CHAPITRE I :
PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE
L'ÉGLISE ÉVANGÉLIQUE DU CAMEROUN
L'histoire d'une Église, sans se confondre avec
l'histoire de la mission, est cependant un héritage de cette
dernière. Ainsi, l'É.É.C est une Église Africaine
autonome possédant une identité propre. Son histoire, qui remonte
à plus de cent cinquante années, révèle le
rôle très important joué par les chrétiens et les
communautés autochtones. Cela a posé le problème de
l'acculturation provoquée par la pénétration
européenne dans les sociétés africaines.
Ce chapitre a pour objet de relater d'une manière non
exhaustive les origines de l'É.É.C jusqu'à son autonomie
en 1957, ainsi que son organisation d'une manière
générale.
I- LA NAISSANCE DE L'ÉGLISE
ÉVANGÉLIQUE DU CAMEROUN
La naissance de l'É.É.C. est liée
à l'arrivée de l'évangile au Cameroun. Ainsi,
l'installation progressive de l'É.É.C. a été
précédée d'une période des missions, suivie d'une
brève autonomie au début de la première guerre mondiale et
qui a débouché à son autonomie proprement dite en 1957.
A- La période des missions
Trois sociétés de missions ont participé
à la naissance de l'É.É.C. Il s'agit de la Mission
Baptiste de Londres ou Baptist Missionnary Society que nous
abrégerons (B.M.S) de la Mission de Bâle et de la
Société des Missions Évangélique s de Paris
(S.M.É.P.).
1) Le début du christianisme au Cameroun : la
Mission Baptiste de Londres (1841-1884)
Alors que les nations commerçantes, notamment les
Allemands, concentraient leurs efforts sur l'intérêt purement
commercial, les Hollandais, compte tenu de leur influence
évangélique plus importante en Inde qu'en Afrique, se sont
abstenus de toutes influence culturelle ou religieuse au Cameroun. Tandis que
les portugais portaient leurs efforts missionnaires au Congo et en Angola, ce
furent les missionnaires de la Mission Baptiste de Londres (B.M.S.) qui
entrèrent en contact avec les Camerounais30.
30 J. V. Slageren, Les origines de
l'Église Évangélique du
Cameroun, p. 17.
15
La B.M.S. a travaillé au Cameroun d'entente avec les
Églises Baptistes de la Jamaïque de 1841 à 1886. Son
histoire est riche en faits et événements saillants.
Fondée en 1792, la B.M.S. ouvrit en 1785 une station à Freetown
en Sierra Léone, où s'installèrent les missionnaires
Rodway et Grigg. Compte tenu des obstacles de toutes sortes que ces pionniers y
rencontrèrent, ils durent renoncer assez tôt à la vision de
faire lever le continent africain à partir de la Sierra Léone.
Mais, cette oeuvre fut abandonnée en 1797. En 1813, la B.M.S.
s'établit en Jamaïque et entreprit une oeuvre florissante parmi les
esclaves d'origine africaine qui s'y trouvaient depuis plusieurs
générations. En 1831, plusieurs missionnaires de la B.M.S. furent
accusés d'avoir incité la masse des esclaves à la
rébellion, à l'issue d'émeutes sanglants. Plusieurs
immeubles de la Mission furent détruits. Cependant, la campagne contre
l'esclavage se poursuit jusque dans les cercles diplomatiques d'Angleterre. Ce
fut en 1834 que les esclaves de la Jamaïque furent déclarés
libres par un acte de la reine Victoria. Puis, en 1838, l'émancipation
complète leur fut accordée par le gouvernement de la
Jamaïque31.
Ces événements avaient amené les jeunes
chrétiens jamaïquains à éprouver un grand «
revival » religieux qui se traduisit par un ardent désir
de pouvoir envoyer des missionnaires sur leur continent d'origine32.
À cet effet, en 1840, un accord de principe fut obtenu de la part de la
B.M.S., leur Mission-Mère. En réalité, la B.M.S.
n'était pas engagée pour une nouvelle entreprise en Afrique.
Mais, considérant le réveil jamaïquain, elle ne pouvait
pourtant pas accepter. C'est ainsi que deux missionnaires, le pasteur John
Clark de l'Église de Jéricho (Jamaïque) et le docteur G. K.
