2.1.2. Le langage et l'expression
La science a un caractère démontrable et c'est
en cela que le concept d'intersubjectivité est aussi présent dans
la logique. Les objets de la logique sont des informations que l'on peut
désigné dans la réalité, donc partager avec
d'autres sujets. Cependant une objection est ici possible : L'expression
linguistique n'est-elle alors qu'un vêtement qui couvre un pensée
originairement non linguistique - une expérience purement
phénoménologique ? Parce que, comme l'écrit Husserl,
« Les pensées ne s'effectuent-elles pas la plus part du temps de
manière muettes, en expérience muettes, en forme de
pensées non linguistiques ?39» [Notre traduction]. Ceci
est une remarque pertinente car les formes logiques ne semblent pas suffisantes
pour justifier notre expérience au monde et notre sentiment de
vérité. L'exemple des formulations énoncées du
théorème de Pythagore, précise Husserl, est facilement
rejetable d'un point de vue linguistique. Il est très facile d'en
effacer l'expression linguistique pour simplement la penser sans le besoin des
mots, sans pour autant perdre la vérité de ce fait. La
vérité de l'expression est indépendante de la forme
linguistique qui l'exprime. La réalité du monde, au sens
scientifique,
39 Ibid, p. 20, ligne 30-32, « Vollzieht sich
Denken nicht in großen Strecken als sprachloses, insprachlosen
Erfahrungen, sprachlosen Denkformungen? »
33
n'a pourtant aucun rapport avec le sujet pensant. En fait, les
faits nous viennent de manière géométrique, ils
correspondent à nos modèles préétablis.
Ces modèles sont les bases de toutes idéations
et n'apparaissent pas dans l'expérience. Le principe même des
structures de l'expérience apparait déjà chez Kant dans la
Critique de la Raison pure en 1787. Toutes expériences
réelles se produisent dans le champ de mes sens, dans l'espace et dans
le temps, deux concepts humains qui structurent toutes nos expériences
phénoménologiques? C'est « ce qui, dans l'espace et le
temps, est immédiatement représenté comme réel,
à travers la sensation40».
Ces structures sont des éléments objectifs dans
l'expérience. Il existe aussi pour Husserl une structure de
l'intentionnalité. Cette logique objective sert à combattre le
psychologisme qui guette toute philosophie du sujet. Husserl propose une
véritable élucidation des fondements de la connaissance car
l'intentionnalité vise une signification. Cette signification est
idéale et dépasse l'historicité, les vécus
précédents du sujet. La conscience sort d'elle-même, elle
vise la signification objective d'un objet puis redevient subjective, dans
l'acte notifiant le sens.
« La signification du mot n'est pas un rapport entre deux
faits psychologiques ni entre deux objets dont l'un est le signe de l'autre mis
entre la pensée et ce qu'elle pense. C'est là toute
l'originalité de l'intention par rapport à l'association...
Le pensé est idéalement présent dans la
pensée. Cette manière qu'a pour la pensée de contenir
idéalement autre chose qu'elle - constitue
l'intentionnalité41 ».
L'acte de signification est pour Husserl fondée par un
objet de pensée, comme nous l'avons précisé dans la partie
précédente, cependant, il y a un passage de l'expression (le
signe avec un caractère expressif actuel) et l'intention de
signification. L'acte de signification recherche un remplissement et ce
remplissement n'est pas forcement effectué par le signe expressif,
puisque le signe
40 E. Kant, Critique de la Raison Pure, Logique
Transcendantale, Chapitre II, « De la déduction des concepts purs
de l'entendement », Paragraphe 22, 1787
41 E. Levinas, En découvrant l'existence avec Husserl
et Heidegger, Vrin, 2004, p. 32
34
n'offre pas l'objet dans l'intuition, il renvoie à lui.
Lorsque le signe est objet de l'intentionnalité et qu'il offre une
possibilité d'acte de signification, comment est-il possible de passer
d'un acte à un autre ? En d'autres termes, le signe est l'objet de
l'intuition, donc de l'intentionnalité et l'acte de signification
produit dans la conscience n'est pas fondé sur un remplissement de
l'intuition par l'objet auquel le signe renvoie. Seul le signe est
intuitionné. Comment se produit l'apparition du sens du signe si il est
l'objet intuitionné, mais qu'il n'est pas le signifié ? Avant de
développer plus amplement le fonctionnement du signe, il faut analyser
les nouvelles distinctions que Husserl opère entre le signe et
l'indice.
2.1.3. Nouvelles distinctions entre signe et indice : Traduction
partielle et analyse du Beilage VII
En mars-avril 1914, Husserl revient, dans le Beilage VII
sur les distinctions entre signes et indices. Il faut aller plus loin dans
la définition car les signes et indices sont multiples.
