour évaluer ce bien-être, SEN pense qu'il
soit illusoire de fixer un critère objectif. Raison pour laquelle il
définit un certain nombre des composantes objectives qu'il appelle
« functionings » et qui sont, pour lui, des dimensions
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importantes de la vie que toute personne est censée
désirer (ex : être correctement nourri, paraître en public
sans honte, être en bonne santé, etc). Ainsi, le bien-être
d'un individu, dans le sens restreint de la qualité de vie,
dépend de la capacité de l'individu à atteindre ces «
functionings » fondamentaux. Cette capacité est influencée
par le milieu social dans lequel l'individu se retrouve. Chaque «
functionings » atteignable est appelé `'capabilité» (ou
possibilité), comprise comme la réunion de la capacité de
l'individu (forces endogènes) et des opportunités à lui
offertes (forces exogènes) pour atteindre un « functionings ».
Donc, SEN, ce qui importe d'égaliser, ce ne sont pas les indices du
bien-être (les functionings) mais l'ensemble des
«capabilités» entre les individus. La justice dans ce sens
implique seulement que tous les individus disposent d'un certain nombre des
capacités jugées comme fondamentales.
Il sied de remarquer que dans sa théorie, l'auteur
insiste sur l'importance de la liberté en matière du choix et de
la construction de bien-être et définit par conséquent la
notion de capacité inhérente à une personne. Toutefois, la
théorie ne traite pas explicitement les efforts de l'individu pour
l'atteinte du bien-être et surtout la méthodologie
d'égalisation des opportunités.
C'est pourquoi des auteurs comme ROEMER et ARSON vont proposer
quelques pistes de solution. Par exemple, s'inspirant de la notion de
functionings, JOHN ROEMER suggère de définir des classes
d'équivalence, chacune regroupant des individus soumis aux mêmes
circonstances. Au sein de chaque classe, la différence dans l'obtention
d'un résultat réside dans l'effort fourni par l'individu. Pour sa
part, RICHARD ARSON, à travers la théorie
«égalité des opportunités du
bien-être», propose d'égaliser les opportunités
du bien-être qu'il définit comme le fait pour chacun de disposer
d'une gamme d'option équivalente à celles des autres en termes de
possibilité de satisfaction des préférences.
Dans la recherche de la conception de l'autonomisation de la
femme, la contribution de SEN nous semble pertinente. Sa théorie nous
invite à réfléchir en termes d'opportunités
manquées et à renforcer les capacités en faveur des femmes
pour leur permettre d'aspirer, au même titre que les hommes, au style de
vie qu'elles jugent le meilleur pour elles.
v. Le courant de pensée sur l'éthique de la
sollicitude
Cet ensemble des pensées ne s'intéresse pas au
problème de répartition des biens (ce n'est donc pas une
théorie de la justice distributive). Elle soulève plutôt la
problématique de la responsabilité des individus vis-à-vis
des autres. Il s'agit d'un
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principe moral qui se fonde, selon LESEUR A. (2005), sur
l'idée fondamentale que nous avons une responsabilité envers
autrui, en ce sens qu'autrui a droit à de la sollicitude de notre part
dans certains cas.
Au sens de ce courant, il n'est pas pertinent de se focaliser
sur les injustices objectives, mais de considérer plutôt les
souffrances subjectives ressenties par autrui. Il s'agit ici d'un principe qui
invite à répondre à ce qu'autrui peut légitimement
attendre de notre sollicitude. Cette réponse peut alors prendre la forme
de dotation d'un bien en récompense d'une souffrance subie. Carol
Gilligan (1982), psychologue américaine et partisane de ce courant,
soutient la thèse que la sollicitude est un sentiment de
responsabilité active et partiale.
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