Prince, ancien esclavagiste33 furent envoyés sur la
côte de l'Afrique occidentale pour prospecter les possibilités
d'un travail d'évangélisation. Ils avaient
précisément pour tâche d'examiner la région
montagneuse du Cameroun et si possible, d'atteindre le cours supérieur
du Niger34. Le premier contact avec le Cameroun eut lieu le 1er
février 1841 à partir de la ville de Douala qui s'appelait alors
« the Cameroon's »35. Ils furent reçus par
les chefs des cantons Bell, Akwa, Joss, Hickory
(Bonabéri) et de Deido.
Le 6 février 1841, ils quittent Douala pour Bimbia
où le dimanche eut lieu une prédication à l'attention de
trois cent personnes rassemblées en plein air. De là, ils
retournèrent à Fernando-Poo. À part une visite du Dr.
Prince à Bimbia, il ne semble pas que les missionnaires aient
quitté l'île pour d'autres expéditions vers
l'intérieur du Cameroun. En
31 F. A. Cox, History of the Baptist Missionary
Society, from 1792 to 1842, London, 1842, II.
32 J. V. Slageren, Les origines de l'Église
Évangélique, p. 18.
33 D. Abwa, Cameroun : histoire d'un nationalisme
1884-1961, Yaoundé, CLÉ, 2010, P. 14.
34 J. R. Brutsch, " Fernando-Poo et le Cameroun ", in
Études Camerounaises, n°43-44, 1954, p. 19.
35 J. V. Slageren, Les origines de
l'Église
Évangélique, p. 19.
16
vue de créer une tête de pont pour l'ensemble du
territoire d'Afrique Centrale, ils concentrèrent leurs efforts sur
Fernando-Poo.
Ces missionnaires Jamaïquains de la B.M.S.
introduisirent, comme le firent plus tard leurs successeurs au Cameroun,
différents arbres fruitiers comestibles36. Clarke se mit
notamment à étudier les langues africaines qui étaient
parlées par les nombreux esclaves de provenance diverse. D'après
H. Johnson37, Clarke fut l'un des premiers spécialistes des
langues africaines selon les méthodes modernes. Il avait poursuivi
l'idée de rechercher l'homogénéité des langues de
type Bantou.
Le 21 novembre 1841, un baptême fut administré
aux premiers convertis dont quelques-uns étaient Camerounais. Le 3
février 1842, ces missionnaires retournèrent en Angleterre. Entre
temps, leurs lettres avaient suscité en Angleterre un
intérêt tel qu'on avait pris la décision de poursuivre
cette mission. Le premier missionnaire titulaire anglais arriva à
Fernando-Poo quatre jours après le départ des autres.
C'était monsieur Sturgeon qui devait concentrer ses efforts sur
l'évangélisation de cette île.
Le rapport que Clarke et Prince présentaient à
leur retour, dans les Églises de la Jamaïque, suscita un tel
enthousiasme que de nombreux chrétiens noirs présentèrent
leur candidature. Parmi eux se trouvaient Alexander Fuller avec ses deux
enfants, dont l'un, Joseph Jackson Fuller, devait jouer un grand rôle
dans l'Église à créer sur la côte du Cameroun, et
Joseph Merrick qui venait d'être consacré pasteur dans
l'Église de Jéricho en Jamaïque. Tous ceux-là se
rendirent en Angleterre où Clarke et Prince firent des rapports
captivants au cours des « London Jubilee Meetings
»38. L'enthousiasme devint alors général et
total. Sous la devise « L'Ethiopie accourt vers Dieu » tiré du
livre des Psaumes 68 verset 32, plusieurs équipes furent envoyées
à Fernando-Poo sur des navires spécialement destinés aux
buts missionnaires de la côte camerounaise39.
Certains de ces missionnaires firent oeuvre de pionniers de la
B.M.S. au Cameroun :
? Joseph Merrick et son ministère.