L'expérience de la signification et de la reconnaissance d'un
signifiant, ne fait pas naturellement la distinction entre le signe et la
l'indice, effectivement, cette distinction est logique et ne s'impose d'elle
même dans l'expérience, puisqu'ils sont tous deux, dans une
certaine mesure, vecteurs de signification pour le sujet. Ici donc Husserl
revient sur ces définitions, en intégrant de nouvelles
réflexions : le signe et son pouvoir de désignation et de sens ne
dépend pas de sa réalité.
« Die Aussage ist etwas Wirkliches mitsamt ihrem
sprachlichen Leib, obschon der sinnliche Laut ein Phantasielaut, das sinnliche
Schriftzeichen ein Phantasie-Schriftzeichen ist und keineswegs als
erinnerungsmäßiges gesetzt ist. Ist das Wortzeichen ein aktuell
Gese-henes, Gehörtes, so spielt sein Dasein als dinglich-reale
Wirklichkeit in der Bezeichnung auch keine Rolle. »
« L'énoncé est quelque chose de réel
avec son corps linguistique même si son son sensuel est un son
imaginé et son caractère écrit est un caractère
écrit imaginé et qu'il n'est en aucun cas un souvenir. Le fait
que que le mot-signe ait
35
véritablement été vu ou entendu, son
existence [Dasein] en tant que chose présente dans la
réalité, ne joue aucun rôle dans la
désignation42 » [Notre traduction].
Dans les faits, si je pense un signe ou si je le vois, la
seule distinction d'état est que dans le cas de la perception, j'ai
conscience, j'ai connaissance de sa réalité mais ce n'est pas la
réalité qui lui confère son caractère fonctionnel
et communicant :
« Wo Wirkliches vorliegt, wo ich an Wirkliches die
bezeichnende Funktion knüpfe, Wirkliches als Zeichen verwende und
äußere, um dadurch mitzuteilen, da kann ich natürlich nicht
dieWirklichkeit abtun. Aber auch da konstituiert sich das Zeichen nicht als
Beschaffenheit desWirklichen, sondern als funktionaler Charakter, und er
konstituiert sich aufgrund der Erscheinung von Wirklichem, aufgrund der
Wahrnehmung und durch darin fundierteAkte; inWahrnehmungen gründenden
Sollens-tendenzen, gesättigt (entspannt) in thematisch vollzogenem
Bedeutungsbewusstsein. »
« Lorsque le réel est présent, lorsque je
considère la fonction de désignation comme réelle, lorsque
j'utilise et que j'exprime un signe comme réalité, pour ainsi le
partager, là je ne peux pas bien sûr, me défaire de son
caractère réel. Mais ici aussi, le signe ne se constitue pas
comme une qualité de la réalité, mais comme un
caractère fonctionnel, et il se constitue à cause de l'apparence
de la réalité, à cause de la perception et de l'acte qui y
est fondé ; dans les perceptions se fondent une tendance du devoir,
[...] dans la conscience de signification thématiquement
accomplie43 » [Notre traduction].
Cette tendance du Sollen, du devoir, n'est pas
présente dans la perception des indices. C'est plus tôt une
tendance à l'attente. Nous allons donc traduire et commenter en partie
le Beilage VII, Indices en tant qu'indications et véritables signes.
Le devoir des véritables signes. Indications artificielles. «
Je désigne un SA comme un indice, dans le but que quelqu'un d'autre ou
moi-même puisse voir
42 E. Husserl, Hua XXII.II, « Ausdruck und Zeichen »,
Das Zeichen als funktionaler Character., 3. Auf die Wirklichkeit kommt es
für die Zeichenkonstituion nicht an, p. 94-95, lignes 31-01
43 Ibid, p. 95, lignes 7-16
36
que cela est B. Ce n'est pas un signe44 »
[Notre traduction]. Ce n'est pas un signe car c'est une conscience subjective
qui le désigne. Ce n'est pas un signe existant dans l'espace
intersubjectif de la logique. Le signifié d'un signe se désigne
normalement de lui-même à moi. Dans ce cas présent, c'est
un indice que le « je » transforme en indication de sens pour un
autre objet, de manière à ce que moi-même ou quelqu'un
d'autre puisse reconnaître dans cet indice, la présence prochaine
d'un autre objet. Le signe est naturellement porteur de sens, il ne
nécessite pas que je lui ajoute arbitrairement un sens. En revanche, un
indice n'a pas le caractère intersubjectif du signe. Pour exemple, on
pourrait citer les phrases inspirées des vers de Verlaine qui ont
servies à prévenir les résistants français que
l'opération Overlord allait commencer dans les prochaines
quarante-huit heures, à compter du message radio le 5 juin 1944. Le
message codé était alors le suivant : « Les sanglots longs
des violons de l'automne, blessent mon coeur d'une langueur monotone ». Ni
les allemands, ni les français en général ne pouvaient
comprendre ce message qui s'adressaient uniquement à ceux qui
était capable de le comprendre. Ils ont reçu des indications
préalables pour pouvoir le comprendre. Ce n'est donc pas un signe, c'est
un indice, un code qui a été produit dans le but d'être
crypté pour la population, mais compréhensible pour les personnes
préalablement prévenues.
