2.2.La remise en question de l'objectivité des
documents d'urbanisme
a. La pertinence du PLU remise en question
Le SCOT, qui détermine le PLU, est un outil
indispensable et surtout obligatoire afin d'analyser l'état
d'artificialisation des sols, et de déterminer ce qui pourra être
artificialisé ou non dans le souci de redensifier la ville. Benoît
Masson, du géocatalogue de Lille, nuance pourtant la pertinence du SCOT,
et notamment la réalité du zonage introduit par le PLU : «
Il y a une confusion dans les documents d'urbanisme au sens où il
n'y a pas de distinction entre l'espace artificialisé réel et
l'artificialisé réglementaire.»82
En effet, en regardant de plus près les zones
appelées « à urbaniser » (AU) sur le territoire de la
métropole lilloise, « beaucoup sont non-urbanisées,
elles n'ont pas basculé dans l'AUc83
»84. Benoît Masson illustre son propos à partir de
dernières photos aériennes, comparées au zonage du PLU :
« il y a des zones au jaune, ce sont les AU, certaines ne sont pas
construites, c'est-à-dire qu'il y a encore des champs dans la ville
»85. Un champ, perdu entre des zones bâties à
Fives, confirmes ses critiques. Il conclue : « on n'a pas tellement
pris sur l'espace naturel »86.
Ainsi, si le diagnostic du Schéma de Directeur de 2002
et les préoccupations actuelles de l'ADU concernant le futur SCOT
s'inquiètent de l'artificialisation en mettant en avant le remplissage
du périurbain, il semble que ces documents réglementaires ne
prennent pas pleinement en compte la réalité des territoires. On
peut s'interroger dès lors, dans une certaine mesure, sur la pertinence
de leur diagnostic, et de leurs recommandations.
b. Le SCOT, un outil qui doit plaire aux politiques
Les documents d'urbanisme sont le reflet de la volonté
politique, la « volonté politique très forte du
renouvellement urbain, de la ville intense »87. Il s'agit
pour le SCOT, dans sa manière d'aborder l'artificialisation, de «
décliner un projet politique autour d'une vision
82 Entretien avec Benoît Masson, membre du
géocatalogue de Lille, le 25 février 2015 à Lille
83 Les zones AUc sont des zones destinées
à permettre l'extension de l'urbanisation, principalement l'habitat,
sous forme d'ensemble exclusivement.
84 Entretien avec Benoît Masson, membre du
géocatalogue de Lille, le 25 février 2015 à Lille
85 Ibid.
86 Ibid.
87 Entretien avec Benoît Masson, membre du
géocatalogue de Lille, le 25 février 2015 à Lille
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d'avenir »88. La question centrale
pour l'ADU est la suivante : « comment utiliser le sol, de quelle
manière peut-on faire de l'espace le levier d'une politique sur le
territoire ? »89. L'artificialisation est donc un enjeu
politique majeur, qui fait intervenir le registre de la
légitimité. Il s'agit de mesurer, au regard des recommandations
initiales, la réalisation des objectifs. « La mesure de
l'objectif de la consommation foncière est très regardé,
on doit se montrer vertueux »90.
Le SCOT est donc un document qui doit plaire au politique, qui
doit montrer son efficience en termes de limite de l'urbanisation. Mais le SCOT
est surtout un « document de consensus politique, et il est
limité en termes d'action »91. Il s'agit de
développer la ville sur elle-même, certes, mais en prenant en
compte les ambitions de développement des politiques. De plus, le «
SCOT n'est pas un document de gestion, et il est limité sur le volet
de la biodiversité »92.
Apparaît donc la question du temps politique. L'Agence
de Développement et d'Urbanisme réfléchit au
renouvellement du SCOT depuis 2008, et il est urgent d'adopter de nouvelles
réglementations afin de freiner le grignotage des espaces naturels. Mais
le SCOT est soumis à « l'aléa politique, le temps est
arrêté »93. Le projet du SCOT doit être
arrêté en 2015, et « doit passer en revue l'obligation de
concertation pour le rendre opérant à la fin 2016
»94. L'ADU doit réaliser différentes cartes
en vue de cette concertation pour en débattre avec les élus lors
de la concertation. Le temps politique met en mal l'application d'une
véritable réglementation, il faut « reporter la
démarche, presque jusqu'à la dernière pièce,
attendre la dernière gouvernance pour répondre au nouveau visage
politique »95. Ivanova Rodastina le déplore :
