3) La proclamation de l'autonomie de l'Église
Évangélique du Cameroun
La proclamation de l'autonomie de l'É.É.C. fut
la résultante des frottements anciens et nouveaux se sont produits entre
la Mission et les Églises. Il est important de mentionner «
l'affaire Bamoun » qui déclencha en 1953 entre le missionnaire
Henri Martin et le pasteur Josué Muishe dans l'Église de Foumban.
Ce conflit s'amplifia au point d'ébranler l'oeuvre de la S.M.É.P.
au Cameroun.
Le fond de cette affaire réside en ceci que, le pasteur
Muishe avait depuis de longues années assumé des
responsabilités socio-culturelles qui, d'après Henri Martin,
étaient une entrave à l'exercice de son ministère
pastoral. Bien plus, il exerçait une influence énorme sur le plan
politique et son action sur l'ensemble de l'évolution de l'Église
en terre Bamoun était considérable. En effet, c'est lors de la
fête des récoltes en octobre 1953 que la mésentente entre
Muishe et Martin fit véritablement jour. Pendant le culte dans le temple
de Njissé, au cours duquel prenaient part tous les pasteurs,
évangélistes, catéchistes et anciens de la Région
Synodale Bamoun, on devait faire l'appel des dons des différentes
paroisses, d'après un schéma établi par Martin qui
présidait le culte. A la lecture de la liste du district de Muishe,
Martin constata qu'elle était différente de celle qu'il avait
préparée. Cela créa un tollé général
en plein culte. D'autres événements accentuèrent et
envenimèrent ce conflit. C'est le cas de la fermeture de l'hôpital
de Njissé par le docteur Cugnet, à l'issue d'une séance
d'études et de formation. Lors de cette étude, s'appuyant sur un
cours sur l'hérédité, il essaya de démontrer la
vanité et l'orgueil de la race noire et fit un parallèle entre
l'affaire du dimanche et l'histoire de Noé.
L'affaire fut transmise aux organes suprêmes de
l'Église. Mais Martin s'opposa à ce que la Commission Synodale
Générale, dont dépendait l'application de la discipline
ecclésiale et
86 J.O.C., 04 avril 1951, 10 mars 1957,
comme si vous y étiez, Recueil des textes rassemblés et
présentés par le
Révérend. Dr. Isaac Makarios Kamta,
Douala, Joseph Merrick Centre, 2007, p.5.
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le contrôle des pasteurs s'en mêla. Il prit
prétexte selon lequel « chacun qui vient de Lobethal, Yabassi,
Douala, etc. croit dire quelque chose alors que le fond du problème leur
échappe »87.
Se basant sur la Constitution de l'Église
Évangélique du Cameroun, Muishe n'accepta pas la décision
du Conseil d'Administration de la Mission Protestante Française, qui,
sous la pression de Martin, déclara se séparer de lui. Il
s'adressa par contre à la Commission Synodale Générale,
tout en faisant appel au Comité Directeur de la S.M.É.P., en
priant le Directeur Bonzon d'intervenir d'urgence.
La Commission Synodale Générale prit
effectivement la décision de maintenir Muishe à son poste de
Foumban et de déplacer Martin à Ndoungué. Ce dernier
quitta d'ailleurs le Cameroun « le coeur brisé et n'ayant d'autres
désir que de voir la paix régner dans l'Église » 88 .
Le docteur Cugnet fut renvoyé en raison de sa déclaration au
contenu inadmissible pour un missionnaire et de sa décision de fermer
l'hôpital, pour le fonctionnement duquel la Mission recevait des
subventions importantes de l'administration. L'arrivée de Bonzon
à Foumban signifia aussi la fin de la discorde. On décida la
démolition du hangar construit par Muishe et le retour au temple, ce qui
se fit solennellement en procession avec le pasteur Jocky en tête.
Les incidents de Foumban montraient clairement que le temps
était venu de passer le gouvernement de l'Église aux Camerounais,
et qu'il était impossible aux missionnaires de prendre les
décisions seuls.
Enfin, pour enlever les derniers obstacles à la
proclamation de l'autonomie de l'É.É.C., les pasteurs Jean Kotto,
Eugène Mallo, Élie Mondjo, prirent l'initiative d'élaborer
son plan d'avenir89. A partir de 1955, ils se réunissaient
à Ndoungué, sans autorisation pour parler de l'Église, de
sa naissance, de son autonomie totale et des moyens pour atteindre ce but. Les
uns et les autres décidèrent d'un commun accord de soumettre la
demande de l'autonomie de l'Église à la prochaine Commission
Synodale Générale qui devait se tenir à Foumban en
août 1956. Cette Commission, dont les missionnaires faisaient partie
d'office, demanda l'autonomie à la S.M.É.P., ce qui fut
solennellement réalisé six mois.