« 2) Wenn ich das Anzeichnende, das Merkzeichen sehe, mag
ich wissen, dass es dazu da ist, in dieser Absicht aufgestellt worden ist. Das
ist kein kommunikatives Verstehen und kein Verstehen eines eigentlichen
Zeichens. »
« 2) Lorsque je vois un indice, ou quelque chose de
remarquable et que je veux savoir si cet objet a été
installé ici dans cette intention. Ce n'est ni une compréhension
communicative, ni un véritable signe45 » [Notre
traduction].
Lorsque je doute du sens du signe et que je m'aide du contexte
pour savoir si cet indice que je pense être un signe en est un, ce n'est
pas véritablement un signe,
44 Ibid, p. 96, lignes 29-30, « Ich erzeuge ein
ZA als Anzeichen zu dem Zweck, dass ich oder dass 30 jedermann daran ersehen
kann, dass B ist. Das ist kein Zeichen. »
45 Ibid, p. 96, lignes 31-33
37
c'est un indice. Le signe s'offre à nous directement,
il n'est pas emprunt de doute et il n'est pas hasardeux. C'est le cas de
l'interprétation d'oeuvres artistiques. Lorsqu'on pense comprendre une
oeuvre artistique, on lui donne un sens en s'aidant des indices que l'on pense
importantes et on lui donne une interprétation. Cependant
l'interprétation n'est jamais univoque, l'oeuvre ayant un
caractère autotélique. L'interprétation ne coïncidera
jamais tout à fait au sens primaire de l'oeuvre - celui potentiellement
donné par l'auteur, mais sera lié au lecteur. «
L'observation et les commentaires d'un poème peuvent être
profonds, singuliers, brillants ou vraisemblables, ils ne peuvent éviter
de réduire à une signification et à un projet le
phénomène qui n'a d'autre raison que
d'être46 ».
Husserl continue ses distinctions :
« 3) Ein Zeichen liegt auch nicht vor, wenn ein Objekt A
mich an ein Objekt B erinnert oder wenn ein A in mir die Vorstellung, dass B
ist, durch Daran-Erinnern assoziativ erweckt. »
« 3) Un signe aussi n'est pas, quand un objet A me fait
souvenir d'un objet B ou quand A est d'après moi la
représentation de B à travers le souvenir d'une
association.47 » [Notre traduction].
Les signes ne sont pas non plus, comme le précise
Husserl, des indices qui nous font personnellement souvenir d'une association
qui est directement liée à l'historicité du sujet et
à la multiplicité de ses vécus psychiques. Ce genre
d'indices ne sont que personnels, ils n'ont pas de caractère
intersubjectif et sont liées à nos expériences. C'est le
cas de la reviviscence, symptôme psychiatrique du trouble de
stress-post-traumatique qui fait revivre à travers une association
partielle d'objets, l'événement traumatisant qui lui est
associé, d'un point de vue uniquement personnel.
« 4) Auch nicht dann, wenn ein
gewohnheitsmäßiges Verhältnis hier vorliegt. Und wieder nicht,
wenn gewohnheitsmäßigA als das Uninteressantere
46 R. Char, préface aux Poésies, Une saison en
enfer, Les Illuminations de Rimbaud, éditions NRF
Poésie/Gallimard, 1956
47 E. Husserl, Hua XXII. II, p. 97, lignes 1-3
38
zurücktritt und B als das Interessante mich anzieht, also in
gewissem Sinn eine gewohnheitsmäßige Tendenz des Übergangs
erwächst. »
« Ce n'est pas un comportement habituel non plus. Et ce
n'est toujours pas, quand le A habituel perd son intérêt et que
l'intérêt de B commence à m'attirer, donc dans un sens,
cela donne naissance à une tendance habituelle48 »
[Notre traduction].
Un signe n'est pas non plus une tendance transitionnelle
habituelle. C'est n'est pas le fait de voir un objet qui pour moi, à
force d'habitudes devient porteur d'un autre sens. C'est le cas par exemple de
la transsubstantiation, où le croyant ne voit plus
l'intérêt du pain et du vin, mais voit le corps du Christ. Ces
objets sont le symbole d'une expérience divine, même si, pour
Charles Sanders Peirce l'eucharistie peut être considérée
comme un signe car :
« we can get it wrong--that our judgments about reality
are always provisional and thus subject to revision.64 In this sense we can
understand the eucharistic species to retain their indexical character even if
someone fails to notice them or thinks of them as no more than ordinary bread
and wine. »
« nous pouvons avoir faux, nos jugements sont toujours
provisionnels et donc, sujets à la révision. Dans ce sens, nous
pouvons comprendre que l'eucharistie retient son caractère indexical
même si quelqu'un n'arrive pas à le reconnaître ou si il ne
voit pas plus que du pain et du vin ordinaire49 » [Notre
traduction].
