2.2.3. Entre production et compréhension :
Bühler et Marty
Les Recherches Logiques, publiées en 1900 et
1901 ont été l'objet de modifications dans les années 1910
par Husserl en ce qui concerne l'expression et de théorie du signe.
L'intentionnalité qui est issue des thèses de Brentano est de
nouveau développée par Husserl qui opère une distinction
entre les types d'intentions possibles. Il y intègre la notion de
Tendenz, qui n'existait pas dans ses travaux précédent
et de Meinung, de visée, comme deux intentions distinctes
possibles. Comme l'explique Ulrich Mell : « Il s'agit de
différencier l'intention en tant que tendance, comme l'intention
d'indiquer [Hinweisintention] et l'intention en tant que
visée62 » [Notre traduction]. Les conséquences de
l'introduction de tels concepts dans l'intentionnalité husserlienne
permettent alors de clarifier certains points de sa philosophie de l'expression
:
« In seiner neuen Ausdrucks- und Erkenntnislehre
verbindet die Hinweisintention den Wortlaut mit einer sei es leeren, sei es
anschaulichen Meinung, die durch diese Verbindung zum Bedeutungsbewusstsein
wird, die aber ebensogut auch ohne diese Verbindung bestehen kann. »
« Dans sa nouvelle théorie de l'expression et de
la connaissance, il lie l'Hinweisintention de la Wortlaut avec une visée
soit vide, soit intuitionnée, qui grâce à ce lien, devient
conscience de signification, mais qui peut aussi exister sans ce
lien63 » [Notre traduction].
62 Ibid, « Einleitung des Herausgebers » , p.
XXIII, « Es gilt zwischen Intention als Tendenz, als Hinweisintention und
Intention als Meinung zu unterscheiden. »
63 Ibid
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Dans les travaux de Husserl, il n'est pas rare de trouver les
termes de visée, Meinung, sens, Sinn et signification,
Bedeutung utilisés en tant que synonyme puisque Husserl a
rarement fait de distinction en question d'intentionnalité. Il
écrit même dans l'introduction des Recherches Logiques :
« Il n'est malheureusement pas possible de définir les actes de
visée [meinenden Akte] sans recourir à l'expression de la chose
signifiée64 » [Notre traduction].
Les travaux d'auteurs contemporains, comme Marty et
Bühler dans les années 1900 à 1910 ont grandement
influencés les travaux de Husserl, apportant de nouvelles
problématiques au développement de la philosophie du langage.
Bühler propose d'établir une distinction entre les contenus
possibles de pensée : Le contenu intelligible et le contenu sensible.
Ils deviennent alors, en tant que contenu - bien indépendant de la
pensée, ils sont extrinsèques à nos modes logiques. En
s'inspirant des premières Recherches Logiques, il s'interroge
sur la nature des objets de pensée et il en résulte que pour lui,
les représentations ne sont pas de véritables contenus de
pensée. Il est loin de lier la visée à la signification
comme Husserl l'a fait dans la première recherche. En
s'émancipant des théories husserliennes, mais en s'inspirant de
ses problématiques, il conçoit en 1909 les prémisses de
son Organon Modell et s'éloigne pour ainsi dire, des
thèses husserliennes. La signification devient indépendante de la
représentation là où Husserl, dans la première
Recherche Logique, fait le lien entre la signification et le
Meinen, la visée.
Dans ce contexte, si pour Anton Marty, la signification est
une fonction de la communication, elle devient pour Bühler
l'effectivité de toutes les fonctions de la communication. C'est la
réalisation de toutes les fonctions et de toutes les parties du langage.
Marty soulève l'importance des états du locuteur et du recepteur
dans la réalisation de la communication mais Bühler introduit une
nouvelle fonction du langage : La fonction de représentation ou
Darstellung du monde ou des objets existants, c'est l'état des
choses, le domaine symbolique du langage sans recours à une forme
sensible. Il faut alors distinguer trois étapes dans la
réalisation de la signification : La logique de la conscience ou
Regelbewusstsein et la relation ou
64 E. Husserl, Hua XIX.I, p. 16
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Beziehung obéissent aux mêmes
modèles que l'intuition catégoriale que Husserl développe
dans la Sixieme Recherches Logiques. Cependant, les intentions, le
troisième moment dans la constitution de la signification, sont pour
Bühler à distinguer, ce sont des actes signitifis, comme
décrit dans la terminologie husserlienne dans la Sixième
Recherche Logique : C'est non pas « l'intuition du tout, mais
seulement son contenu représentatif65 » [Notre
traduction], car « l'acte signitif pur se trouve toujours attaché
à une intuition fondamentale. Cette intuition du signe n'a cependant
aucun rapport avec l'objet de l'acte signitif pur66 » [Notre
traduction]. Il n'est pas remplissant, comme la signification, c'est donc une
intention vide : « La signification, dans l'acte ne parait possible alors
que lorsqu'elle est liée à une intention avec la présence
d'une nouvelle intention, où l'objet intuitif [...] apparait comme un
signe67 » [Notre traduction].
En 1909 Bühler publie sa récension sur Marty et
developpe sa théorie : si Marty concoit la communication comme une
relation entre le locuteur et le recepteur, la fonction de signification chez
le destinataire et de manifestation chez le locuteur n'ont pas un statut
égalitaire. Il semble que le locuteur dans la production du message fait
le message avec intention, avec Absicht, donc influence toujours
l'auditeur, qui reçoit le message sous forme d'indice. La fonction
d'influence devient alors plus importante que la Kungnahme. Une telle
théorie conçoit la communication comme une approximation
émotionnelle, où les signes ne peuvent plus être signes
intersubjectifs, mais des indices emprunts d'une influence externe. « Le
but primaire est bien plus une influence et une domination d'un état
d'âme étranger chez le recepteur68 » [Notre
traduction].
Bühler revient sur ce point. Toutes propositions
communicationnelles ne se réalisent pas toujours dans l'influence du
recepteur et ces études le pousse à introduire la fonction de
représentation et à distinguer les types
d'intentionnalités :
65 Hua XIX.II, VI., 25, p. 619, lignes 20-21
66 Ibid, Lignes 8-10
67 Ibid, Lignes 12-15
68 A. Marty, Untersuchungen zur Grundlegung der allgemeinen
Grammatik und Sprachphilosophie , 2e partie, ch. 3, §58 p. 284, Halle
a. S., Verlag von S. Niemeyer, 1908, « Das primär Beabsichtigte ist
vielmehr eine gewisse Beeinflüssung oder Beherrschung des fremden
Seelenlebens im Hörenden. »
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« En conséquence de ce principe, devrait
également être prise en compte la proposition selon laquelle,
partout où l'intention première du locuteur ne peut ni être
décrite comme une intention d'influencer, ni comme une intention
d'exprimer, réside justement une nouvelle fonction du moyen linguistique
69 »
Cette nouvelle fonction, que Marty ignore dans ses ouvrages,
change les conceptions de la communication. Il y a une nouvelle fonction
possible du moyen linguistique : l'expression de l'état des choses.
Husserl revient en mars 1910 sur la fonction d'influence et la fonction de
représentation que Bühler a developpé dans ses
Récensions sur Marty, après avoir longuement
étudié le texte.
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