Parmi Les missionnaires établis à Fernando-Poo,
il n'y avait donc pas que les anglais, mais aussi un grand nombre de Noirs de
la Jamaïque, dont une bonne partie devait y constituer une colonie
chrétienne. D'autres étaient désignés pour
évangéliser les régions côtières du Cameroun
qui, en raison des conditions insalubres ne pouvaient pas être
occupées
37 H. Johnston, George Grenfell and the
Congo, Vol. I, London, 1908, p. 18.
38 Il s'agit du cinquantième anniversaire de
Mission Baptiste de Londres.
39 J. R. Brutsch, " Fernando-Poo et le Cameroun ",
1954, p. 75.
17
par les européens. Il était entendu que
ceux-là feraient un travail itinérant portant avec eux « les
Paroles de la vie éternelle ».
Joseph Merrick qui était arrivé le 6 septembre
1843 à Fernando-Poo, fit un voyage sur le continent dès le mois
de novembre, accompagné de Thomas Houghton ou Horton Johnson, membre du
Tribunal « for adjudication of offenses » à Fernando-Poo et
catéchumène de la Mission. Joseph Merrick traversa la mer sur un
petit voilier et débarqua sur le rivage de l'actuelle ville de Douala le
6 novembre 1843. Il fut ainsi le premier pasteur Jamaïquain, ancien
esclave d'origine africaine, à s'installer au Cameroun. Il eut vite
remarqué que les gens étaient désireux d'apprendre
à lire et à écrire. La raison qu'ils
évoquèrent était qu'ils deviendraient de bons
commerçants et ne seraient plus si facilement dupés par les
Blancs40. Merrick poussa ensuite une pointe jusque chez les Bakoko,
situés plus en avant sur le Wouri. Il ne s'agissait là que d'un
séjour de reconnaissance et d'une prise de contact du continent à
évangéliser.
Merrick était un imprimeur professionnel et il
était en outre extrêmement doué pour l'étude des
langues. De retour à Clarence41, il prépara dans la
langue Duala un premier livre d'école qu'il allait imprimer
dans son imprimerie de Bimbia42. Dès le début de
l'année 1844, Merrick s'installa avec la famille Fuller à Bimbia.
C'est à lui que l'on doit la fondation de la station camerounaise de
Bimbia, chez les Isubu, en 1844. Il y résida pendant plusieurs
mois dans un ancien immeuble esclavagiste. Plus tard, il s'installa dans une
station qui fut baptisée Jubilee. Il est le fondateur de l'école
au Cameroun, et depuis Bimbia, il construisit plusieurs écoles. Il fit
également des soins médicaux aux populations, et introduisit au
Cameroun plusieurs plantes. Cependant, leur présence à Bimbia ne
dura que peu. Certains succombèrent au climat, d'autres comme Clarke
rejoignirent la Jamaïque.
Merrick eu le mérite de ne pas seulement persister dans
son ministère, mais aussi de frayer le chemin de la Mission vers
l'intérieur. Il tenta l'ascension du Mont Cameroun et ouvrit ses
environs aux influences chrétiennes. Epuisé par ses travaux et
par son ministère qui fut couronné par la naissance d'une
Église à Bimbia, il partit en congé pour l'Angleterre en
octobre 1848, mais il mourut en mer en décembre43.Il revenait
alors au jeune J. J. Fuller de continuer seul le ministère de salut
à Bimbia. Ce dernier travailla pendant plusieurs années pour
évangéliser et pour faire fonctionner l'imprimerie de Merrick,
dont se servait Alfred
40 J. V. Slageren, Les origines de
l'Église
Évangélique, p.21.
41 Clarence était le centre commercial de la
West African Company situé sur l'île de Fernando-Poo.
42 J.-R. Brutsch, « Les débuts du
christianisme au Cameroun », in Études Camerounaises, n°33-34,
1951, p. 5359.
43 J.V. Slageren, Les origines de
l'Église
Évangélique, p. 22.
18
Saker pour son oeuvre de traduction. En 1858, Fuller fut
affecté à Douala, et à partir de ce moment,
l'Église de Bimbia fut annexée à celle de Victoria.