Husserl conclut en décrivant l'essence du signe, qui
est et doit être utilisé comme un pont, un Brücke
:
« 5) Notwendig ist zwar das äußerliche
Bloß-Daran-Erinnern«, wobei kein sachliches Anzeichenverhältnis
statthat, und wieder die Tendenz des gewohnheitsmäßigen
Übergangs. Aber notwendig ist auch, dass Z dazu da und nur dazu da ist,
auf B hinzuweisen (Hinweis das Gemeinsame mit dem
48 Ibid, lignes 4-7
49 William P. O'Brien S.J., Eucharistic Species and Peirce's
Sign Theory, p.87, Saint Louis University, 2014
Anzeichen-Verhältnis), oder dass Z ein bloßes
Mittel« ist. Aber wieder nicht Mittel im Sinne einer Zwecksetzung [...],
sondern Mittel im Sinne einer von Z ausgehenden Forderung des Übergangs
und zugleich einer auf Z zugehenden Aufforderung, es zu erfassen und nur als
Brücke zu verwenden. »
« Le "souvenir" [Bloss-Daran Errinern] est
nécessaire, même si il n'y a pas d'indice physique mais seulement
la tendance de la transition habituelle. Mais il est nécessaire aussi
que S ne soit présent que pour démontrer B (signal commun
grâce à l'indice), ou qu'un Z ne soit qu'un "moyen". Mais ce n'est
toujours pas un moyen [...] dans le sens d'un Z comme l'exigence explicite
d'une transition ainsi qu'un Z comme invitation implicite à le voir
comme tel et à l'utiliser seulement comme un pont50 »
[Notre traduction].
Finalement, Husserl explique : L'indice du souvenir, en tant
que transition habituelle est tout aussi nécessaire que le signe qui
offre une invitation implicite à n'être utiliser que comme un
pont. En fait, les termes traduit ici comme implicite et explicite
reflètent deux types de réalité : Dans le cas du souvenir,
la transition est explicite, puisque le sujet a fait un acte de cette
transition, mais elle est implicite dans le cas du signe puisque le signe, lui,
s'impose de lui même. Plus encore, le signe comme nous l'avons
expliqué auparavant, n'a pas d'autres sens que le signifié. C'est
un objet arbitraire dont l'existence est effective uniquement dans le but de
désigner un autre objet, de le rendre présent dans l'acte de
signification, sans pour autant que l'objet rendre dans le champs des
perceptions.
39
50 E. Husserl, Hua XXII.II, p.97, lignes 8-16
40
2.2. ANALYSE DE LA FONCTION GÉNÉRALE DU
SIGNE
2.2.1 La tendance du devoir et la tendance à l'attente :
Traduction partielle et commentaire du Beilage VII
Plus loin dans ce texte Husserl propose des distinctions entre
signes et indices non pas d'un point de vue fonctionnel, mais en analysant les
tendances dont ils sont porteurs. Il y décrit la tendance du devoir,
seule tendance portée par le signe, et la distingue les autres tendances
qui appartiennent aux indices.
« Sturmsignale und sonstige mitteilende Signale: Zeichen,
denen ein Sollen anhaftet. Das Signal wird gehisst, die Signalkörbe werden
aufgezogen: Die Militärbehörde will die Schifffahrer etc. etwas
wissen lassen. Sie sollen wissen, und sie verstehen in diesem Sinn. Aber dieses
Sollen hat jede mitteilende Rede, jedes öffentliche Schriftstück
z.B., aber auch jede Rede, in der ich mich an andere mit der Absicht einer
Mitteilung wende. Alle echten Zeichen haben den Ursprung aus solchem
zumutenden, von Subjekten ausgehenden Sollen. Und nachdem die Zumutung (selbst
wo sie mitgedacht ist) außer Aktion getreten, bleibt das reine Sollen des
Zeichens.
Dieses Sollen fehlt natürlich (bzw. jedes Wollen) bei
Anzeichen, etwa Vorzeichen, wie z.B. das Aufflammen des Kronleuchters
Vorzeichen für den Beginn der Aufführung ist. Eine Tendenz ist
bloß da, eine Erwartungs tendenz, der ich folge. (Ich bin ohnehin in
Erwartung«, aber zuständlich. Das Anzeichen macht wieder
lebendig-aktuelle Erwartung daraus.) »
« Le signal de tempête et les autres signaux
communs : Ce sont des signes, auxquels est ajouté la notion de devoir.