Mais, il fallait aussi régler le transfert des biens
immobiliers de la Mission au Églises, et préparer une nouvelle
constitution. Même le nom de l'Église autonome devait encore
être
87 Lettre de Martin à Mikolasek du 29/4/1953,
Archives de l'É.É.C., Douala/Affaire Muishe-Martin.
88 Lettre de Bonzon à Mikolasek du 19 janvier
1954, Correspondance Paris-Douala.
89 Rapport du Secrétaire
Général de l'É.É.C., Jean Kotto à la
Commission Exécutive janvier 1967, Archives É.É.C.,
Douala.
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trouvé. Tandis que des pasteurs et des anciens dans le
Sud du Cameroun voulaient que l'Église porte le nom «Église
Luthérienne du Cameroun », ou à la rigueur
«Église Évangélique Luthérienne », les
Églises Bamiléké préféraient lui donner le
nom « Église Réformée du Cameroun » ou «
Église Évangélique Réformée ». À
l'arrivée, pour éviter que l'Église ne s'enferme dans un
étau confessionnel, on tomba d'accord sur l'appellation «
Église Évangélique du Cameroun»90.
Ainsi, l'Église Évangélique du Cameroun
et les Églises Baptistes qui se nomment aujourd'hui l'Union des
Églises Baptistes du Cameroun, proclamèrent leur pleine autonomie
le 10 mars 195791. Cela se fit au cours d'un culte solennel au
temple du Centenaire, en présence des missionnaires et des ouvriers de
l'É.É.C., au rang desquels les pasteurs Heimlinger et Paul
Jocky.
Photo n°1 : Les pasteurs Hemlinger et
Jocky le 10 mars 1957, jour de la proclamation de l'autonomie de
l'É.É.C.
![](Eglise-evangelique-du-cameroun-et-cooperation-internationale-1957-20075.png)
Source : L'Appel n° Spécial
43ème Synode Général, 1999, p.30.
À partir de cette date, aucune société de
Mission, n'était plus en mesure de définir leurs priorités
ou de décider, en ce qui concerne leur organisation, leurs
activités et leur vie. Ces
90 Rapport du Secrétaire Général
de l'É.É.C., 1967, Archives Michel Ngapet.
91 J. V. Slageren, Les origines de l'Église
Évangélique, p. 223.
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deux Églises devinrent autonomes à un moment
où les autres Églises protestantes du Cameroun continuaient de
rester sous le contrôle des sociétés missionnaires
étrangères. Cette autonomie avant-date de l'É.É.C.
ne relevait pas d'un développement spontané. La proclamation ne
fut, en fin de compte qu'un résultat de la résolution des
autochtones de briser les reins du paternalisme et de la cristallisation de
leur conscience, en face des problèmes nouveaux qui exigeaient une prise
de position autochtone chrétienne92.
En cette année 1957, les statistiques de la
S.M.É.P. donnaient cette figuration : neuf (09) stations, cent
vingt-cinq (125) Églises, mille vingt et un (1021) annexes, une (01)
école pastorale, trois (03) écoles bibliques, une école
secondaire, une école normale trois cours complémentaires, cent
quatre-vingt-dix-sept écoles primaires, une école
professionnelle. On comptait également trois écoles
ménagères, quatre cent quatre-vingt et un (481) écoles
garderies ou de paroisses, six (06) hôpitaux et dispensaires, sept (07)
maternité et pouponnières et une
léproserie93.L'ensemble de la population protestante à
cette époque était de 200 000 chrétiens sur une population
générale de 900 000 personnes et la zone couvrait
l'É.É.C94.
Au demeurant, la naissance de l'É.É.C. est
l'aboutissement d'un long parcours qui a débuté vers la fin du
XIXè siècle avec la succession des Missions, surtout
celles de Bâle et de Paris dont les traditions ont marqué sa vie.
Ainsi, au lendemain de son autonomie, l'É.É.C. s'était
fixée quelques objectifs : consolider et progresser95. Il
s'agit de la prise de conscience d'une Église qui doit vivre dans
l'unité en son sein, qui doit désormais assumer pleinement et
souverainement ses propres responsabilités dans tous les domaines, et
ceci devant Dieu et au sein du peuples Camerounais. Elle devra s'assumer ainsi
à travers la progression par l'évangélisation à
l'intérieur comme à l'extérieur par le service et le
témoignage. Ceci nous amène à présenter
l'organisation de l'Église après son autonomie.
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