? Alfred Saker et l'essor de l'Église de
Douala
Alors que les efforts missionnaires à Fernando-Poo et
à Bimbia ne menaient qu'à un résultat
intermédiaire, c'est à Douala que l'Église allait prendre
une forme plus définitive, grâce à un missionnaire d'un
tempérament particulier, Alfred Saker. Alors âgé de trente
ans, d'origine anglaise, Saker était arrivé à Fernando-Poo
le 16 février 1844 accompagné de sa
femme44.Après quelques négociations avec les chefs
d'Akwa et de Deido, il s'installa en 1945 au bord du Wouri. Il fut reçu
par le chef de Deido qui lui offrit une case et un petit terrain. Dès
lors, il se mit à tout préparer pour s'y installer d'une
façon permanente. Le 22 juin 1845, Saker obtint la permission de
débarquer sur le territoire d'Akwa et d'y construire une petite case.
Saker et sa femme eurent immédiatement à faire face à des
difficultés de toutes sortes variant de la pénurie de vivres aux
hostilités des chefs autochtones et des commerçants
européens qui, inondant le pays d'alcool et d'armes à feu, ne
pouvaient voir d'un bon oeil l'établissement de la Mission. Cela,
d'autant plus que les négriers continuaient à fréquenter
ces parages longtemps encore après l'abolition officielle de
l'esclavage.
À peine débarqué à Douala, Saker
se mit avec ardeur à apprendre la langue Duala, et dès
qu'il en posséda les rudiments, il suivit l'exemple de Merrick et
entreprit la traduction de la Bible. Il fit venir dans ce but des livres
exégétiques pour mieux pouvoir se préparer à cette
tâche. Après des travaux astreignants, l'évangile de
Matthieu sortit de presse en 1848, le Nouveau Testament en 1868 et l'Ancien
Testament en 187245. Saker était efficacement aidé par
Thomas Horton Johnson, qui travaillait à ses côtés à
Douala. A partir de 1847, la maladie et mort causèrent des vides parmi
le personnel missionnaire à Clarence. Ce qui amena Saker à aller
remplacer le pasteur partant de Fernando-Poo. La responsabilité de
l'oeuvre à Douala revint donc à Johnson. En 1849 son influence
à Douala s'accentua grâce au premier baptême qui eut lieu
dans les eaux du Wouri. Le premier baptisé qui s'appelait Bekima
Bilé, eut pour nom chrétien « Smith ». il était
du quartier Bonapriso. Saker vint administrer ce baptême et c'est
à cette occasion qu'il dit ces paroles historiques :
Ainsi j'ai donc vu réaliser un souhait formulé
depuis longtemps : le commencement d'un bon travail au Cameroun et la formation
d'une Église chrétienne... qu'il me soit permis de voir des
milliers d'âmes venir se joindre à nous. La
communauté chrétienne est dans toute sa petitesse reconnue
comme une force nouvelle dans ce pays46.
44Y. Schaap, L'histoire et le rôle de la
Bible en Afrique, Dokkum, éd. Groupes Missionnaires,
2000, p. 61. 45J. V. Slageren, Les origines de
l'Église
Évangélique, p. 25.
46Ibid.
19
En 1850, Saker alla passer son premier congé en
Angleterre. Par ce départ, le champ de Mission était
dépourvu de missionnaires proprement dits. C'était T. H. Johnson
qui poursuivit l'oeuvre amorcée à Douala. Durant son
séjour en Angleterre, Saker eut le chagrin de constater que le
Comité Directeur de la B.M.S. était loin d'être favorable
à une continuation éventuelle de la Mission sur la côte
camerounaise. On devait s'en tenir à la simple constatation que l'oeuvre
était vraiment trop dévorante pour le personnel missionnaire.
Néanmoins, considérant les premiers résultats qui, du
moins, n'étaient pas sans perspectives pour une évolution
ultérieure, on n'a pourtant pas voulu empêcher le retour de
Saker47.
Saker revint alors en 1851 et se réinstalla à
Clarence, mais cette fois plutôt provisoirement. C'est ainsi que
commença la période la plus fructueuse de la B.M.S. au Cameroun.