Le signal a été hissé, la bouée de signalisation a
été lancée à l'eau : L'autorité militaire
veut faire savoir quelques chose aux bateliers. Ils doivent savoir et ils le
comprennent dans ce sens. Mais ce sens du devoir, tous les discours notifiants
et toutes les notes publiques en sont porteurs par exemple, mais aussi tous les
discours dans
41
lesquelles je m'adresse à quelqu'un d'autre dans
l'intention de lui faire parvenir un message. Tous les véritables signes
ont à l'origine une telle exigence du devoir explicite dirigés
vers les sujets. Et après cet ordre imposé, (même là
où il est juste pensé) expulsé par l'action, il reste le
pur devoir du signe.
Ce devoir n'est naturellement pas présent [...] dans
les indices, ou dans les choses désignées, comme par exemple
montrer les lumières qui s'allument pour désigner le début
d'une représentation. Une tendance est tout à fait là, une
tendance à l'attente, à laquelle je me fis. (Je suis
déjà dans l'attente, mais de manière
réactualisable)51 » [Notre traduction].
Les signes transportent donc une notion de devoir, lorsqu'on
en en rencontre un, ils nous signifie quelque chose, cette chose est
censée être comprise par le sujet qui la voit : C'est là
où se trouve le devoir. Les signes linguistiques sont aussi inscrits de
manière à être compris, ils sont porteurs d'une
volonté d'être partagés et aussi d'un fondement tacite :
Ils sont fait pour être compris, ils sont appris par les sujets puis
doivent être compris. La bouée de signalisation est un objet
officiel qui permet une reconnaissance directe de la tempête. C'est un
objet qui fait parti du code maritime et qui a été
fabriqué de toutes pièces pour indiquer la tempête. Lorsque
la tendance du devoir est présente, elle s'adresse aux marins qui
comprennent le signal tel qu'il doit l'être : Les autorités
militaires indiquent que le temps est mauvais et donc, il faut prendre les
précautions nécessaires pour adapter son bateau. Tous les signes
possèdent une telle capacité et ceci les différencie des
indices et des indications.
Les indices indiquent quelque chose mais le sens du devoir n'y
est pas présent. Husserl prend donc l'exemple des lumières qui
s'allume avant le spectacle. Il y a ici une indication qui est présente
de par elle même, mais aussi grâce au contexte ; je me trouve dans
une salle de représentation, les lumières s'allument, j'attends
donc le spectacle. C'est une tendance à l'attente, mais cela reste une
tendance. C'est parce que j'ai l'habitude de voir les spectacles
51 Ibid, Lignes 17-32
42
commencer de la sorte que j'attends le début du
spectacle. C'est une tendance, une transition habituelle.
« Wegweiser: zeigt unmittelbar die Wegrichtung an. Ich
muss mich erst besinnen und komme darauf, dass er aufgestellt ist zu dem Zweck,
dem Wanderer Mitteilung davon zu machen, dass der Weg zur Stadt da gehe.
ausdruck und zeichen Windfahne: aufgestellt zu dem Zweck, dass man daran die
Windrichtung ,,ersehen« kann. Also das sind zur Anzeige bestimmte Zeichen
- Signale.
Was liegt vor bei der Anzeige: Ein GegenstandAwird im Dasein
erfasst, und nunwirdder geistigeBlick fortgerissen, fortgelenkt zu dem damit
,,durch Motivation« verbundenen ,,Es ist B!«, ,,Es wird B
kommen!«. Lichtschein am Himmel - es brennt irgendwo! Dunkle Wolken,
schwüle Luft - ein Gewitter im Anzug. Und in dieser Einheit des
Übergangs ist A charakterisiert als anzeigend (als Anzeichen, Vorzeichen),
B als angezeigt.
Nun kann ich künstlich eine Anzeige herstellen. Zum
Beispiel, eine bewegliche Fahne folgt dem Wind und zeigt die Windrichtung an.
Ich mache eine Wetterfahne, umfürmich oder andere diese nützliche
Anzeige jederzeit bereit zu haben. Eine Wetterfahne ist kein
Mitteilungszeichen. Es ist bloß eine zweckvoll hergestellteAnzeige, und
eventuell fasse ich es als Zweckding und als zu diesem Zweck hergestellt auch
auf.
Anders bei den Lotsenzeichen, Sturmsignalen, bei allen echten
Signalen. An sich zeigen sie nichts an, sie stehen als das,was sie sind, und an
und für sich betrachtet, danach, dass sie sind, nicht in einem
Verhältnis der Seinsmotivation zu dem,was sie bezeichnen. Es ist nicht
erst ein Anzeigeverhältnis [...]. Es können innerhalb Klassen von
anzeigenden Gegenständen nicht nur Zweckgegenstände konstruiert
werden, um Anzeige jederzeit oder in passenden Lagen zu erwecken; es
können auch schon konstituierte Anzeigen dazu dienen, wirkliche Zeichen zu
konstituieren. »
« Indications de chemin : Indique directement la
direction du chemin. Je dois en premier me rappeler que je suis sûr que
ce qui est mis est dans le but de
43
notifier au voyageur que ceci est le chemin de la ville où
je vais.