« ADU, c'est un technicien, il est dépassé car l'enjeu
politique est à prendre en compte.»96
88 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT
à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20
février 2015 à Lille
89 Ibid.
90 Ibid.
91 Ibid.
92 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable
Structure territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme
de Lille, le 19 mars 2015 à Lille
93 Entretien avec Emma Raudin, responsable du SCOT
à l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille, le 20
février 2015 à Lille
94 Ibid.
95 Entretien avec Rodastina Ivanova, responsable
Structure territoriale à l'Agence de Développement et d'Urbanisme
de Lille, le 19 mars 2015 à Lille
96 Ibid.
34
c. Les chiffres au service du politique
Les cartes déterminent le sens de la notion
d'artificialisation, et les chiffres illustrent son évolution. Les
chiffres semblent être objectifs, et ils sont pourtant, au même
titre que les documents d'urbanisme, soumis au souhait du politique.
Benoît Masson le souligne : « il y a une difficulté
politique, celle de sortir des chiffres compréhensibles, des chiffres
à annoncer pour le politique »97. Les chiffres
deviennent des outils au service du discours politique, et, effet pervers de
l'utilisation des données chiffrées sur l'artificialisation,
« une fois annoncés, les chiffres sont fixés par le
discours des politiques. Ce chiffre, ça fait cinq ans qu'on en parle
mais il est faux. [...] La base de données produit des chiffres
critiquables. »98
Guillaume Schmitt étend la réflexion au concept
de l'artificialisation : « c'est une expression très
utilisée dans le débat politique ou dans les négociations
entre les acteurs. Le chiffre est un pouvoir, on arrive avec ses statistiques
pour prendre telle ou telle mesure »99. Les enjeux
politiques derrière cette notion sont majeurs, « le mot on peut
l'utiliser à «toutes les sauces» »100.
Pour la Chambre d'Agriculture du Nord-Pas de Calais, le projet de plan
forestier régional, qui visait à planter de manière
organisée des arbres, contribue à l'artificialisation des zones
agricoles et des prairies, tandis que pour le syndicat mixte Espace Naturel
Lille Métropole, la question ne doit pas se poser, assurant le
bien-fondé des politiques de renaturation. Pour Guillaume Schmitt, cette
opposition est révélatrice, cette notion « peut
être employé à contre-courant de sa définition
initiale, compte tenu du fait qu'elle n'est même pas stabilisée
initialement ».101
L'artificialisation est donc « un mot valise dans
lequel on met ce qu'on veut, même si l'on dit que l'artificialisation,
c'est l'urbanisation »102. Elle reste pourtant une
thématique de plus en plus importante au regard de l'étalement
urbain et de ses conséquences. Mais elle recouvre des
réalités fort différentes, pouvant qualifier des
opérations de « renaturation ». Laure Cormier use du terme d'
« espace ouvert »103, qualifiant tous les espaces
qui ne seraient pas bâtis, afin de contourner la difficulté que
pose la définition de « territoires artificialisés
».
97 Entretien avec Benoît Masson, membre du
géocatalogue de Lille, le 25 février 2015 à Lille
98 Ibid.
99 Entretien avec Guillaume Schmitt, géographe,
le 2 avril 2015 à Lille
100 Ibid.
101 Entretien avec Guillaume Schmitt, géographe, le 2
avril 2015 à Lille
102 Ibid.
103 Entretien avec Laure Cormier, géographe, le 5 mars
2015 à Paris
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Le concept d'artificialisation pose donc des problèmes
car il s'agit pour certains de formes d'anthropisation, entendant par-là
la restauration des écosystèmes tandis qu'il doit être pour
d'autres la légitimation de ces politiques de protection de la
biodiversité. Il s'agit bien-là d'un mot valise, né de
cartographie dont les insuffisances remettent en question la pertinence du
terme. Il est employé par les acteurs pour défendre leur usage du
sol, et de là émergent des conflits entre les acteurs du
territoire dans une métropole où la pression sur le foncier est
de plus en plus forte.
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