B. La brève période d'autonomie
(1915-1917)
Lorsque la première guerre mondiale éclata en
Europe en 1914, les forces alliées (France, Grande Bretagne, Belgique),
en raison des rancunes coloniales occupèrent le Cameroun en y chassant
les allemands. Les anglais et les français se partageaient
inégalement le Cameroun, soit environ 1/8 du pays, à
l'Angleterre, et les 7/8 à l'Est à la France. Ce départ
des allemands du Cameroun, entraîna de fait celui des missionnaires
bâlois. C'est ainsi que s'ouvrit une courte période d'autonomie
où les pasteurs et missionnaires camerounais69 prirent en
charge les communautés existantes. En raison de l'occupation
française du Cameroun, ces pasteurs camerounais firent appel à la
Société des Missions Évangéliques de Paris, Mission
française en 1917.
C. L'engagement de la Société des Missions
Évangéliques Paris (1917-1957)
La guerre ayant entraîné l'expulsion des
missionnaires allemands, l'avenir de l'immense oeuvre de la B.M. au Cameroun
était en cause. Ainsi, elle ouvrit une correspondance tout à la
fois avec la Mission Presbytérienne Ecossaise et avec la Mission
Protestante Américaine. Mais, étant donné que le
général Aymérich, commandant des troupes française,
ne voulait avoir sur place que des missionnaires français, la question
se posa au Comité de la Société des Missions
Évangéliques de Paris (nous abrégerons par la suite
S.M.É.P.)70, de savoir s'il fallait se charger, du moins
temporairement, de l'oeuvre délaissée. En effet, c'était
le 2 juin 1919 que le Comité de la S.M.É.P.71 vota
à l'unanimité l'adoption du Cameroun comme huitième champ
de travail72. Cela correspondait au nouveau statut du Cameroun qui
était placé sous le régime du mandat de la
Société des Nations (S.D.N.), confié à la France et
à la Grande Bretagne, pour en être mandataires. A cet effet, le
gouvernement français, consentit en décembre 1916, à
envoyer quatre pasteurs au Cameroun73. Il s'agissait de :
Élie Allégret, l'un des fondateurs de la Mission Protestante au
Gabon, André Oechsner de Coninck du Lesotho, Etienne Bergeret de la
Nouvelle Calédonie et Frank Christol du Zambèse. La
S.M.É.P. n'eut pas la prétention de remplacer les missionnaires
allemands.Dès le 19 février 1917, l'équipe missionnaire se
mit à la recherche de trois pasteurs autochtones pour leur expliquer ce
qu'ils
69 Ces pasteurs et missionnaires camerounais
étaient : J. Deibol, Joseph Ekollo, Joseph Kuo Issedu et Jacob Modi
Din.
70 La S.M.É.P. eut d'ailleurs pour appellation
au Cameroun La Mission Protestante Française.
71 La Société des Missions
Evangéliques de Paris a été fondée en 1822. A
l'origine, les fondateurs de la Société n'avaient pas
songé à envoyer les missionnaires dans les champs de la mission
dont la Société aurait seule la responsabilité. Pourtant,
elle adopta successivement comme champ de travail le Lesotho, le
Zambèse, le Sénégal, Tahiti, le Gabon, Madagascar, la
Nouvelle Calédonie, et après le Cameroun et le Togo.
72 E. Allégret, La Mission du
Cameroun, Paris, 1924, p. 50.
73 A.N.Y., 2AC 9197, Installation de Mission
Protestante Française, 1917-1919.
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devaient faire et orienter la situation de l'Église.
Puis, ils commencèrent à visiter les Églises de Douala et
de ses environs immédiats. Ils ouvrirent à Akwa, Bonabéri
et Lobethal des écoles de français, dans le but de perfectionner
les catéchistes bâlois et baptistes à l'instruction du
français. C'est donc avec l'Église bâloise et
l'Église Baptiste du Cameroun, constituée par l'union d'une
partie de l'Église Baptiste « Native » et
l'Église Baptiste Allemande que les missionnaires de France accompliront
leur oeuvre au Cameroun74.La tâche qui leur était
confiée se résumait en deux devoirs impérieux. Tout
d'abord, ils devaient, selon les directives de la S.M.É.P., entrer en
relation avec les Église s délaissées pour les rassurer,
les réconforter et leur montrer des coeurs fraternels. Mais, en
même temps, ils furent chargés d'un devoir patriotique. Il fallait
que les frères du Cameroun fussent dûment informés «
que pour le bon renom, pour l'honneur de la France », la liberté de
conscience et de culte était garantie « sous les plis du drapeau
tricolore »75.