Les drapeaux indicateurs du vent : Installés dans le
but, que chacun puisse "voir" la direction du vent. Donc ce sont des signes -
signaux particuliers pour afficher. Qu'est ce qu'une indication : Un objet A a
été créé, et maintenant le regard spirituel est
emporté, il s'éloigne avec motivation de A pour se lier à
"Ceci est B !", "B va apparaître!" De la lumière dans le ciel - il
y a un incendie quelque part ! Des nuages noirs, l'air lourd, un orage se
prépare. Et dans cette unité de la transition, A est
caractérisé comme indiquant (en tant qu'indice ou
prévision), le B comme indiqué.
Maintenant je peux aussi installer un indice artificiel. Par
exemple un drapeau mouvant suit le vent et montre donc la direction du vent. Je
fais un drapeau indicateur du temps de manière à avoir cette
information utile à chaque instant pour moi ou pour les autres. Le
drapeau indicateur du vent n'est pas un signe notifiant. C'est plutôt un
indice installé dans ce but, et je peux éventuellement le
considérer comme une chose ayant un but, et également en tant
qu'installé à cette fin.
Mais il n'en est pas de même pour les indicateurs de
chemin, les signaux de tempête, pour tous les vrais signaux. En soi il ne
montrent rien, ils restent tel qu'ils sont, ils sont pris en compte seulement
en eux-mêmes, parce qu'ils ne sont pas dans une relation motivée
de l'être de ce qu'ils désignent. Ce n'est pas tout d'abord un
état de démonstration [...]. Il peut y avoir des objets
désignant qui ne sont pas construit seulement comme des objets ayant un
but, pour susciter un indice tout le temps, ou de manière
succincte52 » [Notre traduction].
Cette relation non motivée du signal, c'est la
tendance. Cette tendance est non motivée car elle n'est pas explicable
contextuellement ou personnellement comme les indices. Le signe et le signal
n'a rien de psychologique. Ils n'ont pas de rapport de faits avec les
vécus personnels des consciences. Ce n'est pas non plus une habitude ou
un instinct. S'attendre à un orage lorsque l'air devient lourd est une
indice associatif qui est provoqué par l'expérience. Elle fait
place à l'attente
52 Ibid, Ligne 33, p. 97 à lignes 23, p. 98
44
d'un orage. La relation non motivée du signe vers son
désigné, c'est aussi le caractère arbitraire du signe. Le
signe n'a pas de but, Zweck, puisque c'est seulement un moyen. Il
existe seulement en lui-même.
Ici cependant, il est intéressant de revenir sur la
distinction entre les signes catégoriaux et les signes non
catégoriaux, les signaux - comme dans ce texte, la bouée de
signalisation, pour pouvoir comprendre la portée du mot
Anzeichen, l'indice, l'indication en comparaison avec le signe
expressif, puisque, dans la première édition des Recherches
Logiques, il n'était pas question d'attribuer une
Sollenstendenz à un signe autre que linguistique.
Le signe et l'indice sont tous deux des termes qui relaient
d'autres objets. La bouée de signalisation relaie la tempête, les
lumières s'allumant dans la salle de théâtre relaie
l'information du début de la représentation. En
général, on utilise ces mots de la même manière -
toujours pour désigner un mot ou une chose qui désigne un autre
mot. Mais l'indice ne désigne rien, rien n'est signifiée à
travers la présence d'un indice. Lorsque les lumières s'allument,
ce qui est signifié, c'est que les lumières sont allumées,
ce qui est attendu, comme l'explique Husserl dans le Beilage VII,
c'est le commencement du spectacle.
Il est alors évident que les lumières du
spectacle ne sont pas des signaux, même si elles sont données de
manière non catégoriale. La distinction entre les signes
catégoriaux et les signes non catégoriaux est nouvelle dans les
travaux de Husserl. Il avait laissé, dans ses anciennes Recherches
logiques, la prédominance de la définition du signe au signe
linguistique, donc - catégorial mais il revient sur ce point dans les
réécritures.
2.2.2. Analyse comparative : De la première
édition aux réécritures, une requalification du
signal
45
Dans la première Recherche, Ausdruck und
Bedeutung, Husserl explique ce qu'est la Kundgabe, la
notification de sens. En ce qu'il s'agit des signes linguistiques, le locuteur
exprime quelque chose avec des signes à un destinataire et le
destinataire conçoit l'expression comme « un signe des
"pensées" du locuteur53 » [Notre traduction]. Husserl
définit ceci comme la fonction de manifestation, une des fonctions
opérantes de l'expression linguistique. Cette fonction du langage est
pour Husserl, ni un jugement, ni une connaissance c'est « que le
destinataire perçoit le locuteur à travers l'intuition comme une
personne qui exprime ceci et cela54 » [Notre traduction].