Elle allait durer jusqu'en 1864 et se déclinait en quatre étapes
:
En premier lieu, la Mission à Douala commençait
à prospérer grâce au grand nombre d'auditeurs aux cultes et
aux nombreux enfants qui fréquentaient l'école. L'orientation des
Douala vers l'évangile prit un tournant décisif par le
baptême de cinq néophytes en 1851. Parmi eux, se trouvaient un
prince Douala qui eut pout nom Thomas Horton et l'esclave George Nkwe. Ce
dernier eut la chance d'être parmi les premiers élèves de
l'école immédiatement ouverte en 1845 et il devait
dorénavant se distinguer par son application et son zèle. En
1855, Johnson fut consacré pasteur par Saker pour l'Église de
Bethel qui comptait déjà cinquante membres. Par cet acte,
l'Église de Douala passa du statut missionnaire à celui
d'Église autochtone : la « Native Baptist Church
».
En second lieu, du moment où les membres de
l'Église se multipliaient commençaient à s'imposer au gros
de la population par des nouvelles notions de moralité, les chefs, les
notables autochtones et la collectivité chrétienne
s'entrechoquèrent. Il s'en suivit une véritable
persécution parfois violente, dont souffraient surtout les femmes
chrétiennes. Les hommes de leur côté se voyaient
raillés et calomniés, mis à l'écart de la vie de la
tribu, et lésés dans leurs biens ou leurs transactions
commerciales. C'est dans ces conditions que Saker eut l'idée de
créer une école industrielle au profit des jeunes
chrétiens et c'est cette école qui allait contribuer à
saper les fondements de l'esclavage dans la société Douala. Il
est vrai que Saker entreprit d'abord avec ses fidèles de faire des
briques pour remplacer les constructions provisoires et insalubres par des
bâtiments définitifs. Puis, il leur apprit à cultiver la
terre tout en introduisant de nouvelles denrées alimentaires, dont les
chrétiens de Douala furent alors les premiers fournisseurs. Peu à
peu, l'activité industrielle prit une nouvelle envergure que la ville
47E. B. Underhill, Alfred Saker, Missionary to
Africa, a Biography, London, 1884, p.57
20
se distingua d'autres villes de la côte africaine par le
grand nombre de ses artisans très qualifiés et par son
application da la civilisation moderne48. C'est pour dire que dans
ce cas précis, la conversion entraîna des conséquences qui
allèrent jusqu'à bouleverser tout l'édifice social de
Douala et à créer un monde nouveau. De plus, Saker a pu
réaliser son activité civilisatrice grâce au
dévouement des premiers chrétiens et notamment aussi grâce
à l'assistance de Fuller qui était un bon maçon
formé à la Jamaïque.
En troisième lieu, en 1858, Saker dut s'absenter de
Douala pour se rendre à Fernando-Poo, où la B.M.S. avait à
faire face à de grandes difficultés. Les autorités
espagnoles avaient effectivement repris possession de leur colonie. Cette fois,
la religion de cette colonie devint, d'après la déclaration du
gouverneur Don Carlos Chacon, la religion catholique romaine, à
l'exclusion de tout autre. Après de laborieuses négociations, le
gouvernement espagnol versa une somme de mille cinq cent livres sterling pour
indemniser la B.M.S. Cette somme suffisait à peu près pour
acquérir un terrain du King William dans la baie d'Ambas à
laquelle Saker donna le nom Victoria, en hommage à la reine Victoria sur
le trône d'Angleterre49.
En fin de compte, il n'eut qu'un petit nombre de
fidèles qui émigrèrent, quatre vingt dix en tout. La
petite colonie devint importante comme centre de culture chrétienne,
s'ouvrant sur le peuple Bakweri, qui se situe à
l'intérieur du pays aux environs du Mont Cameroun. Victoria fut
gouvernée par un conseil de notables avec un gouverneur à sa
tête. Saker ne s'attarda pas à cette nouvelle fondation et reprit
le chemin de Bethel. Plus tard, il s'efforça en vain d'intéresser
le gouvernement britannique à l'installation d'une base navale à
Victoria50.
En quatrième lieu, l'intérêt de la B.M.S.
pour le champ de travail au Cameroun s'accentua de nouveau. C'était
Fuller qui avait, en 1851 insisté auprès de B.M.S. sur la
nécessité de l'envoi d'une nouvelle équipe de missionnaire
en écrivant en ces termes : « Certes, l'Angleterre se fiche de
l'abomination de l'esclavage et j'ai constaté que c'est la tâche
d'évangélisation qui vous effraie, mais je suis convaincu que le
sang d'Afrique sera réclamé de vos mains ».