1) L'organisation de l'oeuvre de la
Société des Missions Évangéliques de Paris au
Cameroun
La S.M.É.P. fut obligée de réorganiser
l'oeuvre. Cependant, elle était loin de laisser les Églises se
développer librement. L'on procéda à cet effet à la
création des unités consistoriales et régionales. La
Commission Synodale allait fonctionner comme point de contact entre pasteurs et
missionnaires. La création des consistoires au sein d'une région
synodale fut un autre grand pas dans l'organisation de l'Église. Elle se
trouva alors organisée d'après une structure
ecclésiastique du type presbytérien synodal, qui est propre
à l'Église Réformée de France. Le type
presbytérien synodal est caractérisé par le fait que
l'organisation est constituée par une hiérarchie des
assemblées consistoriales, régionales, nationales et des conseils
exécutifs, et qui reposent sur une base, la paroisse. Ce régime
démocratique tend cependant à faire un pas vers le régime
épiscopal par l'intervention des assemblées donnant aux
présidents une autorité propre76. Au cours des
consistoires réunissant les catéchistes d'un district, les
missionnaires donnaient des cours bibliques et organisaient des exercices de
prédication. L'institution du consistoire était une
méthode effective du contrôle missionnaire sur cette
catégorie d'ouvriers de l'Église et, à travers eux, sur
l'Église
74 J. V. Slageren, Les origines de
l'Église
Évangélique, p. 147.
75 M. Leenhardt, "La conquête de la
Liberté Religieuse dans les Colonies Françaises ", in "Le Monde
non Chrétien", ancienne série, n°6, décembre, 1934,
p.26.
76 R. Melh, Traité de Sociologie
du Protestantisme, Neuchâtel, 1965, p. 142.
31
toute entière77. Les fêtes
missionnaires, groupant annuellement tous les chrétiens d'une
région offraient même aux missionnaires la possibilité de
s'adresser aux collectivités chrétiennes toutes entières.
La base de toute l'organisation ecclésiastique était le Synode
Général. Il était d'ailleurs la voix supérieure. La
Commission Synodale Générale, composée de missionnaires et
de pasteurs, et dont un missionnaire était toujours président, ne
pouvait pas décider des questions religieuses en dehors du Synode. La
Commission Synodale était assistée par une Commission
Financière. Elle était composée uniquement de laïcs
et assurait la gestion des fonds ecclésiastique.
Au fond, toute cette nouvelle réglementation de
l'organisation de l'Église était proposée par Élie
Allégret. Il voulait certainement établir un programme
d'autonomie de l'Église. Mais, sa mise oeuvre fut toute autre chose. En
effet, la nature des relations entre missionnaires et pasteurs autochtones fut
bouleversée par la création de la Conférence des
Missionnaires, dont seuls ces derniers étaient membres. Cette
conférence était chargée de donner l'impulsion et
l'orientation générale à toute l'oeuvre et à son
contrôle. D'après Allégret, une telle organisation
était nécessaire afin de permettre aux missionnaires de stimuler
les efforts vers l'oeuvre de conquête de l'intérieur78.
La direction de l'Église appartenait à la Mission. L'organe
exécutif de l'Église, même dans le Sud où il
existait une organisation synodale79, était la
Conférence des Missionnaires. D'ailleurs, le pasteur Modi Din
s'était opposé à cette évolution à travers
cette mise en garde : « Faites attention de ne pas faire une
séparation de notre Église, faites des réunions mais pas
des synodes distincts »80. A ceci s'ajoute le fait que les
pasteurs, les évangélistes et les catéchistes
étaient nommés « agents au service de la Mission Protestante
Française ». Cette situation provoquait leur désapprobation,
dans la mesure où ils étaient considérés comme les
subordonnés de leurs collègues blancs. A la conférence
mixte de 1920, ils s'étaient plaints de ce sort81. Il s'agit
là d'une situation classique propre aux Églises nées des
Missions protestantes. L'organisation paternaliste était
légitimée, pensait-on, par la faiblesse numérique de
l'Église, l'absence des cadres, l'inaptitude
77 A ce propos, il est intéressant de citer
la remarque de P. Dieterle à la Conférence des Missionnaires de
1922 : « Au point de vue général, ces consistoires sont un
moyen de contrôle décisif sur les pasteurs et les
catéchistes, qui est donné au missionnaire ».
78 R.C.M., 1922.
79 Au départ, il n y avait qu'un seul Synode
et une seule Commission Synodale. Au fur et à mesure que le travail se
développait, on procéda à la création d'un nouveau
synode et d'une nouvelle Commission Synodale pour le
Bamiléké-Bamoun. Un Synode National allait se tenir tous les
quatre ans.
80 Rapport de la Commission Synodale du 28 janvier
1925.
81 R.C. M., 1922.
32
des autochtones à manier les deniers de la
collectivité, l'incertitude spirituelle et le manque d'autochtones pour
entreprendre à leur tour une action missionnaire82.
L'organisation des écoles était autorisée
par l'administration coloniale à condition d'enseigner la langue
française et d'appliquer le programme. De ce fait, les efforts des
missionnaires dans ce sens, ont permis de fournir à la nation, une
importante élite future du peuple. L'oeuvre médicale ne fut pas
en reste.
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