Cependant Husserl fait une distinction entre les signes linguistiques et les
signes non linguistiques qui pour lui ne sont que des Anzeichen, des
indices, car ils ne signifient rien : « Il lui signifie quelque chose,
dans la mesure où cela peut être interprété, mais
ils n'ont pas en soi de véritables significations, dans le sens exact
d'un signe linguistique, mais tout à fait dans le sens d'un
indice55 » [Notre traduction]. Ce genre de signes, ne sont que
des affichages de la pensée de quelqu'un. Ils n'offrent pas pour
Husserl, à ce stade de ses recherches, une véritable
signification, une expression aussi précise que l'expression
linguistique. Dans les réécritures, Husserl introduit une
précision. Il y a signes qui ne font pas partie des langues naturelles
et qui ne sont pas pour autant des indices. Car dans la première
Recherche, Husserl s'est concentré sur le signe et le
signifié en tant que mot et forme linguistique. Ici il explique :
"Le drapeau comme signe d'une nation, le stigma comme signe
des esclaves ont été justement utilisés comme des exemples
d'indices. Mais ce sont en même temps de véritables signes,
même si il y a une différence dans les faits avec les signes
linguistiques et que tous les signes artificiels se fondent de la même
manière en dehors des langues naturelles."56[Notre
traduction]
Ici alors, il faut analyser les signes catégoriaux et
introduire la possibilité de l'existence de signes non
catégoriaux sans qu'ils soient forcement définis comme des
indices ou des indications. Tout d'abord, le signes, est bien ce qui
définit
53 E. Husserl, Hua XIX.I, p. 40, lignes 3-4
54 Ibid, lignes 25-27
55 E. Husserl, Hua XIX.I, p. 38, lignes 6-9
56 E. Husserl, Hua XX.II, p 52 , lignes 18-24
46
quelque chose d'autre que lui même. Il possède
cette dualité inhérente en lui. Le drapeau d'une nation est un
signe non pas linguistique, mais visuel, et il définit une nation. Le
signe exprime le même : C'est un objet qui en plus d'être lui
même en tant que fondement matériel, Wortlaut, est aussi
quelque chose d'autre de manière évidente, non pas dans
l'intuition, mais dans la signification. Il ne l'indique pas, il l'exprime
clairement. Husserl appelle cela le signal, lorsqu'il est non linguistique :
« Il a un sens exprimé, il transforme une
visée [Meinung] en expression, il désigne quelque chose,
même si il possède aussi sa fonction normale d'indice pour quelque
chose, mais d'un autre coté, il n'exprime pas comme une formule
mathématique ou comme un énoncé de mots dans n'importe
quelle langue peut le faire. [...] Il peut désigner un fait [Tatsache],
il peut signaliser la "même" chose57 » [Notre
traduction].
Le signe n'est pas le mot ou le dessin dans sa composition,
c'est un signal qui n'a rien à voir avec la construction du
signifié. Il ne peut pas être déconstruit. Il est vide en
lui même, il possède un sens non explicatif, un sens arbitraire et
idiomatique. Le signal est une entité entière qui ignore la
grammaire car la grammaire est importante dans les structures logiques de la
signification, lorsqu'il s'agit de l'expression linguistique :
« Im Reich der Signale gibt es keine Grammatik; wir
wissen aber schon, dass Grammatik nicht Sache der sinnlichenWortzeichen,
sondern Sache der Bedeutungen und ihrer Formen ist. Eine Sachlage kann in
bestimmter logischer Fassung, die imangemessenen grammatischen Ausdruck sich
nach Inhalt und Formen ausprägt, bezeichnet sein. Sie kann aber auch
einfach indiziert sein, sei es als Ganzes, sei es nach Bestandstücken,
wobei die Signale für die Teilsachlagen auch für sich, wo nur diese
Teile von Interesse sind oder sie das Ganze ausmachen, fungieren können.
»
« Dans le domaine du signal il n'y a pas de grammaire ;
nous savons cependant déjà que la grammaire n'est pas n'est pas
importante en matière de
57 Hua, XX.II, p. 52, lignes 27-34
47
signes linguistiques physiques [sinnlichen], mais elle joue un
rôle dans la signification et ses formes. Une situation peut être
désignée par une certaine constitution logique, qui exprime avec
une expression grammaticale appropriée, le contenu et la forme. Elle
peut aussi être indiquée, soit en tant que tout, soit par parties,
où les signaux peuvent composer des parties de la situations aussi pour
soi, où seule ces parties sont intéressantes, ou alors ils
peuvent composer le tout58 » [Notre traduction].