En 1854, la mission du Cameroun obtint finalement du renfort
en la personne de Joseph Diboll, un Anglais qui fut chargé du poste
pastoral de Clarence et devint plus tard gouverneur de la colonie de Victoria.
Puis arrivèrent successivement la famille Pinnock de la Jamaïque
et
48 H. Johnston, George Grenfell and the
Congo, p. 35.
49 D. Abwa, Cameroun : histoire d'un
nationalisme, p. 41.
50 Notons que, dans un rapport envoyé au
consul anglais, Saker avait énuméré tous les avantages
d'une installation britannique dans la baie d'Ambas : pas de marécages,
pas de moustiques, beaucoup de poissons, une eau profonde.
21
Alexandre Innes, John Peacock, Robert Smith et Quintin Thomson
d'Angleterre. Leur arrivée eut des répercussions sur l'extension
de l'oeuvre vers l'intérieur.
En 1872, après avoir terminé la traduction de
l'Ancien Testament, Saker prit soin de s'occuper plus profondément des
Églises déjà existantes. Dans ses tournées dans les
Églises primitives de Lungasi et de Malimba, il observa malheureusement
des villages ruinés par la guerre et les épidémies de
variole. Ces fléaux anéantissaient l'expansion plus rapide de
l'évangile vers les peuples de l'intérieur.
En 1876, Saker quitte le champ de travail et rentre
définitivement en Angleterre. Il a dû enterrer quatre de ses
enfants à Douala. Homme têtu et plein de feu, Saker n'a pas rendu
la vie facile à ses collègues. Il a construit des Églises,
des écoles et une école professionnelle ; il a fondé une
Église baptiste et consacré des pasteurs. Il a traduit toute la
Bible en Douala. Il a lutté contre les abus des Européens et des
chefs Douala. Ce faisant, il a donné aux Douala une vue nouvelle sur
l'avenir51, en déléguant les responsabilités de
l'Église et de son centre d'apprentissage à ses assistants
camerounais. En 1877, Fuller organisa des campagnes de vaccination contre la
variole à Douala52.
Il est à noter qu'en quittant le Cameroun, Saker laissa
une Église toute vivante, avec deux pasteurs Noirs consacrés : J.
J. Fuller consacré en 1859 et George Nkwe en 1866. Ce dernier
succéda à T. H. Johnson à l'Église de Bethel.
? Grenfell, explorateur et missionnaire
Au départ du Cameroun, Saker fut remplacé comme
chef de champ par Quintin Thomson. Mais, virtuellement, c'était George
Grenfell qui reprit la responsabilité de l'oeuvre. Il devrait
acquérir plus tard une certaine notoriété comme
explorateur de l'Afrique Centrale. Arrivé au Cameroun en 1874, il se mit
à explorer les environs de Douala de façon méthodique et
scientifique. Il remonta le Wouri jusqu'à Yabassi, et là, il
rencontra les tribus de l'intérieur, qui, dans leurs expéditions
commerciales, avaient pénétré assez loin vers le Nord pour
entrer en contact avec les Bamiléké et les marchands Haoussa et
Foulbé du Nord-Cameroun. Il était, cependant, sceptique à
l'égard d'une pénétration évangélique vers
l'intérieur à cause du fait que les Douala sauvegardaient leurs
bénéfices d'intermédiaires avec les Européens. Il
était d'autres parts impressionné par le niveau de vie du peuple
Abo (Bakoko), qu'il trouvait plus intelligent et plus travailleur que la tribu
Douala. Alors que Grenfell prospectait les régions Abo et Bassa,
où il découvrit les chutes de la Sanaga à Edéa, son
ami, le missionnaire Comber, prospectait les régions du Nord-Est. Parti
en 1877 de Victoria, il arriva à Bakundu,
51 Y. Schaap, L'histoire et le rôle de la
Bible, p. 63.
52 J. J. Fuller, Autobiography, p. 70, Archives Isaac
Kamta.
22
en passant par Bomono, une agglomération ne comptant
pas moins de mille cinq cent habitants53.
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