La forme grammaticale dans lequel le signe apparaît
n'est pas importante. C'est en cela que des signaux, donc des signes
non-linguistiques peuvent eux aussi désigner. La fonction du signe
dépasse même les formes différentes et les nuances de son
apparition grammaticale. Le sens du signe et son expression ne sera en aucun
cas changé si il est utilisé de différentes
manières dans le contexte d'une phrase. Par exemple, Husserl explique
qu'il existe des énoncés qui exprime la même chose, avec
des formes linguistiques différentes. Dire qu'une tempête vient du
nord-est, ou qu'une tempête arrive, quand bien même la direction
n'a pas été donnée, le signe reste signifiant. Même
si ce signe est un Teilsignal, un signal d'une partie seulement de la
chose. Comme Husserl le précise, un signal peut indiquer une partie ou
la chose entière, tout dépend de l'intérêt du
destinataire et de l'intention qui exprime. La Kundgabe, la
manifestation restera ici l'approche d'une tempête. Le signal n'exprime
pas dans une forme de phrase précise, une exprime directement la chose
correspondante, c'est la cas de la bouée de signalisation. Lorsque
quelqu'un la verra, il comprendra la présence de la tempête mais
le signifié ne sera pas une phrase explicite et construite « comme
quelque chose inscrit en tant que définition explicative des signaux
marins dans les livres des codes de signaux59 » [Notre
traduction], mais une forme d'évidence, de corrélation avec le
signifié et donc avec le comportement à adopter.
Il faut donc alors définir les signes non
catégoriaux et cela dépend alors non pas de sa précision
logique ou linguistique, mais d'une présence de son véritable
caractère intersubjectif. Le langage est un domaine intersubjectif, mais
les codes
58 Ibid, p. 53, lignes 11-19
59 Ibid, p. 53, lignes 34-35, « wie etwa die
denMarinesignalen beigegebenen Erklärungs-35 sätze in den
Signalbüchern »
48
et les signaux le sont aussi dans la mesure où ils
adressent un message à quelqu'un qui le comprendra comme tel. C'est
là que se trouve la véritable fonction, le devoir de savoir ce
qui est intersubjectif et qui s'adresse avec intention à quelqu'un qui
est censé, qui doit - le comprendre. Le signal devient alors dans ces
nouvelles recherches aussi un signe qui n'a pas besoin d'être
exprimé ou compris dans un cadre linguistique.
« Liegt in der Art des Bedeutens der Unterschied zwischen
kategorialen und nicht kategorialen Zeichen (die wir uns immer durch Signale
verdeutlichen können), so bleibt andererseits gemeinsam auf beiden Seiten
»
« Il y a donc dans le domaine de la signification une
différence entre les signes catégoriaux et les signes non
catégoriaux (que nous pouvons toujours nommer signaux), mais il reste
quelque chose de commun à ces deux types de signes60 »
[Notre traduction].
Et cette chose commune c'est le pouvoir intersubjectif du
signe. C'est sa fonction qui dépasse sa forme. Derrière chaque
signe, il y a au fondement, une possibilité d'expression possible mais
aussi - et surtout, le postulat que les autres comprennent le sens du signe,
sinon c'est un indice personnel :
« diese Funktion dadurch in Kraft tritt, dass sich
Adressanten und Adressaten, Zeichengeber und Zeichenempfänger in einem
intersubjektiven Bewusstsein konstituieren, sich selbst ineinverstehenden
Bewusstseinsakten einander gegenüberwissen, der eine das Zeichen mit
seiner Bedeutung übermittelnd, der andere es in eben dieser Bedeutung
verstehend. »
« cette fonction tient sa force du fait que le locuteur
et le destinataire, le donneur de signes et le receveur de signes, se
constituent dans un conscience intersubjective, elle même dans l'acte de
la conscience de compréhension connaissent entre eux, l'un en
transmettant un signe avec sa signification, et l'autre comprenant
entièrement la signification61 » [Notre traduction].
Cet espace intersubjectif, et cette conscience de la
signification n'est alors
60 Ibid, p.54, Lignes 16-19
61 Ibid, p 54, lignes 21-26
49
plus centrée sur la précision grammaticale et
logique de nos formes expressives. Les signes peuvent ainsi être
non-catégoriaux, l'importance étant cette
intersubjectivité possible, cette conscience de la signification. Il
nous faudra désormais analyser jusqu'où peut on désigner
la communication comme un espace intersubjectif, et pour comprendre ce fait, il
faut analyser pourquoi Husserl en s'inspirant de Bühler refuse de donner
trop d'importance à la fonction d'influence définie dans les
travaux de Marty, dans le domaine de la communication.
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